J'attendrais d'avoir terminé l'étude complète du criticisme avant de me prononcer définitivement. Je voudrais toutefois revenir succinctement sur ce que vous disiez ailleurs de la "preuve" kantienne. Telle que vous la présentez, c'est un postulat, non une preuve apodictique : un postulat pétitionné pour légitimer la conception kantienne de la moralité. Tout s'y passe comme si Kant nous disait : "il faut que Dieu existe pour que ma morale soit vraie"...ChristianK a écrit : ↑jeu. 23 mars 2023, 17:30il n’est pas clair à 100% que les postulats de Kant, donc le Kantisme, soit incompatible complètement avec le dogme, car pour Kant la métaphysique est transférée en morale et donc la raison arrive à Dieu (plus faiblement certes).
Que Dieu soit un étant est nié de ceux pour qui - dans la ligne néothomiste de Gilson - l'étant n'apparait qu'avec les créatures (analogués secondaires de l'analogie transcendantale = de Dieu aux créatures). Ils veulent que Dieu ne soit qu'exister, et nient qu'il soit une essence et une substance, faisant valoir que la substance et l'essence sont en puissance passive à l'exister (cf. CG, II, 52 sq). Bref, ils prétendent (faussement de mon point de vue) que la substance, et ainsi l'étant, n'apparait qu'avec les analogués secondaires.ChristianK a écrit : ↑jeu. 23 mars 2023, 17:30il est objet d’onto-théologie, l’Etant suprême. Généralement on distingue ontologie de théologie naturelle et c’est ok mais un peu conventionnel. L’ontologie concerne tout ce qui est, et Dieu est souverainement. On pourrait dire : Ontologie= être créé + Etre incréé.
On pourrait dire substance par analogie pour Dieu mais c’est une question de mots je crois.
Quant à savoir si Dieu est, à proprement parler, substance, c'est affaire de définition. Saint Thomas n'hésite pas à dire à de multiple reprises qu'à proprement parler (stricto sensu) Dieu n'est pas substance (d'où Gilson tire argument), encore que Thomas ne se gène pas pour en parler (lato sensu) comme d'une substance chaque fois qu'il en éprouve le besoin. La conclusion de ce rejet est que Dieu transcende les catégories, ce qui devient extrêmement problématique pour tout discours en lequel Dieu est un objet régional de la métaphysique. En effet la métaphysique (aristotélicienne) * a pour sujet l'être comme être, dit en des acceptions multiples, catégoriales (substance et accidents), et toujours par référence à un premier (substance), auquel seul "être" s'attribue intrinsèquement. De sorte que rien ne sera dit être sinon en tant qu'il sera : ou une substance, ou relatif à une substance [soit comme partie de la substance (partie essentielle : forme / matière ; partie méta-essentielle : exister), soit comme accident de la substance]. Ceci suffit à démonter que la métaphysique en laquelle l'exister est le sujet outrepasse la métaphysique aristotélicienne.
* La métaphysique aristotélicienne est donnée dans une analogie de proportion en laquelle l'analogue (être) s'attribue intrinsèquement au seul analogué principal (substance). Selon Aristote les analogués secondaires de l'analogie prédicamentale n'ont d'être que nominalement... D'où le besoin d'introduire un correctif de type avicennien pour attribuer intrinsèquement l'être aux secondaires ; d'où de nouvelles problématiques, l'être-sujet de la métaphysique apparaissant simultanément comme univoque et analogue. Il n'est pas dans mon intention d'expliquer ici comment l'assertion échappe à la contradiction.
Le sujet d'une science est son préalable. Il est ce sur quoi la science porte, et est présupposé connu (comme sujet) antécédemment aux conclusions auxquelles la science va conséquemment aboutir. Le sujet vu sous un angle, par exemple l'être en tant qu'être, est le sujet formel d'une science ; science ayant pour sujet matériel le sujet pris indépendamment de l'aspect formel sous lequel la science l'envisage.ChristianK a écrit : ↑jeu. 23 mars 2023, 17:30Attention au terme sujet. Il est plus habituel de dire objet (avec le même sens). Sujet d’étude=objet (ou sujet vu sous un angle, pour être précis).
