St Thomas vs Leibniz

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ChristianK
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St Thomas vs Leibniz

Message non lu par ChristianK » mer. 14 févr. 2024, 21:10

Bien qu'il faille être prudent dans l'interprétation, Leibniz enseigne que la perfection divine implique que le monde est le meilleur possible, il aurait été pire sans le tremblement de terre de Lisbonne ou la shoah, ce qui lui donne une théorie élégante du problème du mal. St Thomas semble enseigner que Dieu est toujours également parfait , mais que le monde pourrait avoir un degré de perfection différent sans que la perfection divine soit touchée.
Voici des textes (difficiles ) de Thomas pour réfléchir:
Somme I Q 25

Article 5 : Dieu peut-il faire les choses qu’il ne fait pas, ou omettre celles qu’il fait ?

Objections : 1. Il semble que Dieu ne peut faire que les choses qu’il fait. Car Dieu ne peut faire ce qu’il n’a pas prévu et préordonné qu’il ferait ; or Dieu n’a prévu et préordonné que les choses qu’il fait. Donc il ne peut faire que ce qu’il fait.
2. Dieu ne peut faire que ce qu’il doit, et ce qu’il est juste de faire. Or les choses que Dieu ne fait pas, il ne doit pas les faire, et il n’est pas juste qu’il les fasse. Donc Dieu ne peut faire que ce qu’il fait.
3. Dieu ne peut faire que ce qui est bon pour les choses qu’il a faites et qui leur convient. Or il n’est pas bon et il ne convient pas aux choses faites par Dieu d’être autrement qu’elles sont. Donc Dieu ne peut rien faire d’autre que ce qu’il fait.

En sens contraire, Jésus a dit (Mt 26, 53) : “ Ne puis-je pas prier mon Père, qui me fournirait aussitôt plus de douze légions d’anges ? ” Et ni lui-même ne pria, ni son Père ne lui envoya d’anges pour résister aux Juifs. Donc Dieu peut faire ce qu’il ne fait pas.
Réponse : Sur ce sujet certains se sont trompés de deux façons. Les uns ont prétendu que Dieu agit comme par nécessité de nature, de sorte que, à l’instar des choses naturelles d’où ne peuvent provenir d’autres effets que ceux qui se produisent : un homme d’une semence d’homme, un olivier d’une semence d’olivier, ainsi de l’opération divine ne pourraient découler ni d’autres choses, ni un autre ordre de l’univers que celui qui existe maintenant Mais nous avons montré plus haut que Dieu n’agit point par nécessité de nature ; que c’est sa volonté qui est la cause de toutes choses, et que cette volonté elle-même n’est pas déterminée naturellement et nécessairement à ces choses-ci. Par suite ce cours des choses ne provient aucunement de Dieu avec une telle nécessité qu’il n’en puisse produire d’autres.
Certains ont dit que la puissance divine est déterminée au cours actuel des choses à cause de l’ordre conçu par sa sagesse et sa justice, hors desquelles Dieu ne fait rien. Mais puisque la puissance de Dieu, qui est son essence, n’est pas autre chose que sa sagesse même, on peut bien dire que rien n’est au pouvoir de Dieu si cela n’appartient pas à l’ordre de la sagesse divine ; car la sagesse divine comprend tout le pouvoir contenu dans la puissance. Toutefois, l’ordre imposé aux choses par la sagesse divine, ordre qui a raison de justice, comme on l’a dit précédemment, n’égale pas en ampleur la sagesse divine de telle façon que la sagesse divine serait limitée à cet ordre-là. Il est manifeste que toute la conception de l’ordre imposé par le sage à son œuvre dépend de la fin poursuivie. Donc, quand la fin est en exacte proportion avec les choses faites en vue de cette fin, la sagesse de l’agent est limitée à un ordre déterminé. Mais la bonté divine est une fin qui dépasse hors de toute proportion les choses créées. En conséquence, la sagesse divine n’est pas restreinte à un ordre de choses fixe, tellement qu’il ne puisse découler d’elle un ordre différent. Il faut donc dire purement et simplement que Dieu peut faire autre chose que ce qu’il fait.

