ti'hamo :
ti'hamo a écrit : J'ajoute ici un commentaire bien à part du reste, car il me semble porter sur un point général de mode de raisonnement.
Vous dites, en fait, qu'on ne peut mettre en doute une hypothèse QUE SI on en a une autre à proposer en remplacement.
Or, c'est faux.
Si on se rend compte qu'une théorie que l'on pensait valable, vraie, se révèle incohérente, non fonctionnelle, et incompatible avec les faits,
Ou qu'elle s'applique bien à un domaine mais se trouve totalement insuffisante et incohérente avec les faits à un autre niveau d'observation,
alors on DOIT la reconnaître invalide, soit totalement soit pour un domaine d'observation précis,
MÊME SI on ne voit pas encore par quoi la remplacer
Ah mais je suis parfaitement d'accord : si on n'a qu'une hypothèse et qu'on la réfute, il faut la rejeter. Seulement, la réfuter, c'est précisément ce que vous ne faites pas : vous vous contentez de dire qu'"on peut toujours imaginer qu'il y a autre chose". Bien sûr qu'on peut toujours imaginer qu'il y a autre chose ! On peut aussi imaginer que mes crayons se mettent tous à léviter à partir d'aujourd'hui 15 h 37, invalidant ainsi la mécanique, mais c'est précisément à cela que sert le principe de parcimonie : à favoriser les hypothèses vraiment explicatives sur les élucubrations ad hoc farfelues bricolées pour coller aux données (sans parler des appels à l'ignorance : "on pourrait toujours imaginer une élucubration ad hoc farfelue qui...")
Vous rejetez, en exposant d'ailleurs les préjugés qui vous poussent à le faire, les scientifiques cités, arguant qu'ils n'ont pas écrit sur l'œil.
C'est un faux-sens, puisqu'ils étaient cités comme proposant d'autres explications à l'évolution que le darwinisme ; à l'évolution générale, et non pas spécifiquement celle de l'œil.
Du coup, cette objection de votre part est invalide.
"D'autres explications" dites-vous ? Reprenons encore une fois votre liste :
1) Si vous lisez Chauvin, Denton et Schutzenberger, c'est très exactement ce qu'ils ne font pas : proposer d'autres explications. Ils se contentent d'écrire : "le "darwinisme", c'est pas bien, il doit y avoir autre chose mais je ne vous dirai pas quoi" - sans avoir pour autant réfuté le "darwinisme" (bien qu'ils essayent) : il s'agit du bon vieil appel à l'ignorance.
2) De Duve et Conway Morris acceptent parfaitement les mécanismes usuels. C'est certainement par crainte pétrifiée de la police de la pensée, mais reconnaissez que comme façon de "proposer d'autres explications", il y a mieux.
3) Quant à Dambricourt, si vous parvenez à discerner quoi que ce soit qui s'apparente à un "mécanisme" dans ses textes sur l'"attracteur étrange", je suis preneur.
Et prenez ce que j'écris au mot : j'ai dit qu'aucun biologiste n'avait apporté d'arguments à l'encontre du schéma que j'ai présenté pour l'évolution de l'oeil (qui ne constitue qu'un ensemble de grandes lignes mais que chacun considère comme exactes). Je le maintiens.
Le plus simple pour expliquer l'évolution des espèces est de s'appuyer sur les forces observables à l'oeuvre dans la nature actuelle. Cela ne dispense pas d'en vérifier le pouvoir explicatif (le présent comme clé du passé, cela se teste rigoureusement) mais il est évident que ça place toute démarche alternative dans une position malaisée : il faut en appeler à des mécanismes inobservables, toujours non-spécifiés, et chercher à montrer qu'ils font mieux que les mécanismes existants. Ca ne signifie pas qu'il n'y ait pas de débats (au contraire !) ni qu'on comprenne parfaitement les forces à l'oeuvre dans la
nature actuelle, mais refuser le cadre général a été d'une stérilité superbe jusqu'à présent.
comme vous dites : au sein d'une population exploitant la même niche écologique, la sélection naturelle opère. Je suis d'accord, je n'ai pas dit le contraire. Une gazelle faible et myope a plus de risque de se faire becqueter qu'une forte et bien portante. Voilà l'évolution et l'adaptation, par sélection naturelle, au sein d'une espèce à un endroit donné.
