La preuve (morale) de l'existence de Dieu de Kant

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ChristianK
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La preuve (morale) de l'existence de Dieu de Kant

Message non lu par ChristianK » mer. 01 févr. 2023, 17:03

UN détail peut paraître intriguant dans l’œuvre de Kant. Il est en effet connu pour sa destruction des preuves métaphysiques (au sens de métaphysique classique) de l’existence de Dieu, ce qu’on voit chez Comte-sponville qui le copie quasiment mot pour mot, et réintroduit Dieu en morale (qu’il appelle significativement « métaphysique des mœurs », ce qui a du sens puisque la morale a effectivement un aspect transcendant), comme postulat de la raison pure pratique. Comte-sponville suit d’ailleurs une habitude assez répandue en France en suivant Kant contre la métaphysique classique, mais en bifurquant lorsqu’il s’agit des postulats pratiques, évacuant ainsi la théologie naturelle kantienne, et tronquant le kantisme.

Le point intéressant c’est l’usage du mot preuve chez Kant. En effet, malgré qu’il s’agisse d’un postulat, il utilise le mot preuve pour sa démarche, et il est suivi par bien des interprètes qui ne se gênent pas pour utiliser le terme :

https://www.researchgate.net/publicatio ... _existence

La critique de la faculté de juger (la 3e critique, qui porte sur le beau, les 2 premières, raison pure et raison pratique, sur le vrai et le bien) abonde en expressions de cette nature. Les traducteurs rendent à juste titre « beweise » par preuve, et effectivement on parle de beweise pour preuve mathématique, démonstration.


Voici les mots du texte (entre parenthêses c’est moi qui paraphrase),




Emmanuel Kant, Critique de la faculté de juger, GF, 1995. 540 p.


449 (la loi morale nous determine aussi ) une fin finale vers laquelle elle nous oblige à tendre…le souverain bien;
il faut admettre une cause morale du monde; "dans la mesure ou cette loi est nécessaire, dans la même mesure…il est nécessaire d'admettre aussi…qu'il y a un Dieu"
"cet argument moral ne peut fournir une preuve objectivement valide de l'existence de Dieu, ni démontrer au sceptique qu'il y a un Dieu…mais s'il veut penser de facon moralement conséquente, il lui faut nécessairement admettre…le fait d'accepter cette proposition"

450 "cette PREUVE" (n'impique pas que l’ existence de dieu soit aussi nécessaire que la loi morale; on peut avoir la loi morale sans souverain bien


454 "nous sommes fondés moralement a penser que se trouve… une fin finale de la création"

455 "la réalité …d'un auteur suprême du monde, légiférant moralement, n'est ainsi suffisamment démontré que pour l'usage pratique de notre raison… La raison pratique a besoin, pour la possibilité de sa fin (qui, par ailleurs , nous est imposée aussi par sa propre législation) , d’Une idée grâce à laquelle soit écarté l'obstacle résultant de l'impuissance à lui obéir d'après le simple concept naturel du monde";
"nous ne pouvons penser ces propriétés de l'être suprême que par analogie’’

456 (procurer une simple réalité pratique a une fin que la raison pure pratique nous impose a priori de réaliser de toutes nos forces;
il faut un fondement de la réalisabilité d'une fin finale moralement nécessaire)

457 "cette preuve morale n'est pas un argument qui viendrait d'être inventé’’ (seulement renouvelé);
(une voix intérieure semble exiger justice depuis toujours; on se sent obligé d'y tendre, et le monde ne peut y satisfaire)

460 (une survie est une condition nécessaire pour la fin finale qui nous est imposée absolument par la raison)

469 (croyance=souverain bien : postulats=Dieu, immortalkité de l’ ame, liberté;
pas de preuve théorique, "libre adhésion"

470 "croyance morale qui ne prouve rien pour la connaissance théorique, mais seulement pour la connaissance pratique de la raison pure"…
"une hypothèse effectuée sous un rapport pratique qui nous est commandé à cet égard pour l'usage moral de notre raison;
(du pt de vue théorique il y aurait simple possibilité, pas croyance)

472 (admettre comme vrai ce qu'il est nécesaire de présupposer …pour la possibilité de la fin finale morale…a cause de l'obligation vis a vie de celle-ci;
la croyance est une confiance dans l'atteinte d'un but dont la réalisation est un devoir;

