Laudato si, l'aube d'une théologie de la création

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Xavi
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Laudato si, l'aube d'une théologie de la création

Message non lu par Xavi » mar. 21 juil. 2015, 18:50

De nombreux commentaires ont déjà été exprimés sur la nouvelle encyclique du pape François.

Mais, sur le plan théologique, ils sont encore peu nombreux.

Il y a plusieurs lectures possibles de « Laudato si » et la lecture théologique n’est évidemment pas la seule.

Lisons là d’abord, comme chacun de nos contemporains peut le faire. Partageons avec le Pape François et avec tous les hommes qui l’écoutent sa sensibilité avisée qui nous invite à tenir compte des implications indirectes de nos diverses actions dans le monde.

Le Pape présente une analyse actualisée de la réalité contemporaine qui s’étend bien au delà des seules questions relatives à la protection de la nature pour s’étendre à l’ensemble des activités et de la vie des humains de notre temps dans leur environnement à tous égards non seulement physique, mais aussi technologique, social, culturel ou moral.

Son opinion peut intéresser les sociologues et tous ceux qui réfléchissent à la vie de nos contemporains confrontés à des changements technologiques d’une ampleur et d’une rapidité sans précédent dans l’histoire.

Tenons mieux compte des effets sur tout ce qui environne nos actions (« l’environnement », au sens propre et le plus large du mot). Réjouissons-nous des progrès de la technologie, mais soyons attentifs aux effets parfois pervers et négatifs qui peuvent se présenter.

Cette interpellation du Pape François doit être entendue.

Mais, cela ne doit pas faire croire trop vite et à tort que Dieu et la révélation chrétienne ne sont présents dans l’encyclique « Laudato si » que de manière incidente ou accessoire.

Une lecture rapide de la nouvelle encyclique peut donner l’impression que le point de vue explicitement chrétien y est relativement secondaire, mais une lecture un peu plus attentive révèle vite qu’au contraire, la foi de l’Eglise y est profondément présente comme le sel dans un potage.

Certains n’y regarderont que tous les légumes qui constituent un potage et certains n’y verront qu’une soupe semblable à tant d’autres textes qui émanent de mouvements écologiques ou d’autres organismes sensibles à l’environnement.

Mais, sans le sel de la révélation chrétienne et de la foi, dans la lumière de l’Evangile, la soupe risque d’être sans saveur.

Pour les chrétiens, « Laudato si » apporte une lumière beaucoup plus profonde qui va au delà de la seule lecture des réalités concrètes contemporaines et des conseils de sagesse qu’elle introduit.

Beaucoup de commentaires développent son analyse des réalités concrètes et les chemins que le Pape François propose aux hommes de notre temps pour en éviter les pièges.

C’est, bien sûr, très important.

Certains pensent d’ailleurs, de manière critique, que le Pape se plonge là dans des questions techniques qui excèdent ses compétences ou qu’il ferait mieux de parler davantage de foi et de théologie.

Cette critique s’avère cependant fort légère.

Il est évident, en effet, que le Pape, comme n’importe qui, peut légitimement réfléchir à la situation des hommes de notre époque et aux réalités contemporaines. Dans l’ensemble, sa réflexion est profonde et ce qu’il développe peut être apprécié par tous, y compris les athées, mêmes si certaines de ses opinions sont controversées.

Mais, ne nous y trompons pas. C’est une encyclique. Un enseignement officiel de l’Eglise.

Certains diront que cela concerne la doctrine sociale, comme si cela éloignait de la foi parce que cela touche aux réalités sociales qui varient dans l’histoire.

En fait, cela concerne bien davantage que la seule doctrine sociale. Le Pape nous présente la foi chrétienne dans ses réalités les plus concrètes depuis les origines du monde.

Le Pape François plonge profondément dans la foi de l’Eglise et apporte un regard neuf sur des vérités de foi qui sont aujourd’hui en attente d’un enseignement réactualisé par rapport aux nouvelles connaissances de notre époque.

« Laudato si » pourrait, avec un peu de recul, apparaître comme un texte théologique majeur du Magistère sur la création et sur la foi chrétienne.

Un des six chapitres de « Laudato si » est d’ailleurs intitulé « L’évangile de la création » !

Nous qui pensons si facilement que la création, c’est l’Ancien Testament, le début de la Genèse, et que l’Evangile, c’est le Nouveau Testament, le Christ, voilà qu’un simple intitulé vient mélanger les deux. Le mot théologie est un peu lourd : le voici remplacé par l’annonce d’une bonne nouvelle, un évangile. Mais, c’est bien de théologie dont il s’agit.

