Re: Aimer son prochain comme soi-même
Publié : mer. 21 juin 2017, 23:34
Nous pourrions compléter le fil avec les commentaires de Martin Luther King sur la question du prochain.
Et qui est mon prochain?
Luc 10,29
Une question est posée à Jésus par un homme qui a été formé dans tous les détails de la loi judaïque : "Maître, que dois-je faire pour avoir en partage la vie éternelle? " La réponse est prompte : "Dans la Loi, qu'y a-t-il d'écrit? Qu'y lis-tu?" Après un moment, le légiste récite point par point : "Tu aimeras le Seigneur ton Dieu, de tout ton coeur, de toute ton âme, de toutes tes forces et de tout ton esprit; et ton prochain comme toi-même" Alors vient la parole décisive de Jésus : "Tu as répondu juste; fais cela et tu vivras." Le légiste restait préoccupé.
"Pourquoi, pourrait demander la foule, un homme expert dans la Loi pose-t-il une question qu'un novice même pourrait résoudre?"
Voulant se justifier et montrer que la réponse de Jésus était loin de suffire, il demanda : "Et qui est mon prochain?" Le légiste poussait ainsi le débat à un point qui pouvait faire tourner la conversation en une discussion théologique abstraite. Mais Jésus, décidé à ne point se laisser prendre dans la "paralysie de l'analyse", saisit la question au vol et la dépose dans un tournant dangereux entre Jérusalem et Jéricho.
Qui est mon prochain?
"Je ne sais pas son nom", répond en substance Jésus. C'est celui envers qui vous agissez en bon compagnon. C'est celui qui se trouve dans le besoin au bord de la route. Il n'est ni Juif ni Gentil; il n'est ni Russe ni Américain; il n'est ni Blanc ni Noir. C'est un homme - tout homme dans le besoin - sur l'une des nombreuses routes de Jéricho de la vie. Jésus définit donc le prochain non par une formule théologique, mais par une situation vitale.
En quoi conssisait la bonté du bon Samaritain? Le bon Samaritain était altruiste jusqu'au fond du coeur. Qu'est-ce que l'altruisme? Le dictionnaire le définit comme "le souci et le dévouement pour l'intérêt des autres." Le Samaritain était bon parce qu'il faisait de la préoccupation d'autrui la première loi de sa vie.
II
Le Samaritain était capable d'un altruisme dangereux. Il risqua sa vie pour sauver son frère.
Si nous nous demandons pourquoi le prêtre et le lévite ne se sont pas arrêtés pour aider le blessé, de nombreuses hypothèses nous viennent à l'esprit. Peut-être ne pouvaient-ils se mettre en retard, allant à une importante réunion ecclésiastique? Ou peut-être étaient-ils en route pour une assemblée de l'Association pour l'Amélioration de la Route de Jéricho? Dans ce cas, il s'agissait sans nul doute d'une nécessité réelle : il ne suffit pas, en effet, d'aider un individu blessé sur cette route; il est également important de changer les conditions qui rendent le brigandage possible.
La philanthropie est une bonne chose, mais elle ne doit pas conduire le philanthrope à négliger les circonstances d'injustice économique qui rendent la philanthropie nécessaire. Peut-être le prêtre et le lévite croyaient-ils qu'il vaut mieux guérir l'injustice à sa source plutôt que de se pencher sur un simple effet individuel!
Ce sont là des raisons probables de leur refus de s'arrêter; mais il y a encore une autre raison, souvent négligée ils ont eu peur. La route de Jéricho était une route dangereuse.
Lorsque j'ai visité la Terre sainte avec ma femme, nous avons loué une voiture et fait le trajet de Jérusalem à Jéricho. Tandis que nous roulions lentement sur cette route sinueuse et accidentée, je dis à ma femme : "Je comprend maintenant pourquoi Jésus a choisi cette route pour y situer sa parabole", Jérusalem est à environ deux mille pieds au-dessus du niveau de la mer et Jéricho à mille pieds au-dessous. La descente se fait en moins de trente kilomètres. De nombreux virages brusques se prêtent aux embuscades et exposent le voyageur à des attaques imprévisibles. Autrefois, la route s'appelait la Montée du Sang.
