Bonjour,
Je m'invite un peu dans le débat. Je ne crois pas du tout, comme le pense certain, que le dogme de la transsubstantiation soit une évidence à partir des évangiles et des mots de Jésus (ce serait un peu facile). Le démontrer directement, comme vérité métaphysique, à partir de là me semble terriblement hasardeux et pourra de toute façon se voir opposer une autre interprétation, comme par exemple celle de votre interlocuteur, Sofia.
Non, ce qui me semble l'un des meilleurs critères c'est celui qu'a évoqué Christophe dès le début, à savoir que cette croyance est attestée dès les premiers temps de l'Eglise ; jusque dans les écrits de Saint Paul qu'a cité Raistlin, où on peut lire qu'il enseigne déjà un vrai culte aux Saintes Espèces (là il faut quand même être un peu de mauvaise foi pour ne pas le voir). C'est aussi le cas pour les premiers Pères de l'Eglise qui ont été cités.
A l'inverse, pour remettre à l'endroit le premier argument de Gerardh, il a fallu attendre quand même bien des siècles avant que les réfutations des protestants se manifestent concrètement. Et pour cause, l'affirmation d'un dogme, au cours d'un concile, n'est rendu nécessaire bien souvent justement que pour corriger une dérive doctrinale. Si il a fallu attendre le 9ème siècle, c'est bien que la mise en doute de cette croyance n'est apparu dans l'histoire chrétienne que tardivement. On est forcé de l'admettre. Je trouve donc ça léger d'accorder plus de confiance à son propre jugement et/ou celui de chrétiens très éloignés des origines de l'Eglise, quand le dogme lui s'inspire de la tradition originelle de l'Eglise. Même la version grecque du Notre Père a joué le jeu de mot jusqu'au bout, en incluant un mot dans la prière (qu'on traduit pas "
quotidien" dans "
Donne-nous notre pain quotidien") qui n'existe nulle part ailleurs dans la langue grecque, et qui étymologiquement peut se traduire au choix par "
quotidien" ou par "
supersubstantiel". Saint Jérôme l'avait bien compris, avait bien compris que le pain dont il s'agit, cette manne nouvelle, c'était celle de l'eucharistie, et il traduit ainsi du grec cette phrase du Notre Père par le latin "
Panem nostrum supersubstantialem da nobis hodie". On a ici déjà la notion du pain qui transcende la substance, et nous met en relation directe avec. Ce pain, c'est évidemment Jésus Christ lui-même, et les premiers disciples ayant traduit en grec l'enseignement de Jésus on su utiliser toute la richesse de cette langue ici pour encore plus mettre en lumière le sens de cette prière, sens ici que l'araméen ne pouvait laisser que supposer si il était coupé du reste de l'enseignement du maitre.
Juste une chose, justement, pour prolonger la remarque de Le Bereen : on voit chère Sofia comment votre interlocuteur commet une erreur de langage (commise trop souvent), et change la notion de "
trans-substantiation" en "
trans-formation" (qualifiée d'
extraordinaire). C'est justement caractéristique du manque de compréhension métaphysique de ce mystère.
On parle justement de
transsubstantiation pour bien préciser notamment que ce n'est pas la
forme qui change, donc pas une
trans-formation. La personne qui commet l'erreur de langage le sait bien pourtant, mais montre ainsi tout l'abord superficiel de ce profond mystère métaphysique. En outre, on parle de
trans-substantiation, pour bien indiquer qu'il y a une opération objective à l'oeuvre dans ce changement de substance. C'est-à-dire que ce qui trans-substantie est distinct des substances elles-mêmes, et les transcende en quelque sorte. Transcender ou être l'objectivant d'une substance, ou d'une
essence pour reprendre un synonyme communément admis (un
de l'être), ne peut alors que relever de l'être
supersubstantiel, ou encore
suressentiel ou encore
suréminent : Dieu. On ne peut donc pas dire que ce soit le prêtre qui opère la transsubstantiation ; ce serait une grave contradiction métaphysique.
Plutôt que d'essayer de "démontrer" le dogme de la transsubstantiation, on peut essayer de voir ce qu'il nous apprend et en quoi il éclaire notre foi. C'est tout l'intérêt d'un dogme (C'est pour ça que l'apologétique me gonfle, personnellement : on se concentre sur ce QUI justifie les dogmes au lieu de se concentrer sur ce QUE justifient les dogmes).
