Don Camillo et le concile

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Don Camillo et le concile

Message non lu par Cinci » jeu. 23 déc. 2021, 14:19

DON CAMILLO,
GUARESCHI ET LE
CONCILE

Par M. l’abbé Ugolino Giugni




Tout le monde connaît certainement la figure de don Camillo, le prêtre du Bas Pays en lutte continuelle avec le maire communiste Peppone, créé par Giovannino Guareschi. Si l’on n’a pas lu ses livres, on a certainement vu les films magistralement interprétés par Fernandel et Gino Cervi.

Giovannino Guareschi est mort en 1968 et a eu le temps de voir le Concile Vatican II qui s’est déroulé à Rome de 1962 à 1965.

Dans cet article nous essayons de comprendre à travers ses écrits ce que Guareschi pensait du Concile et de la révolution qu’il apporta dans l’Eglise. En somme, don Camillo a-t-il survécu au Concile? Et si oui de quelle manière? A-t-il dû faire lui aussi un “aggiornamento” ou bien a-t-il rejoint les rangs du clergé traditionaliste et clandestin?

Vous verrez que la lecture de ces lignes ne sera pas dépourvue de surprises, et nous permettra de passer un agréable moment accompagné par la fine ironie du grand écrivain émilien.


Lettre à don Camillo

Le premier texte (et peut-être le plus significatif) est une lettre que Guareschi écrit dans les années 60 à don Camillo, qui à cause de ses excès et de son refus de se mettre au goût du jour, a été relégué dans une paroisse de montagne perdue du diocèse. Son poste dans
le Bas-Pays a été pris par le jeune prêtre moderniste don Chichì, qui a vendu tout le mobilier de l’église et met en pratique de manière
impitoyable les directives du Concile. Il est intéressant de noter comment don Camillo, une fois déraciné de sa terre et transféré dans la
montagne devient lui-même “révolutionnaire” et comment, en se rappelant les paroles de don Chichì, il essaye d’expliquer aux montagnards la réforme liturgique et de quelle manière ils la refusent en bloc et désertent eux aussi l’église (les réparties du vieil Antonio et de la vieille Romilda à don Camillo sont de vraies perles d’antimodernisme), prouvant ainsi que le peuple est fondamentalement attaché à ses traditions et “traditionaliste” (idée très chère à Guareschi), qu’un homme “déraciné” perd ses points de repère et que la “révolution” est toujours imposée d’en-haut par les “gens des villes” et les intellectuels.

« Mon Révérend,

j’espère que ma lettre atteindra le reculé exil montagnard dans lequel vous a relégué votre impétuosité qui ne diminue pas avec le
nombre des années.Je connais l’histoire qui a commencé quand le camarade maire, Peppone, s’est mis à vous saluer en public: “Bonjour, camarade Président!” Ensuite il est venu vous visiter à la cure avec Smilzo, Bigio et Brusco pour vous dire que, puisqu’il avait l’intention d’embellir la Maison du Peuple avec un beau balcon pour les discours, il achèterait volontiers les colonnes de marbre de la balustrade de l’autel majeur, ainsi que les deux anges placés aux côtés du tabernacle. Il aurait voulu, dit-il (si mon informateur est digne de foi), les placer
au-dessus de l’arche du portail d’entrée, pour orner l’emblème du PCI .

Don Camillo, vous avez décroché du mur le fusil et l’avez braqué devant Peppone et ses amis en leur faisant trouver rapidement le
chemin de la porte. Mais, croyez-moi, ce ne fut pas une réponse de bon joueur. Vous êtes dans le pétrin jusqu’aux yeux, mon Révérend, mais cette fois c’est de votre faute. Le jeune curé que vos supérieurs ont envoyé pour vous instruire sur le Rit Bolonais et pour vous aider à mettre l’église au goût du jour, n’est pas un Peppone quelconque et vous ne pouviez pas le traiter ainsi. Il venait à vous avec un mandat précis et, puisque votre église n’a aucune valeur artistique ou touristique particulière, le jeune et digne prêtre avait tout à fait le droit de prétendre à l’abattage de la table de communion et de l’autel, à l’élimination des chapelles latérales et des niches avec leurs saints ridicules, tout comme les ex-voto, les chandeliers et, en somme, de toute la pacotille de ferblanterie, de bois et de plâtre dorés qui, depuis la Réforme, transformaient les églises en autant d’arrière-boutiques de brocanteurs.