73 (incroyance dogmatique incompatible avec regne d'une maxime morale (CAR LA RAISON NE PEUT COMMANDER DE POURSUIVRE UNE FIN RECONNUE POUR PUREMENT CHIMERIQUE)

474 (la fin finale est prescrite par les lois morales

475 ARGUMENT MORAL QUI PROUVE L'EXISTENCE DE DIEU UNIQUEMENT COMME OBJET DE CROYANCE POUR LA RAISON PURE PRATIQUE

479 l'argument moral (qui ne prouve certes l'existence de Dieu que du point de vue pratique, mais aussi, pourtant, nécessaire, de la raison)

483 un tel argument démontre l'existence de Dieu d'une manière qui suffit uniquement pour notre destination morale

----------------------------


AU lieu de preuve il utilise parfois le mot argument et c’est pareil chez les commentateurs.

On peut se poser la question :

On a une Preuve au sens de preuve que Dieu doit etre postulé ou cru. Une Preuve qu'il faut croire une chose non prouvée, impliquée par une obligation.
Or quelle Différence y a-il entre une chose prouvée
Et une chose crue impliquée par une obligation prouvée ?

La chose crue n'est elle pas en ce cas prouvée indirectement?

La réponse me semble être la suivante : une obligation existe mais pas de la même facon qu'une chose (une substance), elle est de l'ordre de la finalité, des tendances d'une substance (son agir) (en langage classique l’homme est une substance) , la croyance qu'on en déduit ne sera pas une chose mais un objet mental d'abord. Certes il sera nécessaire de croire que Dieu est réel en fait et pas une idée mais cette réalité sera essentiellement liée à l'agent moral, et si l'humanité n'existait pas la preuve disparaitrait et on ne pourrait plus dire que dieu existe, mais seulement que c'est possible.
On voit la différence entre Dieu existe de fait, et Dieu existe de fait comme hypothèse necessairement affirmée. Le premier relève carrément de l'existence en soi, donc de l’ontologie (métaphysique) ,le second de l'existence en relation avec l'esprit d'un être moral.
(Une Métaphore peut-être acceptable, même si j'hésite un peu: avant de tenter une opération chirurgicale j'ai le devoir de croire qu'elle est possible, même si je ne le sais pas.)


Donc on peut dire que comme dans la tradition (la distinction entre preuve morale et métaphysique est classique) la preuve morale utilise le terme preuve dans un sens élargi. Je préfère donc le terme fondement. Mais on est justifié par le texte de parler de la preuve kantienne de l’existence de Dieu (Et dans la tradition on rencontre souvent le terme preuve morale).
Naturellement, elle dépend de la validité de la doctrine morale kantienne (un autre élément qui montre bien la complexité de la théologie naturelle)

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Re: La preuve (morale) de l'existence de Dieu de Kant

Message non lu par prodigal » ven. 03 févr. 2023, 15:32

L’œuvre monumental d'Emmanuel Kant effraie souvent par sa haute technicité, et peut-être certains lecteurs de ce fil se sentent un peu dépassés. :sonne:
Aussi voudrais-je essayer de résumer ce dont il est question, en espérant ne pas trahir la pensée du grand homme.
Kant a montré l'impossibilité de prouver l'existence de Dieu par voie démonstrative. Cette thèse s'inscrit dans une critique plus générale de toute la métaphysique traditionnelle, que beaucoup de philosophes pensent définitive.
Cependant, à ce stade, il reste trois possibilités de considérer la croyance. Ce qui n'est pas prouvé et ne le sera jamais peut néanmoins être cru. Mais la croyance est-elle alors légitime? Trois possibilités donc :
1) on peut considérer que l'existence de Dieu ne pouvant être prouvée, il ne faut pas croire en lui. C'est la position du scientisme athée, ce n'est pas celle de Kant.
2) on peut considérer que l'existence de Dieu ne pouvant être prouvée, libre à chacun d'y croire ou de ne pas y croire. C'est l'agnosticisme. Ce n'est toujours pas la position de Kant.
3) on peut enfin considérer qu'en pratique, dans la vie, quand nous agissons, nous devons "faire comme si" Dieu existait, et en particulier nous conduire d'une façon moralement bonne, comme s'il importait à un être transcendant que nous agissions bien, sous son regard. Et donc, nous devons croire. C'est la position de Kant.
Ceci peut éclairer la question de la récupération athée du kantisme, opérée par Comte-Sponville. Comte-Sponville reconnaît que nous devions agir comme si Dieu existait, c'est-à-dire en nous soumettant à la conscience morale, bien que Dieu, selon lui, n'existe pas. Cela paraît absurde, mais en réalité Comte-Sponville y voit une générosité supérieure à celle du croyant avide de récompenses paradisiaques. Au fond, pour lui, si Dieu existait il nous ferait croire qu'il n'existe pas, afin que nous nous élevions davantage sur le plan de la moralité.
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Re: La preuve (morale) de l'existence de Dieu de Kant

