D'abord
La vie du Christ est sacrifice
Il s'agit de comprendre que le sacrifice, c'est l'acte par lequel l'homme accède à la liberté, la véritable liberté qui est l'amour. N'oubliez jamais les trois mots qu'Il ne faut jamais séparer et entre lesquels il y a une inclusion mutuelle : amour, liberté, joie. L'homme est fait pour la joie. Cette joie, il ne peut la trouver que dans l'amour. Et l'amour, c'est la liberté même. Par conséquent, le sacrifice est l'acte par lequel on accède à la liberté.
Saint Augustin a donné, dans
La cité de Dieu, une définition du sacrifice qui est devenue classique : "Verum sacrificium est omne opus ..." - un vrai sacrifice est tout acte par lequel l'homme se rapporte à Dieu pour s'unir à lui, pour former avec lui une société sainte, sancta societas. (
La cité de Dieu, livre X, vi : "Le vrai sacrifice est donc toute oeuvre qui contribue à nous unir à Dieu, dans une société sainte, à savoir toute oeuvre rapportée à ce bien suprême grâce auquel nous pouvons être véritablement heureux", traduction G. Gombès, dans
Oeuvres de saint Augustin, Desclés de Brouwer, t. 34. p. 445
La fonction première du culte sacrificiel n'est pas l'absolution (expiation, etc.). Celle-ci n'est qu'une fonction seconde par rapport à ce qui est la fonction principale du sacrifice, à savoir établir une communication avec Dieu, en signe de piété, afin de lui rendre hommage et de lui témoigner son attachement.
- F. Varillon s,j., "Le sacrifice de la croix" dans
La souffrance de Dieu, Bayard, 2002 (1975)
_________
Et alors l'Implication du sang dans le rite d'expiation
Le Sang
Le sang dont il est question est le sang du hattat, seule catégorie de sacrifice à attribuer au sang la fonction de servir à l'absolution. Cette absolution est réalisée par le moyen de la vie que contient le sang. Parce que le sang est la vie, il peut servir d'antidote à la mort et à tout ce qui est facteur de mort. La fonction du sang du hattat est donc analogue à celle du sang pascal ; appliqué là aux montants et au linteau des portes des maisons - il préserve de la mort. Il ne s'agit pas d'apaiser Dieu par une offrande particulièrement précieuse, une vie animale qui, comme on l'a souvent affirmé, prendrait la place de la vie de l'offrant. Le sang n'est pas donné à Dieu par l'offrant. Ainsi que le dit explicitement le verset 11 [ cf. Lv 17, 11 "Car la vie d'une créature est dans le sang ; et moi je vous l'ai donné, sur l'autel, pour l'absolution de votre vie. En effet, le sang procure l'absolution parce qu'il est la vie"]- et cette affirmation se situe au coeur de la péricope -, c'est tout au contraire Dieu qui donne le sang à Israël. Et ce affin qu'appliqué aux cornes de l'autel, le sang du hattat, que Dieu a destiné à cet effet, repousse la mort et enlève ainsi tout ce qui empêche la communication avec Dieu.
et
L'une des fonctions du sacrifice [AT] est donc de satisfaire l'exigence vitale de pureté et de sainteté, en permettant la réintégration des pécheurs légers et de ceux qui se seront rendus impurs et la purification périodique du pays. L'offrande de hattat et de sacrifices de réparation évite que la mise en oeuvre de cette exigence [de sainteté], qui conduit à exclure pécheurs et impurs, n'aboutisse à la disparition d'Israël.
Cahier Évangile,
Les sacrifices de l'Ancien Testament, no 111
Le culte sacrificiel régulier constitue la colonne vertébrale qui soutient toute l'existence d'Israël. Il place celle-ci sous la bénédiction du Dieu créateur.
