La question du diable

« Assurément, il est grand le mystère de notre religion : c'est le Christ ! » (1Tm 3.16)
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Cinci
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Re: La question du Diable.

Message non lu par Cinci » ven. 06 avr. 2012, 20:01

Didyme, je reprendrai ici :
Mais en ce qui concerne ma décision personnelle, je n’ai vraiment pas l’impression d’y être pour quelque chose. Il y a un tas de facteurs (culture, éducation, environnement, expériences, épreuves, etc…) qui m’ont poussé dans ce sens. Et si ça venait de mon propre fond de répondre à cet appel, encore une fois je n’ai pas l’impression d’y être pour quelque chose, il est tel qu’il a été crée. Et c’est aussi l’impression qui m’habite en ce qui concerne celui qui prendra une route différente.
J'essaies de comprendre, dans mes mots :

Tu me dis que tu aurais davantage le sentiment d'être mû par une force inconsciente à la limite, une force souterraine (ou «une poussée» résultante d'un enchevêtrement de facteurs non-choisis) qui t'enlignerait vers tel cap au lieu d'un autre, sans non plus que la part d'intellect serait vraiment déterminante dans tout cela. Disons, c'est comme si l'intellect ou la volonté de choisir (le discernement, etc), rien de tout cela, n'aurait plus de poids qu'un hasard de circonstance, tel petit accident ou telle coïncidence. Et, à la fin, l'on devrait se demander si notre propre salut (ou pas) n'en devrait pas tenir à notre radicale dépendance envers tout une trame qui nous serait étrangère.

Il ne dépend pas de moi si je puis être sauvé (comme sauvé plutôt que perdu), il ne dépendrait en rien de moi si je puis me perdre définitivement le cas échéant (?)

Tu n'aurais pas un peu l'impression de retrouver là un truc comme la fatalité antique, didyme ? un peu comme l'ami Oedipe ne disposant pas réellement de choix : la liberté serait une belle illusion. Des facteurs externes - sur lesquels je n'ai aucune prise - pourraient ''contraindre'' dans un sens ou dans un autre.



Bon

Dans un premier temps, je penserais que ce genre de sentiment éprouvé est réel. Il est probablement vrai aussi qu'une marge de décision est ''contrainte'' par une trame nous dépassant. Un handicapé moteur ne peut pas faire choix de danser le ballet, un pharaon d'Égype choisir Jésus, un individu devoir fuir le catholicisme et de ce que son beau-père l'aura traumatisé à vie [...], etc. Je comprendrais qu'il y a une marge décisionnelle. Le possible ne sera pas le même pour tous. En revanche, il devrait demeurer un «je» tel que capable de désirer vraiment s'orienter vers le bien, peu importe les facteurs sur lesquels nous n'avons prise.

Du mérite ou pas ?

Je pense qu'il ne serait pas facile de démêler les mérites (ou démérites) de l'un l'autre au quotidien. L'histoire biblique de Job serait là pour nous le rappeler aussi. « Qu'est-ce donc que tu as fait d'incorrect pour devoir démériter ...» Et Dieu, au contraire, peut venir trouver du mérite à Job de parler comme il parle, quand tout le monde y aurait vu du démérite. Pas facile de voir (sourire).

Sauvé malgré soi ? à cause d'un hasard ?

Pour qu'il puisse s'en révéler (révéler) notre véritable vouloir : l'intervention divine ne supprime pas les conditions initiales contrariantes telles qu'oppositions, scandales, obstacles. Et au lieu d'être rendu captif par les hasards (envoyé à Dieu ou à diable à cause d'une contingence), par les accidents et tout, mais alors ces genres de choses sont plutôt comme matière à partir duquelle pouvoir s'en révéler soi-même au final. Ici : une occasion offerte d'exercer en acte notre liberté. Le dernier mot n'appartient pas au hasard.

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Re: La question du Diable.

Message non lu par Cinci » ven. 06 avr. 2012, 20:12

(une lecture complémentaire)


«... l'acte de foi est à 100% un don de Dieu, à 100% un acte libre, à 100% un acte de l'esprit. Trois affirmations qui peuvent paraître incompatibles, mais qui sont en fait complémentaires.

  • La foi est un don de Dieu

    -Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant
    -Heureux es-tu, Simon, fls de Jonas, car cette révélation
    t'es venue non de la chair et du sang, mais de mon Père
    qui est dans les Cieux (Mt 16,17)

    «Je crois, mais viens en aide à mon peu de foi !» (Mc 9,24)

    La foi est un acte libre

    -Convertissez-vous et croyez à l'Évangile (Mc 1,15)

    -Malheur à toi, Chorazaïn ! Malheur à toi, Bethsaïde !
    Car si les miracles qui ont eu lieu chez toi avaient
    eu lieu à Tyr et Sidon, il y a longtemps que, sous
    le sac et dans la cendre, elles se seraient repenties !
    Aussi bien, je vous le dis, pour Tyr et Sidon, au
    jour du Jugement, il y aura moins de rigueur que
    pour vous (Mt 11,21-22)

    La foi est un acte de l'esprit

    - Daigne le Dieu de Notre Seigneur Jésus Christ,
    le Père de la gloire, vous donner un esprit de sagesse
    et de révélation qui vous le fasse vraiment connaître !
    Puisse-t-il illuminer les yeux de votre coeur pour
    vous faire voir quelle espérance vous ouvre son
    appel ! (Ep 1,17-18)

    - Nous savons que le Fils de Dieu est venu et qu'il
    nous a donné l'intelligence afin que nous connaissions
    le véritable (1 Jn 5,20)

La grâce de Dieu ne vient pas pallier l'insuffisance des motifs de croire mais donner à notre intelligence la faculté d'apercevoir leur valeur.

Dieu n'agit pas en nous à la façon d'un poids qui ferait pencher la balance du côté de la foi, sans transformer notre esprit; il agit plutôt à la façon d'un opticien. Il nous donne une paire de lunettes - les yeux de la foi - qui nous permettent de repérer les traces objectives de sa présence dans le monde et son passage dans l'histoire.

Cette paire de lunettes, nous ne pouvons pas nous la donner à nous-mêmes; elle est un don absolument gratuit du Seigneur, une grâce. Nous devons, si nous acceptons de la porter, être prêts à assumer toutes les conséquences de la nouvelle vision du monde qui en résultera; la foi est un acte libre, un engagement, l'adhésion de notre être au Dieu vivant qui se manifeste à notre coeur.

