Je voulais retranscrire le texte de Dominique Collin sur une des manière de prier de Saint Dominique, texte qu'on trouve dans "Saint Dominique, homme de l'Évangile", numéro 33 de la collection "Sur la route des saints".
Voilà bien une manière de prier qui ne nous est probablement plus guère familière! Aujourd'hui seuls les prêtres, le jour de leur ordination ou les religieux et religieuses lors de leurs engagements, se jettent tout entier à terre. Or, ce geste est souvent, au témoignage de ceux qui l'ont vécu, un des plus interpellants. Pourquoi? Tout simplement parce qu'il nous rappelle crûment que nous sommes tirés de "la poussière prise du sol" (Cf. Gn 2, 7). Notre condition humaine est d'abord "terrienne", "terreuse", pourrait-on dire, et c'est d'ailleurs bien ce que signifie le nom d'Adam, le "terreux". La terre nous rappelle notre origine, à la fois naturelle et cosmique - elle est terre - mère, mais aussi notre origine divine puisque c'est un Dieu Père qui nous a "tirés de la poussiére" en nous engendrant par sa parole de vérité (cf. Jc 1, 18). Certains vivent plus mal que d'autres leur rapport à l'origine tant ils ont du mal à se sentir justifiés d'exister comme ils existent; il est vrai que les blessures "originelles" peuvent saigner longtemps, parfois toute une vie... qui n'a jamais éprouvé de la peine à adhérer (d'adhérence) à sa condition de "terreux", qui ne s'est jamais senti humilié en perdant par moments la joie d'être humain? C'est pourquoi le geste de la prosternation du corps est justement le contraire de tout sentiment de dépréciation de soi. En prolongeant l'inclination, la prosternation révèle le sens profond de l'humilité : ainsi que son étymologie l'indique, elle est l'attitude de celui qui adhère en toute confiance à son humus, à la fois terre nourriciére et sol porteur. En se jetant tout entier à terre en avant sur sa face, à corps perdu, pourrait-on dire, Dominique ne se laissait pas aller aux sentiments délétères de la culpabilité ou de la honte, lesquels, de fait, nous mettent à terre en nous faisant perdre le juste amour de soi. Tout rapport humilié à l'origine est une fange où l'on piétine et s'embourbe. En se prosternant, Dominique ne se vautre pas dans sa misère ou dans la tristesse d'être né; en collant la glèbe qu'insuffle Dieu, il espére être, comme elle, recrée.
Encore faut-il qu'il consente que la glèbe de tout son être soit modelée pour prendre la forme de l'Homme nouveau. Pour cela, elle doit être mouillée des larmes de la componction. Ce vieux mot de la langue française désigne la douleur spirituelle de celui qui est piqué (le mot latin évoque l'aiguillon) par sa condition de pécheur. De toutes les douleurs que nous pouvons ressentir, celle-ci nous paraîtra sans doute la plus étonnante, voire la plus improbable. Qui souffre encore de se sentir pécheur? Nous avons des raisons de nous méfier de toute exacerbation du péché, d'ailleurs la culpabilisation des esprits a fini par évacuer l'idée de péché et donc l'idée de pardon. Mais nous avons tort de nous imaginer innocents. Personne n'est innocent, à moins de rejeter la faute et l'erreur sur les autres, à moins de nous déresponsabiliser et de nous conduire comme de pauvres victimes dépendantes. Quand la Parole de Dieu nous fait nous reconnaître pécheurs, ce n'est point par sadisme; être en défaut n'équivaut pas à être en faute, même si cette éventualité reste possible, mais à éprouver l'inaccompli, l'incomplétude, le manque d'être que nous sommes. Pour autant, nos multiples et quotidiens ratages (c'est ainsi qu'à partir de l'hébreu et du grec on peut traduire le "péché") ne font pas de nous des ratés mais des êtres qui promettent puisque nous pouvons toujours reprendre le jeu de la vie et de la liberté.