(Votre répartie est amusante)
Un observateur perspicace écrivait ceci à propos des lettres aux églises :
" ... en fait la présence, en ces lettres, de références à l'Ancien Testament s'explique fort bien à la lumière de la préoccupation centrale de l'auteur de l'Apocalypse : montrer dans la venue et l'oeuvre du Christ l'accomplissement et, à la fois, le dépassement de l'économie vétérotestamentaire. Les références bibliques s'éclairent en effet si elles composent réellement un sommaire de l'histoire du salut, car alors elles sont un nouveau développement du thème que, dès le début, Jean s'est proposé de traiter (la Révélation de Jésus-Christ : 1,1) Dans le schéma tripartie qui structure les lettres, on pourrait même voir se refléter "les choses que tu as vues, qui sont et qui vont s,accomplir après celles-ci" (1,19), autrement dit le mystère des étoiles et des chandeliers, le judaïsme débouchant dans le christianisme.
L'histoire du salut
Cherchons donc à tirer des lettres des données qui, une fois rassemblées, constituent les points saillants d'un sommaire d'histoire du salut.
La première lettre (à Éphèse) mentionne un abandon de l'amour premier, une chute et une endurance à la peine. Tout cela fait penser, plutôt qu'à la situation d'une église relativement jeune, à la longue histoire de l'humanité depuis les origines. Et à la chute d'Adam renvoie la promesse faite au vainqueur de "manger de l'arbre de vie qui est dans le paradis de Dieu" (2,7).
La lettre à Smyrne décrit un situation de persécution, de pauvreté et d'hostilité de la part des Juifs devenus "synagogue de Satan" . C'est sans doute l'expérience que vit l'église locale. Mais il n'est pas impossible que cette description soit filtrée, pour ainsi dire, à travers la réminiscence d'une autre situation de persécution et de misère, celle des Hébreux en Égypte. A cela pourrait en effet renvoyer l'épreuve des dix jours qui attend la communauté, allusion probable aux dix plaies qui ont précédé la délivrance d'Égypte (Ex 7,14)
Dans la lettre à Pergame, on discerne des allusions au séjour des Hébreux dans le désert : l'épisode de Balaam et Balaq, la "manne cachée". et la pierre blanche avec le nom gravé. Cette dernière rappelle peut-être les deux pierres marquées des noms des tribus d'Israël que le Grand prêtre portait sur les épaulettes de l'éphod. Au désert se réfère sans doute la définition du lieu où habite la communauté : là où Satan a son trône, car dans l'Apocalypse l'endroit où Satan exerce sa violence (la tentation) est le désert.
Dans la lettre à Thyatire, l'état prospère de la communauté se référait, selon divers commentateurs, aux temps glorieux du royaume hébreu. En particulier, serait évoqué ici le règne de Salomon, plus splendide que celui de David mais altéré par la présence des concubines du roi, étrangères et idolâtres, qui sont récapitulées ici en Jézabel , la femme cruelle du roi Achab, étrangère et idolâtre elle aussi. Dans la lettre à Thyatire, le royaume hébreu est donc décrit à l'apogée d'une spendeur qui contenait déjà les germes de la corruption religieuse et de la ruine future du peuple.
La lettre à Sardes, semble refléter l'état de désolation qui a suivi la destruction des deux royaumes d'israël et de Juda. La communauté est comme morte, sauf pour un petit nombre (ce qui reste : 3,2) On pense spontanément au reste d'Israël dont parle Isaïe ou à la vision des ossements desséchés en Ézechiel (Ez 37).
La communauté de Philadelphie est elle aussi petite et faible, mais le Christ la loue pour sa persévérance dans la foi et lui annonce sa venue proche. Dans cette lettre, surtout dans les promesses au vainqueur, les images évoquent l'idée d'édifice, de construction : clef, porte, colonne du temple, cité de Dieu, Jérusalem céleste. Y aurait-il là des allusions à la période du retour de l'exil et à la reconstruction de la Cité sainte et du Temple ?