Message non lu par Héraclius » sam. 04 févr. 2023, 15:20

Avec une petite nuance, cher prodigal : on ne doit pas être moral à cause de Dieu, se comporter moralement à cause d'un regard divin supérieur, selon Kant (on tomberait dans l'hétéronomie). La loi morale pure y suffit. Par contre, nous devons désirer un monde où bonheur et bien moral coïncident, et c'est ce désir rationnel qui fonde le "postulat" de Dieu. Le Dieu de Kant est d'abord un Dieu rétributeur.
''Christus Iesus, cum in forma Dei esset, non rapínam arbitrátus est esse se æquálem Deo, sed semetípsum exinanívit formam servi accípiens, in similitúdinem hóminum factus ; et hábitu invéntus ut homo, humiliávit semetípsum factus oboediens usque ad mortem, mortem autem crucis. Propter quod et Deus illum exaltávit et donávit illi nomen, quod est super omne nomen, ut in nómine Iesu omne genu flectátur cæléstium et terréstrium et infernórum.'' (Epître de Saint Paul aux Philippiens, 2, 7-10)

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Re: La preuve (morale) de l'existence de Dieu de Kant

Message non lu par prodigal » sam. 04 févr. 2023, 22:28

Excellent résumé, mon cher Héraclius! Cette idée de pureté est absolument essentielle, et il y a la matière à maintes réflexions.
Cependant, si j'admets que Dieu est d'abord rétributeur chez Kant, c'est dans la mesure (soigneusement mesurée!) où la raison peut se prononcer à son sujet. La raison, selon Kant (pas selon moi!) est amenée à postuler l'existence de Dieu comme juge suprême, et non comme créateur par exemple (puisque la création est une catégorie cosmologique, et donc relève de la science, laquelle ne peut prouver Dieu).
Si donc l'on confronte Kant à des agnostiques (qui pourtant sont souvent kantiens!), ceux-ci s'entendront dire qu'ils ne peuvent pas, quoi qu'ils en pensassent, faire comme si Dieu n'existait pas et satisfaire leur conscience morale. Et les voici contraints à un dilemme : ou bien poser que Dieu n'existe pas et renoncer à donner sens à leurs aspirations éthiques, ou bien s'incliner devant l'être suprême.
Je précise que pour ma part je trouve cela insuffisamment convaincant ! Comte-Sponville me semble avoir soulevé un vrai lièvre à ce sujet. Il y aurait encore bien des choses à en dire...
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Re: La preuve (morale) de l'existence de Dieu de Kant

Message non lu par Riou » sam. 04 févr. 2023, 23:07

prodigal a écrit :
ven. 03 févr. 2023, 15:32
Ceci peut éclairer la question de la récupération athée du kantisme, opérée par Comte-Sponville. Comte-Sponville reconnaît que nous devions agir comme si Dieu existait, c'est-à-dire en nous soumettant à la conscience morale, bien que Dieu, selon lui, n'existe pas. Cela paraît absurde, mais en réalité Comte-Sponville y voit une générosité supérieure à celle du croyant avide de récompenses paradisiaques.
Bonjour,

Je n'ai pas lu Comte-Sponville. Mon propos ne fait donc que réagir aux propos que vous prêtez à Comte-Sponville.
Je pense que le propos de cet auteur manque le problème posé par Kant. En effet, chez Kant, le problème ne se situe pas au niveau d'une plus grande générosité morale avec ou sans Dieu (ou en faisant "comme si"), mais au niveau de la question de savoir si ce monde est moralement absurde ou pas.