Mais cette paire de lunettes nous permet de percevoir des raisons de croire que n'aperçoit aucunement celui qui n'a pas encore reçu ces yeux de la foi; la foi est une démarche de l'esprit. Cela ne signifie pas que la foi soit réservée aux intelligents ni, à plus forte raison aux intellectuels ! Cela signifie seulement que Dieu aime tellement ses enfants qu'il veut satisfaire les exigences critiques qui se développent dans leur esprit au fur et à mesure qu'ils grandissent.»

Source : Pierre Descouvemont (l'abbé), Le guide des difficultés de la foi catholique, p.76

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Re: La question du Diable.

Message non lu par Didyme » lun. 09 avr. 2012, 17:21

Oui je suis assez d'accord avec le fait que si malgré une sorte de fatalité évidente (car il y a des choix que j'ai fait dans ma vie que je n'aurais pas fait s'il n'y avait pas eu un événement pour le déclencher, pour me faire réfléchir), il est évident qu'il y a que nous faisons les choix de nous-même. Nous ne sommes évidemment pas des machines vides qui répondent selon le déroulement d'un programme.

Après, il n’y a pas de problème quand l'influence de ces événements conduisent à pouvoir s’en réaliser soi-même au final comme tu dis, à entrer dans la vie éternelle mais il y en a un lorsque l'achèvement de la vie se conclue sur une perte, sur un "non" à la vie éternelle. Les hommes sont crées pour la vie éternelle donc ils ne me paraissent pas se réaliser dans ces cas-là. Je ne pense pas que Dieu ait crée des hommes dont la réalisation soit la perdition ?! Comment le pourrait-il d’ailleurs ? Cela me paraîtrait signifier qu’il soit perdition lui-même pour produire la perdition ?!

Pour les mérites, si on fait son autocritique en profondeur, on trouvera facilement des circonstances pour amener à nos bonnes actions (je veux dire si tu vas creuser à la base de la base de la base). De même pour les mauvaises, on trouvera bien selon moi des causes, des blessures enfouies, des manques qui auront crée ce dérapage.
Ça me gène parce que d’un côté ça paraît enlever toute valeur aux actes et en même temps, je ne vois pas comment on peut ne pas en tenir compte. Mais ça n’empêche pas malgré tout que ce soit de bonnes actions ou des erreurs en soi.
Je vois plus un fait, un bilan, un état des lieux là-dedans plutôt qu’une question de mérite ou de démérite.
L'autre est un semblable.

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Re: La question du Diable.

Message non lu par Cinci » mar. 10 avr. 2012, 15:37

Didyme, pour continuer ici :
Après, il n’y a pas de problème quand l'influence de ces événements conduisent à pouvoir s’en réaliser soi-même au final comme tu dis, à entrer dans la vie éternelle mais il y en a un lorsque l'achèvement de la vie se conclue sur une perte, sur un "non" à la vie éternelle.

Les hommes sont crées pour la vie éternelle donc ils ne me paraissent pas se réaliser dans ces cas-là. Je ne pense pas que Dieu ait crée des hommes dont la réalisation soit la perdition ?! Comment le pourrait-il d’ailleurs ? Cela me paraîtrait signifier qu’il soit perdition lui-même pour produire la perdition ?!

Dans un des épisodes des évangiles, les esprits impurs demandent à trouver du repos dans un troupeau de porcs et tous finissent dans l'abîme plutôt. Il y a une requête exprimée de la part des exprits impurs, un consentement accordé ensuite de la part de Jésus dans l'épisode, et alors que ce dernier n'envoit pas non plus directement les esprits dans le gouffre autant qu'il leur permet d'obtenir premièrement ce qu'ils souhaitent : un terrain impur et éloigné de Dieu. Les esprits impurs redoutent d'être perdus de la main même de Dieu («Es-tu venu pour nous perdre ?») or qu'en fait ce sont ces esprits qui s'autodétruisent, à l'image du possédé de Gérasa. Ce n'est pas que Dieu serait perdition ou produirait la perdition. Non, mais la grandeur de la création serait ainsi faite que les êtres intelligents ont la faculté de pouvoir s'orienter autrement que Dieu le voudrait.
Pour les mérites, si on fait son autocritique en profondeur, on trouvera facilement des circonstances pour amener à nos bonnes actions (je veux dire si tu vas creuser à la base de la base de la base). De même pour les mauvaises, on trouvera bien selon moi des causes, des blessures enfouies, des manques qui auront crée ce dérapage.
Oui, je suis d'accord. Il y a divers facteurs indépendants. Mais en même temps il ne faudrait pas ratatiner la personne outre-mesure, comme lui retirer toute dignité et toute responsabilité.

Ça me gène parce que d’un côté ça paraît enlever toute valeur aux actes et en même temps, je ne vois pas comment on peut ne pas en tenir compte.
Il faut en tenir compte à raison de la dignité des personnes. Ainsi, une personne totalement soumise à des forces extérieures la dépassant et qui ne serait plus qu'une poupée mécanique devenue «le jouet des dieux» ou de la légion : ce serait non plus une personne mais un être tel que devenu moins humain. Vouloir retirer tout aspect de mérite personnel aux gens en reviendrait à les priver de dignité. Je pourrais rajouter que la tentation de diminuer l'humanité est omniprésente dans notre société d'ailleurs. Être soumis à des forces aveugles ne serait pas tellement digne de l'Homme.

Mais ça n’empêche pas malgré tout que ce soit de bonnes actions ou des erreurs en soi. Je vois plus un fait, un bilan, un état des lieux là-dedans plutôt qu’une question de mérite ou de démérite.
Tu sais, didyme, j'étais en train de me demander si la difficulté ne proviendrait pas d'une affaire de pré-jugement personnel, en rapport à notre représentation de Dieu ou au jugement de Dieu [que l'on imagine] sur nous ? Il me semble que dans le résumé que Giorgios («le pélerin») peut faire du texte de Gesché, puis concernant cette notion de péché des origines : il serait une clé de compréhension relativement au mérite et démérite.

Proposer un état des lieux ? alors ta propre idée ne me semble pas mauvaise non plus en un sens. Elle dédramatise tout le poids de responsabilité qu'un homme seul pourrait porter. Il y a bien par exemple un aspect impersonnel au mal. Je pourrai reconnaître que j'aurais été amené à poser tel geste incorrect, et puis de ce que l'on m'avait dit que ... etc. Il y a le volet impersonnel aux choses, le volet personnel aussi. On ne peut évidemment pas mériter ou démériter en rapport à ce qui est impersonnel.