Don Camillo, vous avez sans doute vu à la télévision le “Lercaro Show” et la concélébration de la Messe dans le Rit Bolonais. Vous avez bien vu la pauvreté suggestive du décor et la touchante simplicité de l’autel réduit à une table prolétaire. Comment auriez-vous pu prétendre placer au milieu de cette humble table sacrée un machin haut de trois mètres comme votre fameux (quasi tristement célèbre) Crucifix que vous aimez tant?

Vous avez peut-être vu à la Télé, quelques jours après, comment était dressée la sainte Table autour de laquelle le Pape et les nouveaux Cardinaux ont concélébré le Banquet Eucharistique. Ne vous êtes-vous pas aperçu que le Crucifix situé au centre de la Table était si petit et discret qu’il se confondait avec deux micros?

Vous n’avez pas vu, en somme, comme tout, dans la Maison de Dieu, doit être humble et pauvre de manière à faire ressortir au maximum le caractère communautaire de l’Assemblée Liturgique dont le Prêtre est seulement un concélébrant avec des fonctions de Président?

Et vous n’avez pas vu, dans le second “Lercaro Show” télévisé (rubrique “Cordialmente”), combien sont satisfaits, enthousiastes même, les fidèles bolonais pour la nouvelle Messe en Rit Bolonais? N’avez-vous pas vu comme ils étaient tout excités, spécialement les jeunes et les
femmes, par le plaisir de concélébrer la Messe au lieu d’y assister passivement, subissant la brimade du mystérieux latin du célébrant, et par la légitime satisfaction de ne plus devoir s’humilier en s’agenouillant pour recevoir l’hostie et de pouvoir la déglutir debout, traitant Dieu d’égal à égal comme a toujours fait le député Fanfani?

Don Camillo: ce jeune prêtre avait raison et se battait pour la Sainte Cause parce que l’aggiornamento a été voulu par le Grand Pape Jean afin que l’Eglise “Epouse du Christ, puisse montrer sa face sans tache ni ride”.

C’est l’Eglise qui, jusqu’à hier simplement Catholique et Apostolique, devient (rappelle toujours Lercaro) “Eglise de Dieu”. Et vous, don Camillo, vous êtes resté en arrière de quelques siècles; vous êtes encore arrêté au dernier Pape médiéval, à ce Pie XII qui aujourd’hui est publiquement insulté sur les scènes avec l’approbation (cf. la représentation du Vicaire à Florence) des Etudiants Universitaires Catholiques, et qui, quand le producteur aura obtenu la subvention de l’Etat sera également insulté par les grands et les petits écrans.

Don Camillo: vous ne vous en êtes même pas aperçu en assistant, à travers la Télé, à la consécration des nouveaux Cardinaux? Vous n’avez pas entendu les applaudissements fracassants adressés au nouveau Cardinal-ouvrier Cardijn?

N’avez-vous pas entendu le Révérend Présentateur de télévision préciser que le nouveau Cardinal tchécoslovaque Beran est simplement sorti de son “état d’isolement”?

Don Camillo, ne vous êtes-vous pas aperçu comment les Supérieurs Hiérarchiques de l’Église évitent de parler de ce Cardinal Mindszenty de Hongrie qui, avec une indiscipline blâmable, persiste dans l’ignorance de la Conciliation entre Église Catholique et Régime Soviétique et dans l’accusation de payer l’hommage dû au soi disant “Communisme Athée”, en considérant carrément valide une Excommunication Papale qui est aujourd’hui occasion de plaisanterie dans tous les patronages?

Pourquoi, don Camillo, refusez-vous de comprendre?

