Pourquoi je ne suis plus chrétien

« Dieu leur donnera peut-être de se convertir et de connaître la vérité. » (2Tm 2.25)
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Forum de débats dialectiques entre personnes de bonne volonté autour de la religion chrétienne (catholicisme) et des objections formulées à son encontre

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feufollet
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Pourquoi je ne suis plus chrétien

Message non lu par feufollet » mar. 16 août 2022, 15:13

Je suis un chrétien repenti, en voie de dé-christianisation, mais qu’un ultime lien (guère plus qu’une ficelle) rattache affectivement à l’Église. Je lance donc ce message comme une bouteille à la mer : peut-être que l’une ou l’autre des réponses reçues ici pourra avoir un impact. Et dans le cas contraire, je pourrai enfin larguer les amarres et embrasser pleinement cette autre religion, plus noble et plus digne de confiance, qui m’attire depuis longtemps.

Faire l’inventaire complet de mes doutes ou plutôt de mes griefs à l’encontre du christianisme en général, et du catholicisme en particulier, est impossible dans le cadre d’un message de forum (ce serait beaucoup trop long ; ce message le sera déjà suffisamment), je vais donc me contenter d’une liste abrégée que je pourrai détailler au besoin :

I. Les contradictions internes

Commençons par ce qui me paraît le plus grave : les incohérences internes du christianisme.

On peut citer par exemple le cas des hommes nés avant le Christ : ils n’ont jamais eu accès à son enseignement, n’ont pas reçu le baptême etc. ; et pourtant certains d’entre-eux pourront soi-disant être sauvés. Il faut en conclure que les sacrements, de l’aveu même de l’Église, sont parfaitement facultatifs avant la Passion mais indispensables au salut après ! Pas très logique.

Puis il y a le millénarisme de Jésus, il était convaincu que la fin du monde était proche :

« En vérité je vous le dis, il en est d’ici présents qui ne goûteront pas la mort avant d’avoir vu le Royaume de Dieu venu avec puissance »
(Marc 9, 1)
Sur les 37 paraboles contenues dans les synoptiques, il est révélateur que neuf se rapportent à la « fin des temps », sept au « Jugement dernier » et six au « Royaume des cieux ». Or il me semble (je peux me tromper…) que le monde n’a pas cessé d’exister au Ier siècle !

Il y a aussi le cas non moins troublant de certaines paroles du Christ, qui semblent indiquer que Yéshua se fichait pas mal des non-Juifs (pour rester poli) :

Jésus, étant parti de là, se retira dans le territoire de Tyr et de Sidon. Et voici, une femme cananéenne, qui venait de ces contrées, lui cria : « Aie pitié de moi, Seigneur, Fils de David ! Ma fille est cruellement tourmentée par le démon ».
Il ne lui répondit pas un mot, et ses disciples s'approchèrent, et lui dirent avec insistance : « Renvoie-la, car elle crie derrière nous ».
Il répondit : « Je n'ai été envoyé qu'aux brebis perdues de la maison d'Israël ».
Mais elle vint se prosterner devant lui, disant : « Seigneur, secours-moi ! »
Il répondit : « Il n'est pas bien de prendre le pain des enfants, et de le jeter aux petits chiens ».

(Marc 7, 24-30 et Matthieu 15, 21-28)

Les chrétiens qui ne sont pas d’origine juive (soit 99,9999 % d’entre-eux) doivent-ils trouver normal que le fondateur de leur religion les considère comme des chiens ?

Et que dire encore de ces mots non moins incompréhensibles dans la bouche du « doux » Jésus ?
« Quant à mes ennemis, ceux qui n’ont pas voulu que je règne sur eux, amenez-les ici, et égorgez-les en ma présence »
(Luc 19, 27)
« Je ne suis pas venu apporter la paix, mais le glaive » (Matthieu 10, 34)

En fait, ces paroles prennent tout leur sens quand on les considère à la lumière de l’Histoire : que de païens massacrés, d’hérétiques brûlés, de sorcières torturées au nom de « l’amour chrétien » (sic)

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Re: Pourquoi je ne suis plus chrétien

Message non lu par feufollet » mar. 16 août 2022, 15:14

Entre parenthèses :
Je ne parlerai pas ici des abus de pouvoir, escroqueries et autres mensonges dont l’Église s’est servi au fil des siècles pour accroître son pouvoir temporel, car cela me semble mériter un sujet à part entière. Mais il est clair que c’est un aspect qui compte pour beaucoup dans mon désamour…cela me gênait déjà du temps où je me considérais pleinement chrétien, mais je me rassurais en me convainquant qu’il fallait séparer les individus et l’institution… cet argument me paraît bien faible aujourd’hui au vu de certains faits tristement révélateurs, comme par exemple que l’Église ait déclaré « saint » l’empereur romain Constantin, qui n’a jamais été sincèrement croyant et qui a fait assassiner sa seconde épouse Fausta – demeurée païenne – en la noyant dans de l’eau bouillante, ainsi que son propre fils Crispus, son neveu et deux de ses beaux-frères ! On voit bien ici l’insupportable compromission de l’Église avec le pouvoir politique, et ce dès les origines. Constantin n’est pas le pire de ces prétendus « saints », loin de là… alors oui, me dira-t-on, religion et politique sont toujours liés, partout. Certes. Mais aucune institution religieuse n’a jamais concentré autant de pouvoir que l’Église catholique.

II. Les contradictions externes

Quand on se place d’un point de vue extérieur, la confusion ne fait que grandir.

Comment se fait-il que la virginité de Marie soit totalement absente chez Marc et Jean ainsi que du document Q (abréviation du mot allemand Quelle, soit la source commune de Luc et Mathieu) ? Est-ce une réaction – du type « fuite en avant » – à la polémique dont on trouve l’écho dans le Talmud, et qui présente ‘Yéshu’ comme le fils d’une sotah (= une femme adultère) ? Les Évangiles parlent des frères (et non des cousins…) et des sœurs de Jésus à plusieurs reprises. La figure de Joseph est pratiquement invisible tout au long du récit évangélique. Marie de même : sa mort n’est même pas mentionnée.

Enfin, un autre point mystérieux, et qui touche au cœur même de la foi : comment expliquer que le corps du « criminel » Yéshua, exécuté de façon humiliante par crucifixion, ait eu droit à une tombe juive ? Pourquoi n’a-t-il pas été enterré, comme on devait s’y attendre, dans la fosse commune avec les autres crucifiés ?

Voilà. Je m’arrête ici, sans savoir si j’espère être contredit de façon convaincante… en fait, j’aimerais beaucoup croire en la Résurrection, en la pureté du Christ, en l’autorité légitime de l’Église, mais c’est impossible si on veut conserver son esprit critique.

En tout cas, malgré ma déception et ma tristesse, je ne voudrais pas être mal compris : je ne cherche pas à blesser ou agresser qui que ce soit. Je connais très bien l’attrait que peut exercer la religion chrétienne. Je ne juge pas les croyants de bonne foi, mais je pense qu’on abuse de leur confiance.

Merci de m’avoir lu.

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prodigal
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Re: Pourquoi je ne suis plus chrétien

Message non lu par prodigal » mar. 16 août 2022, 17:46

Cher feufollet,
je ne vais pas chercher à vous convaincre, mais néanmoins j'ai envie de réagir à votre propos.
Il me semble que vous nous exposez deux motifs totalement différents de ne pas croire.
1) la foi catholique oblige à croire en des choses incroyables, de l'ordre du surnaturel. Ceci reflète la contradiction qu'il y a entre la représentation chrétienne du monde et la représentation "moderne" (faute d'un meilleur mot). Cette contradiction est réelle. Le surnaturel n'a pas de place dans la représentation "moderne" (techno-scientifique serait peut-être meilleur) du monde. C'est pourquoi la foi est rare.
2) la religion catholique vous semble violente, et plus généralement perverse d'un point de vue éthique. Vous trouverez en effet bien des exemples de crimes commis au nom de Dieu ou de l'Eglise, et vous trouverez bien des pécheurs parmi les catholiques. Inutile, je crois, de vérifier statistiquement s'il y en a plus ou moins qu'ailleurs, puisque tout être humain est pécheur. Mais surtout continuez à vous indigner contre le mal, d'où qu'il vienne! Préférez la vérité au mensonge et la justice à l'injustice, c'est évident. N'est-ce pas d'ailleurs au sein de l'Eglise catholique que vous avez appris à ressentir cette exigence éthique au nom de laquelle vous voulez la quitter? C'est aussi une contradiction, mais vous n'y êtes pour rien.
"Dieu n'a pas besoin de nos mensonges" (Léon XIII)

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Re: Pourquoi je ne suis plus chrétien

Message non lu par Héraclius » mar. 16 août 2022, 19:55

Bonjour feufollet,

D'abord, je veux souligner que vos interrogations sont absolument légitimes. Je suis moi même un chrétien qui a du mal à croire ; mais vous comme moi avons l'avantage d'appartenir (pour l'instant) à une tradition religieuse qui encourage l'usage de l'intelligence en matière religieuse, et qui invite le croyant à qui se pose des difficultés de prendre les moyens de les confronter et de les résoudre avec les moyens de la raison, soutenue par l'action de la grâce.