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Re: La question du Diable.

Message non lu par Cinci » mar. 10 avr. 2012, 16:15

Complément :

«... si vous estimez qu'il est impossible que l'homme engage dans un égoïsme conscient et entêté le fond de soi, vous diminuez l'homme, vous le réduisez plus ou moins, comme dit Sartre, à être une poupée dans les mains des dieux. Vous en arriverez à imaginer un dieu qui tout à la fois créerait, fonderait notre liberté, et la figerait, la pétrifierait, la manipulerait, ce qui ne vaut pas mieux. Quand on croit vraiment à la grandeur de l'homme, on croit aussi que l'évenualité de la damnation est inscrite, comme refus inconditionnel d'amour, dans la structure même de sa liberté. L'éventualité de l'enfer est un élément structurel de notre liberté divinisable.

La foi de l'Église, c'est exactement cela : la grandeur de Dieu, la sainteté de Dieu, la pureté de l'amour de Dieu qui s'interdit l'usage de quelque puissance que ce soit pour nous contraindre à aimer, la grandeur de l'homme, la grandeur de la liberté de l'homme impliquent que la damnation est inscrite comme éventualité réelle au plus intime de lui-même.»


et

«Il s'agit là d'une éventualité dont je répète qu'elle est à peine pensable, mais qu'il m'est impossible de biffer, sans diminuer du coup et Dieu et l'homme et l'amour. C'est ce que l'Église ne veut pas.»

et

«Au vrai, le dogme de l'enfer nous enseigne une attitude d'âme. Car aucun dogme n'existe pour satisfaire notre curiosité intellectuelle. Dieu ne révèle et l'Église n'enseigne que ce qui nous est nécéssaire pour que notre attitude d'âme soit une attitude de vérité et pour que notre action soit une action vraie. L'attitude d'âme, la valeur spirituelle, qu'implique le dogme de l'enfer, est l'espérance en forme de prière. Nous ne pouvons guère dépasser cette tension entre une foi en l'éventualité de la damnation et l'espérance du salut de tous les hommes.»

Source : François Varillon

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Re: La question du Diable.

Message non lu par Théo d'Or » mer. 11 avr. 2012, 1:14

Didyme a écrit :Je ne veux pas jouer l'avocat du diable :-D
mais alors pour quelles raisons considère-t-on qu'il est irrémédiablement irrécupérable pour Dieu ?
Je sais que la question peut choquer mais c'est pourtant une vraie question.
D'après ce qu'on dit, il ne désire pas être récupéré!
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Re: La question du Diable.

Message non lu par Didyme » mer. 11 avr. 2012, 21:26

Cinci a écrit :Dans un des épisodes des évangiles, les esprits impurs demandent à trouver du repos dans un troupeau de porcs et tous finissent dans l'abîme plutôt. Il y a une requête exprimée de la part des exprits impurs, un consentement accordé ensuite de la part de Jésus dans l'épisode, et alors que ce dernier n'envoit pas non plus directement les esprits dans le gouffre autant qu'il leur permet d'obtenir premièrement ce qu'ils souhaitent : un terrain impur et éloigné de Dieu. Les esprits impurs redoutent d'être perdus de la main même de Dieu («Es-tu venu pour nous perdre ?») or qu'en fait ce sont ces esprits qui s'autodétruisent, à l'image du possédé de Gérasa.
Dans ce que tu dis ici, je comprends qu’ils sont égarés et ne comprennent pas l’origine de leur perte. On ne peut donc pas dire que leur choix soit éclairé.
Mais c’est vrai qu’il y a aussi cette impression qu’en face de Dieu, on a ce sentiment qu’effectivement il est venu pour nous perdre par ses commandements, par sa volonté qui ne colle pas à la notre. C’est notre ego qui se trouve certainement affolé ici dans cette plainte « es-tu venu pour nous perdre ? » mais qui nous aveugle aussi.
Cinci a écrit :Ce n'est pas que Dieu serait perdition ou produirait la perdition. Non, mais la grandeur de la création serait ainsi faite que les êtres intelligents ont la faculté de pouvoir s'orienter autrement que Dieu le voudrait.
De pouvoir s’orienter... je dirais plutôt de pouvoir s’égarer. Il n’y a pas d’autre voie, d’autre chemin, d’autre vérité, d’autre liberté que Dieu.
Je continu à penser que malgré le discours courant, le libre-arbitre n’a pas été donné afin de permettre de choisir de s’égarer ou de suivre Dieu mais pour permettre seulement la relation entre Dieu et la créature qui est impossible sans un mouvement de notre volonté. Effectivement, il n’y a pas d’amour sans liberté. Malheureusement, cette liberté implique la possibilité de s’égarer mais égarement qui n’est pas voulu, qui n’est pas le but. Dans la Bible, je ne connais pas un passage où Dieu respecte l’égarement comme un choix acceptable auquel il se plierait au nom d'un certain amour.
Citez-moi donc un passage où on trouve une telle idée. Qu’il y soit exposé les conséquences des 2 choix oui, mais pas un respect de ces choix. Enfin il ne me semble pas.

Oui Dieu ne va pas forcer quelqu’un à se convertir et je suis d’accord avec Raistlin lorsqu’il dit
L’erreur contemporaine est de croire que Dieu nous sauvera envers et contre tout. Si Dieu faisait cela, ce serait le pire tyran ayant jamais existé car il n’y aurait même plus la possibilité de refuser de L’aimer. Quel amour peut être bâti sur la contrainte ?
mais qu’on ne me parle pas de la possibilité de s’égarer comme de la manifestation d’un merveilleux amour qui respecte un tel choix comme ayant pu le souhaiter dans le don du libre-arbitre.

