"Le Sel de la terre" - film sur S. Salgado

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MB
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"Le Sel de la terre" - film sur S. Salgado

Message non lu par MB » lun. 01 déc. 2014, 4:49

Je suis allé voir un documentaire que je vous recommande, car j'en suis sorti bouleversé et en larmes : il s'agit du film qu'ont réalisé Wim Wenders et Juliano Salgado sur le grand photographe brésilien, Sebastiao Salgado (père de l'autre).

Comme on sait, c'est un photographe militant qui a réalisé un grand nombre d’œuvres sur les humanités en détresse et dans la misère.
Le film revient sur son parcours : né dans une ferme brésilienne, au milieu de la forêt primaire, il devient économiste, puis militant très marqué à gauche ; pour fuir la dictature, il s'installe à Paris, où il fait de la banque de développement. Un jour il plaque tout, et devient photographe. On le retrouve donc partout où il y a de l'humain qui souffre, en particulier en Afrique et en Amérique du Sud. C'est lui, par exemple, qui est l'auteur des photos les plus connues sur les atrocités de la famine en Éthiopie dans les années 1980. Il accumule les reportages, jusqu'au jour où il n'en peut plus, ayant vu trop d'horreurs dans sa vie ; le film se conclut par une dernière partie écologiste : revenu dans son vaste domaine, dévasté par l'agriculture intensive, il se lance dans une sorte de thérapie - il plante 2, 5 millions d'arbres pour recréer la forêt primaire, l'écosystème, les sources, pour faire revenir les animaux, etc. Avec un beau message pour terminer - assez impressionnant, il est vrai : ça marche. Cette démarche, liée à une fondation environnementale, répond aussi à son vœu de photographier la nature inviolée sur terre, ce qu'il a fait ces dernières années et publié dans un livre récent, Genesis (je donne un lien pour que vous vous fassiez une idée de la beauté époustouflante de ces images : https://www.google.fr/search?q=genesis+ ... Q&dpr=0.67 ).

Le film a une formule assez inédite : un documentaire sur quelqu'un qui fait des photos. On voit les œuvres défiler, ou bien on voit le photographe lui-même en déplacement, en reportage, ou bien en train de commenter à chaud ses photos. Pour tout dire, le tout n'est pas sans défauts et on ne sait pas toujours dans quel sens veulent aller les réalisateurs. Mais ces défauts sont insignifiants : finalement les compères se décident à laisser défiler les photos, commentées, et c'est la meilleure solution, car elles parlent d'elles-mêmes.
On y trouve une humanité profonde, qui brille comme un feu, à commencer par celle des opprimés et des victimes des catastrophes ; regardez cette photo-ci, qu'on ne peut soutenir sans défaillir : il s'agit d'une femme touareg aveugle : https://johnfarmerdelatorrevisuals.file ... i-1985.jpg ). L'amateur d'art, lui, y trouvera des références cultivées très profondes, à la littérature, la religion chrétienne (j'ignore s'il a la foi, en tout cas il baigne dans cette culture d'une façon évidente), au grand art occidental.

Mais surtout, on fond, littéralement, en voyant ce film. Tout est dans ces photos à la beauté intense : qualités formelles, évidemment, époustouflantes, mises au service de l'amour des hommes même dans les pires malheurs - et je peux vous dire qu'il faut avoir le cœur bien accroché pour tenir, car on voit parfois des choses atroces. Des pauv'types (en général théoriciens de la gauche post-moderne, vous voyez le genre) lui reprochent souvent d'être "trop" beau ou "formel", de donner "une présentation esthétique de la misère", etc. Alors que, précisément, il ne fait que révéler la beauté de la Création et de l'homme, et surtout il rend aux plus petits d'entre nous la dignité que des malheurs épouvantables semblaient leur avoir enlevée. L'Être est bon et beau, même lorsqu'il apparaît décharné et humilié : le père qui porte son enfant mort de faim ; les bébés brésiliens morts avant le baptême et auxquels on ouvre les yeux pour qu'ils ne se "perdent" pas dans les limbes ; les mères qui tiennent leur petit envers et contre tout ; les hommes esclaves de leur passion de l'or dans une mine à ciel ouvert, semblable à un gouffre infernal ; ou tout simplement les gens qu'il rencontre (et je ne parle pas des photos de la nature). Il me semble que ces photos prennent une valeur théologique profonde, et que l'on voit enfin, à travers un exemple contemporain, comment l'art peut nourrir les plus hautes visées spirituelles. Ça n'est pas fréquent de nos jours !

On ressort désarmé et en larmes, conscient de la vanité de tout, avec une sorte d'accablement profond (voilà 2 semaines que j'ai vu le film, et je suis encore dans tous mes états en y pensant, il ne me quitte pas). Le seul réflexe possible, une fois qu'on l'a vu, est de prier, de prier beaucoup, et de remettre en question beaucoup de choses.

Bref, je vous le recommande, et dépêchez-vous, car il ne sera pas longtemps dans beaucoup de salles. Si un jour vous l'achetez en DVD, regardez-le dans le calme, si possible avec des écouteurs, et forcez-vous malgré les atrocités qu'on y voit - sa fin "environnementaliste" rend une petite lueur d'espoir.

Amicalement
MB

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Re: "Le Sel de la terre" - film sur S. Salgado

Message non lu par Cinci » ven. 19 déc. 2014, 6:13

Merci pour la référence!

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