D’ailleurs, « Laudato si » n’est pas une simple lettre ou exhortation apostolique. C’est bien une encyclique, soit un enseignement officiel du Pape concernant la foi de l’Eglise, même si le Pape s’adresse à tous les hommes de bonne volonté et développe longuement des considérations environnementales compréhensibles et intéressantes pour tous, chrétiens ou non, au point que son encyclique a été saluée par beaucoup de personnalités éloignées de l’Eglise.

« Laudato si » pourrait se révéler comme une aube pour une nouvelle théologie de la création, une nouvelle compréhension de la foi de l’Eglise qui, à chaque époque et dans chaque culture, doit réactualiser son contenu par rapport aux connaissances différentes du temps présent pour nous enseigner une vérité inchangée mais dont la compréhension ancienne doit parfois être dépouillée de caricatures qui ont accompagné l’enseignement de la foi et sa compréhension à des époques révolues de l’histoire, mais qui ont perdu de leur pertinence et de leur exactitude dans un autre contexte.

Chacun reçoit toujours la révélation dans le contexte culturel qui est le sien.

Une nouvelle théologie de la création ne modifie en rien le trésor de la révélation mais l’éclaire sans cesse davantage et de manière réactualisée par rapport aux questions et aux savoirs différents de chaque époque.

Le Pape François en appelle à « une nouvelle synthèse qui dépasse les fausses dialectiques des derniers siècles » parce que « Le christianisme lui-même, en se maintenant fidèle à son identité et au trésor de vérité qu’il a reçu de Jésus-Christ, se repense toujours et se réexprime dans le dialogue avec les nouvelles situations historiques, laissant apparaître ainsi son éternelle nouveauté » (Ls, n° 121).

Pour être très concret, qu’enseigne le Pape François concernant la création ?

On peut relever d’abord qu’il écarte, en rappelant sa première encyclique, une séparation trop simpliste de la science et de la foi par rapport à la réalité concrète de ce monde.

Le Pape François rappelle que « La lumière de la foi, dans la mesure où elle est unie à la vérité de l’amour, n’est pas étrangère au monde matériel, car l’amour se vit toujours corps et âme ; la lumière de la foi est une lumière incarnée, qui procède de la vie lumineuse de Jésus. Elle éclaire aussi la matière, se fie à son ordre, reconnaît qu’en elle s’ouvre un chemin d’harmonie et de compréhension toujours plus large. Le regard de la science tire ainsi profit de la foi : cela invite le chercheur à rester ouvert à la réalité, dans toute sa richesse inépuisable. La foi réveille le sens critique dans la mesure où elle empêche la recherche de se complaire dans ses formules et l’aide à comprendre que la nature est toujours plus grande. En invitant à l’émerveillement devant le mystère du créé, la foi élargit les horizons de la raison pour mieux éclairer le monde qui s’ouvre à la recherche scientifique » (Ls, note 141 citant Lumen fidei du 29 juin 2013), n. 34).

N’est-ce pas une évidence à rappeler ? : le réel que notre petit cerveau peut connaître n’est pas tout le réel. Le monde perçu par notre cerveau ou la science n’est pas étanche à des influences que notre cerveau ne peut connaître.

« On ne peut pas soutenir que les sciences empiriques expliquent complètement la vie, la structure de toutes les créatures et la réalité dans son ensemble. Cela serait outrepasser de façon indue leurs frontières méthodologiques limitées. » (Ls, n° 199).

Le Pape François nous rappelle alors toute la connaissance de la foi qui, dans la lumière de l’Evangile, sait que Dieu a créé le monde matériel, qu’il en reste le maître, qu’il peut toujours y intervenir, et que, par sa résurrection, le salut du Christ s’étend au monde entier.

« « Par la parole du Seigneur les cieux ont été faits » (Ps 33, 6). Il nous est ainsi indiqué que le monde est issu d’une décision, non du chaos ou du hasard, ce qui le rehausse encore plus. Dans la parole créatrice il y a un choix libre exprimé. » (Ls, n° 77).

« S’il a pu créer l’univers à partir de rien, il peut aussi intervenir dans ce monde » (Ls, n° 74).

« Jésus vivait en pleine harmonie avec la création, et les autres s’en émerveillaient : « Quel est donc celui-ci pour que même la mer et les vents lui obéissent ? » (Mt 8, 27) » (Ls, n° 98).