Je peux comprendre qu’on puisse trouver quelque chose de beau, de touchant, d’une grande manifestation d’amour là-dedans. Je me rappel avoir été profondément touché par un film que je ne nommerais pas (pour ne pas en dévoiler la fin à qui voudrait le voir) où une jeune femme dynamique, passionnée par la boxe, finit tétraplégique suite à un combat et où son entraîneur est pris d’un tel amour pour elle qu’il finit par l’euthanasier à sa demande, respectant son choix malgré la déchirure que cela est pour lui. Oui que l’amour accepte par amour de perdre une personne est vraiment très beau.
Et pourtant, je suis persuadé que ceux qui défendent que Dieu respecte par amour qu’on le rejette seront les premiers à s’indigner contre l’euthanasie. Pourtant si on y regarde de près, ce discours fait l’éloge de l’euthanasie divine.
Une idée que je pourrais comprendre si l’on pouvait me démontrer qu’il soit possible qu’il existe des créatures qui n’ont plus rien de Dieu en elles, qui sont d’une nature totalement indépendante à Dieu.
Cinci a écrit :Oui, je suis d'accord. Il y a divers facteurs indépendants. Mais en même temps il ne faudrait pas ratatiner la personne outre-mesure, comme lui retirer toute dignité et toute responsabilité.
Quelle dignité ?
Je n’ai pas l’impression que Satan ait gardé beaucoup de dignité dans son égarement, pas plus que Dieu dans ses jugements contre lui ne manifeste le souhait de le lui en donner.
Faire assumer la responsabilité, les conséquences des choix, oui là je veux bien.
Cinci a écrit :Il faut en tenir compte à raison de la dignité des personnes. Ainsi, une personne totalement soumise à des forces extérieures la dépassant et qui ne serait plus qu'une poupée mécanique devenue «le jouet des dieux» ou de la légion : ce serait non plus une personne mais un être tel que devenu moins humain. Vouloir retirer tout aspect de mérite personnel aux gens en reviendrait à les priver de dignité. Je pourrais rajouter que la tentation de diminuer l'humanité est omniprésente dans notre société d'ailleurs. Être soumis à des forces aveugles ne serait pas tellement digne de l'Homme.
Oui, je suis plutôt d’accord avec ce que tu dis. Bien sûr que bien qu’il y ait tout un tas de facteurs extérieurs, il n’empêche que c’est bien nous qui avons le dernier mot en quelques sortes pour poser un choix ou un acte (bien que des fois, je me demande pourquoi je suis comme ça et que j’aimerais être autrement). Oui il y a certainement du mérite personnel.

Mais je bute quand même lorsque l’on parle de mériter la vie éternelle, moins certainement que sur l’idée de mériter la perdition.
Cinci a écrit :Tu sais, didyme, j'étais en train de me demander si la difficulté ne proviendrait pas d'une affaire de pré-jugement personnel, en rapport à notre représentation de Dieu ou au jugement de Dieu [que l'on imagine] sur nous ? Il me semble que dans le résumé que Giorgios («le pélerin») peut faire du texte de Gesché, puis concernant cette notion de péché des origines : il serait une clé de compréhension relativement au mérite et démérite.
Peux-tu détailler ta pensée ?
Cinci a écrit :Proposer un état des lieux ? alors ta propre idée ne me semble pas mauvaise non plus en un sens. Elle dédramatise tout le poids de responsabilité qu'un homme seul pourrait porter. Il y a bien par exemple un aspect impersonnel au mal. Je pourrai reconnaître que j'aurais été amené à poser tel geste incorrect, et puis de ce que l'on m'avait dit que ... etc. Il y a le volet impersonnel aux choses, le volet personnel aussi. On ne peut évidemment pas mériter ou démériter en rapport à ce qui est impersonnel.
C’est marrant, tu mets le doigt sur un paradoxe chez moi, à savoir cette propension que j’ai dans ce genre de discussion à déresponsabiliser (en partie) l’individu de ses actes alors que je trouve pourtant important de responsabiliser l’individu.
J’ai vu d’ailleurs il n’y a pas longtemps un reportage sur les jeunes délinquants sexuels où le psy répétait à chaque réponse du jeune (qui expliquait la source de ses travers par les abus qu’il avait subi de la part de son beau-père je crois) quelque chose comme « c’est toi qui a fait ça » (en parlant de ce qu’avait fait le jeune). J’avais l’impression que de répéter ça avec autant d’insistance, c’était écraser de culpabilité le jeune, ne pas tenir compte des circonstances, de son passif. Alors qu’il n’est pas question de ça mais de lui faire prendre conscience qu’aujourd’hui c’est lui qui a un problème et qui a agit (sans négliger ce qu’il a subi), prise de conscience nécessaire pour lui permettre d’aller de l’avant et de travailler là-dessus.

Oui je pense qu’il y a effectivement les deux aspects.
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Re: La question du Diable.

Message non lu par Didyme » mer. 11 avr. 2012, 21:34

Théo d'Or a écrit :
Didyme a écrit :Je ne veux pas jouer l'avocat du diable :-D
mais alors pour quelles raisons considère-t-on qu'il est irrémédiablement irrécupérable pour Dieu ?
Je sais que la question peut choquer mais c'est pourtant une vraie question.
D'après ce qu'on dit, il ne désire pas être récupéré!
ça ne veut pas dire qu'il ait raison. :-D

Plus sérieusement, peut-on le considérer comme immuable pour faire de ses désires quelque chose d'irrévocable ?

Pour revenir sur ce que disait Angelo
Angelo a écrit :Bref, en résumé, Satan ne peut demander le Pardon car il est trop orgueilleux, et c'est cette orgueil qui le blesse et qui lui fait incarner le Mal et à séduire les hommes.
C'est une sorte de cercle qui commence par l'Orgueil d'un Ange et finit par ce même Orgueil de ce même Ange (voir Apocalypse) et ce cercle englobe ce qui n'est pas Dieu et de ce fait le Pardon ne "figure pas sur la liste" du Diable.
Cette idée de cercle vicieux me paraît à priori correct si on part sur la créature seule.
Et je pense qu’il en est de même pour toute créature.
Mais cette idée part du principe selon moi que Dieu ne veuille plus sauver à un moment donné. Il y a un cercle vicieux s’il n’y a plus d’intervention extérieure pour l’en sortir, à savoir Dieu.
Je ne sais pas trop quoi penser de ça.
L'autre est un semblable.

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Re: La question du Diable.

Message non lu par Cinci » jeu. 12 avr. 2012, 6:19

Dans la Bible, je ne connais pas un passage où Dieu respecte l’égarement comme un choix acceptable auquel il se plierait au nom d'un certain amour. Citez-moi donc un passage où on trouve une telle idée. Qu’il y soit exposé les conséquences des 2 choix oui, mais pas un respect de ces choix. Enfin il ne me semble pas.
Je pensais à des trucs comme la royauté en Israël, la répudiation du temps de Moïse (à quoi Jésus disait que c'était à raison de la dureté de coeur des hébreux - n'étant pas le choix de Dieu), les sacrifices sanglants qu'il faudrait rajouer dans la liste; des petits trucs de la sorte.