D'un point de vue pratique, la question de l'existence de Dieu surgit au moment où Kant s'efforce de penser le Souverain Bien, qui est la synthèse de la vertu et du bonheur, la réconciliation entre les lois de la liberté qui visent le Bien et les lois de la nature impliquant le besoin psychologique et sensible du bonheur.
Quelle est la loi de ce monde? En grossissant un peu les traits, nous pourrions dire avec le Marquis de Sade que nous assistons bien souvent aux "prospérités du vice" et aux "malheurs de la vertu". La raison pratique, quant à son action morale, sera inévitablement confrontée à la potentielle absurdité du monde, voire à sa cruauté, et la réalité ne cessera de décevoir ses attentes morales légitimes. Que la vertu soit crucifiée et le vice récompensé, voilà un renversement qui viole la conscience de l'homme.
C'est là que le désir religieux naît : la raison, qui vise la totalité et l'inconditionné, ne peut s'empêcher de constater la contradiction entre ce qui devrait être (la loi morale qui parle à sa conscience) et ce qui est (le monde est une vallée de larmes où la justice est trop souvent bafouée). C'est aussi une contradiction entre l'intelligible et le sensible : un monde juste serait un monde où les gens heureux sont moralement dignes d'êtres heureux, et non l'inverse.
Se pose alors le problème de la finalité ultime de toutes choses, avec le besoin moral et raisonnable de concevoir une réconciliation idéale entre le devoir et le réel, la vertu et le bonheur. La religion est précisément ce qui vient donner un horizon de sens à la raison pratique qui, sans cette perspective finale, risque fort de désespérer de l'homme et du monde.
La religion est donc une conséquence de la moralité de l'homme en lien avec son désir d'être heureux. Ce n'est pas une condition de possibilité de la morale ou une récompense de l'action morale.

Voici un petit extrait tiré de La religion dans les limites de la simple raison de Kant :
« Ce ne peut être indifférent pour la morale de concevoir ou non l'idée d'une fin ultime de toutes choses […] ; car c'est ainsi seulement que la liaison de la finalité par liberté avec la finalité de la nature dont nous ne pouvons aucunement nous passer, peut devenir une réalité pratiquement objective […]. L'homme prouve par là qu'il a le besoin d'origine morale de concevoir au-delà de ses devoirs une fin ultime qui en serait le résultat.
La morale conduit donc immanquablement à la religion ».

Kant, La religion dans les limites de la simple raison.

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Re: La preuve (morale) de l'existence de Dieu de Kant

Message non lu par ChristianK » dim. 05 févr. 2023, 4:54

n'est pas une condition de possibilité de la morale ou une récompense de l'action morale
Peut être cette phrase va t elle juste un petit peu trop loin. Certes, contrairement à Aristote et st Thomas, la morale kantienne n'est pas une morale du bonheur-perfection, elle doit être pure de tout intéressement de récompense. Mais il répète que le vertueux, même s'il ne doit pas agir pour ca, mérite la récompense, donc il existe un certain lien. Pour la condition de possibilité, les postulats n'en sont pas au sens ou ils seraient absolument indispensables pour bien agir, mais ils sont une condition de possibilité de ne pas entrer en tentation. Ce serait pour ca que nous avons le devoir de croire, c'est un devoir d'éviter tout ce qui pourrait affaiblir l'accomplissement du devoir, et une de ces choses est le désespoir.
Ingénieux mais Aristote est tellement plus simple et proche du sens commun, auquel il emprunte le nom de toutes les vertus; meme les marxistes qui pensent que la morale est affaire d'intérêt de classe parlent de la vertu de courage absolument comme tout le monde.
Avec une petite nuance, cher prodigal : on ne doit pas être moral à cause de Dieu, se comporter moralement à cause d'un regard divin supérieur, selon Kant (on tomberait dans l'hétéronomie).
Très juste. Cette question m'a cassé la tête pendant des années jusqu'à ce que des publications de spécialistes m'éclairent (?); l'accomplissement du devoir doit être complètement indépendant du regard ou du vouloir divin (sauf pour l'idée que Dieu nous veut autonomes). En revanche le désespoir risque de lutter contre notre résolution d'accomplir le devoir, nous avons le devoir de l'écarter par les postulats. On s'amuse pas beaucoup dans le kantisme!
Tout le contraire d'Aristote qui dit que seul celui qui a du plaisir dans le bien est vertueux, sinon il y est pas encore; et le vicieux qui en a du chagrin n'est pas vicieux mais incontinent. Fin psychologue le vieux grec...

