Pèlerindu35 :
Auriez-vous d'autres de leurs ouvrages à me conseiller?
Boèce,
La consolation de la philosophie En 2017, sur ce forum, lors d'un échange à propos du libre-arbitre, j'avais mentionné cet ouvrage une première fois.
Extrait :
Boèce,
La consolation de la philosophie, Paris, Les Belles Lettres, 2002, pp. 129-144
Si la prescience n'impose aucune nécessité aux événements futurs, quelle est la raison pour laquelle les choses qui dépendent de la volonté pourraient être contraintes?
Pour les besoins de l'argumentation, et afin que tu puisses voir les conséquences, supposons qu'il n'y ait pas de prescience. Est-ce que, dans ce cas, les choses qui dépendent du libre arbitre seraient contraintes à la nécessité? Non. Supposons maintenant qu'il existe une prescience, mais qu'elle n'impose aucune nécessité aux choses; il demeurera, à mon avis, le même libre arbitre, entier et absolu.
Mais la prescience, diras-tu, même si elle ne constitue pas pour les choses futures une nécessité de se produire, est cependant un signe qu'elles se produiront nécessairement. De cette manière, donc, même s'il n'y avait pas eu de prescience, il serait certain que la réalisation des choses futures est nécessaire; car le signe ne fait que montrer ce qui est, il ne produit pas ce qu'il signifie.
[Explication]
Il y a beaucoup de choses que nous voyons se faire sous nos yeux, par exemple les manoeuvres du conducteur de char qui guide son quadrige et le fait virer, et tout le reste. Y a-t-il une nécessité qui force tout cela à se faire ainsi? Non. La technique ne servirait à rien, si tout le mouvement était déjà fixé. Donc, ce qui se produit sans aucune nécessité est, avant de se produire, un futur sans nécessité. Et ainsi, il y a des événements futurs dont la réalisation échappe à toute nécessité. Car je pense que personne ne dira que ce qui se produit maintenant n'était pas à venir avant de se produire; donc, même connu d'avance, cela se produit donc librement. Car de même que la connaissance du présent n'impose aucune nécessité à ce qui arrive, de même, la prescience du futur n'en impose aucune à ce qui est à venir.
Cela paraît contradictoire, et tu pense que s'il y a prévoyance, il y a conséquemment nécessité, que s'il n'y avait pas de nécessité, il n'y a pas de prescience et que rien ne peut être saisi par la connaissance que ce qui est certain.
La cause de cette erreur est dans l'idée commune que toute notre connaissance des choses nous vient de leurs caractéristiques naturelles. Mais c'est tout le contraire : car ce qui règle toujours la connaissance que l'on a d'une chose, ce ne sont pas les caractéristiques de cette chose, mais bien plutôt la faculté cognitive.
et
La connaissance divine, éternelle, voit le passé et le futur sans porter atteinte au libre arbitre de l'homme
Puisque donc, comme on vient de le montrer, ce qui permet de saisir un objet de connaissance n'est pas sa propre nature, mais les capacités de celui qui le comprend, examinons maintenant, dans la mesure du possible, ce qu'est en soi la substance divine, pour pouvoir reconnaître en même temps quelle connaissance est la sienne.
Dieu est éternel ; c'est l'opinion commune de tous les êtres raisonnables. Voyons donc ce qu'est l'éternité; car c'est elle qui nous montre à la fois la nature et la connaissance de Dieu.
L'éternité est la vie sans fin possédée à la fois tout entière et de façon parfaite [...] C'est donc ce qui embrasse et possède d'un seul coup toute la plénitude d'une vie sans fin, sans absence de futur, sans écoulement du passé, que l'on tient avec raison pour éternel, et qui est nécessairement aussi bien maître de son propre présent et possesseur dans le présent du temps qui se déroule sans fin.