Tout est amour dans la création.

« L’univers n’a pas surgi comme le résultat d’une toute puissance arbitraire, d’une démonstration de force ni d’un désir d’auto-affirmation. La création est de l’ordre de l’amour. L’amour de Dieu est la raison fondamentale de toute la création : « Tu aimes en effet tout ce qui existe, tu n’as de dégoût pour rien de ce que tu as fait ; car si tu avais haï quelque chose, tu ne l’aurais pas formé » (Sg 11, 24). Par conséquent, chaque créature est l’objet de la tendresse du Père, qui lui donne une place dans le monde. Même la vie éphémère de l’être le plus insignifiant est l’objet de son amour, et, en ces peu de secondes de son existence, il l’entoure de son affection. » (Ls, n° 77)

« Tout l’univers matériel est un langage de l’amour de Dieu, de sa tendresse démesurée envers nous. Le sol, l’eau, les montagnes, tout est caresse de Dieu. » (Ls, n° 84)

Dans cette nature créée par amour, le pape François nous rappelle que c’est Dieu qui a créé l’humanité.

« Bien que l’être humain suppose aussi des processus évolutifs, il implique une nouveauté qui n’est pas complètement explicable par l’évolution d’autres systèmes ouverts. Chacun de nous a, en soi, une identité personnelle, capable d’entrer en dialogue avec les autres et avec Dieu lui-même. La capacité de réflexion, l’argumentation, la créativité, l’interprétation, l’élaboration artistique, et d’autres capacités inédites, montrent une singularité qui transcende le domaine physique et biologique. La nouveauté qualitative qui implique le surgissement d’un être personnel dans l’univers matériel suppose une action directe de Dieu, un appel particulier à la vie et à la relation d’un Tu avec un autre tu. » (Ls, n° 81)

Le pape Jean-Paul II nous disait déjà que l’évolution est plus qu’une hypothèse. Le pape François confirme que « l’être humain suppose … des processus évolutifs » (Ls, n° 81), mais il précise que la création de l’humanité est une intervention de Dieu dans l’histoire que l’évolution physique de la nature ne peut suffire à expliquer.

« Sans répéter ici l’entière théologie de la création…La Bible enseigne que chaque être humain est créé par amour, à l’image et à la ressemblance de Dieu (cf. Gn 1, 26). Cette affirmation nous montre la très grande dignité de toute personne humaine, qui « n’est pas seulement quelque chose, mais quelqu’un. Elle est capable de se connaître, de se posséder, et de librement se donner et entrer en communion avec d’autres personnes » …
Quelle merveilleuse certitude de savoir que la vie de toute personne ne se perd pas dans un chaos désespérant, dans un monde gouverné par le pur hasard ou par des cycles qui se répètent de manière absurde !
» (Ls, n° 65)

Dieu intervient concrètement dans l’histoire. Le miracle existe. Pas seulement à l’origine, mais tout au long de l’histoire. La nature n’est pas une réalité fermée dans laquelle Dieu n’intervient pas.

Mais, le Pape François nous présente cependant la création de l’humanité sans rupture dans la nature qu’il nous présente, au contraire, comme une mère.

« saint François d’Assise… nous rappelait que notre maison commune est aussi comme une sœur, avec laquelle nous partageons l’existence, et comme une mère, belle, qui nous accueille à bras ouverts » (Ls, n° 1)

Le Pape François nous rappelle que « Notre propre corps est constitué d’éléments de la planète » (Ls, n° 2).

Avançant davantage dans la compréhension concrète de l’histoire, c’est à son prédécesseur, le pape Benoît XVI que le pape François reprend une autre affirmation concrète fondamentale : « le livre de la nature est unique et indivisible » (Benoît XVI, Caritas in veritate, n° 51, cité par Ls, n° 6) et, reprenant une expression du patriarche Bartholomée, il nous présente la création de Dieu comme un « vêtement sans coutures » (Ls, n° 9).

Ainsi, c’est plus nettement et clairement que jamais que le pape François situe l’humain dans la nature et non comme une création artificielle surgissant en dehors des lois physiques. Citant le catéchisme, il rappelle que « aucune des créatures ne se suffit à elle-même. Elles n’existent qu’en dépendance les unes des autres, pour se compléter mutuellement, au service les unes des autres » (CEC, n° 340 cité par Ls, n° 86).

