Les médias et l'opinion au Canada

« Par moi les rois règnent, et les souverains décrètent la justice ! » (Pr 8.15)
Cinci
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Les médias et l'opinion au Canada

Message non lu par Cinci » lun. 04 mars 2019, 14:22

Bonjour,

Il s'agit d'une interview que Mathieu Bock-Côté aura réalisé avec Christian Saint-Germain.

Christian Saint-Germain est présenté ainsi :

"Professeur à l'UQAM, philosophe et essayiste, Christian Saint-Germain est certainement une des figures les plus singulières de notre vie intellectuelle. Auteur de nombreux ouvrages sur la condition québécoise, il vient de faire paraître, chez Liber, Quebec circus, un pamphlet qui poursuit son entreprise de démolition de ce qu’il croit être les fausses idoles québécoises, sur lequel je reviendrai bientôt sur ce blogue. Mais Christian Saint-Germain est aussi un observateur très fin de ce qu’on pourrait appeler le système médiatique. Pour cela, je l’ai interviewé sur le traitement médiatique des grands enjeux qui traversent l’actualité québécoise. Au programme : immigration, laïcité, euthanasie, marijuana ! Dans ses réponses, on retrouve son art de secouer nos consensus."


Dans le corps de l'article, j'ai retenu :

MBC : Cette manière d’orienter idéologiquement le traitement médiatique des enjeux politiques s’impose sur bien d’autres questions essentielles, non?

CSG: Un même phénomène d’unanimité préfabriquée est apparu avec certes moins de virulence dans le dossier des soins de fin de vie (l’euthanasie active) et la légalisation du cannabis. Pour peu que l’on regarde la télévision, la rhétorique des images, des experts, des « débats » se déploie selon une mise en scène réglée comme du papier à musique. Au début, la constitution d’un panel la plupart du temps majoritairement masculin, le vieil avocat, le médecin complaisant ou militant ensuite la réitération par une légère modification des « trios ». Aucun recours à l’intellectuel exotique aux intérêts des corporations (anthropologue, psychanalyste, philosophe) ou qui penserait en dehors de la boîte. On converge ainsi au pas de charge vers l’unanimité parfaite avec de fausses nuances et de pseudo mises en garde sur des points de détail. Si la conclusion privilégiée n’apparaît toujours pas: des victimes en détresses sont appelées en renfort et entrent alors en scène mourants et drogués réalisant des percées dans le champ de l’émotivité pure et de la culpabilité par association contre ce qui reste d’indécis ou de récalcitrants encore insensibles à l’air du temps.
et
MBC : On retrouve là le progressisme obligatoire qui caractérise l’esprit de notre temps, non?

CSG : Radio-Canada postule d’emblée que tout changement participe de l’existence du progrès social, d’une évolution des mœurs. Ça ne peut être que bon, on est rendu là! Ça l’existe de toute manière. La légalisation du cannabis, une saprée bonne idée! Ça détend pis finance nos soins de santé.... L’euthanasie, ça désengorge les urgences et les soins palliatifs, pis en plus, ça tient compte de la fatigue des aidants naturels. C’est tout de même curieux qu’on ait dû attendre si longtemps pour découvrir l’eau tiède. Avant ça, la société n’était composée que de tortionnaires et de moralistes kantiens particulièrement intraitables.


MBC : En d’autres mots, on peut bien débattre, mais jamais sur l’objectif qui est posé comme allant de soi?

CSG : La « délibération » médiatique ne portera que sur les modalités : combien de plants de marijuana permis dans les maisons, combien de temps séparent l’agonisant ou l’apprenti suicidaire de la mort médicalement encouragée? Pour reprendre une formule de Pierre Legendre, l’ensemble des enjeux n’apparaît que depuis le strict point de vue individuel, du self-service normatif. Qu’importe la perspective globale, la portée inconsciente du meurtre même encadré ou de l’intoxication volontaire à l’échelle des familles, des réserves indiennes ou même de discours s’aventurant dans la nécessité d’exigence morale ou de la solidarité entre les générations.

https://vigile.quebec/articles/entretie ... mediatique

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Re: Les médias et l'opinion au Canada

Message non lu par Cinci » lun. 04 mars 2019, 15:04

Il y aura aussi, - certainement présent pour moi -, cette remarque de Simone Weil dans L'enracinement :
"... l'expérience ayant montré que les États totalitaires sont établis par les partis totalitaires, et que les partis totalitaires se forgent à coups d'exclusions pour délit d'opinion. [...] Une trop grande uniformité d'opinion rendrait un groupement suspect. " (p. 46)
[...]