Donc, puisque tout jugement appréhende les choses qui sont ses objets selon sa propre nature, et puisque Dieu a une nature toujours éternelle et présente, sa connaissance aussi, surpassant tout mouvement de temps, est permanente dans l'unicité de son présent, et, embrassant tous les espaces infinis du futur et du passé, les considère dans son mode de connaissance simple comme s'ils étaient en train de se produire maintenant. C'est pourquoi, si tu veux considérer la prévoyance grâce à laquelle il connaît toutes choses, tu seras davantage dans le vrai en estimant que ce n'est pas une prescience, comme si elle s'appliquait au futur, mais la connaissance d'un instant présent qui ne passe jamais.
Pourquoi veux-tu donc que le regard divin rende nécessaires les choses sur lesquelles il brille, alors que le regard humain ne rend pas nécessaires celles sur lesquelles il se pose? Les événements présents que tu vois, est-ce que ton regard leur impose quelque nécessité? Pas du tout.
Pourtant, s'il existe un rapport que l'on puisse faire entre le présent humain et le présent divin, celui-ci voit toutes choses dans son éternité comme vous en voyez quelques unes dans votre présent temporel. C'est pourquoi cette prescience divine ne change pas les caractéristiques naturelles des choses, et voit comme présents dans son éternité les événements qui se produiront à un moment du temps.
Dieu ne mélange pas ses jugements, il distingue en un seul regard de son intelligence aussi bien les événements nécessaires que les non nécessaires, comme vous, lorsque vous voyez en même temps l'homme marcher sur la terre et le soleil se lever dans le ciel, bien que la vue des deux soit simultanée, vous les distinguez pourtant, et jugez que l'un est volontaire, tandis que l'autre est nécessaire. C'est ainsi que le regard divin voit clairement toutes choses : il ne bouleverse aucunement leurs caractéristiques, et elles sont présentes de son point de vue, mais à venir du point de vue temporel. Il ne s'agit donc pas d'une opinion, mais bien plutôt une connaissance fondée sur la vérité, lorsque Dieu connaît que quelque chose sera, sans ignorer que cela n'a pas de nécessité de se produire.
Si la Providence voit quelque chose comme présent, il est nécessaire que cette chose soit, bien qu'elle n'y soit contrainte par aucune nécessité naturelle. Cependant Dieu voit comme présents les événements futurs qui dépendent du libre arbitre : ces événements, donc, si on les rapporte à la vision divine, deviennent nécessaires par l'intermédiaire de la condition de la connaissance divine, mais considérés en soi, ils ne perdent pas l'absolue liberté de leur propre nature. C'est pourquoi il est hors de doute que se réaliseront tous les événements dont Dieu connaît par avance qu'ils se produiront, mais que parmi eux certains relèvent du libre arbitre; et ceux-ci, même s'ils viennent à être et à se produire, ne perdent pourtant pas leur nature propre par laquelle, avant de se produire, ils pouvaient aussi ne pas se réaliser.
[...]
C'est aussi de cette manière que ce qui est présent pour Dieu se produira sans aucun doute, mais que tel de ces événements dépend de la nécessité, tel autre du libre pouvoir de ses acteurs.
Mais, diras-tu, s'il est en mon pouvoir de changer d'intention, je viderai la providence de son objet, puisque je changerai peut-être ce dont elle a la connaissance préalable. Je répondrai que bien sûr tu peux modifier ton intention : mais puisque la vérité de la providence voit tout aussi bien comme présent que tu le peux et si tu vas le faire et quel changement tu vas faire, tu ne peux éviter la prescience divine, de sorte que tu ne saurais échapper au regard d'un oeil présent, même si, par libre volonté, tu changeais tes actions pour les rendre différentes.
Quoi donc? diras-tu, est-ce que sont mes dispositions qui vont changer la connaissance divine, et la verra-t-on alterner ses formes de connaissance selon que j'aurai tantôt telle volonté, tantôt telle autre? Pas du tout. En effet, la vision divine précède le futur et le ramène de force au présent de sa propre connaissance; elle ne fait pas alterner, comme tu le crois, ses formes de préconnaissance, mais, dans sa permanence, elle prévient et embrasse d'un seul coup tes changements. Cette manière de tout saisir et de tout voir comme présent, ce n'est pas de la réalisation du futur, mais de sa propre unicité que Dieu la tire.