Je prévoyais la rigueur de vos réponses, étrangères aux échappatoires existentielles et émotives. Elles permettent vraiment de creuser le point. Je vais tenter de répondre en cernant le plus possible ce que peut être la position de St Thomas, utilisant la vertu de libéralité et l’impossibilité d’être injuste envers soi-même. Tout en sauvegardant une partie de l’obligation divine que vous percevez.
Ceci nous amènera à nuancer la notion néanmoins juste de dette (qui se trouve plus du côté vindicatif – la dé-compense – que médicinal)
Il est vraiment difficile de croire que St Thomas commettrait une grossière contradiction en parlant de justice de Dieu qui exige satisfaction et ensuite que la miséricorde ne contredirait pas cette justice.
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Vous n'avez pas bien compris, j'ai l'impression. Saint Thomas dit que la justice de Dieu (c-à-d les décisions de justice de Dieu) dépend de sa volonté, et que c'est cette volonté qui exige (librement) satisfaction.
Pour le purgatoire seulement, et globalement seulement, pas pour l’enfer. St Thomas ne dit pas que le purgatoire de chacun est arbitraire individuellement, Mais seulement que le purgatoire aurait pu ne pas exister. Peut-être une autre peine médicinale aurait-elle pu exister, par exemple, on sait pas ?
Tout ce qu’il veut dire c’est que dans le cas du pénitent la satisfaction est juste PCQ DECIDEE ainsi librement (présumément pcq c’est mieux) par Dieu.
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C'est pas parce que Dieu déciderait librement la satisfaction que celle-ci serait juste. Cela n'a pas de sens. .
Ca a du sens pour St Thomas puisque Dieu ne peut être injuste. Et il nous dit pourquoi : le libéral n’est pas injuste, il peut seulement manquer de la vertu de prudence.
Oui, c'est ce que Saint Thomas prétend : Dieu n'agirait pas contre la justice en n'exigeant aucune satisfaction. Mais si la justice n'en serait nullement lésée, pourquoi ne pas faire miséricorde ? Je ne peux y voir que de la cruauté. .
La simple non libéralité n’est pas cruauté si elle reste juste. La cruauté implique un châtiment injuste, excessif, contraire à la vertu (juste milieu) de vindicte.
Quant à conclure que pcq décidée librement, la satisfaction serait cruelle, c’est excessif et anthropomorphique, comme dit cmoi Dieu a ses raisons et elles ne peuvent être cruelles, par définition; comme je l’ai dit, le plus grand bien pour le tout de la création est probable.
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Choisir de réclamer satisfaction est cruel si un autre choix est librement possible sans agir contre la justice.
Le plus grand bien pour le tout, vous êtes gentil, mais vous ne dites pas la raison pour laquelle ce serait mieux de choisir ce bien plutôt que le bien de la personne. Et s'il y a une vraie bonne raison, cela implique alors que ce choix est meilleur, et que donc Dieu est obligé d'opter pour.
On revient à Leibniz et à l’obligation divine au meilleur monde possible. C’est défendable en philo mais pas catho, Dieu peut avoir fait un monde objectivement moins bon que possible, sans injustice. La raison du plus grand bien pour le tout est la hiérarchie harmonique, le mal de la gazelle tuée par le lion est un bien pour le lion et pour le tout.
Le bien pour le tout pourrait être l’exemplarité.
Votre position serait celle de Leibniz, ou Dieu est obligé par sa nature au meilleur monde possible. Bien sûr Leibniz est une excellente référence , particulièrement sur le problème du mal. Mais dans le dogme catho, il n’y a pas le meilleur monde possible.
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Je ne sais pas d'où vous tenez ça. Où est-ce que le dogme fait référence à un meilleur monde possible ?
Justement, il n’existe pas. Mais vous l’affirmez, ou l’impliquez
IL serait certes une impossibilité métaphysique que Dieu pèche en étant injuste. Mais St Thomas dit que s’il décidait de remettre la satisfaction des pénitents il ne serait PAS injuste, pcq il ne serait pas lésé. C’est le point précis. Ceci malgré que de facto, Dieu a décidé qu’il est injuste pour l’homme de ne pas satisfaire. C’est subtil…
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Dans les faits, miséricorde et justice s'opposent. C'est pour ça qu'à la base, dire que faire miséricorde sans aucune satisfaction n'est pas agir contre la justice est faux. Même si l'on consent soi-même à ne pas se faire justice, et qu'on peut dire qu'on ne commet ainsi pas d'injustice envers autrui, la justice n'est pas appliquée. C'est pour ça que Dieu ne peut faire miséricorde que s'il y a une compensation au niveau de la justice.