Il est donc possible que le prêtre et le lévite aient craint, s'ils s'arrêtaient, d'être attaqués eux aussi. Peut-être les brigands étaient-ils encore à proximité. Et le blessé ne pouvaient-ils pas être un faux blessé, cherchant à attirer les passants à sa portée afin de s'en rendre maître vite et sans peine? J'imagine que le prêtre et le lévite se posèrent d'abord cette question : "Que m'arrivera-t-il si je m'arrête pour aider cet homme?" En raison même de sa préoccupation, le bon Samaritain renversa la question : "Qu'arrivera-t-il à cet homme si je ne m'arrête pas pour l'aider?" Le bon Samaritain était engagé dans un altruisme dangereux.
Nous nous demandons si souvent :"Qu'arrivera-t-il à mon emploi, à mon prestige, à mon rang. si je prends position dans cette affaire? Ma maison sera-t-elle dynamitée? Ma vie sera-t-elle menacée? Irai-je en prison? L'homme bon retourne toujours la question. Albert Schweitzer n'a pas demandé : "Que deviendront mon prestige et ma sécurité de professeur d'université, que deviendra mon standing d'organiste spécialiste de Bach, si je travaille avec le peuple d'Afrique?" Il a demandé au contraire : "Qu'arrivera-t-il à ces millions de gens blessés par l'injustices, je ne vais pas vers eux?" Abraham Lincoln n'a pas demandé : "Que m'arrivera-t-il si je proclame l'émancipation et mets fin à l'esclavage? " mais il a demandé :" Qu'arrivera-t-il à l'Union et aux millions de Noirs si je ne le fais pas? "
Un homme ne se mesure pas, en définitive, à la place qu'il occupe aux moments de confort et de commodité, mais à celle qu'il occupe au temps de l'épreuve et de l'adversité. Le vrai prochain risquera sa situation, son prestige et même sa vie pour le bien-être des autres. Dans les vallées dangereuses et les sentiers hasardeux, il hissera son frère meurtri et brutalisé vers une vie plus haute et plus noble.
III
Enfin le Samaritain était doté d'un altruiste excessif. De ses propres mains, il pansa les blessures de l'homme et le chargea sur sa propre monture. Il eut été plus facile de payer une ambulance pour conduire l'infortuné à l'hôpital, au lieu de risquer de voir son élégant habit souillé de sang.
L'altruisme authentique est plus que l'aptitude à la pitié; c'est l'aptitude à sympathiser. La pitié peut n'être beaucoup plus que le souci impersonnel et vite prêt à envoyer un chèque, mais la vraie sympathie est le souci personnel qui réclame le don de soi. La pitié peut naître de l'intérêt pour une abstraction appelée humanité, mais la sympathie grandit à partir d'un souci pour un être humain particulier, qui gît dans le besoin sur un bas-côté de la vie. La sympathie est un sentiment fraternel pour la personne dans le besoin, pour sa peine, son angoisse, son fardeau.
Nos efforts missionnaires échouent lorsqu'ils se fondent sur la pitié au lieu de se fonder sur une vraie compassion.
[...]
Les dollars ont le pouvoir d'aider les enfants de Dieu blessés sur les routes de Jéricho de la vie, mais si ces dollars ne sont pas distribués par des mains compatissantes, ils n'enrichiront ni celui qui les donne ni celui qui les reçoit. Des millions de dollars missionnaires ont été envoyés en Afrique par des gens d'église qui souffriraient un million de morts avant de concéder à un seul Africain le privilège de s'associer au culte dans leur communauté. Des millions de dollars du Corps de la paix sont investis en Afrique grâce au vote de certains hommes qui luttent implacablement pour empêcher les ambassadeurs africains de devenir membres de leurs clubs diplomatiques ou d'établir leurs résidences dans leur propre voisinage.