Le jeune homme riche qui s'avance vers Jésus : Jésus l'aima et ... et il ne le retient pas contre son gré. Ceux qui étaient scandalisés au plus haut point par l'idée de manger la chair du rabbi ? Que fait Jésus ? La licence de s'égarer est-elle maintenue même si Jésus est présent ?

Tu m'écris :
De pouvoir s’orienter... je dirais plutôt de pouvoir s’égarer. Il n’y a pas d’autre voie, d’autre chemin, d’autre vérité, d’autre liberté que Dieu. Je continu à penser que malgré le discours courant, le libre-arbitre n’a pas été donné afin de permettre de choisir de s’égarer ou de suivre Dieu mais pour permettre seulement la relation entre Dieu et la créature qui est impossible sans un mouvement de notre volonté. Effectivement, il n’y a pas d’amour sans liberté. Malheureusement, cette liberté implique la possibilité de s’égarer mais égarement qui n’est pas voulu, qui n’est pas le but.

mais qu’on ne me parle pas de la possibilité de s’égarer comme de la manifestation d’un merveilleux amour qui respecte un tel choix comme ayant pu le souhaiter dans le don du libre-arbitre.
Non pas ''souhaité'' en ce cas, mais plus comme une responsabilité que Dieu assume lui-même [comme étant l'Être libre qui crée des être libres et pouvant s'adonner au mal par le fait même] et en terme de souffrance de son côté par rapport aux égarés. La manifestation d'un merveilleux amour ne réside pas dans le fait de prendre son parti de la destruction de tel et tels. La manifestation le serait, mais en ce que Dieu prend sur Lui la souffrance du relationnel brisé et dans le fait qu'il ne se résout justement pas à la perte définitive de tel et tels. L'enfer existe (condition souffrante) parce qu'il y a l'amour de Dieu. Il s'agit d'une conséquence et comme du fait de la patience divine.

C'est sûr que le but de la Création n'est probablement pas pour Dieu de maintenir pour l'éternité des créatures humaines dans un état de relation brisé. Les réprouvés ne sont pas dans un état tel à cause de Dieu; comme si le dessein de la providence pour eux aurait dû consister à les faire exister en premier spécifiquement pour un tel état déchu (!)



«... chez Kant nous trouvons un texte tardif intitulé : Sur l'échec de tous les essais philosophiques en théodicée. Pour lui cet échec se fonde en fin de compte sur l'aveu que notre raison n'a tout simplement pas les moyens de saisir la relation que le monde, tel que notre expérience nous permet de le connaître, entretient avec la Sagesse suprême. Autrement dit, l'homme, dans sa recherche de la compatibilité de la souffrance avec la bonté de Dieu, se mesure à une tâche hors de sa portée. Nous ne pouvons pas saisir pourquoi Dieu a crée un monde voué au mal et à la souffrance et ne préserve aucune de nos vies de quelques souffrances que ce soit. Dans la théologie récente Karl Rahner s'inspire de cette idée quand il souligne l'inconcevabilité de la souffrance fait partie de l'inconcevabilité de Dieu. Oui, le caractère impénétrable de la relation qui lie bonté de Dieu et souffrance de l'homme est pour le croyant un argument de poids pour rendre les armes devant le mystère de l'incompréhensible transcendance divine. C'est pourquoi ce mystère ne peut être dévoilé. La question doit rester sans réponse. Car toute réponse définitive serait une idôle et de ce fait inadéquate à la dimension du problème, remarque Regina Ammicht, tout à fait dans la ligne de Rahner» (Gisbert Greshake, Pourquoi l'amour de Dieu nous laisse-t-il souffrir ? Paris, Les éditions du Cerf, 2010, 100 p.)

et

«... il apparaît que le sérieux de cet audace consiste en ce que le Créateur, dès le départ, prend sur lui la responsabilité de ce que le mal arrive du fait de sa créature [...] La volonté de Dieu, qui, tout au long de l'histoire du salut, rejette et châtie le mal avec la plus absolue détermination, s'identifie au sérieux avec lequel il assume la responsabilité du mal réalisé par sa créature [...] Tenons-nous en à la proposition suivante : s'il y a liberté humaine, existe du même coup la possibilité d'un mal source de souffrance. Si Dieu empêchait cette souffrance, cela signifierait qu'il ôte à l'homme sa liberté et donc sa possibilité d'aimer vraiment. Dans l'expérience de la souffrance qui émane du péché, nous vérifions la conséquence de la faute de l'homme dans toutes ses implications.

Tu n'as pas encore réalisé quel poids a le péché (formule d'Anselme de Cantorbéry), tu n'as pas encore saisi que justement le poids inconcevable du péché réside en ce qu'il est l'une des causes de la souffrance, de la détresse et des larmes.

Au vu des excès de la souffrance qui règne partout [...] ne devrions-nous pas percevoir ce que signifie la faute, de quel poids elle pèse et combien nous-même et les autres sommes impliqués en elle et dans sa conséquence : la souffrance. [...] La faute humaine a le pouvoir d'agir à une telle profondeur que c'est elle qui creuse pour nous-mêmes et avant tout pour les autres cet océan de souffrances !» (R.Guardini, Lettre à un ami à propos de théologie, Munich, 1976)

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Re: La question du Diable.

Message non lu par Olivier C » jeu. 12 avr. 2012, 23:57

Mais cette idée part du principe selon moi que Dieu ne veuille plus sauver à un moment donné. Il y a un cercle vicieux s’il n’y a plus d’intervention extérieure pour l’en sortir, à savoir Dieu.
Ma contribution à ce topic... par un article, comme bien souvent : Quel est l’objet du péché des anges ?

Et surtout : La situation des damnés vue par le Père Garrigues
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Re: La question du Diable.