L'objet d'une science est ce que recherche la science. L'objet matériel est ce qui est recherché, l'ensemble des conclusions d'une science. L'objet formel d'une science est la lumière sous laquelle son objet matériel est traité. Pour ce qui est de la métaphysique, cette lumière est autant la lumière naturelle de la raison (par opposition à la lumière surnaturelle de grâce) que l'aspect formel sous lequel le sujet et conséquemment les objets matériels de cette science sont envisagés.
Le § supposait connu la distinction de l'objet et du sujet d'une science. Je vous y disais :ChristianK a écrit : ↑jeu. 23 mars 2023, 17:30Je ne suis pas sûr du sens de ce ^paragraphe.S'opposant aux deux branches de l'alternative, les thomistes contemporains précisent que le sujet de la métaphysique, l'être (esse ut sic), n'est pas l'étant (esse in actu) mais l'exister (esse ut actus) ; leur discours s'assimilant à une simple variante de l'onto-théologie. Pour qu'il en soit autrement, il leur faudrait basculer dans un schème théo-ontologique de la métaphysique, métaphysique ayant pour sujet l'exister incréé (et l'ontologie comme objet régional), sujet dont ils seraient incapables de dire de quel degré d'abstraction ils le tirent.
L’étant, sous l’angle de l’être, est objet de la métaphysique, ce qui inclut L’acte d’exister mais l’essence aussi, l’acte d’exister n’est pas le seul objet. « Leurs discours » est-il celui des thomistes contemporains?
Dans le ^paragraphe tout se passe comme si Dieu était l’objet premier de la métaphysique, ce qui n’a pas de sens,
(1) Que l'onto-théologie ne peut avoir Dieu comme sujet mais seulement comme objet.
(2) Qu'est débattu de savoir si le sujet de l'onto-théologie, l'être comme être, est la substance ou l'exister. ** / *** / ****
(3) Que Dieu ne peut être sujet d'une science qu'à opérer un basculement de l'onto-théologie à la théo-ontologie.
(a) Que ce basculement est impossible dans la perspective naturaliste de la philosophie, par défaut d'évidence du sujet.
(b) Qu'il n'est possible que dans le cadre de la doctrine sacrée, par le biais de revelabile.
** Dans toute métaphysique où l'analogue de l'analogie prédicamentale, l'être-comme-être, ne s'attribue intrinsèquement qu'à l'analogué principal, l'analogue s'identifie à l'analogué principal et à lui seul. Selon donc qu'on y assimilera le principal à la substance (aristotélisme strict) ou à l'exister (thomisme "gilsonien"), l'être-comme-être sera la substance ou l'exister, à l'exclusion du reste.
*** Ceux qui disent que le sujet de la métaphysique n'est ni la substance (qui est un étant) ni l'étant (commun ou possible) mais l'exister, instrumentalisent le reproche porté par Heidegger (l'oubli de l'être - qu'ils assimilent à l'oubli de l'être-comme-acte, l'acte d'être, l'exister) contre toutes les métaphysiques concurrentes, structurellement ontologiques, ayant l'étant pour sujet, ce que l'étant soit assimilé ou non à la substance. La métaphysique de l'exister est pourtant ontologique à sa manière, s'il est vrai que l'ontologie est un discours sur l'être, un discours ayant l'être pour sujet, ce indépendamment de savoir si ce sujet est l'être-comme-substance, l'être-comme-étant, l'être-comme-exister.
**** La question ultime est de savoir si le sujet de la métaphysique est l'être en amont de l'exister, de la substance, de l'étant ; ou s'il est, au choix, ou l'exister, ou la substance, ou l'étant ? Dit autrement, lequel des quatre suivants est le sujet de la métaphysique : l'être-comme-substance, l'être-comme-étant, l'être-comme-exister, ou l'être-comme-être ? Dit autrement, l'être-comme-être, sujet de la métaphysique, s'assimile-t-il à l'un quelconque des trois autres ? Dit autrement, quid est esse ?
(**** est étroitement solidaire de *)
Vos remarques sur l'ens commun, subdivisé en créé et incréé, vous situent sur le versant post-aristotélicien, scotiste-suarézien, de la métaphysique. D'où donc cette question : si « de toute évidence... l’être est », qu'est l'être ?ChristianK a écrit : ↑jeu. 23 mars 2023, 17:30Dieu étant très inévident comparé à l’être tout court, hyperévident et fondement de toute évidence (« il y a de l’être, l’être est »)
Je gage que la réponse ne soit pas si évidente que ça... *
* Non qu'elle manque d'évidence, mais parce qu'à la hauteur d'abstraction où elle se situe...