Ce qui me mène à une première remarque : ces moyens, les prenez-vous ? Vous vous exprimez bien, je devine que vous avez une certaine culture. Avez vous lu de la théologie qui soit à la hauteur de votre vitalité intellectuelle profane ? Devant le redoutable tribunal du Christ, ni vous ni moi ne serons accusé d'avoir eu des difficultés intellectuelles à confesser la foi ; mais nous pourrions être accusés d'avoir cédés à la première vague d'assaut, sans s'être attaqués en chrétien à ces problèmes avec le double souci d'une intégrité intellectuelle et morale que la grave question de la Révélation exige.

Je proposerait donc une ébauche de réponse à quelques unes de vos questions, mais il va de soi qu'on ne répond pas sur le fond à de telles questions sur un forum sur internet. Cela ne saurait remplacer les volumes d'exégèses ou de dogmatique que vous devriez lire, le dominicain ou le jésuite que vous devriez rencontrer.
On peut citer par exemple le cas des hommes nés avant le Christ : ils n’ont jamais eu accès à son enseignement, n’ont pas reçu le baptême etc. ; et pourtant certains d’entre-eux pourront soi-disant être sauvés. Il faut en conclure que les sacrements, de l’aveu même de l’Église, sont parfaitement facultatifs avant la Passion mais indispensables au salut après ! Pas très logique.
L'Eglise n'a jamais dit que la grâce salvatrice était limitée au sacrements (ou même, du reste, à leur mode d'administration ordinaire). Oui, l'économie du salut a été bouleversée par l'évènement historique de la Passion ; oui, Dieu est souverain dans la dispensation de sa grâce. En quoi ne serait-ce "pas très logique" ?
Puis il y a le millénarisme de Jésus, il était convaincu que la fin du monde était proche :
Cette question a noircie d'encre une multitude de pages (c'était au cœur des thèses de Loisy et donc, au fond, de la crise moderniste). Je ne pense pas qu'on peut la balayer d'un renvers de main. Maintenant, je pense que le problème est assez difficile à poser : les textes où Jésus "prédit la fin du monde" sont à la fois obscurs et complexes parce qu'ils mélangent plusieurs "couches évènementielles". Ils semblent à la fois se référer au temps du jugement dernier, mais aussi à la destruction du Temple de Jérusalem (et donc à la fin du temps de l'économie du salut de l'Ancienne Alliance) en 70, et aussi à l'évènement de sa propre mort et résurrection. Si bien que des paroles comme celles que vous citez ne sont pas évidentes à situer : à quoi est-ce que Jésus fait explicitement référence ? La contradiction n'est alors pas aussi manifeste qu'à la première lecture (mais ça ne résout pas tout pour autant).

Il est certain que les premiers chrétiens ont cru, au moins pour une part, que le retour du Christ serait relativement proche ; mais le Christ a aussi souligné dans plusieurs paraboles l'ignorance radicale dans lequel le Chrétien se trouve par rapport au Jour et à l'Heure. Il me semble impossible de trancher la question "Jésus a-t-il enseigné que la Parousie allait avoir lieu avant la fin du 1er siècle ?" à partir du donné biblique, ce qui fait que l'exégète rationaliste ne peut pas conclure que Jésus n'a pas désiré un temps long avant son retour, et dès lors à la contradiction.

Il y a quelques considérations de Blondel à ce sujet (et à bien d'autres autour du problème du rapport entre donnés historiques et dogmatiques) dans sa série d'articles "Histoire et dogmes" : https://www.eleves.ens.fr/aumonerie/tal ... _dogme.pdf Ce n'est pas décisif (je pense que certains points sont ouverts à de fortes objections) mais c'est un point de départ intéressant.

Il y a aussi le cas non moins troublant de certaines paroles du Christ, qui semblent indiquer que Yéshua se fichait pas mal des non-Juifs (pour rester poli) :
Pour le coup j'ai un peu souri en lisant cette objection là. Elle n'est pas du même ordre que des autres ; d'où ferrez vous jaillir la contradiction formelle, ou tout du moins son esquisse, de cette formule du Christ ? Qu'elle vous perturbe c'est possible (après tout beaucoup de formules évangéliques semblent avoir cet fin expresse) mais de là à en faire une preuve de fausseté c'est autre chose.

Jésus considère de façon cohérente dans les Evangiles être envoyé d'abord aux Juifs, élus pour le salut du monde, éduqués par des siècles de "pédagogie divine" pour recevoir intelligiblement la Bonne Nouvelle. Sans contradiction, il estime que la rédemption qu'il opère est universelle et s'étend aux gentils, universalité qui est préfigurée dans plusieurs passages des Evangiles (dont celui que vous citez, mais dans l'autres également, par exemple la seconde multiplication des pains en terre païenne qui est propre à Matthieu). St Jean s'achève pratiquement sur le "Allez, faites de toutes les nations des disciples, les baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit".

La formule du petit chien montre, non pas un mépris de Jésus pour les non juifs (qui serait contredit une seconde après), mais surtout l'ordre de la condescendance de Dieu. Dieu ne nous doit rien ; il dispense sa grâce par miséricorde et non pas nécessité. On ne peut l'exiger. La réponse de la femme, pleine d'humilité, est un modèle de l'attitude de l'homme face à la grâce.

Lorsque Jésus nous dit "'je ne vous nomme plus serviteurs, mais amis" on est dans le même ordre d'idée : nous sommes des esclaves, des petits chiens face à un Dieu qui librement nous élève par delà notre dignité première, à la table du banquet royal en qualité d'héritiers adoptifs.
Et que dire encore de ces mots non moins incompréhensibles dans la bouche du « doux » Jésus ?
« Quant à mes ennemis, ceux qui n’ont pas voulu que je règne sur eux, amenez-les ici, et égorgez-les en ma présence »
(Luc 19, 27)
« Je ne suis pas venu apporter la paix, mais le glaive » (Matthieu 10, 34)

En fait, ces paroles prennent tout leur sens quand on les considère à la lumière de l’Histoire : que de païens massacrés, d’hérétiques brûlés, de sorcières torturées au nom de « l’amour chrétien » (sic)
Deux choses :

D'abord, ces paroles doivent être remis dans leur contexte, qui est dans les deux cas manifeste. Dans le premier, on est dans une parabole : la formule a clairement un caractère eschatologique, on parle du jugement dernier. Oui, au dernier jour, les réprouvés seront châtiés par Dieu. Ce n'est évidemment pas une invitation à mettre à mort des gens en cette vie.

Dans la seconde, vous voyez bien qu'elle est volontairement provocante : parole prononcée par celui qui a dit "qui vivra par l'épée périra par l'épée". Jésus (comme lorsqu'il dit qu'il amène un feu sur la terre, non la paix, mais la division, etc) annonce que l'amour de charité qu'il proclame ne sera pas de tout repos : il provoquera des divisions dans les familles, des exigences de se révolter contre la société, des appels au martyr. Mais ce n'est pas un glaive de fer qu'il nous tend, mais celui de la parole de Dieu, comme dit St Paul aux Ephésiens. C'est une des innombrables images des Evangiles, et l'une des plus parlantes.

