Guillaume Cuchet, Comment notre monde a cessé d'être chrétien, 2018

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ChristianK
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Guillaume Cuchet, Comment notre monde a cessé d'être chrétien, 2018

Message non lu par ChristianK » ven. 03 mars 2023, 23:10

Ce livre important de Guillaume Cuchet mérite un fil à mon avis

Voici un compte-rendu :

Guillaume CUCHET, Comment notre monde a cessé d’être chrétien. Anatomie d’un effondrement. Paris, Éditions du Seuil (coll. « Couleur des idées »), 2018, 288 p.
Professeur d’histoire contemporaine à l’Université Paris-Est Créteil, Guillaume Cuchet est l’auteur de plusieurs livres qui ont marqué l’historiographie religieuse contemporaine : Le crépuscule du purgatoire (2005), Le purgatoire. Fortune historique et historiographique d’un dogme (2012), Les voix d’outre-tombe. Tables tournantes, spiritisme et société (2012), Penser le christianisme au XIXe siècle. Alphonse Gratry (1805-1872) : Journal de ma vie et autres textes (2017). Dans son dernier ouvrage, à travers une passionnante analyse de sociologie historique, il s’intéresse au recul du catholicisme en France depuis les années 1960.
Guillaume Cuchet propose d’abord de longues et intéressantes considérations sur la fameuse « carte Boulard » en tant que lieu de mémoire du catholicisme français. Il s’attarde successivement sur le projet initial de Gabriel Le Bras, les origines de sa problématique, la genèse de sa carte, ses clés de lecture, ses principaux enseignements, les éditions successives et leur réception, le problème des origines historiques de la carte, avant de s’interroger sur ce qu’il en reste aujourd’hui.
Il s’intéresse ensuite au tournant de 1965 à partir de données statistiques qu’il analyse en profondeur malgré la complexité du travail que cela impose, complexité qui tient à la grande diversité géographique du catholicisme français et au fait qu’à partir du milieu des années 1960 l’Église a arrêté de compter le nombre des pratiquants. Malgré tout, à partir d’analyses de cas, il montre que, contrairement à ce qui a souvent été avancé, la rupture des pratiques date de 1965-1966 et doit être imputée au concile Vatican II ainsi qu’au début de l’application de la réforme liturgique plutôt qu’aux fameux événements de 1968 : « Les deux explications favorites de la rupture mises en avant par le catholicisme de droite (“la faute à Mai 68”) et de gauche (“la faute à Humanae vitae”) s’en trouvaient ainsi sérieusement relativisées au profit d’un scénario de double rupture. À un premier palier survenu en 1965 en aurait succédé un autre en 1968 (mai et juillet confondant leurs effets), le premier étant passé relativement inaperçu, le second ayant davantage marqué les mémoires » (p. 98).
Après avoir daté la rupture des pratiques, Guillaume Cuchet s’applique à en déceler les causes en posant l’hypothèse qu’il s’agit du concile Vatican II puisqu’il « ne voit pas […] quel autre événement contemporain aurait pu engendrer une telle réaction » (p. 130). À la base de son raisonnement, il y a la chronologie qui « montre que ce n’est pas seulement la manière dont le concile a été appliqué après sa clôture qui a provoqué la rupture. Par sa seule existence, dans la mesure où il rendait soudainement envisageable la réforme des anciennes normes, le Concile a suffi à les ébranler, d’autant que la réforme liturgique, qui contenait la partie la plus visible de la religion pour le grand nombre, a commencé à s’appliquer dès 1964 ». Cependant, selon l’auteur, ce n’est pas le Concile lui-même qui est à incriminer : « On ne voit pas, par exemple, qu’il ait lui-même relativisé en quelque manière l’obligation de la pratique » (p. 131). Malgré tout, il s’interroge sur les conséquences d’un document comme la déclaration Dignitatis Humanae sur la liberté religieuse, qui aurait peut-être « eu tendance à s’appliquer non pas ad extra, dans les rapports de l’Église et de la société […] mais ad intra, dans la façon dont les catholiques concevaient leurs devoirs religieux. Non pas sur le terrain de la liberté de conscience (puisqu’elle était déjà acquise) mais sur celui de la conscience religieuse (encore à conquérir). Le texte a pu ainsi apparaître comme une sorte d’autorisation officieuse à s’en remettre désormais à son propre jugement en matière de croyances, de comportements et de pratique » (p. 132). À cela, il ajoute certains aspects de la réforme liturgique « comme l’abandon du latin, le tutoiement de Dieu, la communion dans la main, la relativisation des anciennes obligations » (p. 134), auxquelles il faut ajouter les critiques de la communion solennelle, la nouvelle pastorale du baptême et du mariage, les « nouveaux catéchismes », ainsi que, « sans