1.
Certes, je n'ai pas parlé de Saint Thomas mais du thomisme (ouf !) : la pensée thomiste ne s'est pas arrêtée à la mort du docteur angélique, le but n'étant pas pour moi de faire de l'archéologie.
Vous citiez Reconciliatio et Paenitentia, 17. Mais l'avez-vous bien lu ?
« À la lumière de ces textes de la sainte Écriture et d'autres, les docteurs et les théologiens les maîtres spirituels et les pasteurs ont distingué entre les péchés mortels et les péchés véniels. Saint Augustin, notamment, parlait de letalia ou de mortifera crimina, les opposant à venialia, levia ou quotidiana. Le sens qu'il a donné à ces qualificatifs influencera ultérieurement le Magistère de l’Église. Après lui, saint Thomas d'Aquin formulera dans les termes les plus clairs possible la doctrine devenue constante dans l’Église. » Reconciliatio et Paenitentia, 17, § 8.
De sorte que, pendant que j'y suis, et en réponse à votre aparté : « Ce n'est pas, en effet, sans présomption que quelqu'un porte un jugement sur ce qu'il ignore, et surtout dans les domaines où existe un danger de se tromper. » De Malo, III, a. 7, co.
2.
Olivier C a écrit : ↑dim. 03 juil. 2022, 0:44
Ensuite, pour qu'il y ait péché mortel, il faut non seulement qu'il y ait gravité de la matière mais aussi
conscience de cette gravité, il faut enfin poser un acte vraiment libre de commettre ce péché (dans le C.E.C on parlera d' "entier consentement"). Bref, la gravité de l'acte ne suffit pas, il y a bien une question de conscience de l'acte.
C.E.C #1857 a écrit :Pour qu'un péché soit mortel trois conditions sont ensemble requises : "Est péché mortel tout péché qui a pour objet une matière grave, et qui est commis en pleine conscience et de propos délibéré." (cf. Reconciliatio et paenitentia #17) [les paragraphes suivants développent ces trois points]
La conscience requise ne porte pas sur la gravité de l'acte mais sur l'objet de l'acte !
«
Deux éléments, avons-nous dit, concourent à la raison de péché : l'acte volontaire et le désordre qui lui vient de son éloignement de la loi divine. Mais de ces deux éléments le pécheur n'a directement en vue que le premier, car il a l'intention d'accomplir en telle matière tel acte volontaire ; l'autre élément, c'est-à-dire le désordre de l'acte, ne se relie que par accident à l'intention du pécheur... Et c'est pourquoi la distinction entre les péchés se fait du côté des actes volontaires plutôt que du désordre qui y est impliqué. Mais les actes volontaires, comme nous l'avons montré dans les traités précédents, se distinguent spécifiquement par leurs objets. Il en découle que la distinction proprement spécifique entre les péchés se fait selon leurs objets. » ST, I-II, q. 72, co.
La pleine conscience (on parle davantage d'advertance suffisante de la raison et de la volonté) et le propos délibéré portent sur l'acte lui-même, non sur son opposition à la loi divine. Vous en trouverez claire confirmation dans les traités de saint Thomas, ou, à défaut que vous les fréquentiez, dans le document pontifical que vous avez mentionné :
« Si l'on considère ensuite la matière du péché, les idées de mort, de rupture radicale avec Dieu, bien suprême, de déviation par rapport à la route qui conduit à Dieu ou d'interruption du cheminement vers lui (toutes manières de définir le péché mortel), se conjuguent avec l'idée de gravité impliquée dans le contenu objectif : c'est pourquoi le péché grave s'identifie pratiquement, dans la doctrine et l'action pastorale de l’Église, avec le péché mortel. » Reconciliatio et Paenitentia, 17, § 11.
« Nous recueillons ici le noyau de l'enseignement traditionnel de l’Église, repris souvent et avec force au cours du récent Synode. Celui-ci, en effet, a non seulement réaffirmé ce qui avait été proclamé par le Concile de Trente sur l'existence et la nature des péchés mortels et véniels, mais il a voulu rappeler qu'est péché mortel tout péché qui a pour objet une matière grave et qui, de plus, est commis en pleine conscience et de consentement délibéré. On doit ajouter, comme cela a été fait également au Synode, que certains péchés sont intrinsèquement graves et mortels quant à leur matière. C'est-à-dire qu'il y a des actes qui, par eux-mêmes et en eux-mêmes, indépendamment des circonstances, sont toujours gravement illicites, en raison de leur objet. Ces actes, s'ils sont accomplis avec une conscience claire et une liberté suffisante, sont toujours des fautes graves. » Reconciliatio et Paenitentia, 17, § 12.