En second lieu, vous avancer en bloc un fatras d'épisodes historiques assez distincts les uns des autres. Il y aurait beaucoup à dire. Dans un premier temps, oui, les chrétiens sont des hommes et dès lors des pécheurs qui ont fait une multitudes d'erreurs morales graves dans l'histoire. Vous remarquerez que Jésus semble en être tout à fait conscient, lui qui a plus que quiconque critiqué l'hypocrisie en matière religieuse et ses usages dévoyés ; dévoyés, car déconnectés de ce qui récapitule la Loi et les Prophètes : l'amour de Dieu et du prochain. Ce n'est pas un hasard si la figure qui use à tort du glaive pour défendre le Christ dans l'Evangile, c'est Pierre, figure par excellence de l'Eglise hiérarchique.

Si ce que vous voulez dire, c'est que ces paroles ont été historiquement interprétés comme des justifications manifestes de péchés de violences dans l'histoire, ce n'est pas vrai. Aucun théologien n'a cherché à justifier les baptêmes forcés de Charlemagne (par exemple) par une exégèse de "je ne suis pas venu apporter la paix mais le glaive". Les interprétations que j'ai évoqué au dessus sont archi-classiques et de tous les temps de la tradition chrétienne.

En tout cas, bon courage pour votre quête de la vérité ! C'est une démarche très haute, qui exige tous les sacrifices ; mais elle est belle, je crois?

En Jésus,

"Héraclius"
''Christus Iesus, cum in forma Dei esset, non rapínam arbitrátus est esse se æquálem Deo, sed semetípsum exinanívit formam servi accípiens, in similitúdinem hóminum factus ; et hábitu invéntus ut homo, humiliávit semetípsum factus oboediens usque ad mortem, mortem autem crucis. Propter quod et Deus illum exaltávit et donávit illi nomen, quod est super omne nomen, ut in nómine Iesu omne genu flectátur cæléstium et terréstrium et infernórum.'' (Epître de Saint Paul aux Philippiens, 2, 7-10)

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Re: Pourquoi je ne suis plus chrétien

Message non lu par feufollet » mar. 16 août 2022, 19:55

Merci d’avoir répondu, prodigal.
prodigal a écrit :
mar. 16 août 2022, 17:46
1) la foi catholique oblige à croire en des choses incroyables, de l'ordre du surnaturel. Ceci reflète la contradiction qu'il y a entre la représentation chrétienne du monde et la représentation "moderne" (faute d'un meilleur mot). Cette contradiction est réelle. Le surnaturel n'a pas de place dans la représentation "moderne" (techno-scientifique serait peut-être meilleur) du monde. C'est pourquoi la foi est rare.
Oui mais ce n’est pas, dans mon cas, un problème. Je crois en un Dieu à l’origine de l’univers, je crois aux miracles et donc au « surnaturel ». Mais pour être crédible rationnellement parlant le surnaturel doit présenter ce que j’appellerais un « taux minimum de vraisemblance ».
La croyance en la Résurrection (a) me paraît ainsi attestée dès les toutes premières années après la Crucifixion, tandis que la virginité de Marie (b) est probablement une invention tardive de Luc et Mathieu.
Pourquoi ?
(a) les premiers chrétiens n’auraient pas risqué d’être persécutés, voire de perdre leur vie sans une bonne raison.
(b) les plus anciennes versions du récit chrétien omettent complètement la virginité de Marie.
Vous trouverez en effet bien des exemples de crimes commis au nom de Dieu ou de l'Eglise, et vous trouverez bien des pécheurs parmi les catholiques. Inutile, je crois, de vérifier statistiquement s'il y en a plus ou moins qu'ailleurs, puisque tout être humain est pécheur.
Je crois quand même qu’il y a une différence très significative, de ce point de vue, entre (par exemple) la conquête romaine de la Gaule et la conquête franque de la Saxe. Quand César massacre les Gaulois, ses buts sont purement politiques et annoncés comme tels. Il n’est pas question d’imposer aux Gaulois les dieux de Rome.
À l’inverse, Charlemagne massacre les Saxons pour des raisons à la fois politiques et religieuses : pour étendre son pouvoir et pour les convertir.

Ce phénomène missionnaire et cette imbrication du religieux et du politique n’ont pas leur pareil dans l’histoire. En Chine ou au Japon, par exemple, les gens sont à la fois shintôïstes ou taoïstes et bouddhistes, sans que ça ne dérange personne ; et les institutions religieuses n’ont jamais eu de pouvoir comparable à ce que fut la puissance de Rome en Europe.
N'est-ce pas d'ailleurs au sein de l'Eglise catholique que vous avez appris à ressentir cette exigence éthique au nom de laquelle vous voulez la quitter? C'est aussi une contradiction, mais vous n'y êtes pour rien.
C’est une pensée intéressante. Oui, le catholicisme a contribué à former notre idéal de moralité. C’est la fonction première de toute religion : désigner un Bien et un Mal. Mais la liberté de penser, la liberté de conscience, les idéaux philosophiques au nom desquels je quitte aujourd’hui le giron chrétien ne doivent rien au catholicisme. Au contraire : il a tenté pendant des siècles de les étouffer.

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Re: Pourquoi je ne suis plus chrétien

Message non lu par feufollet » mar. 16 août 2022, 19:57

Merci beaucoup pour votre réponse Héraclius. Je vous répondrai bientôt.

Jimmylon
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Re: Pourquoi je ne suis plus chrétien

Message non lu par Jimmylon » mar. 16 août 2022, 20:59

Bonsoir à tous

Je vous remercie par avance pour l'opportunité

Il y a eu dans le Christianisme beaucoup de gens talentueuse comme le super Apôtre Saint Paul.

Philippiens 3,4-8

Et pourtant, je pourrais aussi mettre ma dans la chair. Si d'autres croient pouvoir le faire, à plus forte raison, moi : circoncis le huitième jour, de la race d'Israël, de la tribu de Benjamín; Hébreu, fils d' Hébreu ; quant à la loi , pharisien; pour ce qui est du zèle, persécuteur de l'Église, et quant à la justice que donne la loi, exempt de tout reproche. Mais ces choses qui pour moi étaient des avantages, je les ai considérées comme un préjudice, à cause du Christ. Bien certainement je ne vois dans tout cela qu'un préjudice en regard de ce bien suprême : la connaissance du Christ Jésus, mon Seigneur.
Pour lui, j'ai renoncé à tout et je considère tout comme une ordure, afin de gagner le Christ.

Et concernant au fil de la discussion....

1 Jean 2,18-19

Petits enfants, l'heure dernière est là. Vous avez entendu dire qu'il vient un Antichrist. Voici que présentement il y en a beaucoup ; par où nous savons que la dernière heure est là. Ils sont sortis de chez nous, mais ils n'étaient pas des nôtres. S'ils avaient été des nôtres, ils seraient demeurés avec nous. Mais c'était afin qu'il apparût que tous ne sont pas des nôtres.

Par exemple Martin Luther, un prêtre Catholique qui était sorti parmi les nôtres.
" Marie fut la première Chrétienne et Jésus le premier Marial "
( Inconnu )

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Re: Pourquoi je ne suis plus chrétien

