"In illo Tempore"
Le but n'est pas de se battre.
Le but est de comprendre le sens de la Liturgie afin de générer un nouveau mouvement liturgique.
Lorsque vous parlez des anciennes secrètes, vous dîtes vous-même qu'elles anticipent le sacrifice. Est-ce le rôle de l'Offertoire que d'anticiper la consécration ? Non, sinon ce n'est plus l'offertoire.
Voici un schéma comparatif des 2 formes de l'Offertoire :
Le but est d'avancer dans la théologie Liturgique et non de sa battre, je préfère le redire.
UNE PREMIERE CONSTATATION: LA STRUCTURE DE L'OFFERTOIRE EST INCHANGEE.
En restaurant la liturgie romaine, Vatican II n'a pas modifié la structure de l'offertoire: les différentes étapes du déroulement de l'offertoire avant le Concile se retrouvent toutes dans le déroulement de l'offertoire après le Concile.
Il n'y a donc ni bouleversement... ni révolution.
UNE DEUXIÈME CONSTATATION: CERTAINES PRIÈRES ONT ÉTÉ MODIFIÉES...
Cette modification des prières de l'offertoire posent plusieurs questions:
- le changement a-t-il pu choquer les fidèles?
- en quoi ont consisté les changements?
- pourquoi l'Eglise a-t-elle décidé de faire des changements?
- ... et la "Tradition" dans tout cela?
a) Le changement a-t-il pu choquer les fidèles?
A cette question on peut répondre négativement. En effet, avant Vatican II, l'offertoire se faisait à voix basse, les fidèles ne pouvant entendre que deux choses: le
Dominus vobiscum du début du rite, et le
Per omnia saecula saeculorum de la fin de l'offertoire.
Que faisaient les fidèles durant l'offertoire? Aux messes basses, ils s'occupaient à des prières privées; à certaines messes ils étaient invités à chanter un cantique; à la "grand-messe" célébrée dans une paroisse assez importante, ils pouvaient écouter l'antienne d'offertoire grégorienne ou un motet polyphonique exécuté par une schola.
Peu de fidèles étaient véritablement attentifs à ce que devait dire le prêtre à l'autel, ce qui fait que les paroles fixées par Vatican II pour le rite d'offertoire leur a paru davantage comme une nouveauté que comme un changement.
b) En quoi ont consisté les changements?
Pour répondre à cette question, le mieux consiste à prendre les prières de l'offertoire les unes après les autres, de voir comment elles étaient avant le Concile et ce qu'elles sont devenues après le Concile.
-l’"oremus".
Dans le vieille liturgie, l'offertoire commençait avec une invitation à la prière faite par le prêtre:
Oremus. Mais il n'y avait aucune oraison... Cet oremus invitait les fidèles plus à s'asseoir qu'à faire oraison.
Vatican II a restauré ici les "prières universelles" qui existaient autrefois dans de nombreux rites et que le rite romain n'avait conservées que dans la liturgie du Vendredi-saint. Le Concile est donc revenu à une tradition fort ancienne. Il y avait un choix à faire: soit supprimer l’oremus qui n'avait plus de raison d'être, soit rétablir une prière venant logiquement après l’oremus. C'est la deuxième solution qui a été retenue, parce que plus conforme à la tradition liturgique.
- L'offrande du pain et la prière "Suscipe".
Suscipe, sancte Pater, omnipotens aeterne Deus, hanc immaculatam hostiam, quam ego, indignus famulus tuus, offero tibi Deo meo vivo et vero, pro innumerabilibus peccatis, et offensionibus, et negligentiis meis, et pro omnibus circumstantibus, sed et pro omnibus fidelibus christianis, vivis atque defunctis, ut mihi et illis proficiat ad salutem in vitam aeternam. Amen.
Recevez, Père saint, Dieu éternel et tout-puissant, cette offrande sans tache que moi,
votre indigne serviteur, je vous présente à vous, mon Dieu vivant et vrai, pour mes péchés, offenses et négligences sans nombre, pour tous ceux qui m'entourent, ainsi que pour tous les fidèles vivants et morts: qu'elle serve à mon salut et au leur pour la vie éternelle. Amen.
Cette prière ne fait pas partie de la liturgie romaine: on peut dire qu'elle n'est pas "traditionnelle". On peut faire plusieurs remarques à son sujet:
- elle utilise la première personne du singulier, ce qui est contraire aux habitudes du rite romain qui, lui, utilise habituellement la première personne du pluriel.
- cette utilisation de la première personne du singulier s'explique parfaitement: il s'agit d'une prière privée qu'on retrouve au IXème siècle non pas dans un missel "romain", mais dans le
Liber precationum (c'est-à-dire le "livre de prières") de Charles-le-Chauve (875-877).