En somme, il y aurait "quelque chose" de suspect dans la façon dont nos grands médias traitent l'information et pour systématiquement en arriver à privilégier outrageusement le point de vue libéral, individualiste, consumériste; et, donc, le point de vue du "self-service normatif", pour reprendre l'expression de Pierre Legendre.

Nos médias ne sont pas du tout neutres et objectifs, contrairement à ce qu'ils prétendent et veulent laisser croire. Ils sont au contraire des acteurs engagés du jeu politique.



--------------------------

Simone Weil, L'enracinement, Paris, Gallimard, 1949 (réédition 1997)

Simone Weil (1909-1943) est une figure chrétienne et singulière de la philosophie française, qui entendait se placer du côté des faibles et des opprimés, contre toute forme de violence - dogmatique ou sociale. Disciple d'Alain, élève de l'école normale supérieure, agrégée de philosophie en 1931, ouvrière chez Renault en 1934-35, engagée dans les Brigades internationales en 1936, ouvrière agricole en 1941, elle quitta la France en 1942 pour New-York puis Londres, où elle travailla pour la France combattante du général de Gaulle. Elle démissionna en juillet 1943 : atteinte de tuberculose, elle refusa de se nourrir, désirant partager les souffrances des Français demeurés au pays, et mourut le 24 août 1943 au Grosvenor Sanatorium. (dans la préface)

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Re: Les médias et l'opinion au Canada

Message non lu par Cinci » lun. 04 mars 2019, 16:03

Simone Weil écrivait encore :
L'avenir ne nous apporte rien, ne nous donne rien; c'est nous qui pour le construire devons tout lui donner, lui donner notre vie elle-même. Mais pour donner, il faut posséder, et nous ne possédons d'autre vie, d'autre sève, que les trésors hérités du passé et digérés, assimilés, recrée par nous. De tous les besoins de l'âme humaine, il n'y en a pas de plus vital que le passé. L'amour du passé n'a rien à voir avec une orientation politique réactionnaire. [...] Depuis plusieurs siècles, les hommes de race blanche ont détruit du passé partout, stupidement, aveuglément, chez eux et hors de chez eux. (p. 70)

Quel extraordinaire camouflet servi jadis à certains adorateurs du progrès ! Quelle claque administrée à certains "progressistes" qui entretiennent en eux-mêmes une relation conflictuelle, négative et discriminante-éliminationniste envers des pans entiers de l'histoire.

J'apporte cette remarque de Simone Weil pour ressortir le fait que nos médias ne sont pas seulement des acteurs engagés contrairement à ce qu'ils prétendent (cf "neutralité, objectivité, bon sens, évidence, pas le choix, la conclusion universelle des experts, tout le monde le dit", etc.) mais encore que des acteurs ou des agents du DÉRACINEMENT.

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Re: Les médias et l'opinion au Canada

Message non lu par Cinci » mar. 02 juin 2020, 22:39

Bonjour,

Je voudrais juste attirer l'attention sur le contenu de cet article.

Ici :
Paroles d'Évangile

[...]

J’avais déjà un point de vue amer sur les excès de #MeToo, ainsi que sur la réputation du New Yorker (et celle de son rédacteur David Remnick) comme revue incontournable d’investigation et de clairvoyance. Mes doutes se basaient sur l’appui honteux par cet hebdomadaire « libéral », en 2002-2003, au cas frauduleux contre Saddam Hussein et pour l’invasion de l’Irak.

Après la parution des articles sur Weinstein, #MeToo a explosé, et pas toujours en direction de la justice.

Au sommet de sa pire frénésie, des hommes simplement mal élevés, voire innocents, ont été jetés dans le même panier que Weinstein et leurs carrières, détruites. Pour mieux vous informer, lisez les essais de Katie Roiphe, de John Hockenberry et de Lionel Shriver publiés dans Harper’s Magazine, ou écoutez ma passe d’armes à la radio anglaise de la CBC avec Anna Maria Tremonti.

