Fernand Poisson a écrit : ↑mar. 01 sept. 2020, 14:52
ademimo a écrit : ↑mar. 01 sept. 2020, 13:26
Votre présentation est incomplète, ou biaisée. St Thomas d'Aquin considère que la sexualité n'est pas entachée de péché lorsqu'elle est employée à bon escient. Elle est employée à bon escient uniquement dans un cas : lorsqu'il s'agit de remplir son devoir conjugal, c'est-à-dire procréer. L'acte ne doit pas être recherché pour lui-même. Donc dans la pratique, les époux sont invités, de façon générale, à la chasteté, puisqu'on ne fait pas des enfants tous les jours.
Et s'ils ont connu l'acte de chair, dans la pratique, cela doit être examiné par un confesseur. Autrefois, les gens mariés allaient régulièrement se confesser à ce sujet, en s'assurant que l'acte n'était pas entaché de quelque désir dépravé. Si Thurar veut savoir comment je le sais, c'est simplement parce que c'est un savoir culturel, et que nos parents et nos grands-parents peuvent en témoigner. Personnellement, je le sais de mes parents, même si je n'ai pas vécu la période en question.
Bonjour ademimo,
Moi et Thurar réagissions à votre propos qualifiant la sexualité de peccamineuse en elle-même, et prétendant que le plaisir sexuel (ou celui de la nourriture) était condamné par l'Église.
Il ne faut pas perdre de vue que la sexualité est elle-même l'expression du péché : le péché de la chair.
Manger n'est pas un péché, mais trouver son plaisir dans la nourriture l'est. C'est la concupiscence, le péché de la chair. Les époux étaient invités à l'abstinence.
De fait, ces deux phrases sont erronées et contraire à la théologie thomiste.
La sexualité est bonne, puisqu'elle est ordonnée à la procréation. C'est lorsqu'on la détache de cette fin par l'utilisation de moyens contre-nature (contraception, onanisme, etc.), c'est-à-dire lorsqu'on la pervertit, qu'elle devient mauvaise.
Sur ce point, l'enseignement de l'Église n'a pas changé après Vatican II.
Maintenant, une précision s'impose : l'Église enseigne aussi que l'usage du mariage reste licite, même en cas d'infécondité temporaire ou définitive de la femme. Voyez Pie XI,
Casti Conubii (1930, donc avant Vatican II) :
Il ne faut pas non plus accuser d'actes contre nature les époux qui usent de leur droit suivant la saine et naturelle raison, si, pour des causes naturelles, dues soit à des circonstances temporaires, soit à certaines défectuosités physiques, une nouvelle vie n'en peut pas sortir. Il y à, en effet, tant dans le mariage lui-même que dans l'usage du droit matrimonial, des fins secondaires — comme le sont l'aide mutuelle, l'amour réciproque à entretenir, et le remède à la concupiscence — qu'il n'est pas du tout interdit aux époux d'avoir en vue, pourvu que la nature intrinsèque de cet acte soit sauvegardée, et sauvegardée du même coup sa subordination à la fin première.
Quand au témoignage de vos parents, voici ce que dit un manuel de théologie pour confesseur des années 40 :
998. – Que faut-il penser de l’acte conjugal lui-même ?
1° L’œuvre de chair [le coït] est un acte naturel. Rigoureusement interdit en dehors du mariage, et cela pour le plus grand bien de la société et en particulier des enfants, il devient honnête et parfaitement légitime lorsque les époux l’accomplissent suivant les règles dictées par la saine raison.
« Un péché ne peut-être la matière d’un précepte, nous fait remarquer saint Thomas (Supplément de la Somme Théologique, q. 41, art. 3). Or l’acte conjugal est commandé, car saint Paul dit (1ère lettre aux Corinthiens 7, 3) : que le mari rende le devoir à l’épouse. Donc il n’est pas un péché ». Et saint Thomas continue : « …puisque la nature incline l’homme à perpétuer son espèce, on ne saurait poser comme un principe qui n’admet pas d’exception que la génération est toujours illicite, et qu’il ne peut s’y trouver ce juste milieu qui constitue la vertu. Pour le prétendre, il faudrait se ranger à l’opinion des Manichéens… »
Bien plus, « comme aucun acte procédant d’une délibération de la volonté n’est indifférent, l’usage du mariage est ou bien un péché, ou bien, chez celui qui est en étant de grâce, un acte méritoire ».
