Re: L'affaire Matzneff - "C'était quand même mieux avant !"
Publié : lun. 06 janv. 2020, 17:00
Pour l'intelligence de la foi
https://cite-catholique.org/
C. Rioux, "Le point de bascule" dans Le Devoir du 10 janvier 2020
[...] Il y a des moments où l’histoire chavire. Plus le temps passe, plus le massacre de Charlie Hebdo apparaît comme ce point de bascule où nous sommes passés dans un autre monde. Celui d’un nouvel ordre moral, où la liberté de parole a subi un recul incalculable. Sauf que les libres penseurs d’aujourd’hui n’ont plus un, mais deux fusils sur la tempe. Les forces de l’islamisme meurtrier s’alliant à celles de la nouvelle majorité morale américaine font de plus en plus régner un régime de terreur dans le domaine de la pensé
[...] écrit l’avocat Richard Malka dans le numéro anniversaire de Charlie Hebdo publié cette semaine. Aujourd’hui, « notre nouvelle bourgeoisie néovertueuse demanderait la peau de Voltaire », conclut-il.
[...]
Qui aurait à nouveau le culot de caricaturer Mahomet en cette époque où Sleeping Giants, ce collectif de militants américains sur Internet qui dit combattre la haine, fait campagne en France pour que les annonceurs retirent leurs publicités des médias qui ne pensent pas comme eux ? La liste des censures ne cesse de s’allonger : annulation de conférences, de pièces de théâtre, disparition des caricatures dans la presse, boycottage de films et d’expositions, police du langage ; sans compter la pire de toutes les censures, celle qui ne laisse pas de trace : l’autocensure.
À quand les sensitivity readers qui aux États-Unis relisent les oeuvres afin d’aider les éditeurs à formater des romans qui ne heurtent aucune sensibilité ?
https://www.ledevoir.com/opinion/chroni ... de-bascule
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, ce n’est pas d’abord au nom de l’art et de la littérature qu’on a justifié de tels agissements. Et encore moins au nom d’une prétendue culture patriarcale ou de ce que d’aucuns se complaisent à décrire comme la vieille culture machiste hexagonale.
Au contraire ! C’est bien au nom de l’« interdiction d’interdire » que l’on garda le silence. C’est au nom de cette pensée libertaire repoussant toutes les morales, d’une libération sexuelle conquérante et d’un gauchisme culturel assumé, que toute limitation de la liberté sexuelle fut alors jugée « réactionnaire ».
Rappelons-nous le contexte. À la faveur de ce qu’on a appelé la « pensée 68 », toute norme, toute contrainte, surtout sexuelle, était considérée comme une servitude inacceptable. De la même manière, on applaudissait à l’éclatement de la famille, oubliant par le fait même que, malgré ses défauts, elle fut toujours la première protection des enfants, qu’elle a d’ailleurs pour tâche de préparer et d’introduire dans le monde adulte, comme nous le rappelle la philosophe Hannah Arendt. Or, rien ne l’a vraiment remplacée depuis.
de: https://www.ledevoir.com/opinion/chroni ... s-entravesTous affirmaient évidemment combattre l’ordre moral. Dans ce contexte, la sexualité adolescente était jugée par essence libératrice et la famille, perçue comme l’institution oppressive par excellence. C’est alors que le privé est devenu politique et que la transgression (surtout sexuelle) est pratiquement apparue comme un impératif politique. Impératif qui subsiste d’ailleurs jusqu’à nos jours, comme le démontrent nombre de nos débats sur le « genre » et le radicalisme de certains militants LGBT. Or, comme chaque fois que l’on repousse toutes les limites et que l’on fait sauter tous les « tabous », ce sont les plus vulnérables qui paient les pots cassés. En l’occurrence, ici, les plus jeunes.
Cependant, depuis les années 1970, ces limites n’ont cessé d’être repoussées. En cette époque où la parole des ados est devenue sacrée, comme l’illustre la personnalité de l’année Greta Thunberg, il est de bon ton de se pâmer devant tous les désirs adolescents sans exception. Car il faudrait ajouter qu’à la destruction de l’autorité familiale a correspondu celle tout aussi dramatique de l’école. Après avoir « joui sans entraves », on a cru à tort qu’il était aussi possible d’« éduquer sans entraves ». Tels furent les mots d’ordre d’une époque dont nous sommes encore très loin d’être sortis.
« L’arme principale du diable, écrivait Matzneff, ce n’est ni la beauté ni la sensualité, c’est l’ennui. » Prenons donc garde à ces procès médiatiques qui trompent trop bien l’ennui mais où l’on change de morale comme on change de chemise, jetant aux foules en furie ceux que l’on glorifiait il y a quelques années à peine. Dans le cas qui nous occupe, il sera toujours plus facile de lyncher un vieil écrivain français que pratiquement personne n’a lu que de s’interroger sur les sources profondes d’une telle « affaire ».
