Bonsoir Invité,
Il est important lorsque vous vous référez à des sources d’être attentif à leurs nuances sans lesquelles les difficultés réelles ne sont pas rencontrées.
Ainsi, dans la citation du Père Pierre Gilbert que vous mentionnez dans votre dernier message, il faut observer que, prudemment, il ne présente qu'au conditionnel et entre guillemets la prétendue «
évidence » que vous semblez vouloir retenir mais que vous savez contraire à l’enseignement et à la foi de l’Église.
On retrouve des nuances semblables dans la video de la théologienne Sylvaine Lacout que vous indiquez. Elle écarte clairement l’hypothèse d’une «
invention » du récit biblique à l’époque de l’exil. Elle demande à ceux qui la soutiennent d’être
« un peu plus prudents ». Elle développe l’idée que tant les exilés que les juifs restés en Palestine se sont «
ressaisis » d’un récit existant. C’est vrai à toutes les époques, mais Mme Lacout vous contredit lorsque écrivez, que cela «
ne suppose pas l’existence d’un récit antérieur à l’exil, ni même d’une tradition ».
Il est certain que le récit de la vie d’Abraham dans le texte hébreu actuel ne semble pas avoir une ancienneté certaine antérieure à la traduction des Septante vers 270 avant Jésus-Christ. Il est possible qu’il ait été finalisé à l’époque de l’exil, mais cela ne signifie pas qu’il ait été inventé à cette époque.
La Tradition attribue à Moïse le texte de la Genèse, comme l’ensemble du Pentateuque, ce qui fait remonter son origine durant la seconde moitié du deuxième millénaire avant Jésus-Christ. L’Église considère que Moïse a pu s’inspirer de sources orales et écrites plus anciennes.
Cette foi de l’Église n’exclut pas que le texte canonique actuel ait été précédé d’une longue et complexe élaboration avec des ajouts et des interprétations. Moïse n’a évidemment pas raconté lui-même sa propre mort dans le récit qui lui est attribué. La Parole de Dieu, c’est le texte canonique reconnu comme tel par l’Église. Cela n’exclut pas l’existence de textes primitifs antérieurs qui ont pu être nombreux et différents, ni a fortiori de traditions orales antérieures multiples et variées.
Le fait de savoir depuis quand le texte actuel n’a plus été modifié ne répond pas à la question de ses origines plus anciennes.
Attribuer le Pentateuque à Moïse c’est reconnaître que la version canonique actuelle en provient par une transmission fidèle et authentique de ce que Moïse a écrit sous l’inspiration de l’Esprit Saint, mais non que son texte n’ait pas ensuite dû être traduit et adapté au fil des siècles. Les mots et les expressions doivent inévitablement être adaptés à l’évolution du langage, de la culture et de la théologie. L’Esprit Saint a pu inspirer des ajouts adéquats dans une continuité authentique de la Tradition remontant à Moïse.
L’histoire plus ancienne du texte hébreu actuel reste pleine de mystères.
Mais, prétendre sans nuance que le récit d’Abraham est une création littéraire de l’époque de l’exil est invraisemblable et contraire aux constatations archéologiques et scientifiques objectives autant qu'à la foi et à l’enseignement de l’Église.
Mais, ici encore, il ne faut pas caricaturer le point de vue de l’Église en négligeant ses nuances.
L’Ancien Testament est Parole de Dieu. Mais, cela ne signifie évidemment pas qu’elle serait descendue directement du Ciel. La Parole de Dieu est aussi à 100 % une parole d’hommes élaborée et transmise par des hommes. Les écrivains de l’Ancien Testament vivaient dans une population majoritairement polythéiste et il est normal d’en trouver des traces diverses.
Vous pouvez considérer de manière exacte que ces écrivains se sont inspirés des autres écrits de leur époque et qu’ils les ont parfois utilisés en les adaptant à leur théologie. C’est ce que St Paul n’hésitera pas à faire plus tard avec une statue d’Athènes dédiée à un dieu inconnu.
Pour l’inspiration de l’Écriture Sainte comme pour sa propre incarnation, Dieu vient toujours rejoindre l’humanité en l’état où elle vit, y compris en l’état de ses pensées scientifiques et théologiques. Cela ne l’a jamais empêché de se révéler de manière authentique.
Invité a écrit : ↑dim. 07 mars 2021, 0:00
« À Ur, l’historien ne trouve aucune trace d’Abraham ». Contrairement au récit sumérien du déluge dont ce sont largement inspirés les rédacteurs bibliques, par exemple.
Vous revenez sans cesse avec cette observation qu’en dehors du texte biblique, il n’y a aucune trace d’Abraham. C’est exact, mais en quoi est-ce pertinent ?
Abraham est certes présenté comme un homme riche, mais le récit biblique ne lui attribue aucune fonction officielle, ni aucune construction durable, ni aucun événement particulier dont une trace devrait pouvoir être retrouvée. Rien ne permet même d’affirmer qu’il s’agissait d’un personnage «
notoire ». Pourquoi voudriez-vous qu’une trace matérielle, comme une mention dans une chronique historique de l’époque ou sur une stèle aurait dû subsister ?
Mais, plus encore, quel nom faudrait-il rechercher ? Le nom de «
Abram » et le second nom d’«
Abraham » sont des noms écrits en hébreu carré du temps de l’exil. Qui chercherait dans des documents de la Palestine au temps du Christ le nom de «
Jésus » que nous trouvons dans nos textes actuels ? Vous pourriez trouver des traces d’un «
Yeshoua » écrit en araméén ou sa traduction dans une langue de l’époque, mais non son écriture en français.
