Le message de la religion

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Cinci
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Le message de la religion

Message non lu par Cinci » dim. 12 sept. 2021, 13:37

Bonjour,

La bonne tradition des petits extraits est de retour.



La dimension oubliée

par

Paul Tillich


«Si la religion n'avait plus rien à nous dire sur nous-même, elle n'aurait plus aucun titre à être écoutée. Et si elle ne nous parlait qu'à la manière dont le fait l'information, n'importe quel journal, quelle radio, ou n'Importe quel orateur, si elle ne se situait qu'au niveau des sentiers battus de l'opinion publique, elle ne mériterait guère plus d'attention.

Si la religion n'était qu'un piment superflu de la vie, une passion d'illuminés, une sécurité supplémentaire ou quelque travesti de la réalité, alors elle n'aurait plus aucune signification, ni pour le présent ni pour aucun temps. Si la religion cessait d'être le glaive de l'esprit qui transperce l'élan, la sécurité et la dignité de l'homme, les juge, les transforme et les élève, alors elle serait balayée par le progrès de la civilisation et devrait être aussi vite que possible abandonnée comme tout ce qui s'avère inutile et néfaste.

Très souvent la religion n'a été rien de plus que la consécration superflue de situations et d'attitudes courantes, sans que par là celles-ci aient été jugées ou modifiées. Ainsi la religion et l'ordre féodal qu'elle a consacré sans le transcender. Ainsi le nationalisme que la religion a investi sans le changer. Ainsi la démocratie ... La religion a béni la guerre sans même lui opposer ses armes spirituelles. La religion a consacré la paix et sa sécurité sans que son appel en secouât la torpeur. La religion a consacré l'idéal bourgeois de la famille et de la propriété sans le juger, et elle a sanctionner l'exploitation de l'homme par l'homme sans la dépasser; au contraire, elle l'a, à l'occasion, utilisée pour son propre compte.

La première parole que la religion doit à l'homme d'aujourd'hui, c'est d'abord et avant tout une parole contre elle-même. C'est la parole des prophètes juifs contre les prêtres, les rois et les faux prophètes, tous gardiens de leur religion nationale, qui consacraient des institutions et une politique pervertis sans les soumettre au jugement de Dieu. Aujourd'hui, il faut être aussi sévère sur nos institutions religieuses que sur notre comportement politique. Dans un tel moment de l'histoire, la religion va-t-elle se contenter de suivre le cour des événements, la pente de l'opinion publique et de ceux qui la téléguident ? Dans notre situation, la religion va-t-elle oui ou non transcender notre situation ?

La religion ne peut atteindre les hommes que si son message dépasse le présent, le soumet au jugement et le transforme. Autrement, la religion ne serait qu'un élément de plus ajouté à ceux qui ont déjà cours, elle ne servirait que l'opinion publique dans son entreprise tyrannique d'asservissement des foules.»

(à suivre)

Cinci
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Re: Le message de la religion

Message non lu par Cinci » dim. 12 sept. 2021, 14:00

(suite)

Il n'y a que deux directions dans lesquels le sens de l'existence humaine peut être présenté symboliquement : la verticale et l'horizontale. La première indique le sens éternel comme tel, tandis que la seconde veut exprimer la réalisation temporelle du sens éternel. Toute religion a nécessairement deux orientations, même si, selon le cas, l'une ou l'autre prédomine. L'élément mystique qui fait aussi partie de toute religion est symbolisé par la ligne verticale; l'élément actif qui fait aussi partie de toute religion, par la ligne horizontale.

Si, à l'homme d'aujourd'hui, la religion doit dire une parole qui transcende son existence, l'oriente et la transforme, cela doit s'opérer selon les deux directions, aussi bien selon la verticale que selon l'horizontale dans une dépendance réciproque.

L'histoire est la sphère dans laquelle l'homme se détermine lui-même librement. Et l'histoire est en même temps la sphère dans laquelle l'homme est déterminé malgré lui par le destin. Très souvent les créations de la liberté humaine sont devenues des instruments que le destin a employés contre l'homme; aussi voyons-nous la puissance technique crée par l'homme se tourner contre lui avec une force irrésistible. Il y a dans l'histoire des périodes ou l'élément de liberté prédomine, et il y a aussi des périodes ou la nécessité et le destin l'emportent. Cette dernière situation , c'est la nôtre aujourd'hui.

Dès l'instant ou, avec l'aide complaisante des classes dirigeantes de tous les pays, des dictateurs sont parvenus à s'emparer solidement du pouvoir, et ou le pas décisif a été fait dans la destruction néfaste des principes libéraux, a commencé une période ou le destin a fait sentir son poids.

Nous voici dans une période ou ni l'individu ni son sort n'ont de prix et ou la vie humaine compte aussi peu qu'il y a 300 ans pendant les guerres de religion, si meurtrières. Nous voici dans une période ou, dans tous les pays du monde, l'insécurité s'est accrue comme aux âges les plus primitifs de l'évolution humaine et ou l'absurdité est ressentie par un si grand nombre de gens qu'elle entraîne chaque jour davantage de maladies mentales, de plaies sociales et de souffrances individuelles. Nous sommes dans un âge ou une nécessité tragique transforme en un plus grand mal les tentatives timides pour faire le bien. Dans une telle période, l'affirmation de l'horizontal, l'affirmation de ce que nous pourrions et devrions faire a perdu sa vigueur. Car chacun sent que tout, quoi que nous fassions, confirme directement ou indirectement un destin historique qui ne se montre plus à nous que par son côté négatif et destructeur.