La dernière lettre à Laodicée, a posé de grandes difficultés tant aux partisans de la lecture réaliste qu'à ceux de l'interprétation prophétique. Pour les uns et les autres, il s'agit d'expliquer de manière plausible le ton âpre de condamnation propre à ce texte [...] Dans les deux cas, aucune vérification n'est possible. Les exégètes qui ont réfléchi sur les références bibliques contenues dans les sept lettres sont, eux aussi, étrangement hésitants pour ce texte et n'ont pu avancer aucune explication satisfaisante.
Toutefois, si la ligne d'interprétation que nous avons exposées jusqu'ici est tant soit peu fondée, la lettre menaçante à Laodicée trouve une explication acceptable : elle exprimerait un jugement de condamnation contre le judaïsme qui n'a pas reconnu en Jésus le Messie annoncé par les Écritures. La communauté est réprimandé d'être tiède. Cet adjectif ne désigne pas (comme dans l'usage moderne) un manque de ferveur mais le légalisme, où l'honneur est rendu à Dieu des lèvres et non du coeur, par des pratiques extérieures et non en esprit et vérité. Tout cela, naturellement, pouvait être le cas de Laodicée. Que signifie donc l'or purifié par le feu que la communauté doit acheter ? Dans l'Apocalypse, l'or est étroitement associé avec la divinité : tout ce qui l'entoure ou la concerne (trône, autel ...) est d'or. Acheter de l'or auprès du Christ veut donc dire le reconnaître comme Dieu. Comment alors justifier la précision "purifié au feu" (ou à travers le feu) ? D'ordinaire on entend ce qualificatif comme une allusion à l'épreuve par laquelle doit passer celui qui garde la parole de Dieu, mais ce sens n'est que dérivé. Dans l'Ancien Testament, "être purifié au feu" est un trait qui caractérise la parole de Dieu dans sa pureté absolue et son incorruptibilité (cf. Ps 18,31; Pr 30,5)
En invitant la communauté à acheter auprès de lui de l'or purifié au feu, le Christ s'offre lui-même comme récapitulant en sa personne la parole de Dieu. Et il n'est pas absurde de voir dans l'épreuve subie par cette parole une allusion à l'incarnation de Jésus et surtout sa mort. Quant aux "vêtements blancs" ils sont associés dans l'Apocalypse à la vie nouvelle apportée par le Christ. Le collyre pour oindre les yeux et voir clair est le don, que le Christ accorde, de discerner en lui l'accomplissement des promesses consignées dans les Écritures. En somme, l'or et les vêtements blancs sont le contenu de la Bonne nouvelle, le collyre est la capacité de le reconnaître.
Avec le message à Laodicée, la patiente pédagogie du Christ en faveur du peuple hébreu, qui s'était déployée au cours de l'Ancien Testament à travers la Loi et les prophètes, parvient à son terme. L'avènement messianique est proche désormais : "Je me tiens à la porte et je frappe; si quelqu'un écoute ma voix et ouvre la porte, j'entrerai chez lui et je prendrai le repas avec lui et lui avec moi" (3,20)
C'est précisément parce qu'il s'agit de l'admonestation ultime que le ton ici est tellement sévère. Quand, pour instruire indirectement les fidèles de Laodicée, Jean note les paroles du Christ au peuple élu, la menace contre ce dernier ("Je vais te vomir de ma bouche") s'est déjà réalisé : ayant refusé Jésus, les Juifs sont restés extérieurs à l'Église. Ils avaient besoin de ce qui est nécessaire au salut, et ils se vantaient de tout posséder : "Je suis riche, j'ai atteint le sommet de la richesse, je n'ai besoin de rien." Ce sont, à peu de choses près, les mots que Jean fait dire à Babylone avant sa ruine (18,7).
Source : Eugenio Corsini
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