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Re: La preuve (morale) de l'existence de Dieu de Kant

Message non lu par Riou » dim. 05 févr. 2023, 11:09

ChristianK a écrit :
dim. 05 févr. 2023, 4:54
n'est pas une condition de possibilité de la morale ou une récompense de l'action morale
Peut être cette phrase va t elle juste un petit peu trop loin.
Je comprends ce que vous voulez dire.
Mon propos était de dire que la morale chez Kant ne présuppose pas la religion comme condition de possibilité, en ce sens que la loi morale n'a pas besoin de la religion ou des institutions religieuses extérieures à la conscience humaine pour se révéler aux hommes.
La religion ne peut pas servir non plus de lieu de récompense pour l'action morale, puisque nous tomberions alors dans l'hétéronomie, comme le souligne Heraclius.
C'est pourquoi je ne suis pas d'accord avec l'argument de Comte-Sponville exposé par prodigal.

La religion intervient donc chez Kant dans un contexte différent de ces deux choses : le monde est-il moralement absurde et désespérant? C'est là que Kant me paraît très fin : "la morale mène immanquablement à la religion" signifie que la vie morale des hommes produit nécessairement comme effet nécessaire une réflexion sur le sens et la finalité du monde, avec l'espérance que mon action morale s'inscrive dans une histoire où le bien puisse triompher du mal.
Ainsi la religion n'est ni une condition de possibilité (une cause) qui produit la morale, ni une récompense de l'action morale, mais un effet nécessaire de la morale liée à notre désir de bonheur.
Ainsi le problème de la religion répond essentiellement à la question "que m'est-il permis d'espérer?", la question "Que dois-je faire?" étant rationnellement prise en charge par la raison pratique seule (ce qui ne signifie pas que la religion ne traite pas de cette question, bien sûr).
Mais je pense que nous sommes d'accord sur ce point central dans notre lecture de Kant.

Soit dit en passant, Kant, avec cet argument qui me paraît très pertinent, bat en brèche les doctrines selon lesquelles la religion pourra un jour disparaître du monde des hommes. Tant que l'homme aura une conscience morale et en tant qu'il sera toujours concerné par le problème du bonheur, la religion sera toujours un effet nécessaire de sa condition d'homme. Donc : tant qu'il y aura des hommes, il y aura des religions, puisque la question de la possibilité du désespoir devant un monde qui semble moralement absurde se posera toujours à l'homme.
Certaines doctrines athées ont voulu éliminer l'espérance religieuse en lui substituant l'espérance historique d'une réalisation de la justice par la révolution politique de nos conditions de vie. D'une part, ils n'ont pas éliminé les religions (c'est un fait), et d'autre part, ils ont peut-être fait preuve, eux aussi, d'un esprit "religieux" malgré eux, dans le sens où leur espérance historique provenait de la même expérience décrite par Kant à propos de la religion.

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Re: La preuve (morale) de l'existence de Dieu de Kant

Message non lu par prodigal » dim. 05 févr. 2023, 11:59

Merci, cher Riou, pour cet excellent exposé.
A titre indicatif, je signalerai cependant qu'il existe une doctrine athée, qui évacue complètement tout esprit religieux, tout en étant centrée sur la question du sens. Je veux parler bien sûr de l'existentialisme sartrien, pour qui chacun est contraint de construire lui-même le sens qu'il donne à sa vie. Là où Kant, comme vous le rappelez fort bien, lie l'existence de Dieu à l'impossibilité du non-sens, Sartre, lui, lie le fait de l'absurde à l'inexistence de Dieu. L'existentialisme sartrien est sans doute la plus cohérente de toutes les philosophies athées, car il n'y a en lui nul "esprit religieux" (je reprends votre expression), contrairement au marxisme par exemple.
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Re: La preuve (morale) de l'existence de Dieu de Kant

