Booz a écrit : ↑lun. 30 sept. 2019, 1:47
Dieu, chez Spinoza, s'intériorise à mesure qu'il se comprend, tant au niveau individuel qu’inter-subjectif, me semble-t-il.
Cette intériorisation est ce qui heurte le sens logique de certains, à la lecture de Spinoza : l’impossible synthèse de son monisme neutre de l’affirmation d’une substance avec la finitude de notre vécu.
Booz a écrit : ↑lun. 30 sept. 2019, 1:47
Forme et contenu sont solidaires. Pourquoi vouloir les scinder?
Vivre et se savoir vivre sont structurellement liés. Il est possible que l'attention consciente se dirige plus vers un pôle et moins vers un autre, mais je pense qu'une conscience de soi implique toujours en même temps ce de quoi la conscience est conscience - c'est-à-dire de son contenu. Ce savoir du vécu, si vous supprimez le vécu dont il est le savoir, devient un savoir du vide, du rien, perdant ainsi le corrélat nécessaire de la conscience, qui est rapport à autre chose que soi.
Je vous rejoins sur un point : pour avoir conscience de soi, il faut au minimum bénéficier d’une conscience d’objets, autrement dit d’une conscience réflexive. Là où je diverge, c’est dans la définition de la conscience que vous donnez ensuite : il ne pourrait y avoir conscience sans un rapport à autre chose que soi. Vous associez étroitement, du reste, la conscience au savoir. Pour ma part, je bats en retraite d’un cran supplémentaire de cette conception du fait conscient en accordant la possibilité d’une conscience plus élémentaire, communément appelée conscience pure, qui ferait l’économie de tout contenu réflexif. Dans ce cas, il n’est plus question de savoir, mais de simple éprouvé non reconnu comme tel par le sujet (qui au demeurant ne se sait plus sujet). Par exemple, l’état second d’une personne sous influence, qui vit un flux inarticulé, informé, de sensations diverses.
Booz a écrit : ↑lun. 30 sept. 2019, 1:47
L'inconvénient, c'est que l'on ne peut dans ce cas faire passer aucune doctrine particulière, et encore moine en privilégier une sur une autre autrement que par les accointances vécues dans un contexte particulier.
Le vécu particulier serait donc la mesure de toute chose? Je ne peux que vous renvoyer à la méditation de Socrate dans le
Théétète de Platon. A défaut d'être une réponse définitive, c'est du moins un moment essentiel à mon sens.
Non, vous me prêtez ici un subjectivisme forcené que je ne partage pas. Ce que je dis, c’est qu’il est vain de tenter démontrer l’absoluité de toute forme morale. Précisons certaines choses : tout d’abord, suivant en cela ma ligne de conduite, c’est-à-dire le refus de tout jugement définitif sur une proposition portant sur l’absolu, je l’applique à mon libre-arbitre. Je ne peux donc prétendre être absolument libre. Cela reste certainement une possibilité, mais en rien une certitude. Pour autant, tout se passe
comme si je disposais de cette capacité puisque je ressens clairement, pour la plupart de mes décisions, celles qui font appel à la raison, une forme de liberté souveraine des actes posés, des actes
volontaires. Corollaire à cette liberté, à ma volonté supposée dénuée de toute emprise extérieure, j’éprouve le sentiment de responsabilité : je me ressens – sur un mode éprouvé et non métaphysique, j’insiste encore – comme étant la cause de certains événements. Mon expérience sensible, en plus de me faire découvrir des événements et ressentir une volonté libre de ses actes, m’accorde également pléthore d’émotions qui s’expriment, tant en qualité qu’en quantité, sur une échelle à degrés continus. Ces émotions, je tente instinctivement de les trier au mieux par la raison afin de mieux maîtriser leur apparition, je tente donc de relier les événements, mes actes et mes émotions en vue de maximiser mon propre bien-être. Jamais, au grand jamais, je n’agis réellement en ma défaveur. Même si je me sacrifie sur l’autel des souffrances pour autrui, c’est toujours en vue de mon propre bien : donner sa vie pour ses enfants revient à refuser une souffrance insurmontable
personnelle à plus long terme et se soumettre aux pires tortures à titre « gratuit » revient à jouir plus encore du sentiment de liberté qui nous étreint. Ces liens ne sont ni jamais entièrement noués, ni intangibles. Ils fluctuent. S’il m’arrivait de brûler les fourmilières étant enfant, cela ne m’amuse plus du tout devenu adulte. S’il m’arrive de tuer un moustique dans ma chambre, je pourrais parfaitement le laisser en vie une autre nuit. Les événements associés au sentiment d’injustice ou de colère sont si étroitement intriqués avec un contexte émotionnel global qu’ils en deviennent proprement inclassables autrement que par des généralités qui en sont réduites à servir de guides grossiers d’action. Les émotions sont contextuelles, évolutives et arbitrairement circonscrites. Il y a de la tristesse dans la mélancolie tout autant que l’inverse, et il m’est arrivé d’être joyeux dans une forme profonde de détresse.