Message non lu par Cinci » ven. 13 avr. 2012, 5:31

Il y a là une phrase-clé :
qu’on ne me parle pas de la possibilité de s’égarer comme de la manifestation d’un merveilleux amour qui respecte un tel choix comme ayant pu le souhaiter dans le don du libre-arbitre
Si j'inverse le sens afin de mieux saisir :
  • «Le merveilleux amour consisterait donc à ne pas permettre que l'homme puisse s'égarer durablement, et pour ne pas pouvoir revenir vers Dieu jamais. Le fait qu'il existerait un si grand danger de perdition pour l'homme en principe signerait plutôt la présence d'une représentation de Dieu qui ne serait pas Amour. Et alors l'éventualité de l'enfer condamnerait Dieu. Je ne peux pas concilier mentalement Dieu-Amour avec l'enfer. C'est l'un ou l'autre, non pas les deux.»
Alors que la réponse pourrait être qu'il y a un enfer mais parce que Dieu est Amour justement. Et ce qui est proprement terrifiant à vous glacer le sang serait le péché; ce dont on se moque comme d'une guigne. Le poids du péché en soi et qui relate notre propre capacité réelle de refuser Dieu, notre capacité à ne rien vouloir savoir de Dieu définitivement. C'est ce qui est effrayant. On retrouverait là notre bon vieux curé d'Ars qui ne pouvait pas se faire à l'idée : «Maudit de Dieu !» Être assez bête et méchant pour réussir à passer à côté de la vie divine, et pourtant savoir la chose possible.

Il y a un enfer possible mais parce que Dieu est Amour serait aussi le point de vue du père Garrigues apparemment (oui, merci ! la page est intéressante)

[...]



(reprise) :

  • Tu sais, didyme, j'étais en train de me demander si la difficulté ne proviendrait pas d'une affaire de pré-jugement personnel, en rapport à notre représentation de Dieu ou au jugement de Dieu [que l'on imagine] sur nous ? Il me semble que dans le résumé que Giorgios («le pélerin») peut faire du texte de Gesché, puis concernant cette notion de péché des origines : il serait une clé de compréhension relativement au mérite et démérite.
[/size]



http://exegeseettheologie.wordpress.com ... partie-12/

Il se trouve quatre points sous le thème ''Responsabilité partielle de l'homme''.

Or nous disions qu'il y a le volet impersonnel aux choses, le volet personnel aussi. On ne peut évidemment pas mériter ou démériter en rapport à ce qui est impersonnel. Il y a bien deux aspects à notre expérience.

Voici :

L’apprentissage de la liberté. “La doctrine du péché originel comme responsabilité est celle d’une responsabilité de liberté. En effet, parler de responsabilité, c’est oser payer le prix de l’envers de la fatalité […]. Dire que le mal n’appartient pas ontologiquement à la nature des choses, c’est dire […] que le mal est, pour une part, introduit par la responsabilité de l’homme. C’est le thème de la désobéissance et de la transgression. Pour une part, l’homme a introduit sinon le mal (cela, c’est le serpent), en tout cas la faute, le consentement à ce mal venu d’ailleurs. Là se place la responsabilité.” (p. 110) Le “jugement de culpabilité m’indique que je suis responsable ; et si je suis responsable, j’apprends les chemins de la liberté. […]” (p. 111)

♦ Défatalisation et maîtrise partielle du mal. “En mettant pour une part le mal dans les mains de l’homme, il a du même coup, non seulement défatalisé le mal, mais aussi assuré de quelque manière à l’homme la maîtrise du mal. En effet, si le mal ne vient pas seulement d’ailleurs, mais aussi de moi, c’est que j’en ai une certaine maîtrise, c’est que je pourrais ne pas le commettre, c’est que j’aurais pu ne pas le commettre.” (p. 110-111)


Il y a une clé là-dedans, en ce sens que la présentation des choses qui est faite ici révèle que la notion de mérite ou démérite ne constitue pas un poison toxique, mais participe d'une doctrine libératrice. Responsabilité (même partielle) dans le mal commis (= démérite) mais signe en même temps qu'il est possible de se relever (=mérite). La participation de l'homme à ce qui lui arrive est chevillée au mérite/démérite.

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Re: La question du Diable.

Message non lu par Didyme » dim. 15 avr. 2012, 23:37

Cinci a écrit :«... chez Kant nous trouvons un texte tardif intitulé : Sur l'échec de tous les essais philosophiques en théodicée. Pour lui cet échec se fonde en fin de compte sur l'aveu que notre raison n'a tout simplement pas les moyens de saisir la relation que le monde, tel que notre expérience nous permet de le connaître, entretient avec la Sagesse suprême. Autrement dit, l'homme, dans sa recherche de la compatibilité de la souffrance avec la bonté de Dieu, se mesure à une tâche hors de sa portée. Nous ne pouvons pas saisir pourquoi Dieu a crée un monde voué au mal et à la souffrance et ne préserve aucune de nos vies de quelques souffrances que ce soit. Dans la théologie récente Karl Rahner s'inspire de cette idée quand il souligne l'inconcevabilité de la souffrance fait partie de l'inconcevabilité de Dieu. Oui, le caractère impénétrable de la relation qui lie bonté de Dieu et souffrance de l'homme est pour le croyant un argument de poids pour rendre les armes devant le mystère de l'incompréhensible transcendance divine. C'est pourquoi ce mystère ne peut être dévoilé. La question doit rester sans réponse. Car toute réponse définitive serait une idôle et de ce fait inadéquate à la dimension du problème, remarque Regina Ammicht, tout à fait dans la ligne de Rahner» (Gisbert Greshake, Pourquoi l'amour de Dieu nous laisse-t-il souffrir ? Paris, Les éditions du Cerf, 2010, 100 p.)
Ça me donne envie de citer sainte Julienne de Norwich.
Un premier passage qui m’amène à penser que Dieu n’est jamais totalement absent de notre liberté
(Le Christ s’adressant à Julienne) « Vois ! Je suis Dieu. Vois ! Je suis en toute chose. Vois ! Je fais toute chose ! Vois ! Je ne retire jamais ma main de mes œuvres, et jamais je ne la retirerai dans les siècles des siècles. Vois ! Je conduis toute chose à la fin que je lui ai assignée de toute éternité, avec la même puissance, la même sagesse, le même amour que lorsque je l’ai créée. Comment pourrait-il se faire qu’aucune soit mauvaise ? »

(suite à l’affirmation du Seigneur que tout finira bien) « Contemplant cet état de choses, dans l’angoisse et l’affliction, je dis, en esprit, à Notre-Seigneur avec un grand effroi : « Mon bon Seigneur, comment pourrait-il se faire que tout aille bien, vu le grand mal que le péché cause à tes créatures ? » Je désirais, dans mon audace, quelque déclaration plus claire qui me tranquillisât. Notre bien-aimé Seigneur me répondit tout doucement, d’un regard tout aimant : « Le péché d’Adam fut le plus grand mal qui ait jamais été commis, ou le sera jamais, jusqu’à la fin du monde. Toute la sainte Eglise sur terre le sait bien », me révéla-t-il.
Puis il m’apprit à bien regarder la glorieuse satisfaction offerte pour ce mal, car cette réparation est plus agréable à la bienheureuse divinité et, sans comparaison, plus honorable pour le salut de l’homme que n’a été nuisible le péché d’Adam. Ce que Notre-Seigneur bien-aimé veut dire, c’est que nous devrions prêter grande attention à son enseignement : « Puisque j’ai changé en bien le mal le plus grand, c’est ma volonté que vous sachiez que je changerai en bien tout ce qui est un mal moindre »

