La notion de péché et la sexualité

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Re: La notion de péché et la sexualité

Message non lu par Cinci » mar. 25 févr. 2020, 18:02

Pourquoi l'Église fait-elle si grand cas de la chasteté ?

par

P. Frédéric Louzeau,
professeur de théologie à la faculté
Notre-Dame aux Bernardins
et vicaire à la paroisse
Saint-François de Molitor à Paris

Ici :

"J'aimerais d'abord réagir à la manière dont la question est formulée. Je ne suis pas sûr que l'Église fasse si grand cas de la chasteté ! Si on ouvre le Catéchisme de l'Église catholique, on trouve deux pages sur la chasteté, dans la troisième partie consacrée à l'éthique chrétienne, c'est à dire la façon de vivre l'Évangile. C'est plutôt l'opinion commune qui fait grand cas de la chasteté, en ne retenant du discours de l'Église que les questions d'éthique sexuelle.

La chasteté est tout de même difficile à comprendre. Dans les Actes des Apôtres, à la fin de sa vie, saint Paul est prisonnier à Césarée. Le gouverneur Félix, et sa femme, font venir Paul pour qu'il leur parle de la foi chrétienne. Paul parle, ils sont fascinés, et vient un moment ou Paul se met à discourir sur la justice, la chasteté et le jugement à venir. A ce moment-là, Félix prend peur et stoppe la catéchèse de Paul. Ce n'est pas d'aujourd'hui que la chasteté est l'un des points les plus difficiles de l'enseignement du christianisme.

En fait, il y a un problème de vocabulaire. Dans l'oreille commune, quand on entend "chasteté", on comprend l'abstinence sexuelle. Or quand l'Église parle de chasteté , elle parle d'une vertu morale qui s'adresse à tous, pas seulement aux religieux. Le voeu de chasteté chez les moines et les moniales se prononce dans le cadre du célibat consacré. Mais qu'on soit célibataire consacré ou non, que l'on soit époux ou épouse, la chasteté nous concerne tous. C'est une disposition intérieure que l'on acquiert ou que l'on perd progressivement dans sa vie, selon les actes, chastes ou non chastes, que l'on pose.

Si je devais résumer ce qu'est la chasteté, je dirais que c'est une vertu qui règle et harmonise les rapports entre les personnes, notamment les rapports d'affection, d'amour ou d'amitié. C'est une vertu qui nous aide à considérer chaque être que nous rencontrons, avec qui nous parlons, comme une personne dont on ne peut pas se saisir. C'est considérer la personne non pas comme un objet que l'on pourrait utiliser pour son plaisir, mais comme un sujet unique, doté de liberté.

Cela signifie qu'on ne peut aborder l'autre, même dans l'étreinte sexuelle entre époux, qu'avec un immense respect pour le mystère qu'il constitue. Quand nous ne développons pas cette vertu en nous, nous utilisons les personnes que nous rencontrons, et même notre femme, notre mari, nos enfants ...

Une mère de famille peut être non chaste avec ses enfants. Les parents peuvent, par des questions indiscrètes, entrer dans l'intimité de l'enfant, dans sa vie affective ou amoureuse.

Cette vertu de chasteté est essentielle à développer, parce qu'elle permet de nouer des relations d'amitié ou d'amour justes, belles, épanouissantes. Si on ne la développe pas, très rapidement, on ne peut plus entretenir de relation désintéressée avec personne. C'est le début de l'enfer, parce qu'on ne peut plus mettre en oeuvre cette vocation profonde qui est la nôtre, d'être des êtres de communion.

[...]


En tant que prêtre, je n'ai pas prononcé le voeu de chasteté, mais je suis appelé à la vivre avec toutes les personnes qui m'entourent. C'est capital. Littéralement, le prêtre prononce un voeu de célibat. Il ne se mariera pas, par amour pour le Seigneur Jésus. Mais la question de la chasteté n'en est pas moins importante pour lui, d'abord parce que n'étant pas ermite, il croise des hommes et des femmes. Comme être humain et comme chrétien, le prêtre doit développer cette relation ajustée avec les personnes qu'il rencontre. Et, parce qu'il est pasteur, il lui faut d'autant plus veiller à respecter chaque personne dans le mystère de son être, parce qu'on attend du prêtre qu'il soit un autre Christ, qui ne met pas la main sur les gens pour son profit personnel, mais les conduit dans le mystère de Dieu, dans ce regard que Dieu pose sur eux et qui est unique. Le prêtre est, je crois, dans la communauté ecclésiale, l'un des plus concernés par la question de la chasteté. D'autant plus qu'il est en position d'autorité pastorale.

