Jean-Paul II, Mulieris Dignitatem (1988) :
24. Le texte s'adresse aux époux, à des femmes et à des hommes concrets et il leur rappelle l'«ethos» de l'amour nuptial qui remonte à l'institution divine du mariage dès le «commencement». A la véritable nature de cette institution répond l'exhortation «maris, aimez vos femmes», aimez-les en raison de ce lien spécial et unique par lequel l'homme et la femme deviennent dans le mariage «une seule chair» (Gn 2, 24; Ep 5, 31). On trouve dans cet amour une affirmation fondamentale de la femme comme personne, affirmation grâce à laquelle la personnalité féminine peut se développer pleinement et s'enrichir. C'est précisément ainsi qu'agit le Christ comme Epoux de l'Eglise, voulant qu'elle soit «resplendissante, sans tache ni ride» (Ep 5, 27). On peut dire que s'affirme ici pleinement ce qui constitue le «style» du Christ face à la femme. Le mari devrait faire siens tous les éléments de ce style à l'égard de sa femme; et, analogiquement, c'est ce que devrait faire l'homme à l'égard de la femme dans toutes les situations. Ainsi tous deux, l'homme et la femme, vivent le «don désintéressé de soi»!
L'auteur de la Lettre aux Ephésiens ne voit aucune contradiction entre une exhortation ainsi formulée et la constatation que «les femmes doivent se soumettre à leurs maris, comme au Seigneur; en effet, pour la femme, le mari est la tête» (cf. 5, 22-23). L'auteur sait que cette attitude, si profondément enracinée dans les moeurs et la tradition religieuse du temps, doit être comprise et vécue d'une manière nouvelle, comme une «soumission mutuelle dans la crainte du Christ» (cf. Ep 5, 21); d'autant plus que le mari est dit «chef» de la femme comme le Christ est chef de l'Eglise; il l'est pour «se livrer pour elle» (Ep 5, 25), et se livrer pour elle c'est donner jusqu'à sa vie. Mais, tandis que dans la relation Christ-Eglise, la seule soumission est celle de l'Eglise, dans la relation mari-femme, la «soumission» n'est pas unilatérale, mais bien réciproque!
Par rapport à l'«ancien», c'est là évidemment une «nouveauté»; c'est la nouveauté évangélique. Nous rencontrons plusieurs textes où les écrits apostoliques expriment cette nouveauté, même si l'on y entend aussi ce qui est «ancien», ce qui s'enracine dans la tradition religieuse d'Israël, dans sa façon de comprendre et d'expliquer les textes sacrés comme, par exemple, le chapitre 2 de la Genèse(49).
Les Lettres des Apôtres sont adressées à des personnes qui vivent dans un milieu ayant les mêmes façons de penser et d'agir. La «nouveauté» du Christ est un fait: elle constitue le contenu sans équivoque du message évangélique et elle est le fruit de la Rédemption. En même temps, cependant, la conscience que dans le mariage il y a la «soumission mutuelle des conjoints dans la crainte du Christ», et pas seulement celle de la femme à son mari, doit imprégner les coeurs, les consciences, les comportements, les moeurs. C'est un appel qui depuis lors ne cesse d'être pressant pour les générations qui se succèdent, un appel que les hommes doivent sans cesse accueillir de nouveau. L'Apôtre n'écrivit pas seulement: «Dans le Christ Jésus ..., il n'y a ni homme ni femme», mais aussi «il n'y a ni esclave ni homme libre». Et pourtant combien de générations il a fallu pour que le principe se concrétise dans l'histoire de l'humanité par l'abolition de l'institution de l'esclavage! Et que dire des formes nombreuses d'esclavage auxquelles sont soumis des hommes et des peuples, et qui n'ont pas encore disparu de la scène de l'histoire?
Cependant, le défi de l'«ethos» de la Rédemption est clair et définitif. Toutes les motivations de la «soumission» de la femme à l'homme dans le mariage doivent être interprétées dans le sens d'une «soumission mutuelle» de l'un à l'autre «dans la crainte du Christ». La dimension du véritable amour nuptial trouve sa source la plus profonde dans le Christ qui est l'Epoux de l'Eglise, son Epouse.