- cette prière contient des germes d'erreurs théologiques. En effet, elle conduit à attribuer à un simple morceau de pain -désigné ici sous les termes d' "hostie sans tache"- une vertu incroyable, puisqu'on lui attribue le pouvoir d'agir pour le salut des vivants et des morts.
Vatican II a donc supprimé ce qui pouvait être cause d'erreur et a opté pour une formule plus simple, plus proche de la Tradition romaine comme on le verra plus loin:
Benedictus es, Domine, Deus universi, quia de tua largitate accepimus panem, quem tibi offerimus, fructum terrae et operis manuum hominum, ex quo nobis fiet panis vitae.(3)
Tu es béni, Dieu de l'univers, toi qui nous donnes ce pain, fruit de la terre et du travail des hommes; nous te le présentons: il deviendra le pain de la vie.
Cette formule -qui sera reprise ultérieurement pour l'offrande du vin- s'inspire des bénédictions juives. Le Christ, lors de la dernière Cène, a prononcé des formules du même genre: c'est en elles que l'on trouve les sources des prières eucharistiques utilisées dans les différents rites tant orientaux qu'occidentaux.
Il faut remarquer que la traduction française a quelque peu appauvri le contenu du texte
original latin: le vocatif "Domine" (Seigneur) a disparu, tout comme la formule "ex quo nobis" (... il deviendra pour nous...). Il n'en est pas de même dans les traductions italienne, espagnole, portugaise, anglaise et allemande que nous avons pu voir.
- la prière dite pendant que le célébrant verse l'eau dans le calice.
Deus, qui humanae substantiae dignitatem mirabiliter condidisti, et mirabilius reformasti: da nobis, per huius aquae et vini mysterium, eius divinitatis esse consortes, qui humanitatis nostrae fieri dignatus est particeps, Iesus Christus, Filius tuus. Dominus noster: qui tecum vivit et regnat in unitate Spiritus Sancti, Deus, per omnia saecula saeculorum. Amen.
Dieu qui, d'une manière admirable, avez créé la nature humaine dans sa noblesse, et l'avez restaurée d'une manière plus admirable encore, accordez-nous, selon le mystère de cette eau et de ce vin, de prendre part à la divinité de celui qui a daigné partager notre humanité, Jésus-Christ votre Fils, notre Seigneur qui, étant Dieu, vit et règne avec vous en l'unité du Saint-Esprit, dans tous les siècles des siècles. Amen.
Voici une magnifique prière qui accompagne l'un des plus anciens rites liturgiques: le mélange de l'eau et du vin. Cette prière est véritablement "romaine"... Mais ici, elle n'est pas à sa place: il s'agit d'une ancienne oraison que trois sacramentaires romains (4) (les ancêtres de notre actuel "Missel") proposaient pour la fête de Noël. C'est ici tout le sens du mystère de l'Incarnation qui est évoqué; cette oraison a simplement été "complétée" par les mots "per huius aquae et vini mysterium", afin qu'elle puisse mieux "coller" avec le rite d'offertoire.
[3] Quand on ne chante pas l'antienne d'offertoire, le Peuple répond: "Benedictus Deus in saecula" (Béni soit Dieu, maintenant et toujours).
[4] On la retrouve dans les Sacramentaires léonien, gélasien et grégorien.
Vatican II a abrégé cette prière pour ne conserver que les paroles qui éclairent le rite :
Per huius aquae et vini mysterium eius efficiamur divinitatis consortes, qui humanitatis nostrae fieri dignatus est particeps.(5)
Comme cette eau se mêle au vin pour le sacrement de l'Alliance, puissions-nous être unis à la divinité de celui qui a pris notre humanité.
Ce ne sont que les paroles centrales de l'ancienne prière qui ont été conservée pour souligner le geste que fait le célébrant; le développement plus théologique, issu de la célébration du mystère de l'Incarnation, a été laissé de côté: il n'avait pas véritablement sa place dans le rite d'offertoire dont les gestes se suffisent à eux-mêmes.
[5] La Lettre 63ème de S. Cyprien à Cecilius, qui daterait de l'automne 253, commente la pratique de l'Eglise de mêler de l'eau au vin pour l'Eucharistie: cette goutte d'eau, explique-t-il, est le signe que l'Eglise entend participer au sacrifice du Christ; le vin, c'est le Christ, l'eau, c'est le peuple des rachetés purifiés dans la piscine baptismale: "Le sang du Christ n'est pas offert si le vin manque dans le calice, et le sacrifice du Seigneur n'est pas régulièrement célébré si notre oblation et notre sacrifice ne répondent pas à la Passion. Comment boirons-nous du vin nouveau, produit de la vigne, avec le Christ dans le royaume de son Père, si dans le sacrifice de Dieu le Père et du Christ nous n'offrons pas du vin et ne mêlons pas l'eau dans le calice selon la tradition du Seigneur?" (Cf. Dom Guy-Marie Oury, La Messe, éd. CLD, Chambray, 1985.)