« Il y a, en fait, péché mortel également quand l'homme choisit, consciemment et volontairement, pour quelque raison que ce soit, quelque chose de gravement désordonné. En effet, un tel choix comprend par lui-même un mépris de la loi divine... » Reconciliatio et Paenitentia, 17, § 16.
Bref, il suffit pour pécher mortellement de vouloir quelque chose de gravement désordonné. Il n'est aucunement besoin que de surcroit on veuille explicitement transgresser la loi divine. Car
quelque soit la raison pour laquelle vous commettez l'acte matériellement peccamineux, dès lors qu'il est gravement désordonné, il est
par lui-même mortel. Ainsi, il suffit pour commettre le péché mortel de fornication de forniquer de propos délibéré. Point n'est besoin à la constitution du péché mortel de fornication qu'en sus de vouloir forniquer, vous ayez de surcroit claire conscience de transgresser la loi. Car du seul fait que vous voulez consciemment poser un acte de fornication, qui
de soi viole la loi, vous voulez du fait-même violer la loi, ce que vous ayez ou non conscience de la violer.
Bref, pour que la responsabilité morale de l'acte peccamineux vous soit formellement imputable, il suffit que vous ayez voulu, avec la lucidité et la liberté suffisante, la commission matérielle de l'acte. Il n'en va autrement qu'à condition d'avoir ignoré invinciblement commettre une transgression.
Quand l'ignorance est vincible, elle ne fait pas disparaitre le caractère volontaire de l'acte, et parfois l'atténue (ignorance crasse), parfois l'aggrave (ignorance affectée). L’ignorance crasse est celle des paresseux, qui fautivement négligent de s’instruire de la loi. L’ignorance affectée est celle des crapules, qui décident de ne pas s’instruire de la loi pour y manquer plus librement ; on peut y assimiler l'ignorance des infidèles positifs qui, ayant refusé la foi, ignorent la loi. Saint Thomas d'Aquin en traite magistralement au De Malo, question 3, que vous seriez fort avisé de compléter par l'étude du De Veritate, question 17.
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« L'ignorance, par contre, signifie parfois la privation de science, et en ce sens, ne consiste en rien d'autre que de manquer du savoir qu'il convient naturellement de posséder ce qui relève de la raison de toute privation. Il arrive parfois également que l'ignorance comporte quelque opposition à la science, et l'on parle d'une ignorance causée par une disposition perverse, par exemple lorsque quelqu'un possède l'habitus de principes faux et d'opinions erronées, qui le détournent de la science de la vérité. Quant à l'erreur, elle consiste à reconnaître pour vrai ce qui est faux ; aussi ajoute-t-elle un acte à l'ignorance, car il peut y avoir ignorance sans que l'on porte un jugement sur ce que l'on ne sait pas, et dans ce cas, on est ignorant mais pas dans l'erreur ; mais dès que l'on porte un jugement faux sur ce que l'on ignore, on est dit alors proprement dans l'erreur. Et parce que le péché consiste en un acte, l'erreur a de toute évidence raison de péché. Ce n'est pas, en effet, sans présomption que quelqu'un porte un jugement sur ce qu'il ignore, et surtout dans les domaines où existe un danger de se tromper… Quant à l'ignorance, elle a de soi raison de peine, mais toute ignorance n'a pas raison de faute, car ignorer ce que l'on n'est pas tenu de savoir ne comporte pas de faute, tandis que l'ignorance qui fait ignorer ce qu'on est tenu de savoir ne va pas sans péché. Or chacun est tenu de savoir ce qui lui permet de se diriger dans ses propres actions. Aussi tout homme est-il tenu de savoir les vérités qui relèvent de la foi, parce que la foi dirige l'intention, et les préceptes du décalogue, grâce auxquels il peut éviter les péchés et faire le bien : aussi ont-ils été promulgués par Dieu devant tout le peuple comme le rapporte l'Exode 20, 22, tandis que Moïse et Aaron apprirent du Seigneur les éléments plus secrets de la loi. Outre cela, chacun est tenu de savoir ce qui a trait à son office, ainsi l'évêque ce qui regarde sa charge épiscopale, et le prêtre ce qui regarde sa charge sacerdotale, et ainsi pour les autres. Et l'ignorance de ces points ne va pas sans faute. On peut donc considérer une telle ignorance à un triple point de vue : d'une part en elle-même, et à ce point de vue, elle n'a pas raison de faute, mais de peine. Car on a dit plus haut que le mal de la faute consiste en la privation d'ordre dans un acte, alors que le mal de la peine consiste en une privation de perfection dans le sujet qui agit ; aussi la privation de la grâce ou de la science, considérée en tant que telle, a-t-elle raison de peine. D'autre part, on peut considérer cette ignorance par rapport à sa cause. De même en effet que la cause de la science consiste dans l'application de l'âme au savoir, de même la cause de l'ignorance consiste à ne pas appliquer l'âme au savoir, et le fait même de ne pas l'appliquer à connaître ce que l'on est tenu de savoir est un péché d'omission. Aussi, si cette privation est envisagée avec la cause qui la précède, il y aura péché actuel, de la manière dont on dit que l'omission est un péché. Cette ignorance peut s'envisager enfin par rapport à sa conséquence, elle est alors parfois cause de péché, comme on l'a dit plus haut. » De Malo, III, a. 7, co.
