Acte à double effet (Fagothey)

« Donne à ton serviteur un cœur attentif pour qu'il sache discerner le bien du mal » (1R 3.9)
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ChristianK
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Acte à double effet (Fagothey)

Message non lu par ChristianK » dim. 13 nov. 2022, 22:46

Autre question qui cause souvent des perplexités. Voici le texte de Fagothey, s.j. Dans Right and Reason, traduit par pons avec mes retouches. Je reviendrai sur l'application à la légitime défense.


PRINCIPE DU DOUBLE EFFET

Souvent, le mélange du bien et du mal ne se produit pas tant dans l’acte et dans son environnement immédiat que
dans les conséquences qui en découlent. Dans notre discussion sur l’acte volontaire, nous avons
vu que les conséquences imprévues sont volontaires, bien qu’indirectement
(volontaire dans la cause). Dans quelle mesure sommes-nous responsables d’eux? Sommes-nous obligés de veiller à ce que chaque
conséquence unique de chacun de nos actes soit moralement bonne, ou du moins pas mauvaise? Si tel est le cas, le champ d’application
de l’activité humaine devient si limité qu’il rend la vie invivable. Celui qui accepte un emploi quand les emplois
sont rares coupe quelqu’un d’autre de son gagne-pain, un médecin qui soigne les malades pendant une peste
s’expose à attraper la maladie, . . . . Il semble que nous soyons confrontés à un dilemme:
la vie humaine ne peut pas être vécue telle qu’elle est, ou nous sommes obligés de faire le mal et de le faire
volontairement. Nous trouvons la solution au dilemme dans le principe du volontaire indirect, communément
connu sous le nom de principe du double effet, l’un des principes éthiques les plus utiles et qui
doit être parfaitement maîtrisé. il est basé sur le fait que le mal ne doit jamais être volontaire en soi,
ne doit jamais être voulu ni comme fin ni comme moyen, car alors il est l’objet direct de la volonté et
rend nécessairement l’acte malfaisant. le mal ne peut jamais être volontaire dans la cause, comme vu plus haut, mais demeurer
une conséquence non désirée, à moins qu’il ne puisse être réductible d’une manière ou d’une autre à un événement fortuit et inévitable,
produit dans la réalisation d’un bien que la personne recherche légitimement.
Bien que je ne sois jamais autorisé à vouloir le mal, je ne suis pas toujours tenu d’empêcher l’existence d’un mal.
. Tout comme je peux tolérer l’existence de maux dans le monde en général, puisque je n’ai pas pu les guérir.
sans apporter d’autres maux sur moi-même ou sur mon prochain, de sorte que je peux parfois tolérer le mal comme
conséquences de mes propres actions, si s’abstenir de telles actions apporterait un mal proportionné
a moi-même ou aux autres. Parfois, je ne peux pas faire un bien sans permettre en même temps
l’existence d’un mal qui, dans la nature même des choses, est inséparablement lié au bien voulu. Mais je ne dois pas le faire sans discernement. Parfois, je suis obligé de prévenir le mal, et dans ces cas j’aurais tort de le permettre.
Comment pouvons-nous déterminer ces cas?
Le principe du double effet dit qu’il est moralement admissible d’accomplir un acte qui a un
mauvais effet dans les conditions suivantes:

1. L’acte à faire doit être bon en soi ou du moins indifférent. C’est évident, car si la
l’acte est mal par nature, rien ne peut le rendre bon ou indifférent. Le mal serait choisi
directement, que ce soit comme fin ou comme moyen d’atteindre un but, et il ne saurait être question de
l’autoriser ou le tolérer.
2. Le bien voulu ne doit pas être obtenu au moyen de l’effet malfaisant. Le mal doit être seulement
un sous-produit fortuit et non un facteur réel dans la réalisation du bien. Si l’acte
a deux effets, un bon et l’autre mauvais, le bon effet ne doit pas être accompli par des moyens
mauvais, car alors le mal serait directement volontaire comme moyen. Puisque la volonté de la fin
implique la volonté des moyens, les mauvais moyens relèvent de la nature même de l’acte. Nous ne pouvons jamais
faire le mal pour qu’il en sorte du bien. Une bonne fin ne justifie pas l’utilisation de mauvais moyens.
Par conséquent, le bon effet doit découler aussi immédiatement et directement de l’acte original que le mauvais
effet. On dit parfois que le mal ne doit pas se produire avant le bien., mais ce n’est pas le cas; ce n’est pas une question de temps mais de causalité; le bien ne doit pas passer par le
Le mal.
3. L’effet maléfique ne doit pas être prévu pour lui-même, mais seulement permis. Le mauvais effet doit n’être qu’un sous-produit de l’acte accompli, mais si l’agent veut ce mauvais effet, il le rend directement volontaire en le voulant. L’acte devient alors mal dans son mobile. Une mauvaise
intention n’est pas présumée sans preuve.
4. Il doit y avoir une raison proportionnellement grave pour permettre l’effet néfaste. Bien que nous
ne soyons pas toujours obligés de prévenir le mal, nous sommes obligés de prévenir un mal grave par un petit
sacrifice de notre propre bien. Par conséquent, une certaine proportion entre le bien et le mal est nécessaire, et si
cela manque l’acte devient mal en raison de ses circonstances. Quelle devrait être cette proportion
est souvent difficile à déterminer dans la pratique et relève à juste titre de l’éthique appliquée. Pour le moment
nous pouvons dire que le bien et le mal devraient être au moins équivalents. Si le bien est léger
et le mal grand, le mal peut difficilement être qualifié d’accessoire. Aussi, s’il y a un autre moyen d’
obtenir le bon effet sans le mauvais effet, cette autre façon doit être prise; sinon il n’y a pas une bonne raison de permettre le mal.