L'importance de ce culte est résumée dans le discours que le Chroniste met dans la bouche du roi Ezékias au moment ou il décide de restaurer le culte divin :
Sanctifiez-vous et sanctifiez la Maison du Seigneur, le Dieu de vos pères. Otez du sanctuaire toute souillure. Car nos pères ont été infidèles et ont fait le mal aux yeux du Seigneur notre Dieu : ils l'ont abandonné, ils ont détourné leur face de la demeure du Seigneur et ils lui ont tourné le dos; même ils ont fermé les portes du Vestibule, ils ont éteint les lampes, ils ont cessé d'offrir l'encens et l'holocauste dans le sanctuaire pour le Dieu d'Israël. (2 Ch 29, 5-9)
Ce n'est pas un hasard si le Chroniste accorde autant d'importance au Temple et assimile sa construction par Salomon à un âge d'or. Car ce qu'en définitive ce culte apporte à Israël n'est rien moins que
la vie.
Dans l'ensemble
Les sacrifices [AT] marquent des temps forts. Ils expriment l'hommage de ses sujets au divin suzerain, et leur soumission. Ils constituent des redevances à celui à qui appartient le pays et tout ce qui y vit et, par là même, font participer Yhwh à la prospérité de son peuple. Les sacrifices l'associent à la joie de ses fidèles. Et, surtout, les sacrifices permettent à Israël de faire appel à Yhwh pour le consulter ou, comme ultime recours, lorsque l'intégrité d'Israël est en jeu, afin de l'amener à intervenir en vue de modifier le cours normal des choses. Les narrateurs raconteront comment, à la suite de ces sacrifices, la situation s'est débloquée et s'est retournée en faveur d'Israël.
La critique des prophètes
Elle ne consiste pas à vouloir supprimer les sacrifices. Le culte n'est pas condamné en tant que tel, mais parce qu'il peut donner au peuple une fausse sécurité, en lui faisant croire que le culte, à condition d'être célébré dans les règles, suffit à s'assurer la bienveillance divine. Cette confiance illusoire dans le culte, comme moyen de parer à tous les dangers, sera également dénoncée par Jérémie : à ceux qui n'ont à la bouche que les mots "Temple de Yhwh, Temple de Yhwh, Temple de Yhwh !" . il répond : "amendez sérieusement votre conduite. votre manière d'agir, en défendant activement le droit dans la vie sociale; n'exploitez pas l'immigré, l'orphelin et la veuve; ne répandez pas du sang innocent en ce lieu; ne courez pas, pour votre malheur, après d'autres dieux; je pourrai alors habiter avec vous en ce lieu" (
Jr 7,3-7) Un siècle plus tard, le prophète Zacharie expliquera aux prêtres et au peuple que c'est précisément l'injustice sociale - la perversion de la justice et l'exploitation des plus faibles - et le manque de fraternité qui ont constitué les causes ultimes de la catastrophe de 587 (
Za 7,8-14)
Malachie, pour sa part, critiquera la désinvolture avec laquelle sont offert les sacrifices. Dans un long réquisitoire il s'en prend à ceux qui apportent à Yhwh des victimes aveugles, boiteuses, mutilées, malades, victimes qu'ils n'oseraient pas offrir à leur gouverneur, ou même un animal dérobé, et qui pensent par là honorer Yhwh. Et il condamne avec véhémence la manière avec laquelle on s'acquitte de ses obligations envers Yhwh. Pour Malachie un tel culte n'a aucun sens, et mieux vaudrait qu'il n'y ait plus de sacrifice du tout. Car pour Malachie, le culte sacrificiel est fondamentalement une marque d'hommage et de soumission qui rend témoignage à la grandeur de Yhwh.
La polémique des prophètes contre le sacrifice procède ainsi, en dernière instance, de leur conception de Dieu. C'est parce que leur Dieu est "le Dieu des dieux, le Seigneur des seigneurs" (
Dt 10, 17)qu'ils ne peuvent pas accepter la désinvolture dans son culte. Et c'est parce que leur Dieu est un Dieu qui fait droit à l'orphelin et à la veuve, et qui aime l'immigré qu'ils ont l'obsession de la justice sociale. De sorte qu'en dernière analyse, ainsi que le laisse entendre Es 66, 1-3, un sacrifice qui ne témoigne pas de la grandeur de Dieu, qui ne s'inscrit pas dans une démarche de piété et qui n'est pas accompagné d'un comportement éthique, un tel sacrifice n'est rien d'autre, en définitive, qu'une forme d'idolâtrie.