Source : Martin Luther King, "Être un bon prochain" dans La force d'aimer, [...], 1963,
Et qui est mon prochain?
Luc 10,29
Une question est posée à Jésus par un homme qui a été formé dans tous les détails de la loi judaïque : "Maître, que dois-je faire pour avoir en partage la vie éternelle? " La réponse est prompte : "Dans la Loi, qu'y a-t-il d'écrit? Qu'y lis-tu?" Après un moment, le légiste récite point par point : "Tu aimeras le Seigneur ton Dieu, de tout ton coeur, de toute ton âme, de toutes tes forces et de tout ton esprit; et ton prochain comme toi-même" Alors vient la parole décisive de Jésus : "Tu as répondu juste; fais cela et tu vivras." Le légiste restait préoccupé.
"Pourquoi, pourrait demander la foule, un homme expert dans la Loi pose-t-il une question qu'un novice même pourrait résoudre?"
Voulant se justifier et montrer que la réponse de Jésus était loin de suffire, il demanda : "Et qui est mon prochain?" Le légiste poussait ainsi le débat à un point qui pouvait faire tourner la conversation en une discussion théologique abstraite. Mais Jésus, décidé à ne point se laisser prendre dans la "paralysie de l'analyse", saisit la question au vol et la dépose dans un tournant dangereux entre Jérusalem et Jéricho.
Qui est mon prochain?
"Je ne sais pas son nom", répond en substance Jésus. C'est celui envers qui vous agissez en bon compagnon. C'est celui qui se trouve dans le besoin au bord de la route. Il n'est ni Juif ni Gentil; il n'est ni Russe ni Américain; il n'est ni Blanc ni Noir. C'est un homme - tout homme dans le besoin - sur l'une des nombreuses routes de Jéricho de la vie. Jésus définit donc le prochain non par une formule théologique, mais par une situation vitale.
En quoi conssisait la bonté du bon Samaritain? Le bon Samaritain était altruiste jusqu'au fond du coeur. Qu'est-ce que l'altruisme? Le dictionnaire le définit comme "le souci et le dévouement pour l'intérêt des autres." Le Samaritain était bon parce qu'il faisait de la préoccupation d'autrui la première loi de sa vie.
II
Le Samaritain était capable d'un altruisme dangereux. Il risqua sa vie pour sauver son frère.
Si nous nous demandons pourquoi le prêtre et le lévite ne se sont pas arrêtés pour aider le blessé, de nombreuses hypothèses nous viennent à l'esprit. Peut-être ne pouvaient-ils se mettre en retard, allant à une importante réunion ecclésiastique? Ou peut-être étaient-ils en route pour une assemblée de l'Association pour l'Amélioration de la Route de Jéricho? Dans ce cas, il s'agissait sans nul doute d'une nécessité réelle : il ne suffit pas, en effet, d'aider un individu blessé sur cette route; il est également important de changer les conditions qui rendent le brigandage possible.
La philanthropie est une bonne chose, mais elle ne doit pas conduire le philanthrope à négliger les circonstances d'injustice économique qui rendent la philanthropie nécessaire. Peut-être le prêtre et le lévite croyaient-ils qu'il vaut mieux guérir l'injustice à sa source plutôt que de se pencher sur un simple effet individuel!
Ce sont là des raisons probables de leur refus de s'arrêter; mais il y a encore une autre raison, souvent négligée ils ont eu peur. La route de Jéricho était une route dangereuse.
Lorsque j'ai visité la Terre sainte avec ma femme, nous avons loué une voiture et fait le trajet de Jérusalem à Jéricho. Tandis que nous roulions lentement sur cette route sinueuse et accidentée, je dis à ma femme : "Je comprend maintenant pourquoi Jésus a choisi cette route pour y situer sa parabole", Jérusalem est à environ deux mille pieds au-dessus du niveau de la mer et Jéricho à mille pieds au-dessous. La descente se fait en moins de trente kilomètres. De nombreux virages brusques se prêtent aux embuscades et exposent le voyageur à des attaques imprévisibles. Autrefois, la route s'appelait la Montée du Sang.