La théologie morale dit que l'on progresse dans cette vertu en exerçant davantage ses actes de chasteté, en commençant par exemple par baisser le regard devant certaines personnes, ce qui est tout simple. Et puis on progresse aussi dans la prière et dans les sacrements, à travers lesquels la grâce du Christ nourrit de l'intérieur. Par exemple, en contemplant dans la prière comment Jésus regardait les femmes, comment il se comportait avec elles, sa délicatesse vis à vis de la Samaritaine. Pour moi, prêtre, faire souvent cette contemplation est essentielle. C'est la chasteté du Christ qui, à travers la prière, la communion, la confession, vient investir de sa présence ma propre chasteté toujours défaillante et fragile. A mes yeux, ce qui nourrit le plus une vertu morale, c'est la contemplation de l'humanité du Christ."

Tiré de :

P. Frédéric Louzeau, "Pourquoi l'Église fait-elle si grand cas de la chasteté ?" in Sophie de Villeneuve (dir.), Y a-t-il un catho dans la salle ?, Bayard Éditions, 2017, p. 96

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Re: La notion de péché et la sexualité

Message non lu par la Samaritaine » mar. 25 févr. 2020, 23:21

Cinci a écrit :
mar. 25 févr. 2020, 18:02

Si je devais résumer ce qu'est la chasteté, je dirais que c'est une vertu qui règle et harmonise les rapports entre les personnes, notamment les rapports d'affection, d'amour ou d'amitié. C'est une vertu qui nous aide à considérer chaque être que nous rencontrons, avec qui nous parlons, comme une personne dont on ne peut pas se saisir. C'est considérer la personne non pas comme un objet que l'on pourrait utiliser pour son plaisir, mais comme un sujet unique, doté de liberté.

Cela signifie qu'on ne peut aborder l'autre, même dans l'étreinte sexuelle entre époux, qu'avec un immense respect pour le mystère qu'il constitue. Quand nous ne développons pas cette vertu en nous, nous utilisons les personnes que nous rencontrons, et même notre femme, notre mari, nos enfants ...

Une mère de famille peut être non chaste avec ses enfants. Les parents peuvent, par des questions indiscrètes, entrer dans l'intimité de l'enfant, dans sa vie affective ou amoureuse.

Cette vertu de chasteté est essentielle à développer, parce qu'elle permet de nouer des relations d'amitié ou d'amour justes, belles, épanouissantes. Si on ne la développe pas, très rapidement, on ne peut plus entretenir de relation désintéressée avec personne. C'est le début de l'enfer, parce qu'on ne peut plus mettre en oeuvre cette vocation profonde qui est la nôtre, d'être des êtres de communion.
Très beaux propos : c'est tout à fait ma définition et ma vision de la chasteté.

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Re: La notion de péché et la sexualité

Message non lu par apatride » mer. 26 févr. 2020, 0:06

la Samaritaine a écrit :
mar. 25 févr. 2020, 23:21
Cinci a écrit :
mar. 25 févr. 2020, 18:02

Si je devais résumer ce qu'est la chasteté, je dirais que c'est une vertu qui règle et harmonise les rapports entre les personnes, notamment les rapports d'affection, d'amour ou d'amitié. C'est une vertu qui nous aide à considérer chaque être que nous rencontrons, avec qui nous parlons, comme une personne dont on ne peut pas se saisir. C'est considérer la personne non pas comme un objet que l'on pourrait utiliser pour son plaisir, mais comme un sujet unique, doté de liberté.

Cela signifie qu'on ne peut aborder l'autre, même dans l'étreinte sexuelle entre époux, qu'avec un immense respect pour le mystère qu'il constitue. Quand nous ne développons pas cette vertu en nous, nous utilisons les personnes que nous rencontrons, et même notre femme, notre mari, nos enfants ...

Une mère de famille peut être non chaste avec ses enfants. Les parents peuvent, par des questions indiscrètes, entrer dans l'intimité de l'enfant, dans sa vie affective ou amoureuse.

Cette vertu de chasteté est essentielle à développer, parce qu'elle permet de nouer des relations d'amitié ou d'amour justes, belles, épanouissantes. Si on ne la développe pas, très rapidement, on ne peut plus entretenir de relation désintéressée avec personne. C'est le début de l'enfer, parce qu'on ne peut plus mettre en oeuvre cette vocation profonde qui est la nôtre, d'être des êtres de communion.
Très beaux propos : c'est tout à fait ma définition et ma vision de la chasteté.