- L'offrande du vin et la prière "Offerimus tibi".
Avant la restauration conciliaire, le célébrant disait la prière suivante en élevant un peu le calice au-dessus de l'autel:
Offerimus tibi, Domine, calicem salutaris, tuarn deprecantes clementiam, ut in conspecta divinae Maiestatis tuae, pro nostra et totius mundi salute, cum odore suavitatis ascendat. Amen.
Nous vous offrons, Seigneur, le calice du salut, et nous demandons à votre bonté qu'il s'élève en parfum agréable devant votre divine Majesté, pour notre salut et celui du monde entier. Amen.
Cette prière qui, dans l'ancien rite, est dite à la première personne du pluriel et fait symétrie
avec la prière d'offrande du pain "Suscipe sancte Pater", ne se rencontre qu'à partir du Xlème siècle dans certains missels dits "romains".
Nul ne peut nier qu'elle contient quelques "maladresses" qu'il convenait de corriger;
- le calice est désigné sous les mots "calice du salut", alors que la consécration n'a pas encore eu lieu;
- on demande à Dieu que ce calice soit offert "pour notre salut"... ce qui revient à attribuer au vin un pouvoir qu'il n'a pas;
- la formule double et amoindrit d'autant l'
Orate fratres qui sera dit à la fin du rite d'offertoire.
On voit très nettement que ces prières d'offertoire sont des décalques de formules qui seront dites au cours de la Prière eucharistique: il était nécessaire de les revoir si l'on voulait que la liturgie ait une réelle cohérence et ne soit pas le support d'approximations théologiques. La restauration conciliaire a simplement conduit à supprimer cette prière pour la remplacer par la formule déjà employée au moment de l'offrande du pain, avec la réponse du peuple si l'antienne d'offertoire n'est pas chantée:
Benedictus es. Domine, Deus universi, quia de tua largitate accepimus vinum, quod tibi offerimus, fructum vitis et operis manuum hominum, ex quo nobisfiet potus spiritalis.
Tu es béni, Dieu de l'univers, toi qui nous donnes ce vin, fruit de la vigne et du travail
des hommes; nous te le présentons: il deviendra le vin du Royaume éternel.
- L'invocation du Saint-Esprit: la prière "In spiritu humilitatis" et la prière "Veni Sanctificator".
Dans l'ancien rite de la messe, après l'offrande du vin se touvaient deux prières. La première était dite par le prêtre incliné en signe d'humilité:
In spiritu humilitatis et in animo contrite suscipiamur a te. Domine; et sic fiat sacrificium nostrum in conspectu tuo hodie, ut placeat tibi, Domine Deus.
Voyez l'humilité de nos ainés et le repentir de nos coeurs: accueillez-nous, Seigneur; et que notre sacrifice s'accomplisse devant vous de telle manière qu'il vous soit agréable, Seigneur Dieu.
La seconde prière, qui s'enchaîne, est une invocation au Saint-Esprit:
Veni, Sanctificator, omnipotens aeterne Deu, et benedic hoc sacrificium tuo sancto nomini praeparatum.
Venez, Sanctificateur, Dieu éternel et tout-puissant, et bénissez ce sacrifice préparé pour votre saint Nom.
La première prière apparaît dans le rite d'offertoire au XIème siècle; elle est donc relativement tardive. Quant à la seconde prière -l'invocation au Saint-Esprit-, d'inspiration peut-être gallicane, on la trouve dès le IXème siècle dans le Missel de Stowe; mais elle ne sera introduite dans le Pontifical romain qu'au XIIIème siècle. Elle rappelle un passage du 2ème Livre des Macchabées (2, 10). On retrouve, ici encore, l'erreur relevée plus haut, à savoir celle qui consiste à confondre le rite d'offertoire avec le "sacrifice": en effet, la prière adressée au Saint-Esprit ne ressemble-t-elle pas à l'épiclèse (6) que l'on trouve dans la Prière eucharistique, c'est-à-dire à la formule invoquant l'intervention de l'Esprit-Saint pour réaliser la consécration du pain et du vin?
Toutes ces prières ont été introduites dans notre ancienne liturgie au Moyen-Age (vers le XIIème siècle), lorsque les fidèles ne se sont plus contentés d'un rite simple: la messe s'est alors surchargée d'un groupe de signes et d'oraisons qui, plus tard, seront considérés comme faisant partie du rite romain originel. Le Pape Innocent III (1198-1216) tentera bien de ramener les rites à leur simplicité primitive, mais en vain... Ce qui prouve qu'à cette époque déjà, l'obéissance en matière de liturgie n'était pas toujours de mise.