Message non lu par feufollet » mer. 17 août 2022, 4:54

Héraclius a écrit :
mar. 16 août 2022, 19:55
Avez vous lu de la théologie qui soit à la hauteur de votre vitalité intellectuelle profane ? Devant le redoutable tribunal du Christ, ni vous ni moi ne serons accusé d'avoir eu des difficultés intellectuelles à confesser la foi ; mais nous pourrions être accusés d'avoir cédés à la première vague d'assaut, sans s'être attaqués en chrétien à ces problèmes avec le double souci d'une intégrité intellectuelle et morale que la grave question de la Révélation exige.
Oui bien sûr, j’ai consulté des ouvrages de théologie des années durant, j’ai discuté longuement avec des prêtres, donc il n’est pas question ici de céder à la première vague d’assaut. Je connais les justifications habituelles des points que j’ai soulevé, mais elles ne me suffisent plus.
L'Eglise n'a jamais dit que la grâce salvatrice était limitée au sacrements (ou même, du reste, à leur mode d'administration ordinaire). Oui, l'économie du salut a été bouleversée par l'évènement historique de la Passion ; oui, Dieu est souverain dans la dispensation de sa grâce. En quoi ne serait-ce "pas très logique" ?
Dans ce cas, pourquoi demander aux fidèles de venir à l’église, ou aux incroyants de se convertir ? Ils peuvent bénéficier de la grâce de toute façon.
De manière beaucoup plus grave, les gens qui ont vécu avant la Passion n’ont jamais pu faire l’expérience de la foi chrétienne, n’ont jamais connu le Christ. Combien auraient pu être sauvés, leurs souffrances atténuées, s’ils avaient pu prier, croire et espérer comme le font les chrétiens actuels ?
Même chose pour les peuples n’ayant entendu parler du christianisme que tardivement. Tous ces gens sont morts sans avoir jamais pu non seulement se confesser ou communier, mais sans même connaître le récit évangélique, sans savoir que le Christ est mort et ressuscité pour nous. C’est cette pensée, plus qu’aucune autre, qui m’a fait perdre la foi. Comment croire que le Christ est venu sauver l’humanité entière devant une situation si inégale, si injuste ?
Qu’il y ait beaucoup d’appelés et peu d’élus, soit ; mais là, on parle d’énormes populations qui n’ont même jamais été « appelées ».
Or une religion sans ambition universelle ne vaut rien.
Il y a quelques considérations de Blondel à ce sujet (et à bien d'autres autour du problème du rapport entre donnés historiques et dogmatiques) dans sa série d'articles "Histoire et dogmes" : https://www.eleves.ens.fr/aumonerie/tal ... _dogme.pdf Ce n'est pas décisif (je pense que certains points sont ouverts à de fortes objections) mais c'est un point de départ intéressant.
Merci pour ce beau texte. C’est justement ce que je tente de faire :

N'est-il pas légitime, n'est-il pas nécessaire de suivre une marche inverse, de considérer avec une fervente attention les faits pour les faits mêmes, et de chercher non plus le dogme et sa formule abstraite dans l'histoire, mais l'histoire et l'histoire seule jusque dans le dogme qui reprendra en elle vie, mouvement et plénitude ?

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Re: Pourquoi je ne suis plus chrétien

Message non lu par feufollet » mer. 17 août 2022, 4:58

Jésus considère de façon cohérente dans les Evangiles être envoyé d'abord aux Juifs, élus pour le salut du monde, éduqués par des siècles de "pédagogie divine" pour recevoir intelligiblement la Bonne Nouvelle. Sans contradiction, il estime que la rédemption qu'il opère est universelle et s'étend aux gentils
Je vais faire un petit détour pour répondre.

Mettez-vous un instant à la place d’un incrédule. De ce point de vue, les Évangiles se contredisent sur de nombreux points. L’enjolivement légendaire de plusieurs passages saute aux yeux, au moins autant que l’authenticité et le réalisme de nombreux autres. Mais ce ne sont pas, dans l’ensemble, des documents historiques à prendre au pied de la lettre. Les évangélistes voulaient faire passer un message spirituel, pas retranscrire fidèlement les faits. Imagine-t-on que la totalité des paroles mises dans la bouche du Christ ou des apôtres ont été prononcées telles quelles, au mot près ?

Nous savons par ailleurs que le personnage de Jésus a réellement existé. Il était considéré comme le Messie par ses disciples, mais les opinions divergent dans les Écritures quant au moment où le Christ devient Fils de Dieu : lors de son baptême dans le Jourdain (Marc), au moment de sa conception (prologues de Luc et de Matthieu), lors de sa résurrection (Paul) ou de toute éternité (Jean). Jésus n’est en tout cas jamais l’égal du Père à la façon dont il le sera dans le dogme trinitaire. Même dans l’évangile de Jean (« Moi et le Père, nous sommes un » (10, 30)) Jésus déclare : « Le Père est plus grand que moi » (14, 28). Le Fils reste inférieur au Père, dont il ne partage pas l’omniscience ni la toute-puissance. En un mot, Jésus est un Homme (pas tout à fait) comme vous et moi.

Dans ce cas, le portrait du Jésus historique est celui d’un juif de son temps, avec les opinions d’un juif de son temps. Disciple de Jean-Baptiste, il annonçait une fin du monde imminente et accomplissait des guérisons et des exorcismes. Il n’avait pas la moindre intention de fonder une nouvelle religion : tout son enseignement s’inscrivait dans le cadre du judaïsme du Ier siècle (entre sadducéens, esséniens, baptistes etc.)

Il n’avait donc aucune raison de s’intéresser particulièrement aux païens, considérés comme des bêtes : ceci est parfaitement cohérent avec la mentalité de l’époque. Le Christ des Écritures a été adapté par les rédacteurs à leur public, le faisant paraître plus ouvert aux Gentils, mais dans les faits le christianisme ne se détache pas du judaïsme avant la fin du IIe siècle.

Alors en quoi est-ce gênant ?

Mais parce que je ne peux pas m’identifier à une religion dont le fondateur estimait n’être venu que pour une poignée de personnes. Quand on essaie de dégager le noyau d’historicité contenu dans les Évangiles sous la couche de déformation légendaire, on a clairement l’impression d’un Jésus sectaire, parfois violent et vindicatif, en net décalage avec l’image qu’on lui prête aujourd’hui.
D'abord, ces paroles doivent être remis dans leur contexte, qui est dans les deux cas manifeste. Dans le premier, on est dans une parabole : la formule a clairement un caractère eschatologique, on parle du jugement dernier. Oui, au dernier jour, les réprouvés seront châtiés par Dieu. Ce n'est évidemment pas une invitation à mettre à mort des gens en cette vie.
Je crois au contraire que l’Histoire a démontré à maintes reprises que les chrétiens ont mis à mort des païens au nom de l’idée très précisément exprimée dans cette parabole : on a littéralement égorgé des païens en grand nombre parce qu’ils refusaient de se convertir.

Mais même an admettant qu’on parle du Jugement dernier : l’enfer éternel pour ceux qui, parfois pour d’excellentes raisons, préfèrent ne pas adhérer au christianisme ? Vraiment ?
Si ce que vous voulez dire, c'est que ces paroles ont été historiquement interprétés comme des justifications manifestes de péchés de violences dans l'histoire, ce n'est pas vrai. Aucun théologien n'a cherché à justifier les baptêmes forcés de Charlemagne (par exemple) par une exégèse de "je ne suis pas venu apporter la paix mais le glaive".
Je crois que le pape était très satisfait de Charlemagne. Je crois qu’il l’a même couronné empereur…
Il est complètement intenable de dire que l’Église n’a pas instrumentalisé les Écritures pour asseoir son pouvoir, étendre sa domination et combattre, persécuter et tuer les non-croyants (païens et hérétiques).

Passons…

Mais je voudrais terminer en vous remerciant du temps que vous avez consacré à me répondre. Je vous souhaite de conserver votre foi catholique, que je devine belle, profonde (et donc tourmentée) mais pour moi je crois que l’expérience s’achève ici.

Le petit fil qui me retenait, qui me retient encore, c’est la Résurrection. C’est le petit cheveu par lequel le monde bascule : si elle a bien eu lieu (ce que je croirai possible jusqu’à mon dernier souffle) qu’importent alors les crimes de l’Église et les erreurs des Écritures ?

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Xavi
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Re: Pourquoi je ne suis plus chrétien

Message non lu par Xavi » mer. 17 août 2022, 11:15

Bonjour Feufollet,
feufollet a écrit :
mar. 16 août 2022, 19:55
Je crois en un Dieu à l’origine de l’univers, je crois aux miracles et donc au « surnaturel »…
La croyance en la Résurrection (a) me paraît ainsi attestée dès les toutes premières années après la Crucifixion
feufollet a écrit :
mer. 17 août 2022, 4:58
Le petit fil qui me retenait, qui me retient encore, c’est la Résurrection.
Pour tout le reste, vous exprimez, en effet, une profonde crise de doute intellectuelle qui vous paraît sans issue.

Tant de chrétiens en ont souffert et en souffrent. Confrontés aux découvertes des sciences, ou aux observations objectives sur l’écriture humaine des livres de la Bible, ou aux éclairages d’analyses doctrinales ou exégétiques, ou tout simplement à leurs propres réflexions et à leurs propres compréhensions, le sol des certitudes semble se dérober sous leurs pieds.

Dieu a-t-il vraiment dit et fait ce que l’Église enseigne ?