Pourquoi, quand le jeune prêtre qui vous a été envoyé par l’Autorité Supérieure vous a expliqué qu’il fallait nettoyer l’église et vendre anges, chandeliers, Saints, Christs, Saintes Vierges et toutes les autres pacotilles parmi lesquelles aussi votre fameux Christ crucifié,
pourquoi, dis-je, l’avez-vous empoigné par les nippes en le flanquant contre le mur?

N’avez-vous pas compris que sont en jeu les principes de base de l’Economie? Que sont en jeu des milliards et des milliards et la sacrée intégrité de la Monnaie? Quelle famille “bien”, aujourd’hui, voudrait se priver du plaisir de décorer sa maison avec un objet “sacré”? Qui peut renoncer à avoir dans son entrée un Saint Michel utilisé comme portemanteau, ou dans sa chambre un couple d’anges dorés en guise
de lampadaire, ou, dans son séjour, un tabernacle en guise de petit bar?

Don Camillo, la mode est une puissance qui touche des milliers d’usines et des milliers de milliards: la mode exige que chaque maison respectable possède un objet “sacré” et la recherche est tellement enragée que si nous n’introduisons pas sur le marché de l’ameublement Saints, Anges, rétables, chandeliers, crucifix, Tabernacles, Christs, Vierges et ainsi de suite, les prix atteindront des chiffres hyperboliques. Et ceci sera préjudiciable à la sacrée intégrité de la Lire, honorée par les étrangers par l’Oscar des Monnaies.

L’Église ne peut plus se détourner de la vie des laïcs et en ignorer les problèmes.

(à suivre)

Cinci
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Re: Don Camillo et le concile

Message non lu par Cinci » jeu. 23 déc. 2021, 14:44

(suite)

Don Camillo, ne me faites pas perdre le nord. Vous êtes donc dans le pétrin mais c’est entièrement de votre faute.

Nous savons ceci: le petit prêtre qui vous a été envoyé par les supérieurs, vous a proposé, une fois démoli le vieil autel, de le remplacer non par une table commune comme celle du “Lercaro Show”, mais par un banc de menuisier que le camarade Peppone lui avait vilement fait offrir en cadeau en lui en suggérant l’utilisation. Et ceci en rappelant que le Père Putatif du Christ était charpentier et que le petit Jésus, enfant, l’avait souvent aidé à scier et à raboter des planches.

Don Camillo: il s’agit d’un jeune prêtre, ingénu, plein de touchant enthousiasme. Pourquoi n’en avez-vous pas tenu compte et l’avez-vous chassé de l’église à coups de pied dans le derrière?

Beau résultat, don Camillo. Maintenant, dans votre église, c’est le petit prêtre qui fait ce qui lui semble et vous vous trouvez confiné ici, dans la dernière misérable paroisse de la montagne. Un pays sans vie puisque hommes, femmes et enfants valides travaillent tous à l’étranger et qu’ici habitent seulement les vieillards avec les enfants en bas âge.

Et vous, mon Révérend, vous avez dû installer l’église selon les nouvelles directives et ensuite, après avoir concélébré la première messe dans le Rit Bolonais, vous vous êtes entendu dire par des personnes âgées que, tant que vous resterez dans le pays, ils ne viendront plus à la messe.

Don Camillo, tout se sait. Rappelant les paroles du petit prêtre, vous avez expliqué pourquoi, maintenant, la Messe doit être célébrée de cette façon et le vieil Antonio vous a répondu:

“J’ai quatre-vingt-quinze ans, et pour le peu qui me reste encore à vivre, la réserve des Messes en latin que je me suis faite en quatre vingt-dix années me suffit”.

“Histoire de fous”, a ajouté la vieille Romilda. “Ces citadins voudraient nous faire croire que Dieu ne comprend plus le latin!” “Dieu comprend toutes les langues”, avez-vous répondu, “la Messe est célébrée en italien parce que vous devez la comprendre. Et, au lieu d’y assister passivement, vous participez au rite sacré avec le prêtre”.

“Quel monde!” a ricané Antonio. “Les prêtres ne sont plus capables de dire la Messe tout seuls et veulent se faire aider par nous! Mais nous, nous devons prier pendant la Messe!”

“Justement; ainsi, vous priez tous ensemble avec le prêtre”, avez-vous essayé d’expliquer.