Il est donc possible que le prêtre et le lévite aient craint, s'ils s'arrêtaient, d'être attaqués eux aussi. Peut-être les brigands étaient-ils encore à proximité. Et le blessé ne pouvaient-ils pas être un faux blessé, cherchant à attirer les passants à sa portée afin de s'en rendre maître vite et sans peine? J'imagine que le prêtre et le lévite se posèrent d'abord cette question : "Que m'arrivera-t-il si je m'arrête pour aider cet homme?" En raison même de sa préoccupation, le bon Samaritain renversa la question : "Qu'arrivera-t-il à cet homme si je ne m'arrête pas pour l'aider?" Le bon Samaritain était engagé dans un altruisme dangereux.
Nous nous demandons si souvent :"Qu'arrivera-t-il à mon emploi, à mon prestige, à mon rang. si je prends position dans cette affaire? Ma maison sera-t-elle dynamitée? Ma vie sera-t-elle menacée? Irai-je en prison? L'homme bon retourne toujours la question. Albert Schweitzer n'a pas demandé : "Que deviendront mon prestige et ma sécurité de professeur d'université, que deviendra mon standing d'organiste spécialiste de Bach, si je travaille avec le peuple d'Afrique?" Il a demandé au contraire : "Qu'arrivera-t-il à ces millions de gens blessés par l'injustices, je ne vais pas vers eux?" Abraham Lincoln n'a pas demandé : "Que m'arrivera-t-il si je proclame l'émancipation et mets fin à l'esclavage? " mais il a demandé :" Qu'arrivera-t-il à l'Union et aux millions de Noirs si je ne le fais pas? "
Un homme ne se mesure pas, en définitive, à la place qu'il occupe aux moments de confort et de commodité, mais à celle qu'il occupe au temps de l'épreuve et de l'adversité. Le vrai prochain risquera sa situation, son prestige et même sa vie pour le bien-être des autres. Dans les vallées dangereuses et les sentiers hasardeux, il hissera son frère meurtri et brutalisé vers une vie plus haute et plus noble.
III
Enfin le Samaritain était doté d'un altruiste excessif. De ses propres mains, il pansa les blessures de l'homme et le chargea sur sa propre monture. Il eut été plus facile de payer une ambulance pour conduire l'infortuné à l'hôpital, au lieu de risquer de voir son élégant habit souillé de sang.
L'altruisme authentique est plus que l'aptitude à la pitié; c'est l'aptitude à sympathiser. La pitié peut n'être beaucoup plus que le souci impersonnel et vite prêt à envoyer un chèque, mais la vraie sympathie est le souci personnel qui réclame le don de soi. La pitié peut naître de l'intérêt pour une abstraction appelée humanité, mais la sympathie grandit à partir d'un souci pour un être humain particulier, qui gît dans le besoin sur un bas-côté de la vie. La sympathie est un sentiment fraternel pour la personne dans le besoin, pour sa peine, son angoisse, son fardeau.
Nos efforts missionnaires échouent lorsqu'ils se fondent sur la pitié au lieu de se fonder sur une vraie compassion.
[...]
Les dollars ont le pouvoir d'aider les enfants de Dieu blessés sur les routes de Jéricho de la vie, mais si ces dollars ne sont pas distribués par des mains compatissantes, ils n'enrichiront ni celui qui les donne ni celui qui les reçoit. Des millions de dollars missionnaires ont été envoyés en Afrique par des gens d'église qui souffriraient un million de morts avant de concéder à un seul Africain le privilège de s'associer au culte dans leur communauté. Des millions de dollars du Corps de la paix sont investis en Afrique grâce au vote de certains hommes qui luttent implacablement pour empêcher les ambassadeurs africains de devenir membres de leurs clubs diplomatiques ou d'établir leurs résidences dans leur propre voisinage.
Source : Martin Luther King, "Être un bon prochain" dans La force d'aimer, [...], 1963,