Comment avoir la paix dans le cœur ? Comment marcher avec la foi et la raison en harmonie ?

Ce n’est pas moi qui pourrais vous convaincre, quand bien même je développerais toutes les réponses à chacune de vos questions qui se trouvent déjà abondamment présentées dans divers sujets de ce forum que le moteur de recherche vous permet de retrouver (en haut à droite de la page dans les Raccourcis).

En fait, aux quelques questions ou doutes que vous présentez, vous pourriez certainement en ajouter une liste infinie de beaucoup d’autres.

Toutes vous renverront à la même question par rapport au Christ ressuscité auquel vous restez fermement attaché.

Nous a-t-il laissé chacun seul avec nos questions ? Est-il ressuscité pour disparaître, caché quelque part ou dans une autre réalité, en train d’observer ? Avec un Saint Esprit que chacun entend et comprend à sa manière ?

Sans le don de l’Église par laquelle, sur la pauvre foi intellectuellement très faible d’un pécheur et de sa petite équipe, il a assuré sa présence, il n’y aurait pas de réponse certaine possible à vos questions.

Mais, inversement, l’Église est la réponse à toutes vos questions si vous croyez qu’elle est vraiment le corps du Christ ressuscité.

En fait, je ne pourrais que reproduire exactement ici, ce que j’ai écrit hier à une protestante dans le fil de cette même section où elle partage son attirance et ses hésitations à rejoindre la foi catholique au milieu de multiples questions et doutes.
Xavi a écrit :
mar. 16 août 2022, 14:24
Mais, des questions, vous n’avez pas fini de vous en poser…

Le protestantisme qui a accompagné vos premiers pas se résume par une conviction qui détermine les réponses à toutes questions que vous vous posez ou que vous pourriez vous poser. Cette conviction protestante, c’est, hélas, un rejet de l’Église comme corps universel visible et indivisible du Christ.

Le protestant, hélas, ne voit pas que l’incarnation n’a pas cessé mais se prolonge jusqu’au retour du Christ qui ne nous a pas laissés seuls et dispersés mais a fait de nous un seul corps, le sien.

Pour un protestant, dans la réalité où Dieu s’est cependant incarné, un tel corps universel visible et indivisible n’existerait pas et il n’y aurait que des assemblées de chrétiens dispersées dans d’innombrables confessions. Les protestants n’admettent et ne voient dans la réalité terrestre qu’une église faite de membres séparés ou partiellement regroupés sans tête visible unique.

Mais, sans l’apôtre Pierre et ses successeurs pour réunir l’Église en un seul corps, il n’y a pas de corps car il n’y a évidemment pas de corps sans tête, ni lien visible de tous les organes ou membres qui le constituent. Selon les protestants, la vraie Église serait invisible et connue de Dieu seul. Elle n’aurait pas de corps concret indivisible dont les membres sont rassemblés par un lien visible tout aussi concret. Car, c’est cela un corps incarné dans notre monde physique : dans la réalité physique, c’est un ensemble visible concret et indivisible par lequel chacun de nous vit dans ce monde physique. Un corps c’est notre être indivisible tel qu’il est dans une réalité où il vit.

Avant son ascension, le corps humain du Christ avait une tête, des bras, des jambes. Vous n’imaginez pas une tête en Afrique, un bras à Paris, une jambe à New York, et leur cerveau ailleurs encore, sans lien physique. Ce ne serait plus un corps. L’incarnation, c’est Dieu qui vient vivre parmi nous avec un corps.

Après son ascension, la foi proclame que le Christ continue à avoir un corps terrestre et c’est l’Église réunie en un seul corps indivisible par Pierre et ses successeurs. Enlevez la tête et vous n’avez plus de corps.

Le jour où vous découvrez cela, vous aurez cessé d’être protestante car, désormais, pour toute question, vous tournerez votre cœur et votre intelligence vers ce corps vivant depuis deux mille ans et vous aurez la conviction que c’est là et non dans les méandres de vos pensées ou des innombrables doctrines que la vérité subsiste pleinement. Parce que c'est le corps du Christ.

Vous n’aurez plus qu’une seule volonté et qu’une seule conviction pour toute question : qu’en pense l’Église en communion avec le Pape ?

Et vous constaterez que tout reprend sens et cohérence dans la communion de l’Église alors que tout n’est que confusion, dispersion et controverses infinies en dehors.

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Cgs
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Re: Pourquoi je ne suis plus chrétien

Message non lu par Cgs » mer. 17 août 2022, 11:27

Bonjour feufollet,

Merci pour toutes vos questions, qui sont parfois aussi les nôtres et qui nous obligent à approfondir notre foi. Je vais vous répondre sur différents points, et donner une conclusion sur ce qui me semble être les obstacles principaux à la foi chrétienne.
feufollet a écrit :
mer. 17 août 2022, 4:54
L'Eglise n'a jamais dit que la grâce salvatrice était limitée au sacrements (ou même, du reste, à leur mode d'administration ordinaire). Oui, l'économie du salut a été bouleversée par l'évènement historique de la Passion ; oui, Dieu est souverain dans la dispensation de sa grâce. En quoi ne serait-ce "pas très logique" ?
Dans ce cas, pourquoi demander aux fidèles de venir à l’église, ou aux incroyants de se convertir ? Ils peuvent bénéficier de la grâce de toute façon.
De manière beaucoup plus grave, les gens qui ont vécu avant la Passion n’ont jamais pu faire l’expérience de la foi chrétienne, n’ont jamais connu le Christ. Combien auraient pu être sauvés, leurs souffrances atténuées, s’ils avaient pu prier, croire et espérer comme le font les chrétiens actuels ?
Même chose pour les peuples n’ayant entendu parler du christianisme que tardivement. Tous ces gens sont morts sans avoir jamais pu non seulement se confesser ou communier, mais sans même connaître le récit évangélique, sans savoir que le Christ est mort et ressuscité pour nous. C’est cette pensée, plus qu’aucune autre, qui m’a fait perdre la foi. Comment croire que le Christ est venu sauver l’humanité entière devant une situation si inégale, si injuste ?
Qu’il y ait beaucoup d’appelés et peu d’élus, soit ; mais là, on parle d’énormes populations qui n’ont même jamais été « appelées ».
Or une religion sans ambition universelle ne vaut rien.
Bénéficier de la grâce ne signifie pas forcément qu'on l'accepte. Il faut bien comprendre que dans l'anthropologie chrétienne, l'homme naît coupé de Dieu, du fait du péché. Mais Dieu n'a pas abandonné l'homme au chapitre III de la Genèse. Tout l'ancien Testament et son accomplissement (la venue du Christ) n'a qu'un objectif : renouer la créature avec son Créateur. Donc du côté de Dieu, vous avez raison : il n'y a aucun ambiguité et la grâce de Dieu nous est nécessairement donnée.

Mais le problème vient de l'homme : va-t-il accepter sa condition déchue et va-t-il accepter d'être sauvé par Dieu selon les voies que le Créateur a choisies ? C'est la question essentielle, car Dieu étant Amour, il ne sauvera pas l'homme si ce dernier ne veut pas.

Pour revenir à votre question, ceux qui ont précédé le Christ se sont vus offrir un chemin de Salut par Dieu : parmi le peuple juif d'abord, peut-être aussi parmi les non-juifs. Dans le Credo, le Christ descend aux enfers (dans le Shéol) pour récupérer tous ceux de la première Alliance et les sauver. On voit donc que Dieu ne se limite pas aux sacrements pour sauver, ces derniers sont des instruments (les meilleurs), mais d'autres voies de salut connues de Dieu seul sont possibles. Ceux qui ne connaissent pas le Christ peuvent aussi être sauvés, comme le rappelle le Concile Vatican II.

Mais attention, l'orgueil humain va jusqu'à imposer à Dieu la façon dont il doit être sauvé. Par exemple, choisir par confort/paresse/opportunisme/autres une spiritualité orientale, alors que l'on connaît le christianisme comme chemin de Salut, peut conduire à se couper définitivement de Dieu et de Sa grâce. En revanche, ne connaître que cela ne damne pas forcément, tout dépend de la disposition intérieure de la personne.