La restauration liturgique a remis les choses en ordre pour éviter toute confusion: elle a conservé la première prière (In spiritu humilitatis...) mais a supprimé la seconde (Veni, sanctificator...).
[6]
Supplices ergo te. Domine, deprecamur, ut haec munera, quae tibi sacranda detulimus, eodem Spiritu sanctificare digneris, ut Corpus et Sanguis fiant Filii tui Domini nostri Iesu Christi. (Prière eucharistique III).
- Le rite du lavement des mains du célébrant.
A la messe solennelle, le lavement des mains fait suite à l'encensement de l'autel(7) ; à la messe "ordinaire", il se fait tout de suite après que le célébrant ait dit la prière "In spiritu humilitatis... ".
Le sens mystique du lavement des mains - ou plutôt des doigts- est souligné dès le IVème siècle. S. Cyrille de Jérusalem écrit: "Ce geste indique que nous devons être purs de tout péché. Ce sont nos mains qui agissent; laver nos mains n'est autre chose que purifier nos actions". Faisant allusion au geste de Pilate, un autre auteur écrit: "Prenons garde que chacun de nous puisse dire en toute vérité: je suis innocent du sang de Jésus-Christ".(8)
Dans le rite en usage avant le Concile, le prêtre se lavait les doigts en récitant le Psaume 25 à partir du verset qui commence par les mots "Lavabo inter innocentes manus meas " (Je me lave les mains comme ceux qui sont innocents) et qui ont donné à ce rite le nom de "Lavabo":
Lavabo inter innocentes manus meas: et circumdabo altare tuum. Domine: ut audiam vocem laudis, et ennarem universa mirabilia tua. Domine, dilexi decorem domus tuae. Ne perdas cum impiis, Deus, animam meam, et cum viris sanguinum vitam meam: in quorum manibus iniquitates sunt: dextera eorum repleta est muneribus. Ego autem in innocentia mea ingressus sum: redime me, et miserere mei. Pes meus stetit in directio: in Ecclesiis benedicam te, Domine. Gloria Patri et Filio et Spiritui Sancto; sicut erat inprincipio, et nunc et semper, et in saecula saeculorum. Amen.
Je me lave les mains comme ceux qui sont innocents, et je me tiens, Seigneur, devant ton autel pour faire entendre mon chant de louange et proclamer chacune de tes merveilles. Seigneur, j'aime la beauté de ta maison, et le lieu de gloire où tu habites. Mon Dieu, ne condamne pas mon âme avec celle des pécheurs; ne m'enlève pas la vie comme aux criminels. C'est de leurs mains encore tachées de crimes qu'ils viennent t'apporter leurs offrandes. Je me présente en toute innocence: sauve-moi, aie pitié de moi. Avec fermeté j'ai marché dans le droit chemin; devant toute l'Eglise je te bénirai, Seigneur. Gloire au Père, au Fils et au Saint-Esprit. Comme il était au commencement, maintenant et toujours, dans les siècles des siècles. Amen.
[7] Contrairement à ce que l'on croit parfois, l'encensement des dons mis sur l'autel n'est pas un rite vraiment "traditionnel" -au sens d'ancien- dans l'Eglise latine. Les anciens Ordines romani (ancêtres directs de notre missel romain) ignorent ce rite, même si Hincmar de Reims en fait déjà mention vers 850. Il faut attendre le Xlème siècle pour voir le rite d'encensement se généraliser presque partout, et il faut attendre le XIIème siècle pour le trouver à Rome. L'encensement actuel reprend à peu de choses près l'encensement codifié dans le Missel dit "de S. Pie V" qui, lui-même, reprend l'encensement en usage au Xlème siècle conservé par l’Ordo romanus XIV (du XVIème siècle).
[8] Catech. mysts., V, 2.
Ces paroles n'accompagnent le geste du lavement des mains que depuis le Xlème siècle. On remarquera que, si les premiers mots de la prière correspondent bien au rite effectué, le reste du psaume ne se rapporte guère à l'action liturgique. C'est pour cette raison que la restauration liturgique voulue par Vatican II a corrigé la prière. Une nouveauté de plus, rétorqueront certains? Pas si sûr: l'histoire de la liturgie nous enseigne que, primitivement, le célébrant ne disait que le verset "Lavabo" en se lavant les doigts, coutume que l'on retrouve dans la liturgie dominicaine, laquelle n'a conservé que les trois premiers versets du Psaume 25.
En d'autres endroits où l'on célébrait selon le rite romain, ce n'était pas le Psaume 25 qui était récité mais quelques versets du Psaume 50: "Amplius lava me ah iniquitate meae...". C'est donc ce Psaume 50, correspondant parfaitement à la tradition liturgique, qui a été repris à la suite de Vatican II.