Message non lu par Riou » dim. 05 févr. 2023, 13:37

prodigal a écrit :
dim. 05 févr. 2023, 11:59
Là où Kant, comme vous le rappelez fort bien, lie l'existence de Dieu à l'impossibilité du non-sens, Sartre, lui, lie le fait de l'absurde à l'inexistence de Dieu. L'existentialisme sartrien est sans doute la plus cohérente de toutes les philosophies athées, car il n'y a en lui nul "esprit religieux" (je reprends votre expression), contrairement au marxisme par exemple.
Je suis d'accord avec vous. Je me demande souvent, d'ailleurs, si Sartre, d'une certaine manière, ne serait pas très proche de Kant dans le sens où il tire les conséquences inverses de Kant sur la base d'un raisonnement commun (mais pas identique).
Sa philosophie de la conscience est d'une grande profondeur, et ce n'est pas un athéisme qui présente malgré lui un "esprit religieux". D'une certaine manière, cela découle du fait que chez lui, il y a un sacrifice de la catégorie de "totalité", un renoncement à un sens englobant et une acceptation de l'inachèvement consubstantiel à l'existence humaine.
Sartre présente donc une très grande qualité philosophique louée par Socrate depuis le début : il est en accord avec lui-même et sa pensée est parfaitement cohérente, puisqu'elle tire les conséquences rigoureuses des principes qu'elle pose à partir de sa description phénoménologique de la conscience.

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Re: La preuve (morale) de l'existence de Dieu de Kant

Message non lu par ChristianK » dim. 05 févr. 2023, 18:38

sens que la loi morale n'a pas besoin de la religion ou des institutions religieuses extérieures à la conscience humaine pour se révéler aux hommes.
Oui aucun doute
La religion ne peut pas servir non plus de lieu de récompense pour l'action morale, puisque nous tomberions alors dans l'hétéronomie, comme le souligne Heraclius.
Je crois qu'il y a lâ une petite imprécision: il n'y aurait d'hétéronomie que si la récompence est le mobile, pas si elle est de facto une consequence car Kant reconnait qu'elle mérite récompense
, ni une récompense de l'action morale, mais un effet nécessaire de la morale liée à notre désir de bonheur.
Effet nécessaire oui, mais récompense de facto et consequence aussi je croirais
Kant, avec cet argument qui me paraît très pertinent, bat en brèche les doctrines selon lesquelles la religion pourra un jour disparaître du monde des hommes. Tant que l'homme aura une conscience morale et en tant qu'il sera toujours concerné par le problème du bonh
Oui et ca rejoint des arguments plus simples et moins ingenieux (certains diraient moins alambiqués) dans le cadre des preuves morales: l'absurde est absurde, un désir de nature ne peut pas être vain, les hommes en moyenne seront moins vertueux sans punition proportionnée inévitable (des athées pourront penser la vie va punir, le destin va punir, tout en sachant que c'est loin d'être satisfaisant)

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Re: La preuve (morale) de l'existence de Dieu de Kant

Message non lu par Riou » dim. 05 févr. 2023, 19:40

ChristianK a écrit :
dim. 05 févr. 2023, 18:38
La religion ne peut pas servir non plus de lieu de récompense pour l'action morale, puisque nous tomberions alors dans l'hétéronomie, comme le souligne Heraclius.
Je crois qu'il y a lâ une petite imprécision: il n'y aurait d'hétéronomie que si la récompence est le mobile, pas si elle est de facto une consequence car Kant reconnait qu'elle mérite récompense

Vous avez sans doute raison. Imprécision qui tient sa cause du fait que la pensée kantienne est, sur ce point, très délicate.
L'action morale mérite récompense, mais la récompense ne doit jamais mobiliser la volonté sous peine de faire perdre à l'action son caractère moral et autonome. Il faut donc affirmer que l'acte moral mérite récompense tout en disant que l'idée de la récompense ne doit jamais intervenir dans l'intention de l'action. Dans la vie intérieure aux prises avec l'action concrète, ces deux positions risquent toujours de se brouiller, malgré leur claire distinction du point de vue conceptuel.
C'est peut-être pour cela que Kant affirme que l'histoire n'a peut-être jamais vu une action morale sous le soleil, la pureté visée étant inaccessible.

Ce problème rejoint la phrase du Christ : donner de la main droite sans que la main gauche en sache quelque chose. Difficile simplicité...

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Re: La preuve (morale) de l'existence de Dieu de Kant

Message non lu par ChristianK » lun. 06 févr. 2023, 0:03

Exactement , et ca rejoint la dispute du pur amour entre Bossuet et Fenelon: qu'est-ce qui passe en premier, l'amour de Dieu pour lui même ou l'amour pour notre salut, centré sur notre soif de béatitude?