doute plus encore », en tout cas au niveau des humbles, le changement de discours. À titre d’exemple, Guillaume Cuchet évoque le silence brutal au sujet des « fins dernières » sur lesquelles il a beaucoup travaillé dans d’autres travaux. Parmi les facteurs déstabilisants, il évoque encore « l’image de l’Église, de sa structure hiérarchique et du sacerdoce » (p. 135), qui s’est manifestée notamment par l’abandon de la soutane, la politisation du clergé, les départs de prêtres, de religieux et de religieuses, le mariage de certains d’entre eux qui sont apparus à plusieurs comme une « trahison des clercs ». Le Concile a ouvert la voie, souligne-t-il, à une « sortie collective de la culture de la pratique obligatoire sous peine de péché mortel » (p. 135) qui s’exprimait principalement dans l’observance des commandements de l’Église. L’auteur poursuit son analyse en avançant des arguments tout à fait convaincants et bien documentés. Il s’attarde notamment sur le décrochage des jeunes de 15 à 24 ans chez qui le phénomène est le plus marqué. À ce sujet, il résume son analyse en écrivant « que le décrochage des jeunes a été le fait générateur de la crise (au sens de facteur principal) et qu’il a procédé d’un triple effet cumulé d’âge (le décrochage postcommunion), de génération (les baby-boomers) et de période (Vatican II et Mai 68 notamment) » (p. 154). Enfin, il s’attarde sur les causes socioculturelles en essayant de montrer comment ces mutations ont pu produire des effets religieux.
Guillaume Cuchet s’intéresse ensuite aux différentes temporalités de la déchristianisation. Il prend soin de se situer dans la longue durée, ce qui permet de voir des flux et reflux à partir de la Révolution française, avec les deux grandes ruptures que furent cet événement lui-même et le concile Vatican II, « l’une et l’autre déclenchées ou favorisées par un changement important dans le régime de la pratique (la fin de la pratique civilement obligatoire dans le premier cas, de l’obligation pastorale claire dans le second), encadrant un processus long marqué par des paliers de rupture secondaires (1830, 1880, 1914) et une alternance, dans le trend, de phases de reprise et de déprise limitées » (p. 193).
Le cinquième chapitre, qui comporte des tableaux très utiles, porte sur la crise du sacrement de pénitence. Les statistiques montrent qu’il s’agit d’un fait sociologique majeur. Guillaume Cuchet estime qu’elles montrent « une véritable explosion nucléaire du catholicisme français » (p. 206). Au-delà des chiffres, il s’agit aussi d’un fait spirituel d’une grande importance dont Cuchet tâche d’analyser les causes.
Enfin, le dernier chapitre est consacré à la crise de la prédication des « fins dernières », qui sont la mort, le jugement particulier, l’enfer et le paradis (avec éventuellement avant un passage au purgatoire). Selon Guillaume Cuchet, il s’agit « d’un problème de foi et de doctrine, et d’un malaise partagé entre le clergé et les fidèles. Tout se passe en fait comme si, assez soudainement, au terme de tout un travail de préparation souterrain, des pans entiers de l’ancienne doctrine considérés jusque-là comme essentiels, tels le jugement, l’enfer, le purgatoire, le démon, étaient devenus incroyables pour les fidèles et impensables pour les théologiens » (p. 244-245). Dans ce chapitre, il prend soin de présenter l’état de la prédication des fins dernières. Il s’attarde ensuite sur la crise elle-même, sur la rupture du milieu des années 1960, et sur quelques causes probables, avant de se pencher sur le problème de l’interprétation de cette crise.
L’ouvrage est véritablement passionnant tout en étant un excellent exemple d’un travail dépassionné. Le sujet étudié par Guillaume Cuchet est extrêmement sensible, mais il sait s’élever au-dessus des querelles et des idéologies pour proposer une argumentation rigoureusement scientifique. Il n’hésite pas, dans son analyse des causes, à exposer les interprétations conservatrice et conciliaire, et à montrer ce qu’elles contiennent de juste. Par ailleurs, le livre est bien écrit, l’argumentation bien construite et facile à suivre. Il ne fait aucun doute que cet ouvrage marquera durablement l’historiographie et qu’il s’agit désormais d’un ouvrage incontournable pour la connaissance du catholicisme contemporain. Il ouvre également de nombreuses pistes de réflexion pour les historiens du concile Vatican II. Je pense notamment à ceux qui travaillent sur le concept de réception. Cette problématique n’est pas celle de Guillaume Cuchet, mais sa façon d’analyser le catholicisme postconciliaire à partir des données statistiques me semble être une piste à explorer plus en profondeur par les spécialistes de la réception du Concile.
Philippe Roy-Lysencour