Désormais, le célébrant récite une formule plus brève qui souligne mieux le geste liturgique:
Lava me. Domine, ab iniquitate mea, et a peccato meo munda me.
Lave-moi de mes fautes, Seigneur, et purifie-moi de mon péché.
L'oraison "Suscipe sancta Trinitas".
Dans le rite en usage avant le Concile, sitôt que le célébrant avait fini de se laver les doigts, il revenait au centre de l'autel où, les mains jointes et un peu incliné, il disait une dernière grande oraison:
Suscipe, sancta Trinitas, hanc oblationem, quam tibi offerimus ob memoriam passionis, resurrectionis et ascensionis lesu Christi Domini nostri, et in honorem beatae Mariae semper Virginis, et beati lohannis Baptistae, et sanctorum Apostolorum Petri et Pauli, et istorum, et omnium Sanctorum; ut illis proficiat ad honorem, nobis autem ad salutem; et illi pro nobis intercedere dignentur in caelis, quorum memoriam agimus in terris. Per eumdem Christum Dominum nostrum. Amen.
Recevez, Trinité sainte, cette offrande (ou "oblation") que nous vous présentons en
mémoire de la Passion, de la Résurrection et de l'Ascension de Jésus-Christ notre Seigneur, en l'honneur également de la bienheureuse Marie toujours Vierge, de saint Jean-Baptiste, des saints Apôtres Pierre et Paul, des saints dont les reliques sont ici, et de tous les saints. Qu'elle soit pour eux une source d'honneur et pour nous une cause de salut; et qu'ils daignent intercéder pour nous au ciel, eux dont nous célébrons la mémoire sur cette terre. Par le Christ notre Seigneur. Amen.
Cette prière s'adresse à la Trinité: on la retrouve, sous des formes semblables, dans certaines liturgies orientales, mais pas dans le rite romain; elle est plutôt d'inspiration gallicane. Une fois encore, on attribue à la simple offrande du pain et du vin le pouvoir de nous garantir le salut; ne subsiste-t-il pas alors le risque d'amoindrir la portée de la Consécration par laquelle le Corps et le Sang du Christ deviennent les seuls moyens véritables du salut?
Cette oraison n'existe pas dans la liturgie des Chartreux, ce qui prouve qu'au XIème siècle, elle ne fait pas encore partie des différentes formes prises par la liturgie romaine. Par contre, la liturgie dominicaine connaît cette prière à quelques variantes près. Comme on sait que les Dominicains ont conservé des rites en usage au XIIIème siècle dans la majorité des églises de France, on peut penser que l'oraison "Suscipe sancta Trinitas" a été introduite dans la liturgie au Moyen-Age
Dans son "Micrologus", Bemold de Constance - qui, soit dit en passant, s'indigne contre les excès dont il est témoin dans la liturgie- indique qu'au Xlème siècle, l'oraison en question ne fait pas partie de la liturgie; si elle est récitée par certains, ce n'est qu'en vertu d'une coutume.
Comme on peut le remarquer, l'oraison
Suscipe sancta Trinitas anticipe la Prière eucharistique. Comme la prière
Unde et memores et comme le Communicantes du "Canon romain", elle évoque les grands mystères du salut et fait appel à l'intercession des saints.
Il est nécessaire, pour mieux comprendre le sens de cette oraison qui achève le rite d'offertoire, de dire ici un mot au sujet des ''dyptiques".
Dans une lettre datée de 416, Innocent Ier reproche à l'évêque Decentius de Gubbio de faire lire les noms des offrants avant que les offrandes ne soient recommandées à Dieu par le célébrant. Il s'agit ici d'une allusion à la coutume non romaine de donner, en lien avec l’Oratio fidelium (Prières universelles rétablies par Vatican II), les noms de ceux qu'on voulait rappeler: les saints locaux, mais aussi les vivants et les défunts. Des listes de personnes figuraient ainsi sur des "dyptiques". A cette coutume en usage dans les Gaules, Innocent Ier oppose l'usage romain qui fait lire les noms uniquement au cours du Canon de la messe. Lorsque la liturgie romaine va s'implanter en Gaule tout en faisant sienne des usages gallicans (VIIIème- IXème siècle), la lecture des "dyptiques" avant le Canon est encore en usage. C'est Charlemagne qui, par une ordonnance, va supprimer cet usage en 789.
Or, vers le IXème siècle apparaissent, dans les livres servant à la célébration de l'Eucharistie, des séries de prières commençant toutes par les mots "Suscipe sancta Trinitas... ". II n'est pas interdit de penser que ces séries d'oraisons constituent une suppléance de la vieille habitude gallicane de citer des noms à la messe, en dehors du Canon.
