Platecarpus a écrit :
Merci. Le cardinal Schönborn ressemble effectivement beaucoup moins à un adepte d'un concordisme gentillet quand on le laisse parler in extenso (et dit beaucoup plus de bêtises... une lettre de Robert Miller en relève un bon nombre sans en faire le tour).
Il me semble bien au contraire que c'est Robert Miller qui se répand en inepties, parce qu'au vu de ce qu'il écrit il n'a manifestement pas compris ce qu'est une cause formelle et une cause finale, qu'il a une conception réductrice de la science et que la plupart de ses exemples sont fort mal choisis. Au préalable de tout débat contradictoire il faut savoir de quoi l'on parle et se mettre d'accord sur les définitions, sinon ce n'est pas un débat contradictoire mais un dialogue de sourds.
Robert Miller a écrit :
Le Cardinal Schönborn écrit que la science moderne exclut à priori les causes finales et les causes formelles, et étudie la nature selon le mode réducteur du mécanicisme (causes efficientes et matérielles) et ensuite déclare que les causes finales et formelles sont manifestement irréelles. Le cardinal n'est pas le premier à caractériser la science de cette façon, mais cependant il se trompe. La science contemporaine n'exclut pas les causes formelles et finales à priori: exclure à priori serait contraire à l'esprit de la science. Bien plutôt les scientifiques de la nature, commençant avec Galilé ont construit des théories qui ont réussi à prédire et à expliquer une large partie de nos expériences sensibles (sensorielles)
Une cause formelle ou plus brièvement une forme est une détermination: tous les existants se présentent sous une certaine forme. Prenons l'exemple le plus simple, celui des objets matériels: l'objet matériel existe en tant qu'il a en lui une certaine quantité de matière, mais pas seulement, si je parle d'une masse existante d'un kilo d'or, je parle d'un objet matériel en faisant abstraction de sa forme, car cette masse d'un kilo d'or, dans la nature, elle se présente bien sous une certaine forme: statue, lingot, tas amorphe, etc... et si cette masse n'a pas de forme du tout c'est qu'elle n'existe pas. Ici la forme est une surface de dimension 2 qui détermine la matière et en fait un objet matériel, à noter que la forme en tant que telle est immatérielle, en l'occurence une surface de dimension 2 peut être vue comme un objet d'épaisseur nulle et ne peut donc être matérielle. A noter également que suivant la géométrie et topologie de l'espace considéré certaines formes peuvent exister ou non, ainsi dans l'espace constitué par la sphère la forme du triangle dont la somme des angles est égale à 180 degrés n'existe pas. La forme est donc qualifiée ici de cause en tant que principe formel de détermination d'un existant. Si l'on ne s'en tient qu'aux formes des objets matériels on ne fait que de la géométrie, si l'on considère les autres types de formes (ou déterminations des autres existants) on fait de la métaphysique.
Ceci étant dit, dans bien des cas les sciences positives excluent à priori certaines déterminations formelles pour la simple et bonne raison qu'elles ne leur servent strictement à rien eu égard au but qu'elles se proposent. Prenons un exemple l'être humain a comme déterminations formelles: le corps, la vie végétative, la vie sensitive et la vie intellectuelle. Lorsqu'un chirurgien opère un homme d'une fracture sur la table d'opération, il n'a que faire des déterminations formelles supérieures qui font que cet homme est un sujet végétant, sentant et pensant, pour les besoins de l'opération il ne va conserver que la détermination formelle la plus inférieure, à savoir un corps matériel organisé d'une certaine façon dont une des parties est cassée et il va user de la science anatomique pour réparer cela, de la même façon, formellement parlant, qu'un mécanicien-auto répare une voiture. Entre parenthèses il est parfois reproché aux médecins de manquer d'humanité, mais cela résulte justement d'une déformation professionnelle: ne considérer en l'homme que son organisme dans un souci d'efficacité. Autre exemple en physique des matériaux on considère la forme de l'objet et d'en d'autres domaines de la physique on fait abstraction de la forme pour ne considérer que les aspects quantitatifs: masse, énergie, intensité du champ etc...
Ensuite Robert Miller mélange allègrement, les réfutations expérimentales de Galilée, le soi-disant pouvoir prédictif de ses théories (pouvoir de prédiction qui émerge bien plutôt avec Newton) et le pouvoir explicatif d'une théorie, éludant ainsi la difficulté essentielle relative aux notions de prédictabilité et d'intelligibilité. Car l'exigence première de la métaphysique est l'intelligibilité et cela suppose donc une cohérence logique parfaite, et contrairement à ce que pense le vulgaire de ne pas alléguer des propositions gratuitement mais de les déduire nécessairement, la prédictabilité ne fait pas partie de ses objets d'étude. Comme disait René Thom, médaille field 1958, prédire n'est pas expliquer et une théorie peut avoir une valeur prédictive très forte et une valeur explicative nulle:
A la fin du XVIIème siècle, on en était venu à décréter qu'après tout, il n'y avait aucune raison de chercher une explication quand on disposait d'une formule qui marchait bien. Et donc la physique a adopté ce point de vue selon lequel les formules qui ont du succès doivent être présentées dénuées d'explications. Les philosophes positivistes plus radicaux sont mêmes allés jusqu'à soutenir que le devoir de la science était de fournir un ensemble de recettes qui marchent bien et permettent ainsi des prédictions et une action efficace.
Il y aurait donc opposition nette entre explication et prédiction?
Explication et prédiction sont des objectifs assez opposés de l'entreprise scientifique! (...)
En général les physiciens sont des gens qui, à partir d'une théorie mal posée conceptuellement déduisent des résultats (numériques) allant jusqu'à la septième décimale, ensuite ils vérifient cette théorie intellectuellement peu satisfaisante, en cherchant l'accord à la septième décimale avec les données expérimentales! On aboutit ainsi à un horrible mélange entre des concepts de base incorrects et une précision numérique fantastique. Voilà une lacune authentique: si les physiciens abandonnaient la rigueur et dans leur élaboration intellectuelle et dans les résultats numériques, je n'aurais aucune objection à faire; mais malheureusement ils prétendent tirer un résultat numérique rigoureux à partir de théories qui, conceptuellement, n'ont ni queue ni tête.
Paraboles et catastrophes
René Thom
J'essaierais de poursuivre plus tard, car il y a beaucoup à dire et à redire sur les commentaires de Miller, je crois avoir entrevu qu'il évoque la réfutation de l'éther comme milieu de propagation de la lumière et fait valoir ça comme un argument en faveur de la négation des causes formelles et finales, manque de chance pour lui il s'agit de la réfutation d'une cause matérielle. (jusqu'à l'expérience de Michelson beaucoup pensaient que la lumière avait besoin d'un milieu matériel pour se propager).