A titre d'exemple, nous avons aujourd'hui beaucoup de témoignages de musulmans qui prétendent voir Jésus ou Marie. S'en suivent des conversions, même dans un contexte où l'apostasie est puni de mort ou d'exclusion sociale. Cela montre que Dieu utilise de nombreux moyens pour sauver les hommes et pas forcément une église particulière. Il n'en reste pas moins que c'est l'Eglise catholique qui montre le chemin, puisque c'est l'Eglise fondée par Jésus-Christ, dépositaire de son message et chargée par le Christ de conduire les hommes vers Dieu.

C'est de foi : tout homme est appelé à être sauvé. La religion catholique a donc bien une vocation universelle.
N'est-il pas légitime, n'est-il pas nécessaire de suivre une marche inverse, de considérer avec une fervente attention les faits pour les faits mêmes, et de chercher non plus le dogme et sa formule abstraite dans l'histoire, mais l'histoire et l'histoire seule jusque dans le dogme qui reprendra en elle vie, mouvement et plénitude ?
La démarche est intéressante, mais il faut faire attention. Les faits peuvent être interprétés et conduire à des erreurs de jugement.

Exemple qui semble vous tenir à coeur : des chrétiens ont fait le mal dans l'Histoire, donc leur religion prône le mal/est fausse/conduit au mal/n'épanouit pas/autre justification. Le raccourci est facile, mais il faut bien regarder dans les textes et dans la tradition vivante si tel fait ou tel acte est conforme à la foi. Héraclius vous l'a déjà signalé, isoler une parole de l'écriture (Matthieu X,34 par exemple) est réducteur et c'est d'ailleurs le reproche que nous faisons souvent aux protestants.

Votre message ci-dessous l'illustre pleinement :
Mettez-vous un instant à la place d’un incrédule. De ce point de vue, les Évangiles se contredisent sur de nombreux points. L’enjolivement légendaire de plusieurs passages saute aux yeux, au moins autant que l’authenticité et le réalisme de nombreux autres. Mais ce ne sont pas, dans l’ensemble, des documents historiques à prendre au pied de la lettre. Les évangélistes voulaient faire passer un message spirituel, pas retranscrire fidèlement les faits. Imagine-t-on que la totalité des paroles mises dans la bouche du Christ ou des apôtres ont été prononcées telles quelles, au mot près ?

Nous savons par ailleurs que le personnage de Jésus a réellement existé. Il était considéré comme le Messie par ses disciples, mais les opinions divergent dans les Écritures quant au moment où le Christ devient Fils de Dieu : lors de son baptême dans le Jourdain (Marc), au moment de sa conception (prologues de Luc et de Matthieu), lors de sa résurrection (Paul) ou de toute éternité (Jean). Jésus n’est en tout cas jamais l’égal du Père à la façon dont il le sera dans le dogme trinitaire. Même dans l’évangile de Jean (« Moi et le Père, nous sommes un » (10, 30)) Jésus déclare : « Le Père est plus grand que moi » (14, 28). Le Fils reste inférieur au Père, dont il ne partage pas l’omniscience ni la toute-puissance. En un mot, Jésus est un Homme (pas tout à fait) comme vous et moi.

Dans ce cas, le portrait du Jésus historique est celui d’un juif de son temps, avec les opinions d’un juif de son temps. Disciple de Jean-Baptiste, il annonçait une fin du monde imminente et accomplissait des guérisons et des exorcismes. Il n’avait pas la moindre intention de fonder une nouvelle religion : tout son enseignement s’inscrivait dans le cadre du judaïsme du Ier siècle (entre sadducéens, esséniens, baptistes etc.)

Il n’avait donc aucune intention de s’adresser aux païens, considérés comme des bêtes : ceci est parfaitement cohérent avec la mentalité de l’époque. De plus, cela ressort clairement de plusieurs passages des Évangiles, nonobstant les gloses conciliantes des évangélistes (« chiots, petits chiens » au lieu de « chiens », etc.), qui sont à lire dans le contexte de l’ouverture (tardive) faite aux Grecs et aux polémiques qui en ont découlé. Cette ouverture s’est faite difficilement et de manière générale, le christianisme ne se détache pas du judaïsme avant la fin du IIe siècle.

Alors en quoi est-ce gênant ?

Mais parce que je ne peux pas m’identifier à une religion dont le fondateur estimait n’être venu que pour une poignée de personnes. Quand on essaie de dégager le noyau d’historicité contenu dans les Évangiles sous la couche de déformation légendaire, on a clairement l’impression d’un Jésus sectaire, parfois violent et vindicatif, en net décalage avec l’image qu’on lui prête aujourd’hui.

Un incréduble ne devrait pas lire la Bible sans repères et sans explications. Car on peut faire dire ce que l'on veut au texte quand on n'a pas les éclairages-clés. Pour preuve les innombrables obédiences protestantes qui se fondent toutes sur les Ecritures pour dire des choses contradictoires. La foi, ce n'est pas qu'un texte, c'est aussi une tradition vivante dans les hommes (les disciples de Jésus, puis les premiers chrétiens, et ensuite la succession apostolique) et les deux sont indissociablement liés. C'est d'ailleurs l'Eglise qui a retenu certains textes et écarté d'autres qui n'étaient pas conformes à la foi reçue du Christ et des apôtres.

La lecture que vous faites des passages que vous mentionnez ci-dessus sont une interprétation possible du texte. Cette interprétation est-elle fidèle à celle de l'Eglise dans l'histoire ? Non, puisqu'elle conduit à des dogmes contraires à la foi catholique (Jésus n'est pas Dieu par exemple).

En conclusion, pour bien comprendre la foi catholique, il ne faut pas l'approcher "à la protestante" par l'Ecriture seule. Il convient d'être guidé, et pour cela, le catéchisme est un bon début. Il cite abondamment les Ecritures, mais aussi tous ceux qui ont écrit sur la foi dans l'Histoire (auteurs chrétiens, papes, etc.).

Si après ces lectures, vous voulez toujours croire en la libre interprétation des Ecritures, pourquoi pas. Chacun est libre. Mais allez jusqu'au bout de votre logique et acceptez d'y voir d'inextricables incohérences. L'Eglise a fait le tri pour vous dans l'Histoire, pourquoi ne pas lui faire confiance ?

Bien à vous,
Cgs
Mes propos qui apparaissent en vert comme ceci indiquent que j'agis au nom de la modération du forum.

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Re: Pourquoi je ne suis plus chrétien

Message non lu par Æoline » mer. 17 août 2022, 12:03

feufollet a écrit :
mer. 17 août 2022, 4:58
Quand on essaie de dégager le noyau d’historicité contenu dans les Évangiles sous la couche de déformation légendaire, on a clairement l’impression d’un Jésus sectaire, parfois violent et vindicatif, en net décalage avec l’image qu’on lui prête aujourd’hui.
J'aimerais juste faire une remarque en passant sur ce point.

Méfiez-vous de cette notion de noyau d'historicité contenu sous une couche de déformation légendaire. S'il y a bien une chose, en exégèse, que les différentes phases de la quête du "Jésus historique" ont montré, c'est qu'on en retire moins d'enseignements sur le "Jésus historique" que sur les options idéologiques des exégètes qui s'y livrent.

La première quête du Jésus historique, entamée vers la fin du XVIIIème siècle et à laquelle appartiennent des noms comme Ernest Renan ou Alfred Loisy, a abouti dans une impasse, constatée lucidement par Albert Schweizer, pour la raison évoquée ci-dessus.

La deuxième quête, celle du XXème siècle, s'est principalement focalisée sur ce qui singularisait Jésus par rapport à son milieu d'origine. Elle a pris fin dans les années 1980, quand on s'est rendu compte qu'à force de ne vouloir voir que ce qui faisait que Jésus n'était pas un juif comme les autres, on en avait oublié qu'il était juif...