Par la suite, cette prière finira par s'imposer: à Rome, au XIIIème siècle, on adopte une formule de Suscipe qui était employée à Amiens et à Biasca et qui s'était répandue un peu partout.
Enfin, s'appuyant sur les travaux du Concile de Trente, S. Pie V finira par insérer le Suscipe sancta Trinitas dans le Missel romain imprimé. C'est ainsi qu'en liturgie, du "non romain" peut finir par devenir du "romain" et passer ainsi pour "vraiment traditionnel".
La réforme liturgique faite à la suite de Vatican II a purement et simplement supprimé cette oraison qui ne faisait pas vraiment partie du rite d'offertoire, qui avait été introduite assez tardivement dans la liturgie romaine, et qui avait fini par embarrasser bien des historiens et des théologiens.
L'Orate fratres.
Cette formule d'invitation à la prière, qui a été conservée intacte dans la liturgie restaurée après Vatican II, se rencontre surtout à partir du XIème siècle; elle ne trouve pas son origine dans le rite romain, mais dans un rite franc. C'est probablement une des plus anciennes prières non romaine à avoir été incorporée dans le rite romain.
Remarquons que la formule dite par le prêtre n'engageait, à l'origine, aucune réponse de l'assemblée. Quand, par la suite, le peuple a été invité à répondre au célébrant, il n'y a pas eu de formule fixe; en certains endroits, on récitait, par exemple, quelques versets du psaume 19.
Dans le rite romain pré-conciliaire, le prêtre disait à haute voix, en se tournant vers l'assistance, les paroles:
Orate, fratres,
Puis il continuait à voix basse:
ut meum ac vestrum sacrificium acceptabile fiat apud Deum Patrem omnipotentem.
Les fidèles répondaient:
Suscipiat Dominas sacrificium de manibus tuis, ad laudem et gloriam nominis sui, ad utilitatem quoque nostram, totiusque Ecclesiae suae sanctae.
Le prêtre ajoutait:
Amen.
Priez, frères, pour que mon sacrifice, qui est aussi le vôtre, puisse être agréé par Dieu le Père tout-puissant.
Que le Seigneur reçoive de vos mains le sacrifice, à la louange et à la gloire de son Nom, ainsi que pour notre bien et celui de toute sa sainte Eglise.
Dans le rite romain actuel, seul l’Amen du prêtre a disparu.
Notons que l’Orate fratres est une belle formule théologique. Elle affirme que c'est bien un sacrifice qui va être offert, et elle insiste sur le sacerdoce ministériel exercé par le célébrant: c'est lui qui offre le sacrifice, offrande à laquelle s'associent tous les fidèles en vertu du sacerdoce qu'ils exercent depuis le baptême qu'ils ont reçu. En outre, la formule précise quelle est la raison d'être première du sacrifice eucharistique: la gloire de Dieu.
Cependant, il faut oser le dire: la traduction française de cette formule est désastreuse.
Le prêtre: Prions au moment d'offrir le sacrifice de toute l'Eglise.
L'assemblée: Pour la gloire de Dieu et le salut du monde.
Comme on le voit, le rôle spécifique du prêtre est gommé et l'Eglise bénéficiaire de l'Eucharistie n'est plus mentionnée. Le "salut du monde" semble ici une formule bien floue et sans réelle consistance ni spirituelle ni théologique. Nous sommes d'autant plus à l'aise pour critiquer la formulation française, que les autres missels que nous avons pu consulter sont restés, eux, fidèles au texte original latin.
La dernière prière du rite d'offertoire.
On l'appelait "Secrète" dans l'ancien missel romain; on l'appelle "Oratio super oblata" (prière sur les dons) dans le missel romain restauré; c'est du reste de cette façon qu'on désignait cette prière dans les plus anciens livres. Cette oraison, qui change en fonction de la fête célébrée, est la seule prière de l'offertoire qui soit véritablement romaine.
Pourquoi l'appelait-on "secrète" autrefois? Parce que selon un usage tardif qui s'est vraisemblablement imposé à Rome (pour quelles raisons?) on a pris l'habitude de faire dire cette prière à voix basse par le célébrant. Et puisqu'on disait cette oraison à voix basse jusqu'au moment du Concile, on a pris l'habitude de ne plus faire dire l'invitation traditionnelle "Oremus" par le prêtre: ce n'était plus la peine...
Dans les anciens missels romains, on lit cette curieuse rubrique qui se trouve après la prière silencieuse du prêtre: "Pour donner son adhésion, l'assemblée se lève et dit Amen".
Or, la "Secrète" est une oraison composée comme une "collecte" (prière d'ouverture) ou comme une "postcommunion" (prière de conclusion après la communion), et il ne vient à l'idée de personne de s'asseoir pendant que le célébrant chante l'une ou l'autre de ces deux oraisons. Alors, pourquoi, avant le Concile Vatican II restait-on assis pendant la "Secrète"? Et pourquoi demandait-on à l'assemblée de répondre "Amen" à une prière dont elle n'avait pas saisi la moindre parole? Perte d'un certain sens liturgique ?