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J'aurais pu écrire la même chose, chère Samaritaine.

Merci à Cinci pour ce partage.

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Re: La notion de péché et la sexualité

Message non lu par Kerniou » mer. 26 févr. 2020, 11:03

Très beaux propos, en effet ... et si respectueux de l'autre ...
" Celui qui n'aime pas n'a pas connu Dieu , car Dieu est Amour " I Jean 4,7.

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Re: La notion de péché et la sexualité

Message non lu par Pathos » mer. 26 févr. 2020, 14:15

Faut-il ne pas tomber amoureux ?
Une nation n'est pas ce qu'elle pense d'elle même dans le temps mais ce que Dieu pense sur elle dans l'éternité. Soloviev

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Re: La notion de péché et la sexualité

Message non lu par la Samaritaine » mer. 26 févr. 2020, 17:32

Pathos a écrit :
mer. 26 févr. 2020, 14:15
Faut-il ne pas tomber amoureux ?
Quelle question étrange Pathos !!

Vous savez bien qu'on ne choisit pas de tomber amoureux ou pas. Ou voulez-vous en venir ?

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Re: La notion de péché et la sexualité

Message non lu par Pathos » mer. 26 févr. 2020, 19:47

la Samaritaine a écrit :
mer. 26 févr. 2020, 17:32
Pathos a écrit :
mer. 26 févr. 2020, 14:15
Faut-il ne pas tomber amoureux ?
Quelle question étrange Pathos !!

Vous savez bien qu'on ne choisit pas de tomber amoureux ou pas. Ou voulez-vous en venir ?

Samaritaine
Et bien à lire le code de chasteté plus haut on a l'impression que tout est dans la retenue..
Oui on ne choisi pas de tomber amoureux mais on peut très bien freiner une passion naissante..
Dernière modification par Pathos le jeu. 27 févr. 2020, 0:39, modifié 1 fois.
Une nation n'est pas ce qu'elle pense d'elle même dans le temps mais ce que Dieu pense sur elle dans l'éternité. Soloviev

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Re: La notion de péché et la sexualité

Message non lu par Cinci » jeu. 27 févr. 2020, 0:07

En même temps : il ne faudrait pas perdre de vue ce qu'exprimait déjà un Pascal Bruckner.


« Le nouveau puritanisme ne diabolise plus la femme, mais l’homme » (Pascal Bruckner)

https://eromakia.fr/index.php/2018/03/0 ... is-lhomme/

Il faut lire l'article au complet.

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Re: La notion de péché et la sexualité

Message non lu par la Samaritaine » jeu. 27 févr. 2020, 16:52

Fantastique Pascal Bruckner !!

ça ne donne pas envie de vivre aux Etats Unis ….

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Re: La notion de péché et la sexualité

Message non lu par Grégory » jeu. 16 avr. 2020, 14:09

Pathos a écrit :
mer. 26 févr. 2020, 14:15
Faut-il ne pas tomber amoureux ?
"j'ai des sentiments en bas ? " :non:
Première aux Corinthiens 13:12
Aujourd’hui nous voyons au moyen d’un miroir, d’une manière confuse, mais alors ce sera face à face. Aujourd’hui je connais partiellement, mais alors je connaîtrai comme je suis connu.

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Re: La notion de péché et la sexualité

Message non lu par Kerniou » ven. 17 avr. 2020, 11:07

Pourquoi ne pas faudrait-il pas tomber amoureux ?
Il arrive parfois que ce soit l'amour qui vous tombe dessus ...
Je trouve dommage que l'expression "tomber amoureux" associe l'amour à la chute ...
" Celui qui n'aime pas n'a pas connu Dieu , car Dieu est Amour " I Jean 4,7.

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Re: La notion de péché et la sexualité

Message non lu par Jean-Mic » mer. 22 avr. 2020, 18:54

Thurar a écrit :
mer. 22 avr. 2020, 17:24
C'est mon point de vue en tout cas. Moi aussi je projetais de me marier, mais quand j'y réfléchis, j'ai l'impression que je vais devoir faire des compromissions si je me marie.
J'ai de la peine à vous suivre.
Êtes-vous amoureux ? Si oui, c'est une question à vous poser à deux : Nous projetions de nous marier, etc.
Si non, comment peut-on se poser une telle question sans savoir avec qui ? Ça n'a aucun sens !
Heureux ceux qui savent rire d'eux-mêmes. Ils n'ont pas fini de s'amuser !