Pie XI, Casti Connubii (1930) :
Enfin, la société domestique ayant été bien affermie par le lien de cette charité, il est nécessaire d'y faire fleurir ce que saint Augustin appelle l'ordre de l'amour. Cet ordre implique et la primauté du mari sur sa femme et ses enfants, et la soumission empressée de la femme ainsi que son obéissance spontanée, ce que l'Apôtre recommande en ces termes : « que les femmes soient soumises à leurs maris comme au Seigneur ; parce que l'homme est le chef de la femme comme le Christ est le Chef de l’Eglise. » (31) Cette soumission, d'ailleurs, ne nie pas, elle n'abolit pas la liberté qui revient de plein droit à la femme, tant à raison de ses prérogatives comme personne humaine, qu'à raison de ses fonctions si nobles d'épouse, de mère et de compagne ; elle ne lui commande pas de se plier à tous les désirs de son mari, quels qu'ils soient, même à ceux qui pourraient être peu conformes à la raison ou bien à la dignité de l'épouse ; elle n'enseigne pas que la femme doive être assimilée aux personnes que dans le langage du droit on appelle des « mineurs », et auxquelles, à cause de leur jugement insuffisamment formé, ou de leur impéritie dans les choses humaines, on refuse d'ordinaire le libre exercice de leurs droits, mais elle interdit cette licence exagérée qui néglige le bien de la famille ; elle ne veut pas que, dans le corps moral qu'est la famille, le cœur soit séparé de la tête, au très grand détriment du corps entier et au péril — péril très proche — de la ruine. Si, en effet, le mari est la tête, la femme est le cœur, et, comme la premier possède la primauté du gouvernement, celle-ci peut et doit revendiquer comme sienne cette primauté de l'amour. Au surplus, la soumission de la femme à son mari peut varier de degré, elle peut varier dans ses modalités, suivant les conditions diverses des personnes, des lieux et des temps ; bien plus, si le mari manque à son devoir, il appartient à la femme de le suppléer dans la direction de la famille. Mais, pour ce qui regarde la structure même de la famille et sa loi fondamentale, établie et fixée par Dieu, il n'est jamais ni nulle part permis de les bouleverser ou d'y porter atteinte. Sur cet ordre qui doit être observé entre la femme et son mari, Notre prédécesseur d'heureuse Mémoire, Léon XIII, donne, dans l'Encyclique sur le mariage chrétien, que Nous avons rappelée, ces très sages enseignements : « L'homme est le prince de la famille et le chef de la femme ; celle-ci, toutefois, parce qu'elle est, par rapport à lui, la chair de sa chair et l'os de ses os, sera soumise, elle obéira à son mari, non point à la façon d'une servante, mais comme une associée ; et ainsi, son obéissance ne manquera ni de beauté ni de dignité. Dans celui qui, commande et dans celle qui obéit — parce que le premier reproduit du Christ, et la seconde l'image de l'Eglise, — la charité ne devra jamais cesser d'être la régulatrice de leur devoir respectif. » (32) Le bien de la fidélité conjugale comprend donc : l'unité, la chasteté, une digne et noble obéissance ; autant de vocables qui formulent les bienfaits de l'union conjugale, qui ont pour effet de garantir et de promouvoir la paix, la dignité et le bonheur du mariage. Aussi n'est-il pas étonnant que cette fidélité ait toujours été rangée parmi les biens excellents et propres du mariage.
Léon XIII, Arcanum Divinae (1880) :
Quant à la société païenne, on peut à peine croire à quelle corruption, à quelle déformation le mariage y fut réduit, asservi qu'il était aux fluctuations des erreurs de chaque peuple et des plus honteuses passions.
Toutes les nations oublièrent plus ou moins la notion et la véritable origine du mariage. On promulguait partout sur cet objet des lois qui semblaient dictées par des raisons d'Etat et n'étaient pas conformes aux prescriptions de la nature. Des rites solennels, inventés selon le caprice des législateurs, faisaient attribuer aux femmes, ou bien le nom honorable d'épouse, ou bien le nom honteux de concubine. On en était même arrivé à ce point que l'autorité des chefs de l'Etat décidait qui pouvait se marier et qui ne le pouvait pas ; car les lois étaient, en bien des points, contraires à l'équité et favorables à l'injustice. En outre, la polygamie, la polyandrie, le divorce furent cause que le lien nuptial se relâcha considérablement.