Ce dont on est certain, c'est que les "Collectes" (Oratio super oblata) avaient été composées, comme toutes les autres oraisons de la messe, pour être chantées, comme l'atteste le rythme particulier (les cursi des phrases) des phrases latines.
Se référant à la tradition, Vatican II a demandé que, dans la liturgie romaine actuelle, les "oraisons sur les offrandes" soient à nouveau chantées, ou du moins dites à haute voix.
c) Pourquoi l'Eglise a-t-elle décidé de faire des changements?
Pour répondre à cette question, il faut voir de quelle façon a été réalisé le missel romain qui était en usage jusqu 'à Vatican II. Cet ancien missel était le fruit des travaux menés au Concile de Trente, au XVIème siècle. Or, à l'époque, la question qui se posait était la suivante: comment faire un missel unique qui puisse tenir compte des diverses formes prises au cours des siècles par le rite romain et dont les missels manuscrits témoignent?
On sait que cette question avait divisé les évêques et les cardinaux chargés de travailler sur le projet, et que trois groupes s'étaient constitués:
- un groupe d'"humanistes" estimant que le principal défaut de la liturgie se trouvait dans l'emploi d'un latin de mauvaise qualité: une sorte de latin "barbare" qu'il convenait de remplacer par le grec... On imagine le patrimoine qu'il aurait fallu jeter par-dessus bord si les tenants de cette théorie avaient pu "remporter le morceau" !
- un groupe de "radicaux" qui pensaient que la liturgie léguée par la tradition était tellement embrouillée et corrompue qu'il était inutile de songer à sauver quoi que ce soit de valable et qu'il valait mieux composer une nouvelle liturgie "romaine";
- un groupe de "modérés" qui estime que la liturgie, avec ses multiples variantes, a des qualités et des défauts et qu'il vaut mieux conserver le plus possible en valorisant les qualités et en apprenant aux prêtres à bien utiliser les livres qui paraîtront.
C'est, fort heureusement, le groupe des "modérés" qui l'emportera. Mais l'on voit bien en quoi consistera son travail: ne rien rejeter a priori, même quand ce n'est pas vraiment "romain", mais tâcher d'agencer les rites et les prières pour que l'ensemble puisse donner l'image d'une certaine cohérence.
C'est ainsi que dans l'offertoire de la messe "romaine" se sont retrouvées des prières privées, des prières plutôt romaines, des prières plutôt gallicanes, des rites plutôt romains, des rites plutôt gallicans, des oraisons dites à la 1ère personne du singulier et des oraisons dites à la 1ère personne du pluriel... et des prières où il était déjà question de ''sacrifice" parce que, pour des raisons diverses, on les avait calquées sur les prières contenues dans le Canon romain.
Vatican II a voulu mettre un peu d'ordre dans cet héritage certes précieux mais quelque peu hétéroclite: il fallait revenir à une claire notion de l'offrande, telle qu'elle s'était exprimée durant plusieurs siècles dans le rite romain, quitte à supprimer des prières dont le contenu théologique était bon... à condition de ne pas figurer dans le contexte d'un rite d'offertoire.
d) Et la Tradition dans tout cela?
"Bonne question", comme disent certains. Pour y répondre, ne faut-il pas voir d'abord ce que nous enseigne l'histoire au sujet de l'offertoire dans la liturgie romaine?
Qu'est-ce que l'offertoire dans la messe?
L'offertoire, ce n'est ni plus ni moins que la préparation de la matière (pain et vin) du sacrifice eucharistique; c'est la mise à part des choses profanes que nous voulons réserver à Dieu pour reconnaître notre dépendance vis-à-vis de Lui et reconnaître notre nature de créatures. L'offertoire, c'est l'esquisse d'une offrande que l'homme ne peut pas achever, réaliser totalement; que seul le Christ peut saisir pour en faire "son" offrande, le sacrifice parfait de lui-même dans lequel il associe toute l'humanité.
Les rites et les prières de l'offertoire ne doivent donc pas détourner l'attention des fidèles de ce qui est essentiel: la consécration. Ce n'est donc pas à l'offertoire qu'il faut faire des prières privées à la 1ère personne du singulier, ou encore parler de "sacrifice", mais au coeur de la Prière eucharistique (anaphore).