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Re: La notion de péché et la sexualité

Message non lu par Altior » jeu. 23 avr. 2020, 7:48

Thurar a écrit :
mer. 22 avr. 2020, 17:24
j'ai l'impression que je vais devoir faire des compromissions si je me marie.
Eh, oui, Thurar, ça c'est sûr. Pourtant, afin que vous soyez soulagé lorsque vous pensez à ça, demandez-vous combien de «compromissions» votre femme devra faire aussi...

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Re: La notion de péché et la sexualité

Message non lu par Riou » jeu. 23 avr. 2020, 8:47

Thurar a écrit :
mer. 22 avr. 2020, 17:24
Le mariage est avant tout une question d'intérêts (ce qui n'est pas mal en soi) : pour pouvoir prendre une femme et élever des enfants dans de bonnes conditions, il faut d'abord en avoir les moyens.
Or dans notre société libérale/bourgeoise, basée sur l'exploitation et l'extorsion, je pense que c'est un privilège de pouvoir se marier. Alors je ne comprends pas tellement pourquoi ce serait plus moral d'avoir des relations intimes dans les liens du mariage, puisque dans les deux cas c'est une situation inique ? C'est mon point de vue en tout cas. Moi aussi je projetais de me marier, mais quand j'y réfléchis, j'ai l'impression que je vais devoir faire des compromissions si je me marie.
Pour moi le fait d'être amoureux, ce qu'on appelle l'amour-passion, n'a rien à voir. Je pense qu'il faut d'abord avoir une ''situation'' comme on dit, avant d'envisager de se marier.
On ne se marie pas avec une personne parce qu'on est amoureux d'elle
Baudelaire, dans "Le Monde va finir", avait déjà aperçu cette perspective conjugale typiquement moderne, typiquement bourgeoise, qui réduit tout à une relation d'intérêt, un monde de calcul, ne laissant plus aucune place à la vie passionnelle (et pulsionnelle) elle-même, car n'ayant plus assez de vigueur pour vivre la passion d'une vie :
Baudelaire, Fusées :