Or, donc, si une espèce disposant d'un "nouveau caractère" survit et se développe, et que les espèces précédentes survivent et se développent, c'est DONC qu'elles n'occupent pas la même niche écologique. SINON l'ancienne espèce "moins bien adaptée", d'après l'hypothèse darwinienne, disparaîtrait, comme disparaissent nos gazelles maladives et myopes.
DONC, cela signifie que l'apparition d'une nouvelle espèce à partir d'une autre ne se fait PAS par compétition avec l'ancienne. En toute logique, en tout cas d'après ce que vous avez vous-même exposé.
Youpi.
Puisque, à cette observation, vous n'avez rien opposé, je la maintiens.
M'avez-vous lu ? J'ai écrit il y a longtemps déjà que l'apparition d'une nouvelle espèce exploitant de nouvelles ressources
n'était pas nécessairement un processus compétitif (ça peut néanmoins en être un en cas de changement subi de l'environnement, possibilité que vous négligez). Comment pourrait-il en être autrement ? Si ce n'était pas le cas, il n'y aurait qu'une espèce sur Terre !
Vous n'exposez absolument pas ce qui s'appelle "faire des prédictions", mais uniquement (MAIS c'est effectivement une première étape incontournable et il le fallait) la vérification de la cohérence interne de l'hypothèse, et de sa cohérence avec les faits connus. Ce qui n'est pas pareil que des prédictions.
Vous avez une étrange conception de ce qu'est une prédiction. Pourquoi devrait-ce être "prédire l'apparition de nouvelles espèces" ? Si vous relisez Popper, faire une prédiction consiste à prévoir les résultats d'une expérience non-réalisée dans le cadre d'une hypothèse donnée. C'est ce qui a été fait dans le cas de l'évolution de l'oeil cité ci-dessus. Notez bien que, pour toute prédiction réalisée, vous pouvez toujours dire : "Oui, c'est cohérent avec l'hypothèse, mais on peut toujours imaginer qu'il y ait autre chose d'inconnu qui donne comme par hasard exactement les résultats qu'on attendrait de l'hypothèse". On pourrait dire ça pour toute théorie scientifique, mais ce n'est précisément pas ainsi que procède la science. Comme c'est cet argument que vous employez pour les points 3, 4 et 5 je n'épilogue pas.
La "qualité" de la vision devrait-elle pas plutôt, en toute logique, et dans un esprit scientifique, et biologiste, se définir au vu des résultats qu'elle obtient, pour une espèce donnée pour un mode de vie donné ? La "bonne qualité" de vision, est une notion relative à ce dont l'animal a besoin comme vision.
Qui a la "meilleure qualité" de vision : le Chat ou l'Abeille ? Cette question n'aurait évidemment aucun sens, à moins que les chats ne se mettent à butiner, ou les abeilles à chasser les souris la nuit.
Vous confondez deux choses : la qualité de l'image, qui est une grandeur physique qui se mesure (et les yeux-caméras sont meilleurs que les yeux à facettes pour ça si vous voulez le savoir ; pour avoir une acuité visuelle comparable à la nôtre avec des yeux composés, nous devrions ressembler à
ça), et la qualité de l'image la plus adaptée à un animal ayant un mode de vie donné. Evidemment, il y a des cas où "meilleur" (au sens physique, quantitatif, d'une image plus nette) ne sera pas du tout synonyme de "préférable". Notez que je ne parle que de la netteté de l'image, dépendante de la structure anatomique de l'oeil, et non d'autres aspects comme la vision des couleurs qui dépend de la structure moléculaire de la rétine.
Les mêmes gènes du développement pour les ocelles et les yeux : alors d'accord. (cependant, je veux bien les références pour ma propre banque de données, s'il vous plaît).