Or, nous savons que les liturgies les plus "traditionnelles" ont toujours strictement veillé au caractère particulièrement sobre du rite d'offertoire. Parmi les meilleurs témoins de ces liturgies "traditionnelles", citons les Ordines romani et plus précisément l’Ordo romanus l qui date du VIIIème siècle: il nous donne l'exemple d'une liturgie magnifique, vivante, mais dont la sobriété est à l'opposé aussi bien de l'offertoire de l'ancien missel romain "tridentin" que des offertoires avec rondes, farandoles, témoignages et guirlandes dont nous gratifient certains célébrants rêvant probablement d'être des champions de l'animation liturgique.
Que dit l’Ordo romanus I ? Le peuple remet ses offrandes aux diacres qui les portent sur l'autel. Le Pape prend ses propres offrandes (pain et vin) et les dépose lui-même sur l'autel.
Point final.
Il n'y a ni geste spécial, ni prière spéciale.
Mais alors, il n'y a pas vraiment d'offertoire? Si, l'offertoire existe vraiment: le geste de déposer les offrandes sur l'autel, de les mettre "à part" pour Dieu, suffit amplement, avec l’Oratio super oblata dont il a été question plus haut.
Pendant huit siècles, l'Eglise romaine s'est contentée de ce rite: pendant huit siècles, cette forme rituelle de l'offertoire a été considérée à juste titre comme la forme "traditionnelle" de la liturgie romaine.
Vatican II a voulu deux choses:
- éliminer certaines strates de prières conservées par Trente alors qu'elles étaient peu "traditionnelles";
- tenir compte d'un certain développement liturgique en prenant en compte l'évolution des
mentalités.
La restauration liturgique est donc revenue à une forme sobre de l'offertoire tout en introduisant une formule d'offrande du pain et du vin on ne peut plus "traditionnelle" puisque c'est, à quelques mots près, celle qui fut employée par Jésus lui-même lors de la dernière Cène. Elle est inspirée des bénédictions juives (Berakôt), d'où est issue la forme primitive de notre Prière eucharistique:
"Au temps de Jésus, des repas liturgiques, sur le modèle du repas pascal, se célébraient la veille du sabbat et de chaque grande fête parmi les communautés pieuses (les habouroth). La façon dont se déroulaient ces repas permet de comprendre aussi le déroulement de la Cène du Jeudi saint. Avant le repas, on servait des sortes de hors-d'oeuvre -ce qu'on appelle aujourd'hui en Orient, le mêzé - et l'on faisait circuler des coupes de vin qui, toutes, étaient bénies. La "première coupe", à la Cène, dont parle S. Luc (22, 17), était l'une d'elles. Puis les convives se lavaient les mains avec de l'eau parfumée et le repas proprement dit commençait. Il s'ouvrait avec la solennelle fraction du pain par le chef de famille ou le chef de communauté, qui prononçait cette formule d'action de grâce:
"Béni sois-Tu, Seigneur, qui a fait produire le pain à la terre".
C'est sans doute à ce moment que le Christ a consacré le pain. On apportait ensuite les différents plats, que l'on bénissait, et les coupes de vin, chacun bénissant sa propre coupe. A la fin du repas, la dernière coupe était bénie solennellement par le chef de communauté: "Béni sois-Tu, Seigneur... qui a crée le fruit de la vigne".
Ce rite était précédé par celui des lampes, qu'on apportait, et le rite de l'encens, et un deuxième lavement des mains. Ici, Jésus le remplaça par le lavement des pieds des Apôtres. Le rite solennel de la dernière coupe, dans laquelle on mêlait de l'eau au vin, s'accompagnait d'une grande action de grâces (eucharistia), dans laquelle le chef de communauté rappelait les bienfaits de Dieu, matériels et spirituels, depuis la sortie d'Egypte. C'est ici que Jésus a consacré le vin scellant la Nouvelle Alliance.
A sa suite, dans les premières communautés chrétiennes, on pratiqua ce type de célébration constituée par le kerygma, l'annonce de la Parole de Jésus convoquant le peuple de Dieu, les louanges de l'assemblée invoquant cette Parole faite chair, par des prières héritées de la synagogue et, enfin, le sacrifice, "fraction du pain", proclamation de la mort et de la Résurrection du Sauveur scellant définitivement à travers le temps la Nouvelle Alliance, "jusqu'à ce qu'Il revienne" (...)".
Comme l'aura montré cette étude basée sur l'histoire et le sens théologique des rites de l'offertoire, la restauration liturgique faite à la suite de Vatican II n'a, dans ce domaine, rien innové: le Concile a fait en sorte que le sens de l'offertoire soit redécouvert et que sa forme soit pleinement respectueuse de la tradition de la liturgie romaine.
Encore faut-il, pour que chaque fidèle puisse être le bénéficiaire de cette liturgie restaurée, que les rites d'offertoire soient tous convenablement accomplis et non pas soit tronqués soit forcés, comme cela arrive parfois encore.
(Merci à FX de m'avoir fourni la matière)