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Re: La preuve (morale) de l'existence de Dieu de Kant

Message non lu par Héraclius » mar. 07 févr. 2023, 11:52

prodigal a écrit :
dim. 05 févr. 2023, 11:59
à où Kant, comme vous le rappelez fort bien, lie l'existence de Dieu à l'impossibilité du non-sens, Sartre, lui, lie le fait de l'absurde à l'inexistence de Dieu. L'existentialisme sartrien est sans doute la plus cohérente de toutes les philosophies athées, car il n'y a en lui nul "esprit religieux" (je reprends votre expression), contrairement au marxisme par exemple.
Juste pour le plaisir de bavarder, je soulignerais tout de même une nette différence : le kantien sans Dieu est peut-être condamné à un certain malheur, celui de vivre dans un monde moralement absurde, mais il demeure vrai qu'il dispose d'une réponse à la question pratique ("Que faire ?") : il dispose d'une raison d'agir (qui est même exigence, devoir), quand bien-même agir d'après cette raison aurait quelque chose de suprêmement vain. J'ai l'impression que l'existentialisme Sartrien fait un pas de plus en embrassant un degré d'absurde plus élevé, en suivant le mouvement général de la modernité qui érige les raisons d'agir en simple valeurs, c'est à dire des sécrétions de la volonté elle-même qui s'opposent à l'ordre du fait, du savoir, etc... (vs la loi morale kantienne comme "fait de la raison").

(Sed contra, peut-être : Kant insiste beaucoup sur le fait que le bien pratique pour être objet de la volonté doit avoir quelque chose de réalisable et en vient à poser Dieu et l'immortalité précisément pour cette raison : sans elles, la morale est condamnée à l'ineffectivité, et se nie par là elle-même comme objet de la volonté, cette dernière exigeant une fin réalisable. Donc pour Kant, il n'y aurait pas de "kantien sans Dieu" qui soit possible, pas d'usage de la loi morale qui ne suppose la possibilité du royaume des fins, etc...)
''Christus Iesus, cum in forma Dei esset, non rapínam arbitrátus est esse se æquálem Deo, sed semetípsum exinanívit formam servi accípiens, in similitúdinem hóminum factus ; et hábitu invéntus ut homo, humiliávit semetípsum factus oboediens usque ad mortem, mortem autem crucis. Propter quod et Deus illum exaltávit et donávit illi nomen, quod est super omne nomen, ut in nómine Iesu omne genu flectátur cæléstium et terréstrium et infernórum.'' (Epître de Saint Paul aux Philippiens, 2, 7-10)

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Re: La preuve (morale) de l'existence de Dieu de Kant

Message non lu par prodigal » mar. 07 févr. 2023, 13:09

Je crois que pour Kant, un kantien sans Dieu, ou même un athée idéaliste, serait un être en contradiction avec lui-même. Kant lui-même, comme chacun sait, était croyant (très exactement piétiste), et par ailleurs très soucieux de bâtir un système cohérent, donc dont on ne peut supprimer une partie importante sans détruire le tout. L'existence de Dieu comme postulat de la raison pratique n'est pas une option, pour qui se voudrait kantien.
Le cas de Sartre est plus délicat. Ce qui est clair, c'est ce que vous rappelez : les valeurs n'existent pas en dehors du sujet humain libre qui les pose. Il n'y a absolument pas de Dieu, donc rien qui précède la valeur avant qu'elle soit choisie. C'est pourquoi Sartre aimait citer Dostoievski : "Si Dieu n'existe pas, tout est permis".
Mais cela ne conduit pas Sartre à une sorte de relativisme incolore, pour lequel tout se vaudrait. D'ailleurs la philosophie de Sartre est une philosophie de l'engagement, qui prétend s'incarner dans l'action, voire le combat, au service de la liberté, car la liberté est cette valeur qui donne son prix aux autres (ce qui, étrangement, rappelle le stoïcisme).
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ChristianK
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Re: La preuve (morale) de l'existence de Dieu de Kant

Message non lu par ChristianK » ven. 10 févr. 2023, 8:07

postulat de la raison pratique n'est pas une option, pour qui se voudrait kantien.
Oui et c'est pourquoi il est si surprenant (ou non?) En France de voir des esprits suivre Kant en métaphysique contre les preuves de Dieu classiques et soudainement bifurquer et ne plus suivre la preuve morale...
donc rien qui précède la valeur avant qu'elle soit choisie
Mais 2 mois avant de mourir il a semblé admettre des valeurs preexistantes, dont il ne savait pas le fondement. Gros scandale et Simone a piqué une crise en se roulant par terre

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