L'oeuvre de René Girard

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MB
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Message non lu par MB » jeu. 02 sept. 2004, 22:35

Charles a écrit :Voici quelques questions que l'on peut se poser :

:arrow: L'origine de toute culture au sens large s'enracine dans la violence et c'est incompatible avec une la "naturalité" de la sociabilité.

:arrow: La genèse du religieux sacrificiel, de la culture et de l'humanité se confondent : qu'en est-il de l'image de Dieu selon laquelle nous avons été créés ?

:arrow: La déconstruction que Girard découvre dans la Bible, déconstruction de tout le religieux sacrificel et mythique, ne risque-t-elle pas de se retourner contre la Bible elle-même ? En effet, la marque du texte de persécution est qu'il ne devrait se diffuser que dans la contre-culture minoritaire victime de la violence sociale généralisée. Tandis que le mythe, est lui, le texte des oppresseurs et vainqueurs. Dans la relation que fait Tite-Live de la mort de Romulus :

"1. Après ces immortels exploits, Romulus avait un jour, pour passer les troupes en revue, réuni l'assemblée dans la plaine près du marais de la Chèvre. Soudain, dans un grand fracas de coups de tonnerre, un orage éclata qui enveloppa le roi d'une nuée si épaisse que la foule ne le vit plus, et Romulus disparut à jamais de cette terre. 2. La frayeur des jeunes Romains ne s'apaisa que lorsqu'à ce ciel si perturbé succéda le calme d'une lumière sereine. Ils virent alors le trône vide. Quand les sénateurs, qui étaient installés auprès de Romulus, leur dirent qu'il avait été attiré dans les airs par la tourmente, ils voulurent bien les croire, mais, comme frappés par la peur d'être orphelins, ils se confinèrent assez longtemps dans un silence attristé. 3. Puis, quelques-uns et ensuite tous à la fois de s'écrier : "Salut à toi, Romulus, Dieu né d'un Dieu, roi et père de Rome !" Leurs prières réclamaient instamment son assistance : "Sois bienveillant et favorable, et protège toujours ta descendance !"

4. Il y en eut alors, je crois, quelques-uns pour dénoncer sous le manteau le fait que le roi aurait été mis en pièces par les mains des sénateurs. Cette autre version des faits s'est répandue aussi, mais de manière occulte. Quant à la première, elle fut popularisée par l'admiration pour Romulus et l'effroi qui régnait. 5. Il a suffi, dit-on, d' un seul homme avisé pour rendre crédible cette interprétation des faits. C'était Iulius Proculus.

Dans la ville inquiète, qui pleurait Romulus et s'en prenait aux sénateurs, ce personnage de poids engagea sa crédibilité en affirmant devant l'assemblée ce fait inouï : 6. "Romulus, - oui, Quirites ! -, le père de notre ville, aujourd'hui, au lever du jour, est tout à coup descendu du ciel pour venir à ma rencontre. Je ne revenais pas de ma stupéfaction et je suis resté cloué sur place, plein de respect. Je l'ai supplié alors de pouvoir le regarder en face et il m'a dit : 7. 'Va, annonce aux Romains la volonté des dieux : ma chère Rome doit être la capitale du monde. Qu'ils s'adonnent dès lors à l'art militaire et fassent savoir à leurs descendants qu'aucune puissance humaine ne résistera aux armes romaines.' À ces mots, il a disparu dans les airs".

8. Il est surprenant de voir la confiance que l'on accorda aux paroles de Iulius Proculus et de constater combien s'atténua le regret de Romulus auprès de la plèbe et de l'armée, maintenant que la croyance à son immortalité s'était ancrée dans les esprits." (Histoire Romaine de Tite Live - Livre I, chapitres 15-16)

La version selon laquelle, Romulus a été assassiné, version "biblique" est celle qui est resté occulte.

Mais dans l'Evangile selon Saint-Matthieu :

" Tandis qu'elles étaient en chemin, quelques-uns des hommes chargés de garder le tombeau allèrent en ville annoncer aux chefs des prêtres tout ce qui s'était passé. Ceux-ci, après s'être réunis avec les anciens et avoir tenu conseil, donnèrent aux soldats une forte somme en leur disant : « Voilà ce que vous raconterez : 'Ses disciples sont venus voler le corps, la nuit pendant que nous dormions.' Et si tout cela vient aux oreilles du gouverneur, nous lui expliquerons la chose, et nous vous éviterons tout ennui. » Les soldats prirent l'argent et suivirent la leçon. Et cette explication s'est propagée chez les Juifs jusqu'à ce jour. " Mat 28, 11-15

... qu'en est-il ?
Je suis heureux qu'il y ait quelqu'un ayant les mêmes lectures que moi :heart: !
Après, peut-être est-il hasardeux de vouloir confronter Girard avec l'Eglise (en plus, je ne suis pas expert en théo), mais il y a des pistes à suivre :
- les mécanismes victimaires que vous avez justement trouvés chez Tite-Live (la religion et l'histoire romaines fourmillent de trucs typiquement girardiens) se retrouvent en effet dans la Bible, mais n'ont pas du tout la même signification ; c'est cela qui fait toute la différence. La victime sacrifiée, dans un monde païen, est à la fois bienfaisante (comme dispensatrice de sacré) et nocive : car la victime est à la base un méchant, le responsable du mal qui a décimé la cité ou la communauté. Il prend sur lui tous les maux publics et privés (ex. dans un monde pas si ancien, la statue de Bébert que l'on brûle à la fin du carnaval), et sa mort purifie la communauté. Chez nous, le Christ (et de même les victimes dans le monde biblique) prend sur lui tous les péchés, mais il est effectivement innocent. C'est même la victime innocente par excellence.
- Quelle est la conséquence pour nous ? D'une part, le sacrifice a déjà eu lieu, c'est le plus grand de tous les sacrifices, donc il n'y a pas de "besoin" d'en faire un autre. Les maux et les péchés résultant de la confrontation constante de nos désirs mimétiques ont par avance trouvé leur solution ; plutôt que de les suivre, nous devons aller vers le Christ. D'autre part, le fait que la Victime par excellence est totalement innocente, doit nous faire pencher toujours, de préférence, vers l'opprimé, le rejeté, celui que tout le monde désigne comme le bouc émissaire, car nous devons voir en lui, plus qu'en tout autre, le Christ. Nous devons ainsi renoncer à faire comme les païens (et les chrétiens quand ils se laissent aller, ex. les pogromes de juifs pendant la Peste noire, ou plus récemment...), et cesser de voir dans la victime un ennemi.
J'espère que je suis clair... si j'ai dit quelque chose de pas bien, 'faut me le signaler ! :roll:

Cordialement

MB
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Message non lu par MB » jeu. 02 sept. 2004, 23:50

Tout à fait d'accord avec tout ce que vous dites, notamment sur le sens profond et paradoxal de l'histoire biblique.
(Juste, quand je dis : prudence avec Girard, je veux simplement signifier : évitons de "totalitariser" sa théorie ; après, on peut l'apprécier beaucoup, évidemment)

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Message non lu par Gaudeamus » lun. 07 mars 2005, 12:50

Quoiqu'il en soit, René Girard affirme qu'il prête foi à tous les conciles oecuméniques, etc.

J'apprécie au plus haut point l'oeuvre de RG, mais je suis aussi un peu agacé par le fait qu'il se permette de balayer d'un revers de la main St Augustin et St Thomas d'Aquin (même s'il admet que c'était bien mieux que ce que l'on a produit depuis).

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Message non lu par Gaudeamus » lun. 07 mars 2005, 15:37

Bonjour Charles,

Je pense que ce que RG reproche au fond à l'essentialisme, c'est de nommer les problèmes, de les étiquetter ("instinct de mort", etc), au lieu de les expliquer, de décrire des processus, comme l'ont fait Cervantès, Dostoïevski, etc.

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Message non lu par MB » mar. 08 mars 2005, 14:10

Bonjour !

Pour avoir des notions un peu claires de sacrifices, et des exemples aussi, pour les époques qui touchent à celle du Christ, je me permets de citer quelques références :
J.P. Vernant, M. Détienne (et al.), La cuisine du sacrifice en pays grec, Gallimard, un grand classique de l'anthropologie historique, à lire absolument ; également, d'auteurs dont le nom m'échappe au mauvais moment (mais je crois, P. Schmitt-Pantel), chez Armand Colin, un manuel commode, avec tte la biblio qu'il faut, La religion grecque ;

pour la religion romaine, les ouvrages de John Scheid (La religion des Romains, Religion et Piété à Rome. Et, tout récemment paru, du même auteur, Quand faire, c'est croire - les rites sacrificiels des Romains.

Ces livres ont un gros avantage, c'est qu'en prenant des exemples précis, en analysant des textes, des sources, dans une perspective historique, ils permettent d'avoir une approche un peu différente. On y retrouve des traits communs (le fait que le sacrifice est vécu comme le signe de la fondation d'une communauté, de quelque échelle qu'elle soit, famille, association, cité), mais aussi quelques traits différents de ceux qu'on imagine. Ex, la viande partagée au repas, dans un sacrifice sanglant chez les Romains, n'est pas "sacrée" - au contraire, elle est dite, littéralement, "profanée", c'est-à-dire que les dieux l'offrent aux humains. Et encore bien d'autres enseignements, impossibles à citer en entier ici...
Ils permettent aussi de comprendre que le mot "religion" tel que nous l'entendons, nous chrétiens, ne rend pas du tout compte du phénomène religieux à cette époque (ou alors très partiellement).

Au fait, à lire aussi, un ouvrage passionnant (et agréable à lire), R. Macmullen, Le paganisme dans l'Empire romain, paru aux PUF.

Amicalement

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Message non lu par VexillumRegis » lun. 28 mars 2005, 21:20

Dernière modification par VexillumRegis le sam. 16 avr. 2005, 13:59, modifié 2 fois.

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Message non lu par Gaudeamus » ven. 15 avr. 2005, 22:06

Merci Vex pour ce texte.

Saviez-vous que René Girard est récemment entré à l'Académie Française ?

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Message non lu par VexillumRegis » ven. 15 avr. 2005, 23:18

Bonsoir,
Gaudeamus a écrit :Saviez-vous que René Girard est récemment entré à l'Académie Française ?
Non vous me l'apprenez.

A vrai dire, et en dehors de cet entretien, je ne connais pas l'oeuvre de René Girard. J'ai donc posté ce lien pour ceux que cela intéresse, c'est-à-dire vous et Charles en particulier.

[Je viens de rajouter un lien vers un second entretien, cette fois accordée à la revue Kephas ;-)]

In Christo,

- VR -

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Message non lu par MB » dim. 05 juin 2005, 14:30

Bonjour guy1

ce n'est pas très gentil de commencer comme ça sur ce forum...
1° "daube", c'est un vilain mot, et ce n'est pas sympa d'insulter ainsi les gens qui n'ont pas les mêmes références...
2° contrairement à ce que vous croyez, on parle de Girard sur un certain nombre de posts. Et même quand son nom n'est pas dit explicitement, de nombreuses interventions (celles de Charles notamment) y font implicitement référence.

Enfin, on va surement causer de choses intéressantes... à bientot !

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