Essayons un peu... On dit que par la puissance de Dieu, une substance est changée en une autre substance. Il apparait dans ce mystère quelque chose de la sanctification de l'humanité par Dieu que résume en toute sa vie notre Seigneur Jésus Christ. Ca donne du sens à sa venue. Vrai Homme et vrai Dieu, par son incarnation, les deux natures sont présentes en lui. Ces deux natures ont évidemment une différence majeure. Au risque d'emprunter du vocabulaire peut-être non chrétien, l'une peut être dite naturante, et l'autre naturée. Il y a une relation de verticalité entre ces deux natures. En Jésus Christ, nous apercevons déjà ce Dieu qui insémine l'Homme et lui donne sens. Par là il le sanctifie. Pour comparer à l'eucharistie, c'est ici le
super-substantiel (Dieu) qui opère sur la substance (du pain).
Ensuite toute l'oeuvre salvatrice de Jésus va conduire à sanctifier l'Humanité, le sauver. Le dogme nous dit quelque chose de ce qui se passe alors pour l'humanité : ne s'agirait-il pas finalement d'en changer la substance et faire de la "substance" que je suis une "substance" divine. Ainsi, comme le pain garde sa nature de pain (créé tel), qu'il en garde aussi la forme, conformément à sa nature, mais devient vraiment substance divine, ainsi Dieu en Jésus Christ, sans changer la nature de l'Homme, ni même sa forme, va changer sa substance pour en faire une substance divine.
Une sagesse, peut-être trop oubliée aujourd'hui, mais toujours conservée au plus profond de nous, comme une réalité archétypale directement liée à la raison naturelle, nous fait reconnaitre dans la nourriture ce qui re-génère notre corps. Il n'a pas fallu attendre la biologie d'aujourd'hui pour savoir que notre corps se renouvelle sans cesse, et se renouvelle en assimilant de la nourriture. Notamment du temps de Jésus, cette sagesse était déjà bien présente. Notre corps devient chaque jour un peu de la nourriture qu'il ingère. Pas en nature, pas en forme, mais il y a quelque chose qu'on pourrait dire de "substantiel". C'est un autre sujet, mais comme la nourriture est fruit de la terre et du travail des hommes, cette relation de substance est évidemment d'un autre ordre que celle qui a lieu dans l'eucharistie. Il faudrait étudier de très prêt ce qui fonde, métaphysiquement, les anciens holocaustes par exemple, pour bien analyser ce rapport de la nourriture humaine à la substance.
Bref, là où je veux en venir, c'est que de la même manière que le dit le proverbe "nous sommes ce que nous mangeons", en mangeant la chair et le sang du Seigneur, nous devenons nous aussi le Seigneur, quoique de manière toujours imparfaite. Et vous avez là véritablement ce qui explique notamment le phénomène des stigmatisés, par exemple qui, plus que d'autres se laissent ainsi transsubstantier et devenir substantiellement le Seigneur. On pourrait dire qu'il font une sainte indigestion du Seigneur
!
La transsubstantiation est certainement Le mystère qui nourrit le plus notre foi dans la
grâce divine, c'est-à-dire dans le fait que le Seigneur n'est pas coupé de sa création, mais qu'il est là, qu'il oeuvre en nous, et que nous pouvons réellement être appelé son temple. Les protestants qui nient la transsubstantiation ne se rendent peut-être pas compte que chacun des arguments qu'ils y opposent pourraient s'opposer tout autant à l'idée de grâce, ou simplement l'idée de relation entre Dieu et l'Homme. En lieu et place de cette relation intelligible et sensible, donc complète, entre Dieu et l'Homme, ils mettent une notion vague "d'inspiration" qui leur sert de résumer à elle seule toute la relation de Dieu à l'Homme.
Mais cette "inspiration" de l'Esprit Saint qui doit les guider implique bien une relation opérante d'un être transcendant sur un être transcendé, au moins dans le plan spirituel. Il semble pourtant que si ils sont capables de reconnaitre cette réalité spirituelle, ils soient incapables de la reconnaitre sur le plan corporel, comme si finalement l'Esprit et le corps étaient deux réalités totalement déconnectées l'une de l'autre, comme si Dieu avait créé un Esprit pour être en relation avec lui, et un corps pour... ? on ne sait pas trop quoi, finalement. C'est curieux d'avoir une foi dont la pointe porte sur la résurrection du corps, et de perdre à ce point le sens du corps ; au point qu'on nie qu'il puisse faire l'objet de cette relation à Dieu que l'on reconnait pourtant à l'esprit.
Enfin, Sofia, je serais curieux de savoir ce que votre interlocuteur pense de la
trans-figuration, autre mystère qui implique aussi un changement par opération en Jésus, mais là un changement de "
figure". Celui-là, j'avoue, me laisse encore plus
contemplatif (mais je crois que c'est à cela qu'il sert).
Bon, désolé encore pour le pavé (décidément je devrais le mettre dans ma signature ça, je gagnerai un peu de temps).
Bonne soirée.