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par Amfortas » ven. 04 nov. 2011, 20:33
Après le brillant exposé de Charles sur l’art contemporain (qu’il faudrait envoyer aux évêchés), j’aimerais rappeler ce qu’est une démonstration par opposition à une opinion.
Ce que l’on a appelé le miracle grec fut l’émergence de la rationalité ou aptitude à formuler un discours articulé logiquement, la quintessence de toute démonstration. Démontrer n’est pas opiner, et pour que le vulgaire ne s’y trompe pas, Platon avait fait graver au fronton de son Académie : « Que nul n'entre ici s'il n'est géomètre »
L’Académie n’était donc pas une fabrique d’opinions où Monsieur « tout le monde » pouvait y aller de son petit couplet, mais un lieu de réflexion intense où l’on cherchait à établir la vérité par voie démonstrative, la voie du logos.
« Si Platon veut que le gouvernement soit confié à ce type d’esprits, c’est parce qu’il pense que le malheur actuel des Etats est dû au fait qu’ils sont gouvernés par des esprits du type exactement opposé, les sophistes. Ceux-ci sont les servants dévoués et systématiques de ce mode dégradé de connaissance qu’est l’opinion - connaissance des apparences - laquelle est aussi, spontanément, le mode de connaissance de la foule, raison pour laquelle les sophistes dominent aisément dans les Etats démocratiques modernes. »
Par exemple, avant que le roi Amasis ne fasse intervenir Thalès de Milet, chacun y allait de son petit couplet pour savoir quelle était la hauteur de la grande Pyramide de Chéops : « Elle touche le ciel ! », « Mais non enfin elle est plus petite », « Le gouverneur a dit qu’elle faisait cent fois sa taille », « Ah ! si le gouverneur l’a dit », « Mais le gouverneur s’est déjà trompé », etc... un flot d’opinions contradictoires. Faisons remarquer que l’opinion de la majorité n’est toujours qu’une opinion, de même que l’opinion commune, personnelle ou encore autorisée.
Sur ce survient le génial Thalès qui à midi planta sa canne verticalement dans le sable et déclara : «l'ombre de ma canne est exactement égale à sa hauteur ; il doit en être de même pour votre pyramide. Faites mesurer son ombre vous aurez sa hauteur ». A partir d’hypothèses (attention à ne pas confondre avec le sens commun, en démonstration les hypothèses sont les données initiales considérées comme certaines, en l’occurrence ici l’égalité des longueurs de la canne et de son ombre), et en appliquant son fameux théorème aux rayons parallèles coupant les hauteurs de la pyramide et de la canne en leur sommet, il en déduit l’égalité des rapports, d’où la hauteur de la pyramide. CQFD. Si après démonstration, certains continuent d’opiner et de douter, c’est que soit ce sont des ignares, soit des idiots, soit des gens foncièrement malhonnêtes. (on pourrait par exemple imaginer des courtisans qui pour ne pas porter ombrage au roi se refusent à lui révéler la véritable hauteur de la pyramide, parce qu’elle serait supérieure au dernier ouvrage qu’il a fait construire...)
La démonstration est donc le moyen d’établir objectivement et universellement une vérité, par opposition à l’opinion subjective et particulière qui ne parvient pas à s’établir fermement dans le vrai.
Tout le monde aura compris que le règne prolongé de l’opinion est néfaste à la vérité, et qu’il ne perdure que tant qu’une démonstration n’est pas venue le balayer. L’amoureux de la vérité, comme le philosophe, comme le scientifique, comme le moraliste, comme le chrétien, dira : « Je me fous de votre opinion, ce n’est qu’une opinion je veux la vérité » alors que le sophiste ou le politicard dira : « Je me fous de la vérité, seule votre opinion m’intéresse, comme ça je m’alignerais sur elle et vous voterez pour moi ». Donc généralement entre amoureux de la vérité et politiciens cela se passe très mal, ainsi le mathématicien Laurent Lafforgue mandaté par le Haut Conseil pour l’Education avait démontré par A+B, dans un long rapport très fouillé et très minutieux, que l’Education Nationale était en train de sombrer du fait de contenus et de méthodes inadaptés, eh bien il s’est fait sabrer, la reconnaissance d’une telle vérité mettait trop d’intérêts en jeu.
Voyant que le débat sur le spectacle manifestement ordurier et déshonorant de Castelluci s’engluait dans une confrontation d’opinions sans issue du style : « c’est de la merde, mais c’est de la merde sublimée » versus « ce n’est que de la merde», nous avons souhaité satisfaire à l’exigence de vérité en nous plaçant sur le terrain démonstratif, en ayant pris soin de montrer que la charge de preuve était du côté de ceux qui affirmaient qu’un tel spectacle était humainement et chrétiennement acceptable, alors que manifestement le Magistère est contre. (« Souvenez-vous que vous êtes les gardiens de la beauté dans le monde : que cela suffise à vous affranchir de goûts éphémères et sans valeur véritable, à vous libérer de la recherche d’expressions étranges ou malséantes », message de clôture du Concile Vatican II)
Rappelons aussi que la démonstration est la forme commune des jugements théologiques. Par exemple lorsque Mr Dumouch affirme « Le retour du Christ à l’heure de la mort », il ne se contente pas de dire : « Selon moi ... » ce qui ne serait que son opinion, il produit une démonstration théologique , s’appuyant sur des prémisses scripturaires, patristiques, magistérielles et en n’omettant pas de justifier de façon logico-déductive chaque articulation de son raisonnement, je ne dis pas que sa démonstration est sans faille loin de là, mais au moins il s’est élevé bien au-delà de la simple opinion et s’est conformé à la rigueur démonstrative que toute théologie rationnelle, scientifique, requiert. Contrairement à l’opinion d’une certaine « libre pensée » le dogmatisme de l’Eglise n’est pas l’absence de jugement rationnel, à les entendre ce serait : « Bon maintenant on décide que c’est comme ça et le premier qui l’ouvre pour dire le contraire il s’en prend une », pas du tout, relisez les actes des conciles, les documents préparatoires, les débats doctrinaux, les raisons invoquées dans les décrets, c’est au contraire l’effort patient et soutenu de peser le pour et le contre, de toujours prendre appui sur les vérités de foi déjà fermement établies, donc de progresser étape par étape, sans omettre la moindre articulation, bref de produire un raisonnement imparable. Ce n’est pas un acte arbitraire si par exemple, il a été déclaré que le Christ a les deux natures, humaine et divine ou encore qu’il a les deux volontés, humaine et divine, ce n’est pas l’opinion officielle qui s’opposerait à l’opinion monophysite ou monothélite, mais ce sont bien là des vérités déduites des Ecritures, avec l’Esprit Saint qui assiste et rectifie la raison des pères conciliaires.
