Bonjour,Cinci a écrit : ↑jeu. 23 janv. 2020, 1:21
C'est un thème de Dostoïevski, je crois; et qui a été superbement mis en scène et réalisé en 1956, dans un film français avec Jean Gabin, Robert Hossein, LIno Ventura, Bernard Blier, Gaby Morlay, Marina Vlady et d'autres. Un véritable chef d'oeuvre ! Et chrétien ... ce qu'on ne voit plus guère de nos jours.
Le film traitait bel et bien du problème de la déviance par rapport à la norme morale.
https://www.dailymotion.com/video/x2zcd24
Le tout serait certainement applicable au présent cas Matzneff; oui, sous un certain rapport.
En effet, mais je crois que c'est un thème qu'on retrouve à plusieurs endroits de la culture littéraire. Je pensais par exemple à Meursault, dans l'Etranger de Camus. Et peut-être qu'un ancêtre lointain de ceci est le Marquis de Sade, qui a fait de l'affirmation particulière du désir au détriment de toutes les normes le sommet de la liberté. Et je trouve que la querelle de "l'acte gratuit" lors du XXe siècle est une formalisation limpide de cette révolte qui touche au coeur même de l'humanité et de la manière dont l'individu désire s'associer avec autrui. Dans le rejet du "tu ne tueras point" au nom de la liberté, je vois le fondement de tout ce qui va suivre. Quand on a accepté cela et qu'on s'est impregné de cette ambiance que Gide a contribué à diffuser, on peut à peu près tout accepter derrière, et c'est sans doute ce qui s'est passé en art. C'est une déviance profonde, anthropologique même.
La "déviance par rapport à la norme", comme vous dites, a pris une tournure particulière par la suite, avec notamment un esthétisme de la déviance, une sorte d'héroïsme de la transgression d'interdits transcendants désormais identifiés comme des normes oppressive sans fondement. J'ai l'impression que Matzneff participe de cet esthétisme du particulier qui s'affirme par provocation contre l'universalité de la loi qui structure le désir des hommes. Ce n'est pas surprenant, dans ces conditions, qu'au nom de l'art, le monde littéraire de l'époque ait largement soutenu ce type de choses. S'opposer à cela, c'était se "ringardiser" aux yeux de ce milieu dont le slogan était de "briser tous les tabous", et où il suffisait de faire ou écrire quelque chose qui violente la conscience et la décence des peuples pour se faire valoir comme étant un génie profond qui aurait sondé les entrailles de l'humanité simplement pour avoir pratiqué des actes pédophiles largement critiqués par la société.
Que des enfants aient pu être les proies de cette crise d'adolescence retardée des adultes en vogue dans la "République des lettres", c'est très troublant et révoltant. C'est pourquoi j'adhère en grande partie à votre premier message : il s'agit, à travers cette affaire, de faire le "procès d'une époque", l'auscultation d'un temps, effectivement, et de laisser le cas Matzneff à la justice, pour ne prendre en lui que le symptôme d'une civilisation dont il est un échantillon parmi bien d'autres.
On retombe sur une des difficultés de la définition négative de la liberté dans les Droits de l'homme. Ma liberté s'arrête là où commence celle d'autrui. C'est déjà pas mal, et il n'est pas question de tout jeter à la poubelle. Mais qui nous dira la limite de cette liberté et nous indiquera où commence celle d'autrui? Qui nous enseignera les besoins légitimes d'autrui, nous apprendra à se mettre à sa place? Que se passera-t-il quand une atmosphère culturelle qui se réclame de l'autorité des lettres et du génie aura brouillé ces limites et en aura fait des normes oppressives de "ma" liberté? Qu'advient-il quand le monde adulte de la "haute société" se refuse à être enseigné et ne voit plus rien d'autre que l'affirmation de sa particularité aux désirs illimités, dans l'impuissance totale à percevoir autre chose que sa perspective particulière? Les Dix Paroles avaient pour fonction de livrer cet enseignement, et le nouveau Grand Prêtre qu'est le Christ montrait son accomplissement dans la voie de l'Amour en vue d'apprendre aux hommes à poser un regard de charité et de don sur autrui, dans une perspective universelle que la règle d'or formulait de manière limpide.
Merci par ailleurs pour ce lien. Je ne connaissais pas ce film inspiré du livre russe. Je vais essayer de le trouver sur internet.