Mais le vieil Antonio a secoué la tête: “Mon Révérend, chacun prie pour son compte. On ne peut pas prier in comuniorum. Chacun a ses affaires personnelles à confier à Dieu. Et on vient à l’église exprès parce que le Christ est présent dans l’hostie consacrée et que, par conséquent, on le sent plus près. Faites votre métier, Révérend, et nous, faisons le nôtre. Autrement si vous êtes pareil que nous, à quoi donc sert le prêtre? Tout le monde est capable de présider une assemblée. Ne suis-je pas président de la coopérative des bûcherons? Et puis: pourquoi avez-vous sorti de l’église toutes les choses que nous avions offertes à Dieu avec nos sacrifices? Pour sculpter ce Saint Antoine de châtaigner que vous avez mis au grenier, mon père a mis huit ans. On comprend qu’il n’était pas un artiste, mais il y a mis toute sa passion et toute sa foi. C’est si vrai que lui et ma pauvre mère ne pouvant pas avoir d’enfants, dès que la statue a été terminée et bénie, Saint Antoine lui a accordé la grâce et je suis né. Si vous voulez faire la révolution allez la faire chez vous, Révérend”.

Don Camillo, je comprends ce que vous avez dû ressentir. Mais c’est de votre faute si vous vous êtes mis dans ce pétrin.

Quoi qu’il en soit, je ne vous écris pas seulement pour vous dire des méchancetés, mais pour vous réconforter un peu. Le petit prêtre qui est maintenant à votre place a déjà démantelé l’église. Il n’a pas installé à la place de l’autel le banc de menuisier mais une table normale parce que, poliment, les Autorités Supérieures lui ont fait comprendre que, bien que l’idée était très belle et très noble, cette préférence donnée à la menuiserie aurait pu offenser les ouvriers et les autres artisans.

Table de communion, anges, chandeliers, ex-voto, statues de Saints, Saintes Vierges, tableaux et petits cadres, tabernacle et tous les autres objets liturgiques ont été vendus et le profit a servi à installer dans l’église le nouvel autel, le combiné radio-phono stéréophonique, les micros, les haut-parleurs, l’installation de chauffage, etc.

Votre fameux Christ a aussi été vendu parce que trop encombrant, menaçant, spectaculaire et profane. Mais soyez tranquille: tous ces objets n’ont pas été loin. C’est le vieux notaire Piletti qui les a achetés et les a apportés et installés dans la chapelle privée de sa villa de Brusadone.

Vous savez que, bien qu’ayant la réputation d’être un farouche réactionnaire ennemi du peuple, Peppone avec moi se laisse aller à des confidences et m’a fait comprendre qu’il serait disposé à traiter. Il voudrait, en échange de la table de communion, la mitraillette que vous lui avez enlevée en 1947. Il dit qu’il n’a pas la moindre intention de l’utiliser parce que désormais lui aussi est convaincu que les cléricaux réussiront à tromper les communistes en les envoyant au pouvoir sans leur donner la satisfaction de faire la révolution. Il la reveut parce que c’est un souvenir.


Don Camillo, je suis sûr que quand d’ici peu vous reviendrez (et on vous fera revenir vite parce que, maintenant, à l’église n’y vont que pour vous faire bisquer, Peppone, Smilzo, Brusco et Biglio) vous trouverez toutes vos chères fanfreluches parfaitement installées dans la chapelle du notaire.

Et vous pourrez célébrer une Messe Clandestine pour quelques-uns de vos amis fidèles.

Une Messe en latin, vous comprenez, avec de nombreux oremus et kirieleison. Une Messe à l’ancienne, pour consoler tous nos Morts qui, bien que ne connaissant pas le latin, se sentaient, durant la Messe, près de Dieu, et n’avaient pas honte si, en entendant s’élever les anciens cantiques, leurs yeux se remplissaient de larmes. Peut-être parce qu’alors le Sentiment et la Poésie n’étaient pas péché et que personne ne pensait que le doux et éternellement jeune visage de l’Épouse du Christ pouvait un jour montrer des taches ou des rides. Alors qu’aujourd’hui elle se présente à nous à travers la télévision, avec le visage désagréable et antipathique du Cardinal Rouge de Bologne et de ses fidèles activistes, gentiment prêtés à la Curie par la Fédération Communiste locale. Don Camillo, tenez bon: quand les généraux trahissent, nous avons plus que jamais besoin de la fidélité des soldats. Je vous salue affectueusement et vous envoie, pour votre consolation, une petite image du très Révérend Pietro Nenni, expert en Encycliques Papales, appelé par ses amis et ceux qui l’estiment Peter Pan et Salam.