Par exemple en ce qui concerne Pax-6 (l'exemple historique le mieux étudié de gène du développement de l'oeil), il contrôle le développement des ocelles des planaires (Loosli et al., Isolation of a Pax-6 homolog from the ribbonworm
Lineus sanguineus, PNAS, 1996), des ocelles des larves trochophores (Arendt et al., Development of pigment-cup eyes in the polychaete Platynereis dumerilii and evolutionary conservation of larval eyes in Bilateria, Development, 2002) et des yeux-caméras du calamar (Tomarev et al., Squid Pax-6 and eye development, PNAS, 1997). Les mêmes résultats ont été obtenus pour plusieurs autres gènes importants du développement de l'oeil (otx et sine oculis, entre autres).
Mais je ne vois pas DU TOUT le rapport entre cette remarque et l'observation des différentes formes d'œil : que je sache et jusqu'à preuve du contraire, une antilope bien-voyante et une antilope myope, disposent de la même structure d'œil et du même système de vision, l'un fonctionnant normalement et l'autre déficient.
Vous avez pourtant des espèces constitutivement myopes du fait de l'efficacité toute relative du cristallin : c'est une autre structure d'oeil, déficiente dans le contexte des antilopes mais valable dans d'autres. Cela dit, ce que je disais de la myopie vaut pour tout défaut de la vision : vous pensez qu'il n'existe pas de mutations qui abolissent la structure de l'oeil ?
C'est exactement comme si je vous demandais, entre une paire de jumelle et un microscope, lequel des deux est le plus efficace. La réponse, il me semble, est tout simplement : ça dépend pour quoi faire. Observer des canards sur un étang ou des bactéries sur un prélèvement de cérumen ? (ah, ben, oui, heu, c'est un peu dégoûtant mais tant pis). Et pourtant, oui, ils sont construits sur les mêmes principes : des lentilles optiques dans un tube.
Par contre, on pourra, c'est vrai, comparer entre eux deux paires de jumelles ou deux microscopes, et se rende compte que l'un ou l'autre est défectueux, et le jeter.
Mais nous sommes d'accord, sinon les patelles auraient disparu. L'important est qu'un oeil simple peut accomplir la même fonction qu'un oeil complexe, mais
moins bien (alors que vous ne pouvez pas utiliser la jumelle comme microscope de fortune - encore que...). A partir du moment où vous êtes dans un contexte où il est avantageux d'avoir un oeil complexe (et c'est le cas au moins quelquefois), la sélection naturelle favorisera inévitablement, mécaniquement, le passage de l'un à l'autre. Les premiers animaux occupaient des niches où de simples ocelles suffisaient (les données paléontologiques l'indiquent) mais à partir du moment où certains de leur descendants ont acquis de grandes tailles et une certaine mobilité, avoir un oeil plus sophistiqué devenait avantageux (ce qui n'est en rien incompatible avec la persistance dans d'autres lignées de la morphologie ancestrale). C'est un passage qui est connu dans plusieurs lignées de l'évolution, y compris chez certains Gastéropodes comme les conques (qui ont des capacités de locomotion rapide tout à fait inhabituelles pour des escargots et qui ont développé, fait unique chez les gastéropodes, un oeil-caméra sophistiqué). Je suis bien d'accord pour dire que c'est
au départ une spéculation, mais que croyez-vous que les scientifiques font après avoir émis une spéculation ? Ils en vérifient la cohérence interne (cela a été fait) et l'aptitude à effectivement expliquer la réalité (cela a également été fait). C'est pour cette raison que les scientifiques l'acceptent. Il n'y a pas de barrière étanche entre un fait scientifique et une spéculation qui a réussi. Souvent, les deux se confondent même.
Soit dit en passant, vous ne m'avez pas répondu : aviez-vous lu quoi que ce soit de Simon Conway Morris avant de lui prêter des opinions opposées à celles qui sont réellement les siennes ? Bon, je me doute de la réponse : vous ne l'aviez jamais lu et vous avez simplement cru que ce qu'écrivait Jean Staune était vrai. Quand quelqu'un seul dans son coin prétend révolutionner toutes les théories scientifiques en vigueur, il est quand même judicieux de considérer ses affirmations avec un minimum d'attention critique.