La troisième quête, qui a débuté immédiatement après la deuxième, est actuellement incarnée majoritairement par le Jesus Seminar, cette institution américaine où on vote pour décider si Jésus a bel et bien dit telle ou telle parole rapportée par les Evangiles, et où l'un des critères sur lequel l'accent porte le plus est l'attestation par des sources multiples d'un acte ou d'un logion (et j'imagine que je n'ai pas besoin de souligner à quel point ce critère peut devenir problématique; seul mon mari sait que je viens de grignoter un bol de chips, alors est-ce réellement arrivé?). Mais si on regarde les résultats des travaux publiés par ceux qui s'inscrivent dans cette troisième quête, on s'aperçoit qu'on n'est pas plus avancé qu'à la fin de la première... du Jésus paysan galiléen au Jésus révolutionnaire, en passant par Jésus gnostique, Jésus féministe, Jésus maître talmudique charismatique ou même (même si celui-ci ne peut pas être décemment pris au sérieux, quoi qu'affirme son auteur) Jésus gourou au Tibet, il y en a pour tous les goûts. La diversité même des résultats obtenus montre combien la méthode utilisée préserve peu des biais interprétatifs ou des dadas personnels des exégètes, et combien la tendance est rapide et inévitable à écarter comme "non-historique" ce qui, dans les Evangiles, ne cadre pas avec l'idée que tel ou tel exégète se fait du "Jésus historique".

Quand à la "couche de déformation légendaire", là encore, soyez vigilant. N'oubliez pas que les textes des Evangiles se solidifient, à partir des récits des apôtres, à une époque où bien des témoins oculaires de la vie du Christ sont encore vivants. Entre l'Evangile de saint Marc et la mort du Christ, il y a à peu près la même distance temporelle qu'entre le moment où j'écris ces lignes et la première élection à la présidence de François Mitterrand. Un peu court pour que la déformation soit telle que l'historicité n'existe plus, ou existe si peu qu'il faille chercher le fait historique dans les Evangiles aussi minutieusement qu'une aiguille dans une botte de foin (ce que font nos braves amis du Jesus Seminar).

Je me permets de m'arrêter sur ce point peut-être secondaire parce que je soupçonne que ce n'est pas Jésus qui vous rebute, mais simplement l'esquisse partielle, partiale et déformée de son visage que l'on trouve chez certains historiens. Ne vous laissez pas éloigner par cette esquisse, qui ressemble probablement autant à son modèle qu'un portrait de Picasso à un visage humain réel, et ne la laissez s'interposer entre vous et les récits évangéliques comme un prisme déformant. Attachez-vous au Jésus des Evangiles dans sa globalité. Pour n'être pas des reportages journalistiques, les Evangiles n'en sont pas moins un témoignage rendu par les hommes et les communautés qui ont connu, aimé, suivi et cru le Christ, basés sur ce fait historique bouleversant d'un Dieu fait homme pour nous. Ils sont le portrait le plus fidèle qu'on puisse espérer, qu'ils rendent compte quasi-littéralement d'un événement précis ou qu'ils soient (comme le pense l'exégète Richard Bauckham au sujet de l'Evangile de saint Jean) le résultat de toute une vie de méditation, de remâchage, et de lente avancée dans la compréhension de la portée spirituelle de la vie du Christ.

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Re: Pourquoi je ne suis plus chrétien

Message non lu par Héraclius » mer. 17 août 2022, 13:52

Cher feufollet,

Je n'ai pas le temps de vous offrir une réponse plus complète mais je vais simplement revenir sur deux points qui me semblent significatifs :

1/ Sur la question des limitation historique du salut proposé dans la prédication et les sacrements de l'Eglise : je me suis longtemps posé moi-même des questions assez similaires. Je trouve à présent cette question moins présente pour les raisons suivantes :

- L'Eglise a tenu de façon constante que tout homme avait au moins en un sens accès aux moyens du salut ; si bien que cela ouvre un champ de possibles théologiques sur la manière dont cela se réalise. Ce qui est certain c'est que celui qui n'a pas accès à l'annonce explicite de l'évangile peut (la nature de cette possibilité pouvant être interprétée selon plusieurs schémas théologiques) se sauver malgré son ignorance.
- L'objection qui suit ("alors, l'Eglise est inutile ?") n'est pas décisive dès lors que l'on pose le problème dans les termes suivants : la bonne nouvelle, par définition, s'adresse à ceux qui la reçoive, et à ceux-là elle indique le chemin du salut rendu visible par l'administration ordinaire, rituelle, des sacrements. La Révélation, si vous voulez, rend manifeste le mode d'administration de la grâce au sein des frontières visibles de l'Eglise, tandis qu'elle rend possible mais reste silencieuse sur sa dispensation hors de ces frontières. Dieu garantie, rend certain la voie du salut par ces moyens visibles, sans nous communiquer dans quelle mesure il entend dispenser sa grâce hors de ces moyens. Si bien que le croyant a bien le devoir d'étendre ces frontières visible, où il sait garantie la dispensation de la grâce ; cette attitude n'impliquant aucune proposition dogmatique sur l'extension de la grâce hors de ces frontières.
En d'autres termes : peut-être que Dieu sauve autant hors de la visibilité de l'Eglise qu'en elle, mais nous ne le savons pas (la grâce est un don gratuit, on ne peut exiger de Dieu qu'il aille au-delà de ses promesses dans la garantie de l'ordre visible de la grâce, même si on peut certainement l'espérer). La visibilité de l'Eglise est donc pour le croyant essentielle parce qu'elle garantie les conditions de réceptions de la grâce, il ne peut pas dire que ce serait pareil si il n'en faisait pas partie : le domaine de la promesse donnée, de la garantie divine, n'est pas celui de l'espérance d'un don possible. Surtout, dès lors que lui sait ce qu'est l'Eglise, il ne peut retourner à l'état d'ignorance : il connaît désormais les conduits visibles de la grâce, et s'en détourner serait se détourner de la grâce elle-même. On ne peut adhérer implicitement à de qu'on rejette explicitement.
- Reste la question sous la forme "pourquoi l'Eglise du point de vue de Dieu", soit "pourquoi Dieu n'opère-t-il pas son salut sur un mode complètement invisible ?" ; mais cette question suppose qu'on puisse raisonner sur les motifs divins, sur les libres décrets de Dieu. La seule réponse possible, c'est qu'on en sait rien, même si on pressent en chrétiens que c'est lié au désir de Dieu de passer par des médiations humaines (désir constamment manifesté dans l'Ecriture, suprêmement dans son union hypostatique à une nature humaine) sans se laisser conditionnées par elles. Tourner la chose en objection contre le Christianisme, c'est admettre en amont qu'on peut raisonner sur ce que Dieu devrait désirer. C'est peut-être possible quand il s'agit de déterminer que Dieu désire le bien et non le mal, par exemple, mais sur le mode d'administration de ses biens, on voit mal comment cela est possible.

2/ Sur ce passage :
Je vais faire un petit détour pour répondre.

Mettez-vous un instant à la place d’un incrédule. De ce point de vue, les Évangiles se contredisent sur de nombreux points. L’enjolivement légendaire de plusieurs passages saute aux yeux, au moins autant que l’authenticité et le réalisme de nombreux autres. Mais ce ne sont pas, dans l’ensemble, des documents historiques à prendre au pied de la lettre. Les évangélistes voulaient faire passer un message spirituel, pas retranscrire fidèlement les faits. Imagine-t-on que la totalité des paroles mises dans la bouche du Christ ou des apôtres ont été prononcées telles quelles, au mot près ?

Nous savons par ailleurs que le personnage de Jésus a réellement existé. Il était considéré comme le Messie par ses disciples, mais les opinions divergent dans les Écritures quant au moment où le Christ devient Fils de Dieu : lors de son baptême dans le Jourdain (Marc), au moment de sa conception (prologues de Luc et de Matthieu), lors de sa résurrection (Paul) ou de toute éternité (Jean). Jésus n’est en tout cas jamais l’égal du Père à la façon dont il le sera dans le dogme trinitaire. Même dans l’évangile de Jean (« Moi et le Père, nous sommes un » (10, 30)) Jésus déclare : « Le Père est plus grand que moi » (14, 28). Le Fils reste inférieur au Père, dont il ne partage pas l’omniscience ni la toute-puissance. En un mot, Jésus est un Homme (pas tout à fait) comme vous et moi.

Dans ce cas, le portrait du Jésus historique est celui d’un juif de son temps, avec les opinions d’un juif de son temps. Disciple de Jean-Baptiste, il annonçait une fin du monde imminente et accomplissait des guérisons et des exorcismes. Il n’avait pas la moindre intention de fonder une nouvelle religion : tout son enseignement s’inscrivait dans le cadre du judaïsme du Ier siècle (entre sadducéens, esséniens, baptistes etc.)

