Pierre-Gervais Majeau, prêtre catholique, diocèse catholique de Joliette (Canada)
Il écrit :
Satan et l'enfer : on en parle encore ?
Lors des inondations du Richelieu en avril dernier, je me souviens d'un homme au journal télévisé, désespéré, qui accusait Dieu d'envoyer de tels malheurs. Comme si ce drame était voulu et planifié par un Dieu mesquin et punisseur ! Cet homme oubliait par sa peine que notre monde crée jouit de sa propre autonomie et est donc ouvert aux dérèglements de toutes natures Quand on n'accuse pas Dieu, on accuse alors son contraire, son Satan, son opposant qui inlassablement tenterait de nous enfermer dans son anti-royaume, dans les griffes de son empire démoniaque. Entre les extrêmes : monde de Dieu ou ciel, et monde de Satan ou enfer, l'homme se situerait au confluent de ces deux mondes et en subirait les influences bénéfiques ou néfastes. Nous sommes tous marqués par cette vision d'un monde déchiré en deux.
L'enfer
Nous avons tous dans notre esprit de ces images terrifiantes, de ces descriptions d'enfers, de démons ... Ces représentations infernales visaient à maintenir dans le droit chemin toute personne tentée de prendre les routes du péché et de la perdition. Et d'aucuns pourraient aller jusqu'à dire que si Satan n'existe pas, à quoi Dieu sert-il ? Il est vrai que Jésus parle de la géhenne comme d'un lieu de douleurs atroces et de condamnation. Il faut savoir qu'ici Jésus emploie une image symbolique pour signifier la situation qui existe dans l'anti-royaume. Car la géhenne était le nom donné au dépotoir de la vallée du Cédron, à Jérusalem, ou vivaient des pauvres, des malades, des lépreux et d'autres exclus au milieu du feu, des fumées et des détritus. Comme on le voit encore aujourd'hui dans certains bidonvilles du Tiers-Monde. On a encore cette vision dualiste du monde : le royaume de Dieu et l'empire de Satan. Certaines religions propagent cette vision dualiste du monde ou Satan domine notre monde et ou Dieu tire enfin quelques sauvés de ses griffes. Une telle attitude dessert la foi véritable, la foi évangélique et rend suspect le discours de la foi. Ne confondons pas l'enfer et les enfers ! Rappelons que dans l'Antiquité, on concevait la terre comme plate, et en-dessous de la terre se trouvaient les enfers, donc le séjour des morts.
Satan
Et Satan alors ? Il existe ? Ce nom de Satan signifie celui qui contrarie, il est donc un opposant, un diable qui trompe notre volonté ou encore une puissance de mal ou un démon. Il est surtout une personnification du mal, une personnalisation du mal, donc un personnage de scènes mythiques comme dans les romans se trouvent des personnages jouant des rôles bien tranchés. Satan appartient donc au monde de la représentation mythologique !
Il existe vraiment ce Satan ? Pour répondre à la question, allons voir ce qu'en dit l'apôtre Jacques (1,13-14) : "Que nul, quand il est tenté, ne dise ; Ma tentation vient de Dieu, car Dieu ne peut être tenté de faire le mal et ne tente personne. Chacun est tenté par sa propre convoitise, qui l'entraîne et le séduit." Pour l'Apôtre Jacques, il n'y a que deux acteurs dans cette scène : Dieu et l'homme. Satan n'est nullement nommé parce qu'il n'existe pas. Il n'est pas un acteur réel qui peut posséder l'homme. Il n'est qu'une représentation mythique du mal.
Le vrai mal
Et l'apôtre Paul dans son épitre aux Romains ne mentionne jamais Satan. Paul brosse en plusieurs chapitres le drame de l'existence humaine sombrant dans de fausse gloires du péché avant d'accéder à la gloire de Dieu. Paul cite des textes de l'Ancien Testament et ose les corriger en prenant bien soin de ne jamais mentionner l'existence de Satan (cf. Rm 7, 7-12) : pour Paul, c'est l'homme habité par son désir d'autodétermination et de plénitude qui rencontre l'interdit de la loi et qui exerce sa liberté dans sa recherche de gloire et de plénitude. L'homme doit faire des choix déchirants entre les fausses gloires et les vraies gloires ! Écoutons encore Paul qui affirme ceci : "Par un seul homme le péché est entré dans le monde et par le péché la mort" (Rm 5,12). Il ne mentionne nullement Satan qui serait aux commandes de l'empire du mal. Nous ne sommes pas menacés par des démons et des Satan quelconques, nous sommes enfermés dans notre recherche de salut, de plénitude et séduits par les soifs de notre désir ! A vrai dire, le péché c'est justement l'absence de salut ! Devant ce drame humain qui se joue dans notre vie actuelle, Dieu se fait patience, il nous englobe de ses préventions aimantes, il tente de nous sortir de notre désobéissance ou errance pour nous conduire par sa miséricorde au partage de sa plénitude, de sa gloire. Il le fait en respectant notre autodétermination. Nous ne sommes pas téléguidés comme des marionnettes, mais respectés dans notre recherche de plénitude et de salut. Dans cette vision des choses, l'enfer est donc un choix possible contre Dieu et contre son projet de salut, un état de désespérance plus qu'un lieu précis de vie. Je pense que l'enfer c'est soi-même dans un état désespéré de non salut, de mort spirituelle. L'enfer peut exister si Dieu respecte l'autonomie de ce monde, mais cela ne veut pas dire qu'il soit bien fréquenté !
Un Dieu qui nous condamne ?
On pourrait alors se poser la question suivante : Dieu condamne-t-il ? Pour Dieu, est-ce qu'un châtiment et un enfer sont nécessaires pour que justice soit faite ? Reprenons l'épître aux Romains 8,1 : "Il n'y a donc plus de condamnation pour ceux qui sont dans le Christ Jésus !" Le salut est donc présent dans le Christ. Et Paul rajoute : "Dieu a condamné le péché dans la chair". Dieu condamne non pas l'homme qui s'est égaré dans sa recherche de sens et de salut ou de plénitude, égaré par son désir trompé par le mirage des fausses gloires; non, Dieu ne condamne pas l'homme , mais l'erreur ou le péché qui le séduit aveuglément ! Dieu condamne le mal, le péché en nous libérant ! avec patience et tendresse, Dieu tente de nous engendrer graduellement à notre pleine stature d'homme sauvé. Dieu condamne le mal, mais sauve l'homme en le transformant, en le ressuscitant et en le rendant conforme à l'image du Christ Premier-Ressuscité.
Pour nous, la justice est à double versant : elle est condamnation ou elle est récompense. Pour Dieu, la justice consiste à détruire le mal en l'homme tout en le sauvant, tout en partageant avec lui sa plénitude. Dieu condamne le mal mais sauve la personne. Citons ici le théologien François Varone qui nous a inspiré tout au long de cette réflexion : "En Dieu, il n'y a pas justice et miséricorde : sa justice est identiquement sa miséricorde, puisqu'il libère l'homme de son existence égarée et le ressuscite dans une existence qui est la réalisation de son désir."
La revue : Aujourd'hui credo. Une revue oecuménique produite par l'Église unie du Canada, p. 29