Mais je parle là de la fausseté déshonorante de Ronan Farrow, une célébrité qui est passée avant son tour sans faire l’apprentissage d’un journalisme qui exige plus de profondeur qu’une idée fixe. Je reconnais maintenant que ce n’est pas entièrement de sa faute : dans une large mesure, il a réussi parce qu’il a adopté l’évangile (il faut sans hésitation « croire les femmes ») du New Yorker et de #MeToo. Un peu comme celui [L'évangile de l'anti-syndicalisme; pour le patron, contre les travailleurs] que j’ai rejeté il y a près de quarante ans à Chicago.


https://www.ledevoir.com/opinion/chroni ... d-evangile
C'est l'excellent journaliste américain John R. MacArthur et éditeur du Harper's Magazine, francophile, qui vit également en France et qui publie chaque mois sa chronique dans Le Devoir.

Gardez en tête que John R. MacArthur relèverait plutôt du courant de gauche, de ce que moi j'appellerais la "vraie gauche" historique, le genre de gauche qui savait encore faire la vie dure aux exploiteurs capitalistes. Le genre de gauche dont aurait pu appartenir la chanteuse américaine Joan Baez dans les années 1960 et qui congédiait d'avance, sans ménagement, le genre de féminisme débile que nous connaissons aujourd'hui, sectaire, infiltré pour être le compagnon de marche du grand Capital (cf. le genre à la Femen, anti-homme, sansfrontiériste, anti-catholique, "interdit d'interdire" ... le tchador, la burqua, etc.)

Quel rafraîchissement de lire ça ! L'article entier, je parle. C'est comme une douce mélodie qui vous revient

J'ai le sentiment que l'on ne doit pas entendre trop souvent s'élever dans l'air cette harmonie musicale dans les grands médias en France ces années-ci. Au Canada, pour ainsi dire plus jamais ! Surtout pas de la part des jeunes journalistes qui eux, mieux dressés sans doute, savent trop bien réciter le nouvel évangile ...

:chorale:

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Re: Les médias et l'opinion au Canada

Message non lu par Cinci » jeu. 04 juin 2020, 2:41

Le début de l'article qui a accroché mon attention ...

Lorsque j’étais jeune reporter au Chicago Sun-Times, au début des années 1980, j’ai été tenté par une offre d’emploi qui m’aurait sorti de mon train-train quotidien consistant à couvrir crimes, incendies, faits divers ainsi que les commérages et les frasques de personnages publics. Ambitieux, j’imaginais non seulement des lieux de travail plus glamour que des gendarmeries poussiéreuses, mais aussi la possibilité d’écrire dans une publication plus haut de gamme que mon journal à tendance populaire et sensationnel.

Et en effet, je fus un candidat « comme il faut » pour un petit magazine mensuel installé à Washington, à l’époque très coté parce que ses anciens journalistes, après deux ans de travail acharné et mal payé, accédaient tous à des revues et à des journaux puissants et nationaux à Washington, à New York et à Boston. Il s’agissait, en effet, d’un imprimatur qui garantissait, ou presque, une carrière en journalisme de prestige.

Mais attention : le jeune rédacteur qui m’avait sollicité m’expliqua qu’il y avait une condition avant que je puisse entrer dans la maison. Il fallait d’abord que je fasse un reportage au sujet du syndicat auquel adhéraient les salariés des transports publics de Chicago et que je raconte combien il était mauvais d’avoir des ouvriers syndiqués employés par le gouvernement.

Surpris, je répondis que, d’habitude, j’enquêtais d’abord et que j’arrivais à des conclusions plus tard. Non pas que je prétendais à un journalisme totalement objectif. Au contraire, je favorisais un travail à la fois engagé et complexe. Cependant, mon point de départ a toujours été que tout gouvernement ment et qu’un bon journaliste a l’obligation d’attaquer de bas en haut, en général contre le pouvoir, et de défendre les petites gens comme les chauffeurs d’autobus. De plus, étant membre du syndicat des journalistes, je sympathisais avec d’autres syndicalistes, et surtout ceux de la régie des transports de Chicago, qui étaient d’origine modeste. [...]

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