« Or il faut remarquer que l'ignorance peut enlever le caractère volontaire de ce qui la suit, mais non de ce qui la précède. Étant donné que l'ignorance se situe dans l'intelligence, le rapport de l'ignorance au volontaire peut être considéré selon le rapport de l'intelligence à la volonté : l'acte d'intelligence, en effet, précède nécessairement l'acte de volonté, parce que le bien saisi par l'intelligence est l'objet de la volonté ; c'est pourquoi, si la connaissance de l'intelligence est ôtée par l'ignorance, l'acte de volonté est supprimé, et alors le volontaire est supprimé pour ce qui a trait à ce que l'on ignore… Mais, en revanche, l'acte de volonté peut précéder l'acte d'intelligence, comme lorsque quelqu'un veut penser à soi-même, et pour la même raison, l'ignorance tombe sous l'influence de la volonté et devient volontaire. Ceci peut se réaliser de trois manières : premièrement, lorsque quelqu'un veut directement ignorer la science du salut pour ne pas avoir à s'abstenir du péché qu'il aime ; aussi parle-t-on en Job 21, 14, de certains hommes qui disent à Dieu : "Écarte-toi de nous, nous ne voulons pas connaître tes voies." En second lieu, on dit que l'ignorance est indirectement volontaire, parce qu'on ne s'applique pas à connaître, et c'est là l'ignorance de négligence. Mais comme on ne dit que quelqu'un est négligent que s'il omet de faire ce à quoi il est tenu, il ne paraît pas relever de la négligence que l'on n'applique pas son esprit à connaître n'importe quelle chose, mais seulement ce qu'on est tenu de savoir, soit de façon absolue et en tout temps - aussi l'ignorance du droit est tenue pour une négligence -, soit dans un cas particulier: ainsi celui qui tire des flèches dans un endroit où les hommes ont l'habitude de passer se verra imputer comme une négligence de ne pas avoir cherché à savoir si, alors, quelqu'un passe. Et cette ignorance qui se produit par négligence est jugée volontaire. Troisièmement, on parle d'une ignorance volontaire par accident, dans le cas où l'on veut directement ou indirectement un fait qui entraîne l'ignorance ; de façon directe, comme cela est clair chez l'ivrogne qui veut boire du vin plus qu'il ne convient, ce qui le prive de l'usage de la raison; de façon indirecte, lorsque quelqu'un néglige de repousser les mouvements des passions qui s'élèvent et qui, en se développant, lient l'usage de la raison dans le choix des biens particuliers; en vertu de quoi on dit que tout homme mauvais est un ignorant. Donc, puisque ce qui est causé par la volonté est compté pour volontaire dans le domaine moral, autant l'ignorance elle-même est volontaire, autant elle est loin de causer le non volontaire, et par conséquent, d'excuser le péché. Donc, lorsque quelqu'un veut de façon directe demeurer dans l'ignorance, afin de n pas être détourné du péché par son savoir, une telle ignorance n'excuse pas le péché, ni en tout ni en partie, mais l'augmente plutôt : c'est en effet à cause d'un grand amour du péché qu'il arrive que l'on veuille souffrir un détriment dans le savoir, afin d'adhérer librement au péché. Mais lorsque quelqu'un veut ignorer de façon indirecte parce qu'il néglige d'apprendre, ou même lorsqu'il veut l'ignorance par accident, quand il veut de façon directe ou indirecte ce qui entraîne l'ignorance, une telle ignorance ne cause pas totalement l'involontaire dans l'acte qui va suivre parce que, du fait même que cet acte procède d'une ignorance qui est volontaire, il est lui-même volontaire d'une certaine manière. Cependant, cette ignorance antécédente diminue le caractère volontaire : en effet, l'acte qui procède d'une telle ignorance est moins volontaire que