Mais de toute façon nous avons vu que même en admettant que "gracier" ne serait pas agir contre la justice, et que Dieu pourrait librement ne pas exiger de satisfaction (sans que la justice en soit lésée, donc), la déduction inévitable est que Dieu est cruel lorsqu'il choisit de torturer, car cela ne peut pas être pour une raison de justice. L'objection qui consiste à déplacer le problème en disant que la décision serait objectivement meilleure (pour une raison inconnue) ne sert à rien. En effet, si ce choix est meilleur, Dieu est nécessité à le faire (perfection oblige), et si ce choix n'est pas meilleur, Dieu devrait choisir d'éviter aux humains des tortures inutiles... à moins qu'il soit cruel.
Non, ca va trop loin, la perfection n’implique pas le meilleur monde possible et on ne pèche pas si on ne le fait pas, surtout pas Dieu.
Mais revenons à Thomas :
« . . La justice de Dieu dépend elle-même de la volonté divine, qui exige du genre humain satisfaction pour le péché. Car si Dieu avait voulu libérer l'homme du péché sans aucune satisfaction, il n'aurait pas agi contre la justice. Un juge ne peut sans léser la justice remettre une faute ou une peine, car il est là pour punir la faute commise contre un autre, soit un tiers, soit tout l'État, soit le chef qui lui commande. Mais Dieu n'a pas de chef, il est lui-même le bien suprême et commun de tout l'univers. C'est pourquoi, s'il remet le péché, qui a raison de faute en ce qu'il est commis contre lui, il ne fait de tort à personne, pas plus qu'un homme ordinaire qui remet, sans exiger de satisfaction, une offense commise contre lui ; il agit alors avec miséricorde, non d'une manière injuste. »
Revenons à cet homme ordinaire et à la justice commutative : Il est impossible pour Aristote et St Thomas d’ëtre injuste à l’égard de soi-même à strictement parler (au lieu, on sera dans le vice d’imprudence) car la justice concerne le rapport à autrui. Il est donc évident et classique que si on me doit 100 et que je remets la dette sans compensation je ne suis pas injuste, mais un vertueux par libéralité (si c’est raisonnable dans les circonstances; ceci si le débiteur veut me rembourser, donc est honnête. S’il ne veut pas, malicieusement, c’est un escroc disons, et son acte est injuste dans l’intention et en ce cas, à cause de la malice, j’aurai un moindre droit de remettre la dette car ce serait faire corps avec l’injustice. Pour ce cas vous auriez raison). Puis si je suis l’adjudicateur d’une dette entre 2 parties je ne pourrai la remettre si le créancier refuse et s’estime lésé, je deviendrais injuste en condamnant le créancier qui ne serait pas libéral car ce jugement lui appartient.
Vu autrement, si on me doit 100 et que je suis libéral, je peux dire : emprunte alleurs, paye moi, et pour ton honnêteté je te donne 100 dans un 2e acte distinct de libéralité. C’est pour ca que St Thomas dit que la la libéralité n’est pas une injustice, elle relève davantage de la justice distributive que de la justice commutative.
Je suis sûr que St Thomas ne se trompe pas sur ça, ni Aristote. Il serait vraiment très risqué de le contredire là-dessus.
Pour Dieu c’est plus compliqué mais le principe reste , et est analogue : La purification médicinale de ceux qui ne sont pas escrocs (se prenant pour Dieu et usurpant sa place) aurait pu être remise sans injustice., à condition que tous soient équitablement traités sur une base d’égalité.
Oui, exact. Le jugement se fait sur le réel exact. Mais la satisfaction du pénitent ca vient après le jugement, dans le processus de pénitence, c’est pas exactement pareil
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Quand je parlais de "jugement", je pensais au "verdict", c'est-à-dire que j'incluais toutes les décisions pénales consécutives.
Oui, mais dans ces décisions, une soustraction de ce qui était du peut avoir eu lieu; e.g. quand on dit que les damnés sont moins punis que ce qu’ils mériteraient, il y a des degrés.
C'est pourquoi Notre-Dame de Fatima a dit que le salut de beaucoup d'âmes dépendait (outre leurs propres mérites ou démérites, évidemment) des prières et des sacrifices de tierces personnes, et non des caprices de Dieu ("toi tu vas au paradis, toi tu vas en enfer, toi je t'aime bien, toi je peux pas te blairer... no matter what")
C’est curieux car a priori ça semble aller un peu contre votre position : la dette payée par un autre pour quelqu’un qui la doit.
Sur ce point vous avez raison, Dieu n’est pas arbitraire, mais c’était pas le point de St Thomas. Une fois le purgatoire et sa satisfaction décidée, oui, Dieu ne peut plus être arbitraire entre les pécheurs, il est un juste juge et mesure tout. Mais l’idée est que globalement, pour tous, le purgatoire ne liait pas la justice divine pcq la libéralité n’a jamais en elle-même , été une injustice., elle est de justice distributive.