Bonjour Sam,Sam D. a écrit : ↑sam. 11 janv. 2020, 21:55Bonjour,
On m'a toujours inculqué que "ma liberté s'arrête là où commence celle d'autrui". Je constate qu'au fond, ce qui a fait défaut dans de telles affaires, et plus généralement dans tout ce qui est abus sexuels, c'est la méconnaissance de cette maxime, et qu'on a pas su, ou voulu voir (il y a peut-être un peu des deux, je veux bien croire que la nocivité de tels actes ait pu être méconnue) qu'on était, au bas mot, en train de violer la liberté d'autrui. Pour en revenir au mot de Camus, il s'agit moins de "s'empêcher" (ou alors, pour préciser, de s'empêcher de faire le mal) que d'examiner scrupuleusement ce qu'il en est de la frontière entre sa propre liberté et celle d'autrui, cet autrui auquel je dois de la bienveillance.
Bonjour Sam. Vous avez sans doute raison. Je ne pense pas que la liberté des droits de l'homme puisse être uniquement réduite à une avidité égoïste et démesurée. Elle ménage une liberté privée très saine dans le cadre social, et ce n'est pas nécessairement contraire à la liberté chrétienne. Ce qui me pose plus de problème, c'est lorsqu'on réduit la liberté humaine à cette conception négative, qui voit en autrui une limitation de l'exercice de ma liberté. Je ne vois pas comment un "prochain" peut surgir dans ces conditions. Et il me semble que notre époque tend à réduire la liberté à cela, notamment en économie, mais aussi concernant les thèmes des moeurs, où chaque individu, au nom de cette liberté privée, cherche à se faire reconnaître des droits parfois contradictoires entre eux lorsqu'on agglutine ces droits à l'échelle collective.Sam D. a écrit : ↑lun. 13 janv. 2020, 13:52Merci Riou pour ces réflexions, je n'entendais bien sûr pas opposer liberté et bienveillance, la liberté n'est pas encore à confondre avec un libéralisme débridé qui aurait pour fin le seul intérêt égoïste sans égard pour d'autres considérations.
Que l'autre soit en quelque sorte ma voie de sainteté, la "porte étroite", je le conçois, c'est entre autre cela qu'implique le "Convertissez-vous et croyez à l’Évangile" de l'Evangile de ce jour. Pour autant, aller jusqu'à dire que ma liberté ne commence qu'à travers mon prochain me paraît aller bien loin. Soit deux personnes agissant, l'une avec empathie, l'autre avec indifférence au malheur d'autrui : je ne vois pas que l'une soit plus libre que l'autre, sauf bien sûr à considérer que la première est exempte de la peur de desservir son propre intérêt en se montrant compatissante ou simplement aimable.
Vous avez raison.Riou :
La maxime des Droits de l'homme est la liberté de l'homme sans Dieu. La règle d'or est la liberté de l'homme en Dieu-amour.
Oui.Ce qui me pose plus de problème, c'est lorsqu'on réduit la liberté humaine à cette conception négative, qui voit en autrui une limitation de l'exercice de ma liberté. Je ne vois pas comment un "prochain" peut surgir dans ces conditions. Et il me semble que notre époque tend à réduire la liberté à cela, notamment en économie, mais aussi concernant les thèmes des moeurs, où chaque individu, au nom de cette liberté privée, cherche à se faire reconnaître des droits parfois contradictoires entre eux lorsqu'on agglutine ces droits à l'échelle collective.
... mené à toutes les reptations ... drôle ... l'expression est savoureuse, j'aime votre style imagé, chère Zélie.Zélie :
Quand Christian Roux parle de l'ennui, c'est très vrai aussi. Après une mode, il en vient une autre, après un jouet, on zappe à un autre, pour fuir l'ennui, ne réalisant pas combien on ne pourra jamais fuir l'ennui dans autre chose qu'un travail sain et prenant, sans pour autant en faire trop. Et d'ennui en ennui, on renie aujourd'hui ce qu'on encensait hier, sans réaliser que d'une suite décousue d'attitudes n'en sortira rien de bon.
Dans mon entourage, mon retour au religieux n'a pas pu être compris parce qu'il a été entier. Quand je dis que dans les évangiles j'ai trouvé une colonne vertébrale, personne ne capte de quoi je parle. Mais Christian Roux démonte très bien ce système où jouissance et ennui ont mené à toutes les reptations.
C'est certain qu'une personne qui se trouve dans un "passage à vide", ne croyant plus que Dieu existe, ou l'oubliant, ou s'estimant elle-même abandonnée par Dieu injustement pour "X" raison, peut être aussi une personne en danger de vouloir combler le vide par la recherche d'une excitation quelconque, un truc suffisamment distrayant/captivant comme pour être au moins libéré de soi-même l'espace d'un moment. Il y avait de cela aussi dans le dire de Matzneff à un moment donné, dans l'extrait de l'émission de Pivot, et quand il essayait un peu de justifier la démarche de son livre suite à la sortie moralisante de la dame Denise, elle-même armée comme une matrone. Il essayait de dire qu'il se roulait dans la fange parce qu'il n'était pas bien dans le fond de lui-même.Tomber en amour pour Dieu m'a sortie des reptations à perpétuité, et par là de toutes les cupidités. C'est dans ce genre d'expérience qu'on finit par comprendre que l'anti-religiosité n'est pas anodine, et pourquoi les musulmans font aussi un retour en grâces à leur religion ; parce qu'à ne pas trouver de cadre suffisant dans les lois de la république, on y pallie ailleurs, autrement, des fois heureusement, des fois malheureusement