Mais les émotions guident nos actes plus sûrement que toute volonté propre. Nous ignorons pourquoi tel événement « nous rend triste ». Nous l’ignorons. Nous tentons certes de l’expliquer rationnellement a posteriori – parce que j’aime la vie, parce que cette maison me rappelle d’heureux souvenirs, parce que telle molécule agit sur telle partie cérébrale, etc. – mais sur le fond nous pourrions tout à fait perdre la capacité émotive ou la voir se modifier sans que le motif rationnel n’en perde sa pertinence. Nous sommes incapables d’affirmer avec certitude l’origine de nos émotions.
Lorsque j’agis au sein des événements, je le fais en vertu des émotions présentes, passées et attendues dans le futur. Les émotions passées et présentes sont reliées rationnellement, au moyen de concepts généralisateurs (si acte/événement A alors émotion B), et nos souvenirs arrangés sous forme de règles causales nous informent de ce que nous pouvons attendre de la combinaison actes/événements présente. En fonction de cela, que reste-t-il à la liberté d’agir ? Difficile à dire, car en fin de compte c’est bel et bien un contenu de pensée qui forme les seules pièces à partir desquelles une décision doit être prise. Or il n’existe qu’un seul arrangement possible de ces pièces, celui qui nous apporte l’intime conviction que c’est cette combinaison et pas une autre qu’il nous faut prendre. Mais qu’est-ce que l’intime conviction sinon… une émotion ? Certes, une émotion maître en ce qu’elle détermine une marche à suivre, mais émotion tout de même, qui pourrait être toute autre dans d’autres circonstances.
Résumons.
Seul, j’agis en fonction d’une émotion-maître, une intime conviction résultat de l’association dans la durée d’un corpus émotif instable, d’un contexte événementiel et d’une faculté de raison. Cette émotion-maître peut a posteriori se voir conceptualisée sous la houlette d’émotions tierces visées à plus long terme,
ce qui m’amène à penser ma propre conception de la morale. Mais, on l’a vu, on ne peut en rien affirmer que cette conception soit absolue.
Confronté à mes pairs, je confronterai ma morale à la leur. Cette confrontation modifiera le contexte événementiel, le contenu de ma faculté de raison et peut-être aussi la teneur des liens qui les unissent à mes émotions. Conséquemment, un équilibre se mettra progressivement en place par le jeu des rapports de force, équilibre qui synthétisera les différentes morales en un ensemble plus généralisé valable pour tous. Mais cette synthèse sera elle-même soumise à la dynamique interne de tous les participants.
Conclusion : si l’on peut dire que la morale est subjective, elle conserve toute sa teneur objective au sens de Kant.
Booz a écrit : ↑lun. 30 sept. 2019, 1:47
Il me semble que vous êtes dans une position métaphysique classique que l'histoire a consacrée sous le nom de "phénoménisme". Le problème de cette position, c'est que pour se poser, elle doit bien s'exprimer dans l'universalité du langage et prétendre valoir pour tous... c'est-à-dire que pour se poser, elle doit se nier. Il y a une contradiction performative. A moins d'en faire un cri du cœur?
Vous avez parfaitement raison : cette position est muette. Ou presque. Il reste possible, peut-être par le biais de la poésie justement, de faire comprendre à l’interlocuteur la profondeur éblouissante de l’infinité du monde intérieur : la percussion vivante de la contradiction existentielle du cogito, la découverte sans mot du potentiel littéralement miraculeux non pas de ce qu’il y a, mais du fait qu’il y a.
C’est pour cela, à nouveau, que je ne comprends pas pourquoi il faut allez chercher Dieu quelque part.