Notez que l’acte n’est pas moralement permis si les quatre conditions ne sont pas remplies. Si l’une d’elles
n’est pas satisfaite, même si les trois autres le sont, l’acte est moralement répréhensible.
Notez également que
le mauvais effet dont il est question ici est un mal physique d’une certaine sorte. Le principe du double effet
exprime les conditions dans lesquelles il n’est pas moralement mal de permettre à un mal physique de se produire.
Un exemple aidera à illustrer l’application de ce principe. Un passant se précipite dans un
incendie pour sauver un enfant piégé là, mais il peut être gravement brûlé et même perdre
sa vie. Nous reconnaissons qu’il s’agit là d’un acte héroïque, mais sa justification se trouve dans le principe du double
effet:

1. L’acte lui-même, mis à part ses conséquences, n’est qu’un acte d’entrée dans un bâtiment. C’est. . .
certainement un acte indifférent et tout à fait permis.
2. Il a deux effets: l’un bon, sauver l’enfant; l’autre mauvais, brûler ou même la mort du
Sauveteur. Mais il ne sauve pas l’enfant en mourant ou en se brûlant, mais en
atteignant l’enfant pour le mettre à l’abri. S’il peut le faire sans nuire à
lui-même, tant mieux. Le bon effet s’accomplit plutôt malgré que par le biais du
mauvais effet, qui n’est donc qu’un accompagnement accessoire dans le sauvetage de l’enfant.
3. Si le sauveteur utilisait cette occasion comme excuse pour se suicider, il gâcherait l’acte par
cette mauvaise intention, mais il n’est pas nécessaire de présumer une telle intention.
4. Il y a une proportion suffisante: une vie pour une vie. entrer dans un bâtiment en feu pour sauver
une possession insignifiante ne pouvait être moralement justifié.

Quelques autres cas montreront comment l’une ou l’autre de ces quatre conditions peut être violée:

1. Un employé détourne de l’argent pour aider son enfant malade, dans l’espoir de le rembourser plus tard. Ici, l’
acte lui-même de détournement de fonds (prenant de l’argent appartenant à un autre et falsifiant les comptes) n’est pas
bonne ou indifférente, mais mauvaise par sa nature même, et ne peut être justifiée par de bonnes intentions ou
les effets positifs qui pourraient en découler. Il doit essayer d’obtenir l’argent d’une autre manière. La première
condition est violée, et le mal est volontaire en soi.
2. Un homme qui vit avec un oncle riche alcoolique remplit la maison d’alcool, sachant qu’il
héritera d’une fortune quand l’oncle sera ivre à mort. L’acte de remplir la maison
avec de l’alcool est indifférent en soi. Il a deux effets, mauvais pour l’oncle en occasionnant sa mort,
bon pour l’héritier en lui apportant son héritage plus tôt. Mais l’argent ne peut pas être hérité
sauf par la mort de l’oncle. Le bon effet (obtenir l’argent plus tôt) est accompli
au moyen du mauvais effet (la mort de l’oncle), et ainsi la seconde condition est violée.
3. Un patron politique distribue de l’argent aux pauvres pour qu’ils votent pour un indigne
candidat. Ici, donner de l’argent aux pauvres est une bonne action. Le bon effet (le soulagement de la
pauvreté) n’est pas accompli au moyen du mauvais effet (élire un candidat indigne), mais
plutôt l’inverse, le mauvais effet à travers le bon. Mais la troisième condition est violée,
parce que le mal est directement voulu comme fin. L’intention principale est d’élire l’indigne mais
Il n’est même pas nécessaire que ce soit l’intention principale tant qu’elle est réellement prévue.
4. Le propriétaire d’un avion privé fait voler son pilote dans une météo extrêmement dangereuse
pour conclure une affaire qui lui rapportera un petit bénéfice. Piloter un avion est un
acte indifférent; le danger est lié à l’effet possible plutôt qu’à l’acte lui-même. Le
bon effet (achèvement de l’affaire) n’est pas obtenu au moyen du mauvais effet (possible
perte de vie). Le mauvais effet n’est pas prévu pour lui-même, car personne ne veut mourir. Mais la
quatrième condition peut facilement être violée ici, car il ne semble pas y avoir une proportion suffisante
entre le risque pour leur vie et l’avantage financier relativement minime qu’ils en retirent. un avantage financier pourrait éventuellement être suffisamment important pour le justifier, mais ici le cas suppose un risque excessif.
Bien que les exemples ci-dessus montrent comment il est possible de violer le principe du double effet, de nombreuses
actions ordinaires de la vie trouvent leur justification dans une application correcte du principe. Ainsi,
les gens peuvent exercer des métiers dangereux pour gagner leur vie, les pompiers et les policiers peuvent risquet
leur vie pour sauver les autres, un chirurgien peut opérer même s’il peut causer de la douleur, un homme peut
revendiquer son honneur même si la réputation des autres souffre de ses révélations, une guerre juste
est acceptable malgré les grandes souffrances infligées aux populations des deux côtés. Si un homme était obligé d’
éviter tout acte dans lequel le mal peut être accessoire, il pourrait faire si peu qu’il pourrait aussi bien arrêter
de vivre.

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Re: Acte à double effet (Fagothey)

Message non lu par ChristianK » jeu. 17 nov. 2022, 22:10

Une des applications de ces principes qui paraissent abstraits concerne les bombardements des villes allemandes durant la guerre, dans lesquels les pilotes ne voulaient certainement pas tuer des familles de civils. Donc les allemands se trompaient quand ils disaient ne pas voir la différence avec la shoah, puisque de toute facon c'était la mort quand même pour les familles civiles.

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