Abram signifie en hébreu «
père exalté » et, peut-être, «
père des Araméens ». Abraham signifie en hébreu «
père d’une multitude ». Mais, il est certain qu’à l’époque d’Abraham, on ne parlait pas l’hébreu et l’écriture en hébreu n’existait pas encore. Alors, quel était le nom réellement porté par Abraham à son époque et par lequel il était désigné par ses contemporains, ses voisins ou ses amis et qu’on pourrait retrouver dans une trace archéologique ? Comment imaginer le nom qui serait un équivalent d’Abram ou d’Abraham en éblaïte, en langage sémitique nord-occidental, en akkadien ou en sumérien ? Nous n’en savons rien.
Nous ne savons même pas si le nom «
Abraham » attribué par Dieu a été porté, dans la vie concrète et familiale, par le patriarche Abraham. L’attribution du nom a pu concerner la manière dont il serait nommé par sa descendance et dans l’histoire.
Même le nom d’origine, «
Abram », est plein de mystère. S’agit-il du nom par lequel l’individu en cause était désigné à son époque par ses proches ou d’une appellation qui lui a été attribuée puis reprise par la Tradition pour le désigner.
Souvent le nom dans l’antiquité est celui d’une localité à laquelle un individu est rattaché, voire d’une communauté humaine. Il n’y a pas dans les textes antiques de césure claire entre l’individu et le collectif auquel il est rattaché.
Rappeler, dès lors, que l’historien ne trouve aucune trace matérielle d’Abraham est donc dénué de toute pertinence. C’est normal. Cela ne constitue en rien ni une preuve, ni même un indice, de rien. Ni de l’existence historique d’Abraham, ni du contraire.
Invité a écrit : ↑dim. 07 mars 2021, 0:00
Les emprunts de la Genèse à la littérature sumérienne sont effectivement nombreux. Les rédacteurs bibliques s'en sont clairement inspirés et les ont adaptés au service de leur théologie.
La seule réalité certaine ici, ce sont les similitudes et le rattachement à un même contexte. Rien ne permet a priori d’affirmer qu’il s’agit d’ «
emprunts » (par des non sumériens) plutôt que de traces écrites différentes issues d’une même culture sumérienne.
En fait, il me semble injustifié de prétendre que la Genèse s’est «
inspirée » a posteriori de la littérature sumérienne sur la base d’indices qui, au contraire, confirment les racines historiques du récit biblique.
Rien ne permet d’affirmer, par exemple, que les récits primitifs qui ont abouti au texte biblique du déluge qui nous est parvenu soient plus ou moins anciens que ceux de la littérature mésopotamienne. L’épopée de Gilgamesh dont le texte mésopotamien nous est parvenu a probablement coexisté à l’époque avec d’autres récits de déluge dont certains pourraient être découverts dans les centaines de milliers de tablettes retrouvées par les archéologues et qui restent à déchiffrer. La version plus récente du texte écrit de la Genèse en hébreu carré n’exclut pas des sources remontant à des traditions orales ou écrites aussi anciennes que l’épopée de Gilgamesh.
Abraham est un sumérien (au sens géographique) puisqu’il provient de Ur, la capitale du pays de Sumer.
Il est donc normal que le récit de la Genèse concernant une famille sumérienne soit semblable à ceux de la littérature sumérienne. C’est un indice objectif en faveur de l’historicité réelle d’Abraham et non le contraire.
Et l’indice qui me paraît le plus significatif est celui de la durée des années dans ce récit. Abraham enfante Isaac à l’âge de 100 ans puis encore quatre autres enfants que lui donne sa seconde épouse Ceturam après la mort de Sarah lorsqu’il avait 137 ans. Il y a aussi les 180 ans d’Isaac ou les 147 ans de Jacob, etc. À cet égard, sauf à imaginer un récit ayant d’emblée attribué à des individus des âges contraires à la réalité naturelle, il me semble que les âges des individus qu’étaient Abraham, Isaac et Jacob montrent que le récit en cause a été composé d’un point de vue sumérien qui, au début du deuxième millénaire avant Jésus-Christ (et non plus à l’époque de l’exil à Babylone au VIème siècle avant Jésus-Christ), pouvait considérer, à Ur, où la nouvelle année était célébrée à chaque équinoxe du printemps ou de l’automne, que les années n’avaient qu’une durée de six mois.
Invité a écrit : ↑dim. 07 mars 2021, 0:00
Abraham est la parfaite figure de l'exilé. Il est l'image des juifs déportés à Babylone qui attendent de (re)conquérir la terre promise.
On peut, bien sûr, faire des parallèles, mais de là à en déduire une preuve que le texte daterait de l’exil, cela manque de fondement.
Abraham quitte Ur en toute liberté sur la base d’une promesse. Les exilés de Babylone sont, au contraire, des prisonniers involontaires. Leur retour en terre promise est une espérance de revenir dans un pays connu (alors que pour Abraham, c’était un pays inconnu) et ce retour leur permettait de revenir dans un pays déjà occupé par leurs familles non exilées (alors qu’Abraham a dû quitter la terre de ses ancêtres). Rien de tout cela ne permet d’alléguer, et moins encore de prouver, que le récit aurait été inventé pour les besoins d’alimenter l’espérance d’un retour.
Faut-il rappeler que le Christ lui-même, pour attester de la réalité de la résurrection, met en avant la réalité historique d’Abraham, Isaac et Jacob (cf. Mt 22, 32) ? Le Christ affirme qu’ils sont vivants et qu’ils subsistent au-delà de leur mort physique ce qui suppose nécessairement qu’ils ont existé historiquement.