2° Que la fin primaire du mariage, la procréation des enfants, soit un motif qui légitime entièrement l’acte du mariage, c’est une doctrine évidente et admise de tous.
Mais puisque le mariage comporte des fins secondaires, elles peuvent par elles-mêmes en légitimer l’usage, à condition cependant de ne pas frustrer l’acte conjugal de son effet premier par une intervention positive contre nature . C’est pourquoi l’acte du mariage, posé normalement, est permis aux vieillards et aux stériles ; c’est pourquoi aussi il peut être permis de choisir des jours agénésiques pour l’accomplir lorsqu’il est raisonnable de ne pas souhaiter une conception. Cf. Encyc. Casti Connubii ; saint Alphonse, VI, 927 ; et N°1058 plus bas.
3° Mais user du mariage par simple volupté, c’est agir contre les principes de la sainte raison, se rendre coupable d’un désordre au moins léger, d’une faute vénielle (Denzinger-Bannwart, N°1159 ; saint Alphonse, 912). Bien plus, celui qui ferait de la volupté le but de sa vie commettrait une faute mortelle.
Remarque : pour être compatible avec une vie spirituelle active, l’œuvre de mariage doit être accomplie sans passion, avec respect et modération.
Ce dont vos parents vous ont parlé, c'est probablement du soupçon d'avoir consommé l'union "par simple volupté" ou de l'avoir accompli avec passion, sans respect ni modération.
Ou alors ils avaient des confesseurs un peu trop zélés.
Vous voyez, les choses sont plus complexes que ce que vous affirmiez.
Je suis d'accord avec vous lorsque vous dites que l'Église enseigne de ne pas détacher sexualité et procréation.
Mais cela n'implique pas que l'acte soit systématiquement condamné lorsque la procréation n'est pas possible.
Fernand Poisson, vous me citez des sources du XXe qui témoignent d'une évolution doctrinale sous l'effet des idées modernistes... Les propos de Pie XI en est la manifestation évidente. Quel besoin avait-il de faire cette mise au point si les idées présentées étaient celles de l'Eglise depuis toujours ? Il est évident qu'on assiste à un changement de doctrine, ou du moins, à une "acclimatation" de la doctrine à la mentalité moderne, pour le dire diplomatiquement, d'où le recadrage de Pie XI, puis celui du manuel des années 40.
Reste la Somme théologique, dont on se sert pour invoquer la Tradition.
En général, lorsqu'on invoque la Somme théologique à ce sujet, on se réfère en réalité aux Suppléments, qui ne sont pas de St Thomas d'Aquin, mais un ajout ultérieur. Ceci dit, peu importe.
Il s'agit plus précisément des
questions 49,
les Biens du mariage.
http://jesusmarie.free.fr/sup_q_049.htm
Les
questions 41, Le mariage considéré comme un devoir naturel, peuvent être utiles :
http://jesusmarie.free.fr/sup_q_041.htm
Il ressort de ces deux chapitres qu'il existe trois niveaux :
1. Accomplir l'acte en vue de procréer : ici, l'acte est licite, et même méritoire.
2. Accomplir l'acte pour ne pas tomber dans l'infidélité : cette question est assez trouble, et jamais clairement abordée. Mais on comprend qu'il y a deux attitudes en présence :
2a. L'un des deux conjoints cherchant - indirectement (nuance importante) - à satisfaire le mouvement de la passion : pour lui, il y a péché véniel.
2b. L'autre se dévouant en accomplissant son "devoir" pour empêcher le conjoint de dévier vers l'infidélité (clairement, en allant chercher ailleurs) : l'acte est licite et méritoire. C'est le "devoir conjugal" prescrit par saint Paul.
3. Accomplir l'acte avec une tierce personne : péché mortel (mais le conjoint qui s'est refusé(e) a sa part de responsabilité si c'est le cas).
Mais il y a encore une quatrième possibilité qui ne sera évoquée qu'à la toute fin du chapitre 49 (en guise de surprise finale).