(à suivre)

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Re: Le message de la religion

Message non lu par Cinci » mar. 14 sept. 2021, 4:38

(suite)

[...]

L'âme humaine ne peut subsister sans la dimension verticale, sans la connaissance d'un sens ultime et éternel, quels que soient les termes mythologiques et théologiques par lesquels on l'exprime. Si l'homme d'aujourd'hui n'est plus capable de choisir le risque, il ne pourra plus résister à la pesanteur terrible de la catastrophe historique. Si nous ne comprenons plus les paroles du psalmiste disant que la perte du corps et de la vie et du ciel et de la terre ne peut amputer l'homme du sens ultime de sa vie, si nous ne sentons plus ce que signifient ces mots : «Toute lutte, tout combat est éternel repos en Dieu le Seigneur», si tout cela nous paraît étrange et irréel, c'est que nous avons perdu la force d'affronter la réalité autrement qu'avec cynisme et désespoir.

Or les Églises et les communautés religieuses sont-elles en situation de dire à l'homme de notre temps le message de la dimension verticale, de choisir le risque, et la sphère spécifiquement religieuse ? Ou bien ont-elles totalement oublié la ligne verticale ? Si nous regardons la vie religieuse en Amérique, telle qu'elle se montre à nous dans la plupart des cas, nous sommes enclins à admettre que la sphère religieuse y a perdu sa signification, qu'il y a plus qu'exigences morales, activités caritatives et prise de position politique.

[...]

Qu'est-ce que la religion a à nous dire à ce propos ? Doit-elle même dire quelque chose ? Ou bien l'activisme à l'américaine est-il une garantie suffisante d'accomplissement de la responsabilité religieuse ? Évidemment non. En soi l'activisme ne peut pas suspendre la loi tragique de l'histoire, surtout pas quand il essaie d'échapper à l'expérience de l'absurdité et de la vacuité qui s'Impose à nous au regard des choses éternelles.

La religion a presque oublié la verticale et a consacré sa force à l'horizontale seule. Elle a consacré l'utopisme de plus en plus envahissant, au lieu de le rectifier et de le transcender. C'est pourquoi il est parvenu à un tel point que les hommes mépriseront la religion si elle n'a rien d'autre à leur annoncer que la grandeur et la gloire de l'homme et de son histoire. On la qualifiera de mensonge et d'idéologie, on s'en détournera pour le cynisme et le désespoir. C'est déjà le cas d'une large part des générations montantes et c'est le plus grand danger pour la religion comme pour la culture.

La religion doit enseigner à la jeunesse quelque chose qu'elle ne peut entendre nulle part ailleurs [...] Tout est soumis à la loi tragique de l'histoire. Bien que la religion le sache, elle ne se soustrait pas à l'histoire; bien qu'elle affirme le sort tragique de toute vérité et de toute bonté humaine, elle travaille avec un désintéressement sans réserve pour le bien et le vrai. Un tel message n'est pas facile, et pourtant il n'est pas illusion. La religion voit la réalité sans devenir pessimiste, elle est consciente sans pourtant désespérer. Elle brise l'utopisme sans briser l'espérance. L'espérance est le contraire de l'utopisme. L'utopisme se détruit nécessairement; l'espérance ne meurt jamais, parce qu,elle ose affronter le tragique de l'agir historique. L'espérance réunit la ligne verticale et la ligne horizontale. Aussi le dernier mot que la religion puisse dire à l'homme d'aujourd'hui est-il une parole d'espérance.


Fin de l'extrait

Cinci
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Re: Le message de la religion

Message non lu par Cinci » mer. 15 sept. 2021, 0:36

Le livre a été écrit en 1969 imaginez. Il est sorti en même temps que la messe de Paul VI (sourire).

Reprenons :
Si la religion n'avait plus rien à nous dire sur nous-même, elle n'aurait plus aucun titre à être écoutée. Et si elle ne nous parlait qu'à la manière dont le fait l'information, n'importe quel journal, quelle radio, ou n'Importe quel orateur, si elle ne se situait qu'au niveau des sentiers battus de l'opinion publique, elle ne mériterait guère plus d'attention.
Quel visionnaire ! On dirait qu'il parle de notre Église d'aujourd'hui. Car c'est bien là l'impression qui m'est suscité par nos chefs religieux la plupart du temps. Par les journalistes religieux et autres commentateurs à la radio. Un mortel ennui. Comme une simple redite du discours mainstream que l'on trouve partout. Et le pire : à croire que l'Église serait tout à fait à la remorque des faiseurs d'opinion.


Il écrivait :
Dans un tel moment de l'histoire, la religion va-t-elle se contenter de suivre le cour des événements, la pente de l'opinion publique et de ceux qui la téléguident ? Dans notre situation, la religion va-t-elle oui ou non transcender notre situation ?
C'est la question que je me pose depuis un bout. Et puis «... se contenter de suivre la pente de l'opinion publique »; mais alors terrible, terrible ... Oui, si on pense à des évêques comme amputés de la dimension verticale. «Fonctionnaires», disait Drewermann.

La religion ne peut atteindre les hommes que si son message dépasse le présent, le soumet au jugement et le transforme. Autrement, la religion ne serait qu'un élément de plus ajouté à ceux qui ont déjà cours, elle ne servirait que l'opinion publique dans son entreprise tyrannique d'asservissement des foules
Yes ! En plein de mille.

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