Votre paroissien
Guareschi »

(d’après Il Borghese années 1961-68)

Cinci
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Re: Don Camillo et le concile

Message non lu par Cinci » ven. 24 déc. 2021, 18:59

Œcuménisme et liberté religieuse

Autre écrit de Guareschi en 1965


(…) “Le problème des pères conciliaires est uniquement celui de mettre l’Église Catholique en phase avec le progrès”. “D’accord papa”, répliqua Gypo. “Mais il me semble un peu imprudent d’essayer de mettre au goût du jour et de fortifier l’Eglise en commençant par en miner les fondements”. “Tu délires, mon garçon”! “Non, papa: les commandements disent: ‘je suis le Seigneur ton Dieu. Tu n’auras pas d’autre Dieu que moi’. Je comprends que c’est une manière de s’exprimer un peu dictatoriale, mais dans le fond, Dieu est l’unique qui puisse se donner des airs de Père Eternel. Or si nous admettons, comme le veulent les Pères Conciliaires progressistes, la ‘liberté religieuse sans réserve’, on admet qu’un Dieu vaut l’autre et pour les fondements de l’Église catholique c’est la fin des haricots!”

Monsieur Bianchi s’excita: “Mon garçon!”, s’écria-t-il avec un féroce sarcasme; “je ne savais pas que tu étais un théologien! Pourquoi ne vas-tu pas expliquer ta thèse au Concile?”

“Ils ne me laisseraient pas entrer; je n’ai pas la carte du PCI”, expliqua Gypo» (La
Febbre dell’oro
[La Fièvre de l’or], d’après Il Borghese).



_____

“Sédévacantisme” avant la lettre… et anticommunisme

Ce texte de 1965 est extraordinaire; il s’agit d’une autre lettre à don Camillo. Le Concile et sa dérive philo-communiste qui doit amener les éternels amis-ennemis don Camillo et Peppone à être dépassés par les transbordements idéologiques y sont encore critiqués, avec un brin d’amertume et l’ironie habituelle… Après avoir fait remarquer que le Christ crucifié n’est plus en phase avec l’époque, Guareschi critique la réforme liturgique avec ses excès “ad experimentum” de ces dernières années (la célèbre expression “tavola calda” [table à repasser] pour désigner l’autel moderniste tourné vers le peuple a été inventée par Guareschi dans ces lignes.

Après avoir rappelé le martyre du cardinal Mindszenty, Guareschi se lance pour ainsi dire dans une sorte de “sédévacantisme” précoce en émettant l’hypothèse que le “Vrai pape” s’appelle Joseph (c’est-à-dire le cardinal hongrois Mindszenty) et non Paul (VI)… Toujours est-il que l’attitude de Paul VI posait des problèmes aux consciences des catholiques les amenant presque à douter de sa légitimité.

On relève qu’en 1965 la communion dans la main (aujourd’hui chose ordinaire pour les modernistes) n’était absolument pas concevable et que Guareschi a dû imaginer la “petite machine à distribuer des hosties avec des pinces”…



Cher Don Camillo,

je sais que vous avez des ennuis avec votre nouvel évêque. J’ai eu connaissance que vous avez dû détruire l’autel de l’église paroissiale et le
remplacer par la fameuse “table à repasser” modèle Lercaro, reléguant votre cher Christ crucifié dans un angle, près de la porte, de façon à ce que l’Assemblée lui tourne le dos.

Et j’ai également su que le dimanche, après avoir célébré la “Messe du Peuple de Dieu”, vous alliez en célébrer une clandestine, en latin, pour les catholiques dans la vieille et intacte chapelle privée de votre ami Piletti.