Il n’avait donc aucune raison de s’intéresser particulièrement aux païens, considérés comme des bêtes : ceci est parfaitement cohérent avec la mentalité de l’époque. Le Christ des Écritures a été adapté par les rédacteurs à leur public, le faisant paraître plus ouvert aux Gentils, mais dans les faits le christianisme ne se détache pas du judaïsme avant la fin du IIe siècle.

Alors en quoi est-ce gênant ?

Mais parce que je ne peux pas m’identifier à une religion dont le fondateur estimait n’être venu que pour une poignée de personnes. Quand on essaie de dégager le noyau d’historicité contenu dans les Évangiles sous la couche de déformation légendaire, on a clairement l’impression d’un Jésus sectaire, parfois violent et vindicatif, en net décalage avec l’image qu’on lui prête aujourd’hui.
Vous partez d'abord du point de vue de l'incrédule, c'est à dire de l'historien qui refuse méthodologiquement le caractère surnaturel de la religion chrétienne et qui entend l'analyser en causes parfaitement naturelles. Dans votre conclusion au contraire, vous adoptez le point de vue du croyant, qui devrait recevoir les conclusions du premier comme une objection contre sa foi. Mais vous voyez bien qu'il y a un vice de méthode : si vous refusez par principe le surnaturel il est évident que votre conclusion ne sera pas adéquate à une interprétation surnaturelle du Christianisme.

Il ne s'agit pas d'enfermer chacun dans ses présupposés de méthode et d'empêcher préventivement toute comparaison ; on peut en effet se poser la question de savoir quelle interprétation est la meilleure, se demander ce qui permet de rendre mieux compte du phénomène chrétien : la thèse naturaliste ou la thèse surnaturelle. C'est le fond du problème, et c'est là que celui qui veut refuser le Christianisme peut avancer ses arguments : ma thèse est une meilleure modélisation de la réalité, plus économe, mieux fondée, etc...

Mais vous ne pouvez pas pour autant amener le chrétien à admettre des contradictions qui sont produites par le modèle qui exclut méthodologiquement le surnaturel. C'est un peu comme cet argument de certains auteurs non-chrétiens qui se reposent sur le point de vue d'historiens qui ont jugés que les prophéties concernant la chute de Jérusalem n'ont pas pu avoir été formulé avant 70 pour prouver que le Christianisme est faux puisque ses prédictions ont été inventées rétrospectivement. C'est évidement absurde : la conclusion de ces historiens est évidemment liée au fait qu'ils n'admettent méthodologiquement pas la possibilité de la prophétie (ce que je ne leur reproche pas) et l'apologète anti-chrétien ne peut pas utiliser de telles conclusions telles quelles pour réfuter le Christianisme, dont la fausseté était admise au fondement de la méthode qui les a produites.

Blondel a justement écrit pour montrer le problème philosophique fondamental de ce genre de procédés ; je pense que ses remarques sont admissibles à la fois par le chrétien et le non-chrétien. Si bien que votre portrait de Jésus (qui à mon avis même d'un point de vue naturaliste est tout à fait problématique, mais c'est autre chose) qui se fonde sur le refus de la possibilité de la révélation chrétienne ne peut aucunement ébranler celui qui admet cette possibilité.

Vous pouvez certes dire que votre version du "Jésus-historique" (qui serait fortement contestée par de nombreux auteurs naturalistes qui ont leurs propre vision de Jésus) est supérieure au "Christ de la Foi" en tant qu'interprétation "totale" (ce qui revient à défendre le fondement de votre méthode excluant le surnaturel) mais pas le présenter comme une version neutre, objective, à partir de laquelle il s'agira de déterminer si oui ou non la prétention surnaturelle du Christianisme est défendable.

Dieu vous garde sur votre cheminement intellectuel et spirituel à venir, en tout cas, par-delà votre virage présent. :fleur:
''Christus Iesus, cum in forma Dei esset, non rapínam arbitrátus est esse se æquálem Deo, sed semetípsum exinanívit formam servi accípiens, in similitúdinem hóminum factus ; et hábitu invéntus ut homo, humiliávit semetípsum factus oboediens usque ad mortem, mortem autem crucis. Propter quod et Deus illum exaltávit et donávit illi nomen, quod est super omne nomen, ut in nómine Iesu omne genu flectátur cæléstium et terréstrium et infernórum.'' (Epître de Saint Paul aux Philippiens, 2, 7-10)

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Re: Pourquoi je ne suis plus chrétien

Message non lu par feufollet » mer. 17 août 2022, 14:06

Je remercie Xavi, Cgs et Æoline de leurs réponses. Je ne répondrai qu’à quelques points essentiels, mais croyez bien que je vous ai lus attentivement et avec intérêt. Merci de m’avoir consacré votre temps.
Xavi a écrit :
mer. 17 août 2022, 11:15
Mais, sans l’apôtre Pierre et ses successeurs pour réunir l’Église en un seul corps, il n’y a pas de corps car il n’y a évidemment pas de corps sans tête, ni lien visible de tous les organes ou membres qui le constituent. Selon les protestants, la vraie Église serait invisible et connue de Dieu seul.
Pourtant les premières communautés judéochrétiennes étaient de petites assemblées locales ayant à leur tête un épiscope ou un presbytre. La primauté romaine est une idée tardive qui s’est élaborée progressivement.
Nous a-t-il laissé chacun seul avec nos questions ? Est-il ressuscité pour disparaître, caché quelque part ou dans une autre réalité, en train d’observer ? Avec un Saint Esprit que chacun entend et comprend à sa manière ?
C’est ce qu’il me semble… hélas. Le dogme catholique est un fardeau trop lourd à porter. Il suscite un doute perpétuel et une tension permanente : trop d’erreurs manifestes, d’incohérences, de non-dits.
Vous l’avez deviné : une question (plus ou moins) clarifiée en amène deux nouvelles à résoudre.

Et voilà que je découvre une autre religion, à la fois plus complexe, plus subtile et plus simple, qui ne provoque pas de heurts ou d’accrocs lorsque je l’intègre à mon système mental. Le choix s’en trouve facilité. Mais ça ne veut pas dire que je considère que le christianisme est faux. Chaque tradition religieuse offre un accès au divin, selon des modes culturels particuliers, à la manière de l’eau qui prend la forme de ses récipients. Simplement, le récipient chrétien ne me convient pas. Voilà tout.

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Re: Pourquoi je ne suis plus chrétien

Message non lu par feufollet » mer. 17 août 2022, 14:20

Cgs a écrit :
mer. 17 août 2022, 11:27
Dans le Credo, le Christ descend aux enfers (dans le Shéol) pour récupérer tous ceux de la première Alliance et les sauver.
Mais qu’en est-il des autres, des non-juifs ? Des hommes du néolithique, du paléolithique ? Des australopithèques ? Vous direz peut-être que je m’égare, mais la question me semble d’importance. D’ailleurs, que deviennent les animaux après leur mort ? Ont-ils une âme ? Est-elle différente de la nôtre ? Pourquoi ? Comment le sait-on ? Les anges ont-ils une âme ? Et ainsi de suite, à n’en pas finir.
Mais attention, l'orgueil humain va jusqu'à imposer à Dieu la façon dont il doit être sauvé. Par exemple, choisir par confort/paresse/opportunisme/autres une spiritualité orientale, alors que l'on connaît le christianisme comme chemin de Salut, peut conduire à se couper définitivement de Dieu et de Sa grâce.
Non, je ne crois pas. L’appartenance religieuse est souvent déterminée par le lieu de naissance, comme la nationalité ou la couleur de peau. Nous sommes le produit d’un contexte socio-culturel donné : il n’y a rien de mal à ça, mais ce n’est pas non plus un indice de supériorité. Les musulmans aussi sont persuadés que leur religion est la bonne. Si vous étiez né en pays musulman, ne tiendriez-vous pas sensiblement le même discours sur « la seule vraie religion » à propos de l’islam ?
L'Eglise a fait le tri pour vous dans l'Histoire, pourquoi ne pas lui faire confiance ?
Parce que la science et l’histoire, justement – en un mot la raison – opèrent un tri assez différent.

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