Vous y voyez une erreur parce que vous confondez l’objet et le sujet...ChristianK a écrit : ↑jeu. 23 mars 2023, 17:30Erreur à mon avis.Je disais qu'en votre perspective Dieu n'est pas le sujet mais un des objets de la métaphysique. De sorte qu'à envisager la théologie naturelle comme une partie de la métaphysique, ainsi que vous le faites, Dieu ne sera pas d'avantage le sujet de la théologie, mais l'objet auquel cette partie de la métaphysique atteint. Aussi concluais-je que, pour que Dieu soit le SUJET d’une science philosophique, la théologie naturelle, celle-ci devra être distincte et supérieure à la métaphysique ; ce qui, au regard des trois degrés d'abstraction, est impossible ; mais qui pourtant est possible en tant :
Elles sont naturellement subalternées à la métaphysique, puisqu'elles reçoivent leur sujet, l'être comme quantifiable, de la science traitant de l'être comme être. Si donc cette dernière est elle-même surnaturellement incluse en la doctrine sacrée par le biais du revelabile...ChristianK a écrit : ↑jeu. 23 mars 2023, 17:30
Oui mais les maths ne sont pas subalternées à la science sacrée. Pourquoi donc?
Non seulement ça ne l'implique pas, mais ça l'exclut, la métaphysique (d'ordre philosophique) étant une onto-théologie.ChristianK a écrit : ↑jeu. 23 mars 2023, 17:30mais ca n’implique aucunement que la métaphysique ait pour objet des données révélées qui sont au-delà d’elle-même.
Ce n'est que par manière de parler, lato sensu, en prenant "métaphysique" comme objet de la doctrine sacrée inclusive du revelabile, que l'assertion est audible.
Nous sommes ici d'accord. La nécessité de la grâce pour l'activité philosophique n'est pas une nécessité physique mais seulement morale. *ChristianK a écrit : ↑jeu. 23 mars 2023, 17:30De ce que la révélation parle de sujets dont la philo parle ne s’ensuit pas que la philo parle des sujets strictement révélés (i.e. accessibles à la révélation seule). Mais j’imagine que vous ne voulez pas dire ca; vous voulez dire que sur le terrain strictement philosophique (avec exemple kantien), il y a nécessité morale de la foi pour que la philo soit protégée des erreurs sur son propre terrain strict . Je dis oui mais pas nécessité absolue ou intrinsèque, donc la philo en elle-même, indépendamment des faiblesses humaines, peut arriver au Dieu philosophique toute seule, en principe, bien qu’avec difficulté et pour une infime minorité. Après tout, Aristote définit Dieu comme pur être en acte et esprit, ce qui est exactement le petit caté : pur esprit infiniment parfait. Et quand on ajoute le créationnisme d’Avicenne par-dessus c’est encore plus fort. Vous direz Avicenne était musulman, mais je suis sûr que des paiens ont eu l’idée avant, des Platonisants par exemple.
* Plus exactement, il y a aussi nécessité physique de la grâce, du moins quant à certains points dont traite faussement la métaphysique philosophique ; la raison ne pouvant en traiter droitement qu'en le cadre de la doctrine sacrée. C'est ainsi que la raison laissée à ses seules forces, alors-même qu'elle traite de la substance, ne la distingue pas l'hypostase. En quoi la raison philosophique erre manifestement, s'il est vrai, comme la foi l'enseigne, que sont trois hypostases consubstantielles, et que l'une d'elles est deux substances. Appert ainsi que même sur un sujet d'apparence aussi naturel et philosophique que celui de la substance, la raison va inexorablement défaillir si elle n'est pas assistée par la foi. La grâce ne sera pourtant pas physiquement nécessaire pour chacune des assertions de la raison relatives à la substance, mais elle le sera pour l'une d'elles, et des plus centrales, celle relative à l'identité ou la non-identité de la substance à l'hypostase...
Qu'il s'agisse là d'un hapax n'obstacle pas qu'il suffise de soi à restreindre la portée du principe d'une nécessité seulement morale de la grâce. Il y a nécessité physique de la grâce pour que le philosophe, ainsi transmuté en théologien catholique, en théologien qui philosophize, puisse résoudre une question, posée lors d'un questionnement purement philosophique, en écartant de la réponse l'erreur que la philosophie apportait inéluctablement.
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Cordialement.