prodigal a écrit : ↑sam. 07 mai 2022, 9:54
Soit, il y a de multiples points de vue, quel que soit ce dont on parle. Mais je ne vois pas en quoi ceci entraînerait l'inexistence de la vérité.
Bonjour.
Oui.
Pour bien distinguer "point de vue" et "vérité", il me semble que le fait de dire que la vérité ne peut être possédée par personne peut représenter un critère important pour la discerner du "point de vue". On dit aisément "mon point de vue", ou "mon opinion", mais il est plus malaisé de dire "ma vérité", même si cela se dit parfois dans les conversations courantes. Autrement dit, la vérité s'accommode très peu des pronoms possessifs, ce qui n'est pas le cas de l'opinion ou du point de vue, qui ne vont jamais sans une certaine forme nécessaire d'appropriation par le sujet. D'ailleurs, le "point de vue", c'est le monde vu à partir d'un certain site particulier,
le mien.
Si un individu, dans un dialogue, arrive avec l'idée qu'il "possède" la vérité, il sera peut-être plus difficile de l'écouter. Il faut, dans la recherche de la vérité, une déprise de soi, une désappropriation qui extrait les personnes du rapport de force et de la tendance possessive du désir. Car un interlocuteur obéira volontiers à la vérité, mais il ne se soumettra pas à celle-ci s'il sent qu'elle est exprimée sous la forme d'un "point de vue". Socrate avait de l'idée, quand il commençait par dire que "la seule chose qu'il savait, c'était qu'il ne savait pas". C'est extrêmement difficile, ne nous voilons pas la face.
Ainsi la vertu du dialogue est peut-être d'instaurer une thérapie des âmes afin de disposer celles-ci à se faire réceptacle d'un Bien qui transcende les subjectivités.
La seule alternative au dialogue, si on ne croit pas en ce dernier, me semble être le
polemos verbal, c'est-à-dire la polémique, qui n'est rien d'autre que la guerre introduite au cœur du langage. Il y aurait donc l'idée que la guerre pourrait accoucher de la vérité, mais on ne saura jamais si celle-ci ne se confond pas avec le triomphe de la force, et on sera bien obligé, à terme, d'en rejeter l'existence, d'une manière ou d'une autre.