Une question de mesure

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cmoi
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Une question de mesure

Message non lu par cmoi » sam. 15 mai 2021, 8:15

Je dois me confesser d’une immodestie dont je ne suis pas certain qu’elle soit incorrecte ou impure, car elle remonte en moi à ce temps d’innocence que fut pour chacun de nous notre enfance. Je m’en défendrai et l’illustrerai pas le verset 25 du chapitre 4 de Marc : « Celui qui aura, sera reconnu et il lui sera donné, à lui. Celui qui n’aura pas, même ce qu’il aura eu pour lui, cela lui sera retiré sans lui demander. »

J’ai toujours eu le sentiment de faire en effet partie de ceux qui avaient eu et qui étaient reconnus. Un peu comme si je jouissais de la faveur que mes péchés me soient d’avance pardonnés, comme des inconséquences ou des sottises pas vraiment volontaires. Sans doute cela me vient-il d’appartenir à une famille très pieuse, qui eut de nombreux religieux et religieuses. A la façon dont l’enfant qui s’inquiète de son salut y est rassuré, vu comment Jésus a proposé les enfants en modèle. Il y a eu toutefois un moment où au regard de mes fautes commises, je suis tombé plus tard dans le scrupule et m’en suis méfié, de cet à priori.

Sauf erreur de ma part, mon premier péché (j’en avais malgré tout choisi un qui ne me semblait pas faire grand mal, bien que manifeste), je me suis efforcé de le commettre pour en vérifier la possibilité, l’avouer et détromper mes parents : j’avais besoin d’un secours ! C’est un peu comme si j’avais voulu, comme Obélix, tomber dans la marmite de la grâce, mais pour que me soit épargné le besoin d’y recourir en des circonstances défavorables. J’avais confondu la foi avec la grâce suffisante, ignorant que celle-ci était donnée à tous, mais au prix de quelles difficultés pour un non croyant ! A peine l’avais-je éprouvée que j’avais joué avec la facilité qui m’était accordée.

Cela qui pourrait vous paraître une démarche impie dénotait une attirance pour la question, dont j’aurais pu me désintéresser. Il ne faut pas donner une envie à un enfant si c’est pour ne pas la rassasier : il ira chercher ailleurs, en l’occurrence dans sa vie, de quoi la vivre. Chaque instant comptera pour lui bien plus que pour de plus âgés, en proportion de sa durée totale de vie.

Comme il m’était quasiment impossible d’en arracher la graine ou la croyance, je l’ai recouverte d’auto médicalisation par la médisance et pour donner place à plus de repentir, me suis accablé de considérations sur mon indignité. Il me fallait bien quelque chose sur quoi acquérir de l’expérience, or sinon je ne me sentais qu’heureux et plein d’attentes, sans aucun effort à fournir.

Ce fut peine perdue, car derrière ces considérations se cachait une sorte d’orgueil, issu de cette prétention à jouir d’un traitement de faveur – j’étais vivant ! - et sans laquelle je me serais trop senti perdu et découragé, comme si cela aurait signifié la perte de ma foi. Que faire, pour éviter le sentiment d’exercer au nom de ses promesses, un chantage sur Dieu, qui serait un leurre ?

Or si je remonte d’un verset dans l’évangile de Marc, il y est écrit : « La mesure dont vous vous servirez pour mesurer, sera celle par laquelle vous serez mesurés. Et il y sera même ajouté, pour vous, ces mots que vous entendez. »

Cet ajout ne peut inquiéter que les hypocrites, dont je ne suis pas. Mais il arrive simplement que nous puissions mal nous connaître et nous évaluer avec non pas de la complaisance, mais une sorte de parti pris.

Concernant la première phrase, elle me stimulerait plutôt, car j’avais déjà constaté que je mesurais les autres de façon trop favorable, ce pour quoi ensuite je me désolais de ce dont ils s’avéraient capables et du coup, me sentais porté à les juger par une estime défavorable. Ce dernier point n’étant pas profitable, car il nous privait de biens spirituels à partager, il faudra d’abord que je rabaisse ou que j’allège la mesure dont je me servirai pour moi-même, selon le principe que nous devons faire à autrui ce que nous ferions pour nous-mêmes, afin de m’en corriger. Or je n’entendais pas déroger à mon désir de la remplir et pour cela de la dépasser. J’aspirais à observer d’heureuses surprises si je restais attentif aux autres.