Solutions : 1. En nous, chez qui la puissance et l’essence sont autres que la volonté et l’intelligence ; et chez qui autre est l’intelligence, et autre la sagesse ; autre la volonté, et autre la justice, quelque chose peut être en notre puissance, qui ne peut être dans la volonté juste ou dans l’intelligence sage. Mais en Dieu la puissance et l’essence, la volonté et l’intelligence, la sagesse et la justice sont une seule et même chose. De sorte que rien ne peut être dans sa puissance qui ne puisse être dans sa juste volonté et dans sa sage intelligence. Alors, puisque sa volonté n’est pas déterminée nécessairement à ceci ou à cela, sinon conditionnellement, ainsi qu’on l’a exposé, et puisque, nous venons de le dire, la sagesse de Dieu et sa justice ne sont pas déterminées à tel ordre de choses, rien n’empêche qu’il y ait en la puissance de Dieu quelque chose qu’il ne veut pas et qui n’est pas compris dans l’ordre qu’il a imposé aux choses. Et parce que la puissance de Dieu est conçue par nous comme exécutrice, sa volonté comme impérante, son intelligence et sa sagesse comme directrices : pour cela, ce qu’on attribue à la puissance considérée seule sera dit au pouvoir de Dieu selon sa puissance absolue et nous avons reconnu a tel tout ce en quoi la raison d’étant peut se
trouver. Mais pour ce qu’on attribue à la puissance divine comme exécutrice du vouloir de la volonté juste, on dit que Dieu peut le faire de puissance ordonnée. Donc, selon cette distinction, nous devons dire que Dieu peut, de puissance absolue, faire autre chose que ce qu’il a prévu et préordonné qu’il ferait ; et cependant il est impossible qu’il fasse réellement des choses qu’il n’aurait pas prévu et préordonné devoir faire. Car le faire est soumis à la prescience et à la préordination, mais non pas le pouvoir, qui, lui, appartient à la nature. Ainsi donc, Dieu fait
quelque chose parce qu’il le veut ; mais s’il peut le faire, ce n’est pas parce qu’il le veut, c’est parce que telle est sa nature.

2. Dieu ne doit rien à personne, si ce n’est à lui-même. Ainsi, lorsqu’on dit : Dieu ne peut faire que ce qu’il doit, cela ne signifie rien d’autre que ceci : Dieu ne peut faire que ce qui est juste et convenable pour lui. Mais ce que j’appelle juste et convenable peut s’entendre de deux façons. Je puis joindre d’abord, dans ma phrase, ce que je dis juste et convenable au verbe être de telle sorte qu’il soit restreint à désigner les choses présentes, et se réfère ainsi à la puissance. Dans ce cas, la proposition est fausse ; car son sens est celui-ci : Dieu ne peut faire que ce qui est, actuellement, juste et convenable. Si au contraire ce qui est juste et convenable est joint d’abord au verbe pouvoir, qui a plus d’ampleur, et ensuite seulement au verbe être, il en résultera quelque chose de présent et d’indéterminé, et la proposition sera vraie en ce sens : Dieu ne peut rien faire qui ne serait convenable et juste s’il le faisait.
3. Bien que ce cours des choses soit déterminé par ces choses qui existent présentement, la sagesse et la puissance divines ne sont pas limitées pour cela à ce cours des choses. Ainsi, bien que, pour ces choses qui se font maintenant, nul autre arrangement ne puisse être bon et convenable, cependant Dieu pourrait faire d’autres choses et leur donner un autre ordre.


Article 6 : Les choses que Dieu fait, pourrait-il les faire meilleures ?