Je vous cite la conclusion des questions 41 :
(ce qu'il appelle "la dette", c'est le "devoir" défini par saint Paul ((1 Cor., 7, 3) :
Que le mari rende à sa femme ce qu’il lui doit.)
"Il faut répondre que puisqu’aucun acte qui provient d’une volonté délibérée n’est indifférent, comme nous l’avons dit dans le second livre (Sent. 2, dist. 40, quest. 1, art. 3, et 1a 2æ, quest. 18, art. 9), l’acte du mariage est toujours soit un péché soit un acte méritoire pour celui qui est en état de grâce. Car si le motif de l’acte du mariage est une vertu, que ce soit par justice pour payer sa dette, ou par religion, pour élever des enfants dans le culte de Dieu, il est méritoire. Mais si le motif vient de la luxure, ce que n’exclut pas la bénédiction du mariage, à savoir que le mari ne doit en aucun cas vouloir trouver une autre femme, c’est un péché véniel ; tandis que s’il est en dehors de la bénédiction du mariage, afin par exemple de faire cet acte avec n’importe quelle femme, c’est un péché mortel. La nature, quand elle agit d’après l’ordre de la raison, donne un acte de vertu ; mais si elle n’est pas dirigée par elle, donne alors un acte de luxure."
Il est aussi utile de prendre en compte cet élément : l'usage du mariage n'est pas illicite, mais seulement sa jouissance (c'est quand même assez clair) :
"Objection N°1. Il semble que l’acte du mariage soit toujours un péché. En effet, il est dit (1 Cor., 7, 29) : Que ceux qui sont mariés soient comme s’ils ne l’étaient pas. Or, ceux qui ne sont pas mariés ne pratiquent pas l’acte du mariage. Par conséquent, même ceux qui sont mariés pèchent dans cet acte.
Réponse à l’objection N°1 : L’Apôtre, par ces mots, n’interdit pas l’acte du mariage, ni la possession de choses non plus quand il disait (1 Cor., 7, 31) : Que ceux qui usent de ce monde soient comme n’en usant pas ; mais il en interdit la jouissance, ce qui est visible par la façon dont il s’exprime dans les deux cas ; en effet, il ne dit pas s’ils ne l’étaient pas, ou n’en usant pas, mais comme s’ils ne l’étaient pas ou comme n’en usant pas."
Dans les questions 49, on voit que les "biens du mariage" sont de deux sortes (si on reste dans l'optique de l'acte du mariage) :
- la procréation des enfants
- le maintien de la fidélité dans le couple (c'est-à-dire, empêcher le conjoint de chercher refuge dans l'adultère, comme expliqué ci-dessus)
Tout est résumé dans cette conclusion :
"Il faut répondre que le mariage est un devoir de la nature et un sacrement de l’Eglise. Selon qu’il est un devoir de la nature est réglé par deux choses, comme tout autre acte de vertu. L’une de ces deux choses est exigée de la part de l’agent lui-même, et c’est l’intention de la fin qu’on doit avoir en vue. C’est ainsi qu’on désigne les enfants comme le bien du mariage. L’autre est exigée par rapport à l’acte lui-même qui est bon dans son genre du moment qu’il a pour objet une matière légitime. A ce point de vue on désigne la fidélité qui fait que l’homme s’approche de sa femme et non d’une autre. Le mariage a en outre une certaine bonté comme sacrement, et c’est ce qu’on désigne par le mot même de sacrement."
Avec ces précisions sur le péché véniel :
"Réponse à l’objection N°2 : Si un homme a l’intention par le mariage d’empêcher sa femme de commettre la fornication, ce n’est pas un péché, parce que c’est un genre de paiement de la dette qui vient du bien de la fidélité. Mais si c’est lui qui a l’intention d’éviter la fornication, il y a alors une certaine superfluité, et en conséquence il y a un péché véniel ; le sacrement n’a pas été institué pour cette fin, sauf par indulgence en ce qui concerne les péchés véniels."
Il est donc clairement dit que le but recherché ne doit pas être de se préserver de l'infidélité en soi (autrement dit, de rechercher "indirectement" la jouissance) sinon, il y a péché véniel.
On peut encore lire cette autre conclusion :
"Conclusion : L’acte du mariage est toujours coupable et un péché, sauf s’il est fait dans le but d’avoir des enfants ou s’il s’en tient à la fidélité conjugale.