« Notre bon Seigneur dit une fois : « Toutes choses finiront bien. » Une autre fois, il dit : « Tout tournera en bien ; tu le verras toi-même. » En ces deux paroles, mon âme comprit des enseignements divers. (…)
Il y a une œuvre que la très sainte Trinité accomplira au dernier jour, d’après ce que je vois. Ce que sera cette œuvre, et comment elle sera, nulle créature inférieure au Christ ne le sait, et ne le saura, avant son accomplissement. La bonté et l’amour de Notre-Seigneur veulent que nous en sachions l’existence, mais sa puissance et sa sagesse, en vertu de ce même amour, veulent nous voiler et cacher ce qu’elle sera et comment elle s’accomplira. Car si Dieu veut nous la faire connaître, c’est par volonté de voir nos âmes, plus à l’aise, plus paisibles dans l’amour, cesser de fixer leur regard sur toutes les tempêtes qui nous empêchent de nous réjouir en lui, dans la vérité. Telle est la grande œuvre ordonnée par Notre-Seigneur de toute éternité, trésor profondément caché en son sein béni et connu de lui seul. Par cette œuvre, il fera en sorte que tout finisse bien, car de même que la très sainte Trinité a crée toutes choses du néant, de même elle rendra bonnes toutes choses qui ne le sont pas. Voyant cela, je m’étonnai fort. Je considérai notre foi et je me dis : notre foi est enracinée dans la parole de Dieu, et dans notre foi nous devons croire que la parole de Dieu s’accomplira en toutes choses. Selon un article de cette foi, beaucoup d’âmes seront damnées, comme le furent les anges qui, par orgueil, tombèrent du ciel et maintenant sont des démons. Nombreux sur terre sont ceux qui meurent hors de la foi de la sainte Eglise, à savoir les païens et tant de baptisés qui vivent une vie non chrétienne, et donc meurent hors de la charité. Tous ceux-là seront condamnés à l’enfer éternel, selon l’enseignement de foi de la sainte Eglise. Je jugeai donc impossible que tout pût finir bien, ainsi que Notre-Seigneur me le montrait en ce temps-là. La seule lumière que je reçus de Notre-Seigneur en sa révélation fut cette phrase : « Ce qui t’est impossible ne me l’est pas. Ma parole s’accomplira en tout. Je tournerai tout en bien. » J’appris donc, par la grâce de Dieu, qu’il fallait me tenir fermement dans la foi, comme je l’avais compris précédemment, et là croire avec non moins de fermeté que toutes choses finiront bien, ainsi que Notre-Seigneur me l’a montré, car telle est la grande œuvre que Notre-Seigneur fera, accomplissant sa parole en toutes choses. »
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Re: La question du Diable.

Message non lu par Didyme » lun. 16 avr. 2012, 0:21

Cinci a écrit :Non pas ''souhaité'' en ce cas, mais plus comme une responsabilité que Dieu assume lui-même [comme étant l'Être libre qui crée des être libres et pouvant s'adonner au mal par le fait même] et en terme de souffrance de son côté par rapport aux égarés. La manifestation d'un merveilleux amour ne réside pas dans le fait de prendre son parti de la destruction de tel et tels. La manifestation le serait, mais en ce que Dieu prend sur Lui la souffrance du relationnel brisé et dans le fait qu'il ne se résout justement pas à la perte définitive de tel et tels. L'enfer existe (condition souffrante) parce qu'il y a l'amour de Dieu. Il s'agit d'une conséquence et comme du fait de la patience divine.
J’avais cru lire quelque part qu’il ne pouvait y avoir de souffrance en Dieu.
Et c’est vrai qu’une telle idée me laisse perplexe que d’imaginer un manque, une souffrance en Dieu pour l’éternité ?!
Cinci a écrit :Il y a là une phrase-clé :
qu’on ne me parle pas de la possibilité de s’égarer comme de la manifestation d’un merveilleux amour qui respecte un tel choix comme ayant pu le souhaiter dans le don du libre-arbitre
Si j'inverse le sens afin de mieux saisir :
  • «Le merveilleux amour consisterait donc à ne pas permettre que l'homme puisse s'égarer durablement, et pour ne pas pouvoir revenir vers Dieu jamais. Le fait qu'il existerait un si grand danger de perdition pour l'homme en principe signerait plutôt la présence d'une représentation de Dieu qui ne serait pas Amour. Et alors l'éventualité de l'enfer condamnerait Dieu. Je ne peux pas concilier mentalement Dieu-Amour avec l'enfer. C'est l'un ou l'autre, non pas les deux.»
Je ne suis pas sûr que tu ais bien saisi en fait.
Bien sûr que l’amour implique que l’homme puisse s’égarer du fait de la nécessité du libre-arbitre indispensable à la relation, à l’amour entre Dieu et la créature. Si Dieu ne permettait pas que l’homme puisse s’égarer alors cela signifierait que Dieu n’a pas fait don du libre-arbitre, ce qui rend impossible l’amour. Le problème n’est pas dans le fait de permettre l’égarement via le libre-arbitre mais de le considérer comme la finitude, l’accomplissement, la réalisation. Presque comme pouvant être la volonté de Dieu sous couvert de l’amour.

C’est Dieu qui crée, personne d’autre et Dieu ne crée pas pour la perdition à ce que je sache. Si la créature est égarée, doit-on accepter qu’elle soit égarée à jamais ? Nous parlons ici d’égarée et non pas d’accomplie, tu vois ce que je veux dire ?
Ce qui me fait buter dans votre affirmation, c’est de dire que par amour, Dieu accepte de laisser sa créature égarée ?! Par amour ne devrait-il pas au contraire tout faire pour ramener la créature de son égarement. Vous me direz qu’il le fait mais en affirmant pourtant qu’au final, il resterait certaines créatures qui demeureraient dans le rejet de Dieu. Que ce rejet de la créature soit quelque chose d’irrémédiable et que Dieu ne puisse faire autrement que de l’accepter (rien que la phrase me choque « Dieu ne puisse pas ?! ») paraîtrait compréhensible. Mais dire que parce que la créature, sous prétexte d’une liberté (parce que je n’ai pas dans l’idée qu’il existe une liberté autre qu’en Dieu), refuse Dieu alors celui-ci, sous prétexte d’amour, respecterait ce choix est beaucoup plus discutable.