Car il y a bien, face à cette faveur, l’idée d’une exigence à remplir, et qu’aucun péché ne m’a jamais fait souhaiter adoucir. S’il doit y avoir pour moi un châtiment je serai le premier à dire que je l’ai bien mérité et à le prendre comme une fleur. Ce serait celle qui consisterait en ce qu’il n’y en aurait pas qui me serait la plus difficile à recevoir : comment répondre à cette gracieuse et si consolante mansuétude sans un zeste d’ingratitude, ne serai-ce qu’en l’oubliant trop vite par un élan d’enthousiasme assez égoïste ! Je voulais vivre pour Jésus, sachant déjà par expérience que vivre pour soi est ennuyeux et vain.

Tout cela relève de quelque chose de fort ancré, d’identitaire, et qui s’appelle l’espérance, avec l’interdiction faite de désespérer de son salut.
La solution doit pourtant se trouver là, c'est-à-dire que je devrais me réjouir de cette mesure qui m’a bien été donnée telle, ne pas m’en attribuer le mérite, et du coup me défaire autant que les autres d’une obligation de résultat. Faire confiance en Dieu de ce qu’elle ne disparaîtra pas pour autant. Si tout est grâce du côté de Dieu, ne faut-il pas y répondre aussi de façon gracieuse ?

Au lieu de faire comme à l’école, ainsi que le plaidait parmi nous ma grande sœur : chercher à obtenir une bonne note et à en maintenir la moyenne ! Il se pourrait sinon que parfois même, j’économiserai : j’éviterai d’en avoir une meilleure, non pas pour ne pas avoir à en redescendre et déchoir, ne pas décevoir, mais pour accorder de l’importance à ce qui justifie la note, et qui sera plus durable que celle-ci dont j’ignorais l’enjeu... Mais hélas, la note maximale m’attirera de trop, je rebondirai très vite et je ferai après coup de cette exception un acte d’humilité, et non d’abandon ou de relâchement, pour lui conserver du sens : était-ce de l’orgueil si j’estimais que la vie ne pouvait se vivre qu’à 100% ?

Je sais bien que l’orgueil est un des péchés capitaux, mais il arrive aussi qu’il nous serve de garde-fou et qu’à ce titre, nous devions le ménager un peu.

Ombiace
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Re: Une question de mesure

Message non lu par Ombiace » jeu. 20 mai 2021, 5:14

Puisque vous en êtes au registre des confessions, pour ma part, je viens de me faire ressurgir à la mémoire un mécanisme psychologique archaïque, archaïque du fait qu'il remonte lui aussi à l'enfance: Il semblerait que je n'ai pas autant honte que ce à quoi la morale devrait me porter, pour la raison que je relativise même mes chutes dans le péché.

Elles sont en effet rendues possibles par la perspective orgueilleuse d'avoir ce pouvoir que Pilate a cru avoir sur Jésus; ce pouvoir de décider du sort de Jésus.

C'est cet orgueil de Pilate que je partage, moi qui aime le chocolat (Jésus), et qui en consomme de manière immodérée.

Je me dis: "N'ai-je pas des excuses à me vautrer dans la gourmandise en comparaison avec des cultures ou on n'aime pas le chocolat?"

Il semble logique qu'il y a, ouvert, un espace de liberté où la tentation est démultipliée, par l'amour de Notre Sauveur.
Et résister à la tentation devient dès lors une prouesse dont ne peuvent pas se recommander les non-chrétiens qui n'ont pas cette liberté, (j'entends: cette tentation) et donc ce sentiment orgueilleux, à la manière de Pilate, d'avoir un ascendant sur un homme qui est Dieu

Notez:
L'inconvénient de ce sentiment orgueilleux d'ascendant, j'en suis bien conscient, n'est pas incompatible avec l'avantage d'avoir cette raison passionnelle de réprimer la tentation de contribuer à la mort de ce fils de Dieu car nous l'aimons.
Mais ce n'était pas l'objet de ce message
Mon but était juste de signaler cet orgueil archaïque de Pilate dont je me suis avisé récemment que j'avais oublié que je le partageais, et qui me faisait barrage pour accéder à la honte

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