Or, les chefs de la DC vous ont espionné et vous avez été fiché à la Curie parmi les prêtres “subversifs” après avoir reçu de l’évêque une dure admonition. Mon Révérend, cela signifie que vous n’avez rien compris. Il est juste, en effet, que le Christ ne soit plus sur l’autel. Le Christ crucifié est l’image de l’extrémisme. Le Christ était un factieux, un fasciste et son “Ou avec Dieu ou contre Dieu” n’est qu’une
copie du tristement célèbre “Ou avec nous ou contre nous” de mussolinienne mémoire.

Et ne se comportait-il pas en fasciste quand il chassait à coups de fouet les marchands du temple? Sectarisme, intransigeance, extrémisme
qui l’ont conduit sur la croix, alors que le Christ, s’il avait choisi la voie démocratique du compromis, aurait très bien pu se mettre d’accord avec ses adversaires.

Don Camillo: Vous ne vous rendez pas compte que nous sommes en 1965. Les vaisseaux spatiaux arpentent le cosmos à la découverte de l’Univers et la religion chrétienne n’est plus adaptée à la situation. Le Christ a voulu naître sur terre et si, quand l’ignorance et la superstition faisaient de la terre le centre ou même, l’essence de l’univers, la traditionnelle fonction du Christ pouvait passer, aujourd’hui avec les explorations spatiales et la découverte de nouveaux mondes, le Christ est devenu un phénomène provincial. Un phénomène qui, comme l’a déclaré solennellement le Concile, doit être redimensionné.


Vous êtes resté à l’autre siècle, Révérend. Aujourd’hui l’Église s’adapte aux temps, se mécanise. Et à Ferrare, dans l’église Saint Charles, sur la “table à repasser” fonctionne la petite machine distributrice d’hosties. A l’offertoire le fidèle qui souhaite communier dépose son offrande dans un plat à proximité de la machine, appuie sur un bouton et, annoncée par un joyeux tintement, une hostie tombe dans le calice.

Et, il n’est pas improbable, je crois, que dans les laboratoires d’expérimentation du Vatican, on étudie des machines plus complètes, desquelles, après que le communiant aurait introduit une pièce de monnaie et appuyé sur un bouton, sortirait une petite pince qui poserait l’hostie, consacrée électroniquement, sur les lèvres du fidèle.

Don Camillo: l’année dernière, vous m’avez réprimandé parce que dans une de mes saynètes de la maison Bianchi, j’ai raconté que le jeune prêtre de choc don Giacomo confessait par téléphone les fidèles, et, au lieu d’aller bénir les maisons, envoyait aux familles des flacons d’“eau bénite spray”. Vous m’avez dit que, sur ces choses, on ne plaisante pas!

Eh bien, nous y sommes arrivés par l’initiative de l’Autorité Ecclésiastique Supérieure. Et il n’est pas éloigné le temps où, après la
confession par téléphone, le communiant recevra dans une enveloppe recommandée l’hostie consacrée qu’il pourra consommer
confortablement chez lui en se servant, pour ne pas la toucher avec des doigts impurs, d’une pince spéciale consacrée fournie par
l’“atelier de mécanique” de la paroisse. Je n’exclus pas que, pour arrondir les maigres entrées de la paroisse, le curé puisse faire imprimer sur l’hostie une publicité.

Don Camillo: je sais que, maintenant, Peppone se moque de vous furieusement.

Cependant il a raison Je sais qu’il vous a ordonné d’enlever de la cure le provocateur portrait de Pie XII “Pape fasciste et ennemi du peuple”, menaçant de vous dénoncer à l’évêque. Peppone a raison: les positions se sont inversées et le jour n’est pas loin où la Section Communiste vous ordonnera de déplacer l’horaire des cérémonies sacrées pour ne pas déranger la “Fête de l’Unité” qui a lieu sur le parvis.