Je le répète, pour maintenir une telle position, il faut pouvoir affirmer qu’il y a des créatures qui puissent être d’une nature différente de Dieu, indépendante pour que cet égarement soit quelque chose d’irrémédiable comme d’une immutabilité de la créature dans ce qu’elle serait vraiment.
Il faut pouvoir affirmer que Dieu puisse créer des créatures qui ne soient pas fondamentalement bonnes.
Je me rappel d’ailleurs le texte du cardinal Von Balthasar que tu m’avais donné où il disait que le Christ dans sa mort, dans sa descente aux enfers, avait été dans nos plus profonds abysses, nos plus profondes ténèbres pour nous en extirper. Comment ne pourrait-il pas en extirper certains ? Comment quelque chose pourrait-il donc être impossible à Dieu ? La créature a su déchoir, pourquoi ne pourrait-elle plus jamais choir ?

Par ailleurs, il demeure la question du pourquoi la résurrection avec des corps incorruptibles si l’amour impliquerait tellement de vouloir (et non pas de permettre) la possibilité de s’égarer ?

Et je me demande également pourquoi la passion, cette victoire sur Satan, sur le péché, ce rachat de l’humanité si l’égarement est quelque chose de tout à fait acceptable, naturelle pourrait-on dire. Quel sens conserve l’œuvre du Christ avec une telle approche ?

Pour moi, l’égarement reste l’à côté du libre-arbitre, son talon d’Achille mais pas sa vocation.
Mais l’égarement à son bon côté, à savoir revenir à Dieu en connaissance de cause, l’expérimentation.
La possibilité de l’égarement je comprends mais c’est d’en faire un absolue qui m’échappe.
Cinci a écrit :Alors que la réponse pourrait être qu'il y a un enfer mais parce que Dieu est Amour justement. Et ce qui est proprement terrifiant à vous glacer le sang serait le péché; ce dont on se moque comme d'une guigne. Le poids du péché en soi et qui relate notre propre capacité réelle de refuser Dieu, notre capacité à ne rien vouloir savoir de Dieu définitivement. C'est ce qui est effrayant. On retrouverait là notre bon vieux curé d'Ars qui ne pouvait pas se faire à l'idée : «Maudit de Dieu !» Être assez bête et méchant pour réussir à passer à côté de la vie divine, et pourtant savoir la chose possible.

Il y a un enfer possible mais parce que Dieu est Amour serait aussi le point de vue du père Garrigues apparemment (oui, merci ! la page est intéressante)
Je ne dis pas le contraire en fait. Enfin, il me semble.
Cinci a écrit :Le “jugement de culpabilité m’indique que je suis responsable ; et si je suis responsable, j’apprends les chemins de la liberté. […]” (p. 111)
Oui j’aime bien cette phrase. N’est-ce pas ça l’histoire de la vie humaine, apprendre ?
Mais on apprend pour progresser.
Cinci a écrit :Dire que le mal n’appartient pas ontologiquement à la nature des choses, c’est dire […] que le mal est, pour une part, introduit par la responsabilité de l’homme. C’est le thème de la désobéissance et de la transgression. Pour une part, l’homme a introduit sinon le mal (cela, c’est le serpent), en tout cas la faute, le consentement à ce mal venu d’ailleurs.
Il me semble que cette citation dit quelque part ce que je tente de dire, que ce mal n’appartient pas ontologiquement à l’ordre des choses, ce mal venu d’ailleurs et que pourtant, on semble faire pouvoir devenir la nature même de certaines créatures.
Et en même temps, en y réfléchissant, je dois bien reconnaître que le péché n’a pas d’existence propre pour être venu, comme quelque chose d’extérieur, se présenter à la créature. Surtout en ce qui concerne les anges pour qui le péché n’était pas encore apparu. On ne peut pas dire qu’il fasse partie de la création de Dieu et pourtant il vient de la création de Dieu. :?:
Cinci a écrit :Il y a une clé là-dedans, en ce sens que la présentation des choses qui est faite ici révèle que la notion de mérite ou démérite ne constitue pas un poison toxique, mais participe d'une doctrine libératrice. Responsabilité (même partielle) dans le mal commis (= démérite) mais signe en même temps qu'il est possible de se relever (=mérite). La participation de l'homme à ce qui lui arrive est chevillée au mérite/démérite.
Je peux le concevoir, que Dieu nous partage le mérite ou le démérite, nous fait participer. Un peu comme par la foi, nous faisons les œuvres qu’il a d’avance préparées pour nous (comme dirait Bertrand du TopC ;) ).
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Re: La question du Diable.

Message non lu par Didyme » lun. 16 avr. 2012, 0:33

Olivier C a écrit :
Mais cette idée part du principe selon moi que Dieu ne veuille plus sauver à un moment donné. Il y a un cercle vicieux s’il n’y a plus d’intervention extérieure pour l’en sortir, à savoir Dieu.
Ma contribution à ce topic... par un article, comme bien souvent : Quel est l’objet du péché des anges ?

Et surtout : La situation des damnés vue par le Père Garrigues
Intéressante et instructive l'approche du péché de l'ange par saint Thomas d'Aquin dans l'article 3 de sa Somme Théologique.

L'article en rapport à Catherine de Sienne est également très intéressant mais j'en reviens toujours à buter sur l'idée qu'il puisse exister des créatures qui disent définitivement non à Dieu malgré que celui-ci ne cesse de les "poursuivre".
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Re: La question du Diable.

Message non lu par Olivier C » lun. 16 avr. 2012, 0:50

Didyme a écrit :... mais j'en reviens toujours à buter sur l'idée qu'il puisse exister des créatures qui disent définitivement non à Dieu malgré que celui-ci ne cesse de les "poursuivre".
Nous avons du mal à conceptualiser ce que pourrait être une liberté définitivement "fixée" dans un choix libre. Et pour cause : soumis que nous sommes à notre fluctuation psychologique entre le bien et le mal, fluctuation induite par notre nature à la fois spirituelle et matérielle, fluctuation que n'ont pas connu les anges au moment de poser leur choix...
Je suis un simple serviteur, je ne fais que mon devoir.

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