En admettant une telle dépendance physique de toutes les créatures, y compris les humains, et une appartenance commune à une même nature créée, le pape ne laisse guère de place pour une création d’Adam et Eve survenant soudainement il y a six mille ans à partir d’un peu de poussière ou d’une côte tirée d’un sommeil, en dehors de toute loi physique.

Jamais l’humain n’a été si fermement situé comme inclus dans la nature créée, là où un « anthropocentrisme despotique » (Ls, n° 68) erroné l’avait parfois imaginé comme une créature extra-naturelle dominatrice d’un monde à sa libre disposition.

Pas un mot dans l’encyclique « Laudato si » pour une prétendue mort physique qui serait entrée dans la nature par l’effet du péché originel.

Mais, au contraire, on y trouve une reconnaissance du fait que, dans la nature créée, il y a de la vie « éphémère » parmi les créatures et que « chaque créature est l’objet de la tendresse du Père, qui lui donne une place dans le monde. Même la vie éphémère de l’être le plus insignifiant est l’objet de son amour, et, en ces peu de secondes de son existence, il l’entoure de son affection. » (Ls, n° 77).

Une feuille qui tombe, un fruit qui est mangé, ou un souffle qui s’arrête dans une vie animale éphémère, ce n’est pas la mort que produit le péché. C’est la nature que Dieu a créé par amour.

Ne confondons pas la vie immortelle des humains ou la résurrection des corps des humains créés à l’image de Dieu avec le renouvellement de toutes choses que Dieu nous promet et qui concerne toutes créatures.

« Le Nouveau Testament ne nous parle pas seulement de Jésus terrestre et de sa relation si concrète et aimable avec le monde. Il le montre aussi comme ressuscité et glorieux, présent dans toute la création par sa Seigneurie universelle : « Dieu s’est plu à faire habiter en lui toute plénitude et par lui à réconcilier tous les êtres pour lui, aussi bien sur la terre que dans les cieux, en faisant la paix par le sang de sa croix » (Col 1, 19-20). Cela nous projette à la fin des temps, quand le Fils remettra toutes choses au Père et que « Dieu sera tout en tous » (1Co 15, 28). De cette manière, les créatures de ce monde ne se présentent plus à nous comme une réalité purement naturelle, parce que le Ressuscité les enveloppe mystérieusement et les oriente vers un destin de plénitude. Même les fleurs des champs et les oiseaux qu’émerveillé il a contemplés de ses yeux humains, sont maintenant remplis de sa présence lumineuse. » (Ls, n° 100)

« chaque créature reflète quelque chose de Dieu et a un message à nous enseigner…
le Christ a assumé en lui-même ce monde matériel et …à présent, ressuscité, il habite au fond de chaque être, en l’entourant de son affection comme en le pénétrant de sa lumière
» (Ls, n° 221)

« Saint Bonaventure en est arrivé à affirmer que, avant le péché, l’être humain pouvait découvrir comment chaque créature « atteste que Dieu est trine ». Le reflet de la Trinité pouvait se reconnaître dans la nature « quand ce livre n’était pas obscur pour l’homme et que le regard de l’homme n’avait pas été troublé ». Le saint franciscain nous enseigne que toute créature porte en soi une structure proprement trinitaire, si réelle qu’elle pourrait être spontanément contemplée si le regard de l’être humain n’était pas limité, obscur et fragile. Il nous indique ainsi le défi d’essayer de lire la réalité avec une clé trinitaire. » (Ls, n° 239)

« A la fin, nous nous trouverons face à face avec la beauté infinie de Dieu (cf. 1 Co 13, 12) et nous pourrons lire, avec une heureuse admiration, le mystère de l’univers qui participera avec nous à la plénitude sans fin. Oui, nous voyageons vers le sabbat de l’éternité, vers la nouvelle Jérusalem, vers la maison commune du ciel. Jésus nous dit : « Voici, je fais l’univers nouveau » (Ap 21, 5). La vie éternelle sera un émerveillement partagé, où chaque créature, transformée d’une manière lumineuse, occupera sa place et aura quelque chose à apporter aux pauvres définitivement libérés. » (Ls, n° 243).

Chacune de ces citations, et d’autres encore, ouvre des réflexions profondes.

Il y a certainement beaucoup d’autres enseignements sur la création à relever et à méditer dans l’encyclique Laudato Si, et peut-être que des intervenants dans ce fil viendront l’enrichir à cet égard.

Mais, c’est clairement une belle et solide théologie de la création qui se dégage déjà de la nouvelle encyclique que nous offre le pape François.

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