si on l'avait choisi sciemment, sans aucune ignorance ; et c'est pourquoi une telle ignorance n'excuse pas complètement l'acte qui la suit, mais dans une certaine mesure. Mais il faut pourtant remarquer que parfois, l'acte qui suit et l'ignorance qui précède ne constituent qu'un seul péché, comme on dit que la volonté et l'acte extérieur ne font qu'un péché. Aussi peut-il arriver que le péché ne soit pas moins aggravé de par la volonté d'ignorer qu'il n'est excusé de par la diminution du caractère volontaire de l'acte. Si, par contre, l'ignorance n'est volontaire sous aucun des modes dont on vient de parler, par exemple lorsqu'elle est invincible et qu'elle existe sans aucun désordre de la volonté, elle rend alors l'acte qui la suit complètement involontaire. De Malo, III, a. 7, co.
3.
Enlevons déjà un écueil : je n'ai jamais posé les termes "d'état moribond" ou "à l'article de la mort", j'ai énoncé le moment de la séparation de l'âme et du corps. On parle bien ici de la mort sur un plan métaphysique.
Les actes moraux posés en notre vie conditionnant notre âme, au moment de notre mort tout se cristallisera, si l'on peut dire, se fixera dans une réponse unique, totale et irréversible.
Vous diriez clairement que tout est joué au dernier souffle de notre vie terrestre, que le moment de la cristallisation et ultime réponse se fait dans cette vie, ici-bas, au point ultime d'achèvement de notre vie terrestre, donc avant d'avoir trépassé, il n'y aurait pas de soucis.
Mais vous dites potentiellement autre chose. Il n'est nul besoin de forcer vos expressions pour y trouver l'idée que notre choix ultime - et en lui celui d'une possible et ultime conversion - se ferait post-mortem. Il est dommage que vous ne perceviez pas l'extrême toxicité d'une telle suggestion.
Or conjoignant à votre dernière citation ces deux autres, le masque tombe.
En effet, au moment de la mort on connait avec une acuité parfaite notre positionnement face à Dieu.
Ensuite, pour qu'il y ait péché mortel, il faut non seulement qu'il y ait gravité de la matière mais aussi conscience de cette gravité, il faut enfin poser un acte vraiment libre de commettre ce péché
Vous paraissez contredire ouvertement la foi catholique, en faisant dépendre le salut ou la perdition d'un choix, d'une réponse, après la mort, après la séparation définitive de l'âme et du corps. Cette théologie fiction, hétérodoxe en diable, d'une toxicité criminelle et assassine, ne mérite aucune sympathie.
4.
Restant sauf que le Christ a le dernier mot dans son jugement (si ça peut apaiser certains). Bien sûr qu'il n'est pas passif, c'est bien lui, garant des âmes, qui est à l'origine de la rédemption et qui garde cette initiative, qui a tenté jusqu'au bout de sortir le pécheur du risque de l'impénitence finale par toutes les armes de sa grâce.
« Jusqu’au bout » ? Votre propos est douteux, même si j'y incline. Douteux, car l'abus des grâces existe, et leur amenuisement sinon leur tarissement en sanction des abus les plus graves ne peut absolument s'exclure ici-bas, même si, fort heureusement, la miséricorde de Dieu est infinie.
5.
C'est tout le problème quand on est autodidacte… Mais, au risque de me répéter, comment peut-il en être autrement lorsque l'on [n’]a pas été introduit ? pas été accompagné ? Si vous avez autant d'énergie, pourquoi ne pas la dépenser dans une vraie formation ? plutôt que de perdre votre temps en débats stériles sur un forum ? Ce ne sont pas les formations en lignes qui manquent désormais…
Je laisse aux lecteurs le soin de juger lesquelles de nos formations respectives sont les plus pertinentes. Là où je pourrais vous rejoindre, c'est qu'on en sait jamais assez.