Don Camillo: si vous ne vous mettez pas au goût du jour et n’arrêtez pas d’appeler “sans Dieu” les communistes et de les décrire comme les ennemis de la Religion et de la liberté, la Fédération Communiste Provinciale vous suspendra a divinis. Vous que je suis exactement depuis vingt ans et à qui je suis attaché, je ne voudrais pas vous voir finir de manière aussi triste.

Je sais très bien que beaucoup de vos paroissiens, et non seulement les vieux, sont avec vous, mais je sais aussi que vous vous en irez en silence, en cachette, pour éviter tout incident ou discussion qui pourraient troubler votre troupeau. En effet, vous avez la sainte terreur d’une division entre les catholiques.

Mais, hélas, cette division existe déjà. Je sais que cela vous horrifie, mais je le dis quand même.

Pensez, mon Révérend, quelle chose merveilleuse cela aurait été et quelle force nouvelle l’Église en aurait retirée si, à la mort du “Curé du Monde” (qui par sa bonté et sa naïveté a donné de nombreux avantages aux sans-Dieu) le Conclave avait eu le courage d’élire, comme nouveau Pape le Cardinal Mindszenty!

Entre autres, cela aurait été la seule manière correcte, courageuse et virile pour le libérer de sa prison: en effet, Mindszenty devenu chef de l’État indépendant du Vatican, “Mais jusqu’où irons-nous avec ce Concile…” les communistes hongrois auraient dû lui laisser la possibilité de rejoindre son Siège. Avec Mindszenty Pape, le Concile aurait fonctionné bien différemment, l’Église du Silence aurait acquis une voix tonnante. Et Gromiko n’aurait pas été reçu au Vatican et ainsi n’aurait pas pu alimenter et consolider l’équivoque qui, créée naïvement, pour
confondre les consciences des catholiques déjà rendues assez confuses par le Pape Jean, rapporta le gain d’un million et deux cent mille voix aux communistes et qui peut-être leur donnera la victoire aux prochaines élections politiques.

Don Camillo, peu importe si, horrifié, vous crierez, mais je dois vous dire que, non seulement pour moi, mais pour beaucoup d’autres catholiques “subversifs”, le Pape que nous regardons comme le phare lumineux de la Chrétienté ne s’appelle pas Paul, mais Joseph.
Joseph Mindszenty, le Pape des catholiques qui éprouvent du dégoût face aux machines distributrices d’hosties, à la “table à repasser” qui a détruit les autels et chassé le Christ, aux “Messes yé-yé” et aux négociations avec les excommuniés sans-Dieu.

Une autre des prophéties de Nostradamus s’est avérée. Les chevaux cosaques se sont abreuvés aux bénitiers de St Pierre. Même s’il s’agissait des Chevaux-vapeur (HP) de la Limousine de Gromiko. Et on ne peut pas exclure que Mgr Loris Capovilla, pour rendre hommage à l’hôte de marque, ait refait le plein du radiateur de la voiture de Gromiko avec l’eau bénite.

Don Camillo, si j’ai blasphémé, je m’en repens. Comme pénitence j’écouterai six fois le Pater Noster chanté par Claudio Villa.

Mais ne vous en faites pas: la diplomatie vaticane travaille et, en menaçant de le suspendre a divinis, elle réussira à éteindre la dernière flamme resplendissante de chrétienté, en obligeant Mindszenty à venir faire le bibliothécaire à Rome.

Oh! espérons que non. Si Dieu nous garde.

GUARESCHI

(Il Papa si chiama Giuseppe [Le Pape
s’appelle Joseph], d’après Il Borghese)


Verdict : pure graine de réactionnaire, Guareschi !

Cinci
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Re: Don Camillo et le concile

Message non lu par Cinci » sam. 25 déc. 2021, 21:38


Relief
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Re: Don Camillo et le concile

Message non lu par Relief » sam. 25 déc. 2021, 23:03

Toujours aussi touchant :)

Trinité
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Re: Don Camillo et le concile

Message non lu par Trinité » mar. 28 déc. 2021, 21:00

Cinci a écrit :
sam. 25 déc. 2021, 21:38
Les deux frères ennemis ...

https://www.gloria.tv/post/7r7msGuEFMCD6od96QZpeWzp9
Superbe Cinci ! :oui:

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