On peut trouver ici une entrevue de l’auteur :
https://www.erudit.org/fr/revues/ltp/20 ... 1053566ar/

Pour des comptes rendus plus détaillés ou critiques :
http://www.confrontations.fr/lecture-pa ... ondrement/
https://sociocatho.forumactif.com/t65-g ... etien-2018
https://www.revue-etudes.com/critiques- ... chet/19088

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Re: G. Cuchet, Comment notre monde a cessé d'être chrétien, 2018

Message non lu par katolik » sam. 04 mars 2023, 9:45

oui, depuis peu il a été nommé "Professeur d'histoire contemporaine" à l'Université Paris 1 - Panthéon -Sorbonne .

Vous pouvez trouver sa conference recente, de 85 minutes, sur la " Réflexion d’historien sur les tendances actuelles du catholicisme français " sur le site :

https://paroleadour.fr/podcasts/culture ... OpYG9Fo4LY
Bernadette Soubirous : "Je ne suis pas chargée de vous le faire croire, je suis chargée de vous le dire"

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Re: Guillaume Cuchet, Comment notre monde a cessé d'être chrétien, 2018

Message non lu par joseph1 » lun. 19 juin 2023, 11:16

Beaucoup de chose me semble tourner autour de l' apparence, qui est très loin d' être un phénomène anecdotique. On en a une preuve par ce message de chrétiens qui protestent suite à la venue de prêtres portant soutane.
Cette soutane cause du repli du catholicisme ou au contraire espoir de renouveau ?

Le message :
https://www.golias-editions.fr/2022/12/ ... e-du-jura/

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Re: Guillaume Cuchet, Comment notre monde a cessé d'être chrétien, 2018

Message non lu par Foxy » lun. 19 juin 2023, 14:58

joseph1 a écrit :
lun. 19 juin 2023, 11:16
Cette soutane cause du repli du catholicisme ou au contraire espoir de renouveau ?
si vous donniez votre avis ?
La foi que j’aime le mieux,dit Dieu,c’est l’Espérance.
Charles Péguy

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Re: Guillaume Cuchet, Comment notre monde a cessé d'être chrétien, 2018

Message non lu par joseph1 » mar. 20 juin 2023, 7:01

Foxy a écrit :
lun. 19 juin 2023, 14:58
joseph1 a écrit :
lun. 19 juin 2023, 11:16
Cette soutane cause du repli du catholicisme ou au contraire espoir de renouveau ?
si vous donniez votre avis ?
Je suis pour la soutane. Les prêtres n' ont pas à se cacher. Il n' est pas honteux d' être curé.

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Re: Guillaume Cuchet, Comment notre monde a cessé d'être chrétien, 2018

Message non lu par Altior » mer. 21 juin 2023, 13:22

Bonjour, Joseph !
Moi, la phrase qui me laisse bouche bée dans ce proteste est la suivante :

La soutane [...]n’est pas seulement l’habit anodin de quelques-uns mais la marque affichée d’un mépris du long travail de l’Eglise Universelle de Vatican 2.

Je me pose la question si ces gens qui se tapent la poitrine avec le Vatican 2 ont jamais lu les documents dudit concile. Dire, écrire et signer que le port de l'habit de l'Église c'est le mépris de l'Église, il fallait penser !

Gaudens
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Re: Guillaume Cuchet, Comment notre monde a cessé d'être chrétien, 2018

Message non lu par Gaudens » mer. 21 juin 2023, 13:58

J'ai eu la même réaction que vous Altior, cette lettre ouverte de chrétiens jurassiens est consternante à plus d'un titre.Il fut prier pour que les esprits et les coeurs s'ouvrent (également du côté des soutanes,si nécéssaire,bien sûr !).

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