Objections : 1. Il semble que Dieu ne peut pas faire meilleures les choses qu’il fait. Car tout ce que Dieu fait, il le fait avec le maximum de puissance et de sagesse. Or une chose est d’autant meilleure qu’elle est faite avec plus de puissance et de sagesse. Donc Dieu ne peut faire quelque chose de meilleur que ce qu’il fait.
2. Contre Maximin, S. Augustin discute ainsi : “ Si Dieu a pu, et n’a pas voulu, engendrer un fils qui fût son égal, il a été envieux. ” Pour la même raison, si Dieu a pu faire meilleures les choses qu’il a faites et ne l’a pas voulu, il a été envieux. Or l’envie est totalement étrangère à Dieu. Donc Dieu a fait chaque chose aussi parfaitement que possible. Il ne peut donc rien faire meilleur qu’il ne l’a fait.
3. Ce qui est souverainement et pleinement bon ne peut pas être fait meilleur ; car rien ne dépasse le maximum. Or, dit S. Augustin, “ les choses que Dieu fait sont bonnes chacune prise à part ; mais prises ensemble, elles sont excellentes, car de leur ensemble résulte l’admirable beauté de l’univers ”. Donc le bien de l’univers ne peut être créé par Dieu meilleur qu’il ne l’est.
...
En sens contraire, on lit dans l’épître aux Éphésiens (3, 20), que Dieu “ peut faire infiniment au-delà de ce que nous pouvons demander ou concevoir ”.
Réponse : Chaque chose a une double bonté. L’une appartient à son essence, comme d’être une créature raisonnable est de l’essence de l’homme ; et quant à ce bien-là, Dieu ne peut faire nulle chose meilleure qu’elle n’est, bien qu’il puisse en faire une autre meilleure qu’elle. Il en est comme du nombre 4, que Dieu ne peut pas faire plus grand, car il ne serait pas alors le nombre 4, mais un autre nombre. On sait que l’addition d’une différence substantielle, dans les définitions, est comme l’addition de l’unité dans les nombres, comme l’explique la Métaphysique d’Aristote. L’autre bonté des choses est celle qui s’ajoute à leur essence, comme il est bon pour l’homme d’être vertueux et savant. Et selon cette bonté Dieu peut faire meilleures les choses qu’il a faites. Mais absolument parlant, quelque chose que Dieu ait faite, il peut toujours en faire une autre meilleure.
Solutions : 1. Quand on dit : Dieu peut faire quelque chose de mieux que ce qu’il fait, si le mot “mieux ” est un substantif, la proposition est vraie ; car quelle que soit une chose donnée, Dieu peut toujours en faire une meilleure, et s’il s’agit de la même, il peut la faire meilleure d’une certaine façon, et non pas d’une autre façon, ainsi qu’on vient de le voir. Si le mot “ mieux ” est pris comme un adverbe, et s’il se rapporte au mode d’agir de Dieu, en ce sens-là Dieu ne peut pas faire mieux qu’il ne fait ; car il ne peut rien faire avec plus de sagesse et de bonté. Mais s’il se rapporte au mode d’être de l’effet, alors Dieu peut toujours faire mieux ; car il peut donner aux choses qu’il a créées un mode d’être plus parfait en ce qui concerne leurs attributs accidentels, sinon quant à leurs attributs essentiels.
2. Il est dans la nature des choses que le fils égale son père unc fois parvenu à l’âge d’homme ; mais il n’est dans la nature d’aucune chose créée d’être meilleure que Dieu ne l’a faite. Ainsi la comparaison ne vaut pas.
3. L’univers ne peut être meilleur qu’il n’est, si on le prend comme constitué par les choses actuelles ; à cause de l’ordre très approprié attribué aux choses par Dieu et en quoi consiste le bien de l’univers. Si une seule de ces choses était rendue meilleure, la proportion de l’ordre s’en trouverait détruite, comme dans le chant de la cithare la mélodie serait altérée si une corde était tendue plus qu’elle ne doit. Mais Dieu pourrait faire d’autres choses ; il pourrait ajouter à celles qu’il a faites ; et ainsi nous aurions un autre univers meilleur.

Coco lapin
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Re: St Thomas vs Leibniz

Message non lu par Coco lapin » jeu. 15 févr. 2024, 22:21

Merci Christian !

En fait, je pense que Dieu avait le choix entre :
1) Ne rien créer
2) Créer le monde que nous connaissons
3) Créer un autre monde, avec un ordre de choses différent mais tout aussi sage et juste.
4) Créer un monde encore différent
5) etc...
Mais tous ces choix potentiels doivent être équivalents, il ne peut pas y en avoir un qui serait meilleur que les autres, sinon Dieu aurait été nécessité à faire ce choix.

Dieu aurait-il pu créer un monde dans lequel le salut serait beaucoup plus facile ? Je ne pense pas, car ce ne serait probablement ni sage ni juste, et ça ne pourrait donc pas faire partie des choix possibles.

Ensuite, à l'intérieur d'un monde, d'après ce que j'ai compris, Dieu ne peut pas modifier l'ordre des choses ni rendre les choses meilleures qu'elles le sont, mais il lui reste certaines possibilités comme celle d'ajouter des créatures.

Bref, à la base Dieu avait beaucoup d'options, mais une fois l'ordre des choses disposé, sa liberté est grandement limitée, et la plupart de ses actions sont conditionnées (nécessitées par l'ordre des choses et par sa propre nature parfaite).

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Olivier C
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Re: St Thomas vs Leibniz

Message non lu par Olivier C » ven. 16 févr. 2024, 9:49

Bonjour,

Je vous partage une clef de lecture pour Saint Thomas : Dieu n'a pas créé le meilleur des mondes (de Jean-Miguel Garrigues, o.p.).
Je suis un simple serviteur, je ne fais que mon devoir.

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