Venons en maintenant au texte de Mgr d’Ornellas :
1) Mgr d’Ornellas affirme d’emblée juste après les déclarations de Castelluci : « Tout d’abord, il est clair qu’il n’y a pas de christianophobie dans cette pièce de théâtre ». Or il se trouve que l’objet de la démonstration est justement « l’absence de christianophobie », que donc il ne peut être affirmé qu’en conclusion du raisonnement et non en introduction. A la limite vous pouvez annoncer en introduction « Nous nous proposons de démontrer A », mais vous ne pouvez pas dire en introduction « J’affirme A », sans quoi vous commettez une pétition de principe c’est à dire que vous posez comme acquis ce que vous devez justement démontrer.
2) Mgr d’Ornellas semble inférer l’absence de christianophobie des déclarations de Castelluci, puisque comme nous l’avons vu au point 1) il affirme la conclusion juste après les interviews de Castelluci. Or cette déduction n’est pas objective puisque l’antécédent ne l’est pas. Ainsi nous devons juger sur pièce, ce n’est pas parce que l’accusé déclare « je ne suis pas coupable », que réellement il n’est pas coupable, surtout si il existe des preuves à charge contre lui. Dans un procès lorsque l’accusé dit « je ne suis pas coupable », le juge ne dit pas « donc il n’est pas coupable et il faut le relâcher ( !) » mais « l’accusé plaide non coupable » et c’est en se basant sur des éléments objectifs que le jugement va conclure à la bonne foi ou non de l’accusé.
3) Mgr d’Ornellas cite les propos du Pape Paul VI tenus en 1964 sur « l’amitié entre l’Eglise et les arts », seulement le Pape Paul VI précisait une année plus tard ce qu’il entendait par art et artistes : « Souvenez-vous que vous êtes les gardiens de la beauté dans le monde : que cela suffise à vous affranchir de goûts éphémères et sans valeur véritable, à vous libérer de la recherche d’expressions étranges ou malséantes », message de clôture du Concile Vatican II). Par conséquent il est abusif d’exciper de « l’amitié entre l’Eglise et les arts » pour justifier toute forme d’art ou prétendue tel lorsqu’on sait que le Magistère exclut « les goûts éphémères sans valeurs véritables » et les « expressions étranges ou malséantes ».
4) Mgr d’Ornellas admet le caractère de provocation de la pièce : « Les mises en scènes choisies par Castelluci sont provocantes ». Et il justifie cette provocation par la trivialité du quotidien. Or en l’espèce il est impossible d’invoquer le réel pour justifier la provocation sans offenser la vertu de pudeur. Ainsi la défécation et les actes sexuels sont réels, mais les représenter au théâtre ou au cinéma (comme dans la pornographie) relève de l’impudicité, que bien évidemment l’Eglise condamne. L’argument ne peut donc être retenu. (en tout cas pas dans une démonstration admettant comme postulat des valeurs chrétiennes » )
5) Mgr d’Ornellas soulève pas moins de 4 nouveaux problèmes (« comment la beauté du visage... ») avant de conclure par : « Regardé par le Christ, chacun, selon sa foi, ses doutes ou sa recherche, est invité à répondre ». Une démonstration n’a pas pour but premier de faire émerger de nouveaux problèmes, mais d’en résoudre un. Elle n’a pas non plus pour but de renvoyer à la subjectivité de chacun, car c’est retomber dans le règne de l’opinion qu’elle se propose justement de balayer en établissant objectivement et universellement la vérité.
6) Mrg d’Ornellas après avoir renvoyé chacun à sa subjectivité, nous dit ce que lui y voit (« Voir plus loin »). Or dans une démonstration la subjectivité de celui qui démontre doit s’effacer devant l’objectivité du raisonnement.
7) En conclusion (« Que conclure ?»), Mgr d’Ornellas affirme « Mais le dialogue entre l’Église et l’art contemporain est une voie indispensable à l’évangélisation ». En conclusion d’une démonstration on affirme l’objet de la démonstration qui je le rappelle était « l’absence de christianophobie dans la pièce de Castelluci » , on n’affirme pas une nouvelle proposition, qui plus est hautement critiquable. (voir l’exposé de Charles sur l’imposture de l’art contemporain et les réserves du Concile Vatican II sur « les expressions étranges et malséantes »). De plus le caractère « indispensable » est affirmé sans être élucidé.
Pour notamment toutes ses raisons, le texte ne Mgr d’Ornellas ne peut pas être considéré comme une démonstration.
Et nous réitérons notre vibrant appel : « Démontrez-nous donc que le spectacle de Castelluci est humainement et chrétiennement acceptable ! »
Un Tel verra comme feu Celui qu'il n'a pas connu comme lumière (St Grégoire Le Théologien)