Mais ce n’est pas particulièrement par des institutions politiques que se manifestera la ruine universelle, ou le progrès universel ; car peu m’importe le nom. Ce sera par l’avilissement des cœurs.
Ai-je besoin de dire que le peu qui restera de politique se débattra péniblement dans les étreintes de l’animalité générale, et que les gouvernements seront forcés, pour se maintenir et pour créer un fantôme d’ordre, de recourir à des moyens qui feraient frissonner notre humanité actuelle, pourtant si endurcie ! Alors, le fils fuira la famille, non pas à dix-huit ans, mais à douze, émancipé par sa précocité gloutonne ; il la fuira, non pas pour chercher des aventures héroïques, non pas pour délivrer une beauté prisonnière dans une tour, non pas pour immortaliser un galetas par de sublimes pensées, mais pour fonder un commerce, pour s’enrichir, et pour faire concurrence à son infâme papa, fondateur et actionnaire d’un journal qui répandra les lumières et qui ferait considérer le siècle d’alors comme un suppôt de la superstition.
Alors, les errantes, les déclassées, celles qui ont eu quelques amants, et qu’on appelle parfois des anges en raison et en remerciement de l’étourderie qui brille, lumière de hasard, dans leur existence logique comme le mal, alors celles-là, dis-je, ne seront plus qu’impitoyable sagesse, sagesse qui condamnera tout, fors l’argent, tout, même les erreurs des sens ! Alors, ce qui ressemblera à la vertu — que dis-je — tout ce qui ne sera pas l’ardeur vers Plutus sera réputé un immense ridicule.
La justice — si, à cette époque fortunée, il peut encore exister une justice —fera interdire les citoyens qui ne sauront pas faire fortune. Ton épouse, ô bourgeois ! Ta chaste moitié dont la légitimité fait pour toi la poésie, introduisant désormais dans la légalité une infamie irréprochable, gardienne vigilante et amoureuse de ton coffre-fort, ne sera plus que l’idéal parfait de la femme entretenue. Ta fille, avec une nubilité enfantine, rêvera dans son berceau qu’elle se vend un million. Et toi-même, ô bourgeois — moins poète encore que tu n’es aujourd’hui — tu n’y trouveras rien à redire ; tu ne regretteras rien. Car il y a des choses, dans l’homme, qui se fortifient et prospèrent à mesure que d’autres se délicatisent et s’amoindrissent, et, grâce un progrès de ces temps, il ne te restera de tes entrailles que des viscères ! Ces temps sont peut-être bien proches ; qui sait même s’ils ne sont pas venus, et si l’épaississement de notre nature n’est pas le seul obstacle qui nous empêche d’apprécier le milieu dans lequel nous respirons !
L'argent (Plutus), la situation sociale qui va avec, les relations d'intérêt qui en découlent, l'ardeur du gain et de la sécurité matérielle, tout cela a pris le dessus sur les autres désirs, sur les passions humaines de l'humanité d'antan... On ne se marie plus par amour, l'amour passion est devenu un immense ridicule, un péché même pour la morale. Ce qui compte avant tout, c'est la bonne situation matérielle, "prendre femme" dans un cadre économique stable. Roméo est devenu un imbécile aveugle, tout comme Juliette d'ailleurs, et ne parlons même pas de son auteur, le vulgaire Schakespeare, cet homme de l'ancien temps qui n'a rien compris. On ne meurt plus pour celui ou celle qu'on aime, et si on le fait, ce sera par pur devoir conjugal, comme un débiteur qui se doit de rembourser par honneur sa dette contractée la veille. Dans ce cadre, plus jamais l'homme et la femme ne redeviendront qu'une seule chair, à la manière dont Jésus lui-même comprenait le mariage au chapitre 19 de Saint Matthieu. Car c'est bien seulement l'amour passion, éclairée de l'intérieur par la liberté de la charité, qui peut faire fusionner deux chairs pour n'en faire qu'une. Les relations d'intérêts font fusionner deux comptes en banque, ce qui n'est pas la même chose, et la situation sociale stable ne fera pas plus qu'assurer une sécurité matérielle et durable dans l'union toute extérieure d'une maison commune.
La notion de péché dans son rapport à la sexualité apparaît comme quelque chose de bien mineur comparé à cet avilissement des cœurs dont parle Baudelaire. Si cela se répand à toute la civilisation, alors oui, le monde va finir, et il n'y aura plus deux chairs en une dans le monde, deux chairs vibrant de tout leur être l'une pour l'autre. Il n'y aurait donc que des relations d'intérêts bien compris, des arrangements formels clairement établis, des cérémonies "consacrant" le tout, avec une sexualité bien propre, sans "péché", pense-t-on. Mais il n'y aura plus cet élan originel de l'amour qui porte les deux sexes l'un vers l'autre. Cela n'est devenu que romantisme de comptoir. L'homme moderne est rationnel, dit-on... c'est un homme de devoir à qui on ne la fait pas. Soit!
On ne se porte plus vers sa femme ou son homme par une nécessité intérieure et passionnée orientée par la charité - cela, c'est l'humanité animale, pense-t-on. Non, l'homme moderne est libre, liberté orgueilleuse de son devoir, qui veut un contrôle absolu sur la vie, un Plan digne du soviétisme le plus maniaque appliqué à son avenir individuel. L'homme de notre temps ne veut plus subir aucune contrainte intime à laquelle la vie l'appelle pourtant quand il lui arrive la merveille des merveilles : la rencontre amoureuse, totale, sans réserve, le consentement intérieure pour une nécessité intime et mutuelle, nécessité éternelle qui ouvre sur un destin commun.

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Re: La notion de péché et la sexualité

Message non lu par Jean-Mic » jeu. 23 avr. 2020, 11:32

Thurar a écrit :
mer. 22 avr. 2020, 19:11
Pour moi le fait d'être amoureux, ... n'a rien à voir.
Je pense qu'il faut d'abord avoir une ''situation'' comme on dit, avant d'envisager de se marier.
On ne se marie pas avec une personne parce qu'on est amoureux d'elle...
On ne parle pas de mariage tout seul ("un jour, je me marierai"). On parle d'amour et de mariage à deux ("avec toi", "tous les deux", "nous"). A quoi rime de penser mariage tant qu'on a pas rencontré l'âme-sœur ? J'ai l'impression, en vous lisant, que vous envisagez le mariage "tout seul", sans même savoir "avec qui". C'est cela que je ne comprends pas dans vos propos.
Heureux ceux qui savent rire d'eux-mêmes. Ils n'ont pas fini de s'amuser !

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