Il faut répondre que, comme les biens du mariage, dans la mesure où ils consistent dans une habitude, rendent le mariage honnête et saint, de même, dans la mesure où ils se trouvent dans l’intention actuelle, ils rendent l’acte du mariage honnête, en ce qui concerne les deux biens du mariage qui sont liés à l’acte du mariage. Pour cette raison, quand les époux s’unissent dans le but d’élever des enfants, ou pour s’acquitter du devoir envers l’autre, ce qui appartient à la fidélité, ils sont pleinement excusés du péché. Or, le troisième bien ne s’applique pas à l’utilisation du mariage, mais à son excuse, comme nous l’avons dit (art. 3 de cette même question.) ; d’où il rend le mariage lui-même honnête, mais pas son acte, même si cet acte était pleinement excusé du péché, comme étant fait en raison d’une certaine signification. Par conséquent, il n’y a que de deux manières par lesquelles des époux puissent s’unir sans aucun péché, à savoir afin d’avoir des enfants ou de s’acquitter de la dette ; autrement, il y aura toujours au moins un péché véniel."
On remarquera l'expression : "excuse du péché" s'appliquant à l'acte du mariage.
Mais pour finir, voici la conclusion générale des questions 49, en des termes assez inattendus (étant donné tout ce que l'on vient de lire), qui laissent énormément planer le doute :
"Conclusion : celui qui s’unit à sa femme pour le seul plaisir et la délectation qui s’y trouve, sans aucun bien du mariage comme habitude, ou pour en diriger l’acte, pèche mortellement.
Il faut répondre que certains disent que chaque fois que le plaisir est le motif principal de l’acte du mariage, c’est un péché mortel ; que quand c’est un motif indirect c’est un péché véniel ; et que quand à la fois on méprise le plaisir et qu’on le trouve déplaisant, il n’y a aucun péché ; ainsi ce serait un péché mortel de chercher du plaisir dans cet acte, et un péché véniel d’accepter le plaisir quand il est offert, mais cette perfection demande de détester ce même plaisir. Or, ceci est impossible, car selon Aristote (Eth., liv. 10, chap. 3 et 4), le même jugement s’applique à la fois au plaisir et à l’action, parce que le plaisir dans une bonne action est bon, et dans une mauvaise action il est mauvais. D’où, comme l’acte du mariage n’est pas mauvais de lui-même, ce ne sera pas non plus toujours un péché mortel que d’y chercher du plaisir. — Par conséquent, la bonne réponse à cette question est que si le plaisir est cherché de telle manière qu’il exclue l’honnêteté du mariage et que le mari ne traite pas son épouse en tant que telle mais comme une femme quelconque, et qu’il soit prêt à se servir d’elle comme si elle n’était pas son épouse, il pèche mortellement ; pour cette raison, on dit qu’un homme de ce genre est un amoureux trop ardent de son épouse, parce que son ardeur l’éloigne des biens du mariage. Si, cependant, il cherche le plaisir dans les limites du mariage, afin qu’il n’aille pas le chercher dans une autre que sa femme, c’est un péché véniel. "
Voilà qui est déstabilisant, n'est-ce pas ? On croyait s'être tiré d'affaire, et voilà tout à coup que le péché mortel revient au galop pour désigner une chose dont il est IMPOSSIBLE de savoir si elle a eu lieu ou non ! De là découle, j'imagine, l'importance de la confession pour tirer la chose au clair. D'où les files d'attente au confessionnal dans l'ancien temps. Rien n'est clair. Tout est ambigu. On navigue entre "acte méritoire" et "péché mortel" pour exactement le même acte, car tout dépend de l'état d'esprit. Et qui peut discerner cet état d'esprit, si ce n'est le directeur spirituel ?
Vous me disiez, je crois, que tout est beaucoup plus complexe que ce que j'imaginais. Mais je vous retourne exactement la même observation. Oui, c'est complexe. Oui, c'est trouble. Oui, c'est absolument et complètement ambigu. Parce que la matière, en elle-même, est potentiellement peccamineuse. Et toute l’ambiguïté, qui hante l'Eglise depuis des siècles, est dans ce "potentiel".