De plus il y avait une extrême perturbation dans les droits et les devoirs mutuels des époux.
Le mari acquérait sa femme comme une propriété et la répudiait souvent sans juste cause. Adonné à une licence indomptable et effrénée, il se permettait impunément de fréquenter les mauvais lieux et les courtisanes esclaves, comme si ce n'était pas la volonté déréglée, mais la dignité compromise, qui constituait le péché (S. Jérôme Epist. 77, 3 PL 22, 691).
Au milieu de ce déchaînement du libertinage de l'homme, rien n'était plus misérable que la femme. Elle était abaissée à ce point d'humiliation qu'elle était en quelque sorte considérée comme un simple instrument destiné à assouvir la passion ou à produire des enfants. On n'eut même pas honte de vendre et d'acheter les femmes à marier, ainsi que l'on fait pour les choses matérielles (Arnobius, Adversus Gentes, 4). En même temps on donnait au père et au mari la faculté d'infliger à la femme le dernier supplice.
Sortie de tels mariages, la famille était nécessairement, ou bien dans la main de l'Etat, ou bien à la merci du père (Dionysius Halicarnassus, lib. II, c. 26-27). Les lois donnaient, en outre, à ce dernier le pouvoir non seulement de conclure et de rompre à son gré les mariages de ses enfants, mais d'exercer sur eux-mêmes le droit barbare de vie ou de mort.
Tous ces vices, toutes ces ignominies qui déshonoraient les mariages furent enfin supprimés et guéris par Dieu. Jésus-Christ voulant restaurer la dignité humaine et perfectionner les lois mosaïques, s'occupa du mariage avec une sollicitude toute particulière.
En effet, il ennoblit par sa présence les noces de Cana en Galilée, et les rendit mémorables par le premier de ses miracles (Joan. II). Aussi le mariage semble-t-il avoir commencé à recevoir ce jour-là, en raison de ces circonstances, un nouveau caractère de sainteté.
Ensuite il ramena le mariage à la noblesse de sa première origine. Il réprouva donc les mœurs des Juifs qui abusaient de la multiplicité des épouses et de la faculté de les répudier. Il voulut surtout que personne n'osât séparer ce que Dieu avait joint par un lien d'union perpétuelle. C'est pourquoi, après avoir écarté les difficultés que l'on tirait des institutions mosaïques, il formula, en qualité de législateur suprême, cette règle sur le mariage : Or, je vous dis que quiconque aura renvoyé sa femme hors le cas d'adultère, et en aura pris une autre, commet un adultère, et celui qui aura pris celle qui a été renvoyée commet aussi un adultère (Matth. XIX, 9).
Ce qui a été décrété et établi par l'autorité de Dieu au sujet des mariages, fut transmis oralement ou par écrit, en termes plus explicites et plus clairs, par les apôtres, messagers des lois divines. Il faut rapporter à leur enseignement ce que les Saints Pères, les Conciles et la tradition universelle de l'Eglise nous ont toujours affirmé (Conc. Trid., sess. XXIV, in principio) à savoir que Notre-Seigneur Jésus-Christ a élevé le mariage à la dignité de sacrement. Grâce à Lui, les époux, revêtus et munis de la grâce céleste, fruit de ses mérites, purent se sanctifier dans le mariage même. Dans ce mariage, image admirable de son union mystique avec l'Eglise, il a rendu l'amour naturel plus parfait et resserré plus étroitement, par le lien de la divine charité, la société familiale, déjà indivisible de sa nature (Conc. Trid., sess. XXIV, cap.1, De reformatione matrimonii.). Epoux, dit saint Paul aux Ephésiens, aimez vos femmes comme le Christ a aimé l'Eglise et s'est livré lui-même pour elle afin de la sanctifier... Les époux doivent aimer leurs femmes comme leur propre corps... car jamais personne n'a haï sa chair, mais il la nourrit et la soigne comme fait le Christ pour l'Eglise, parce que nous sommes les membres de son corps, formés de sa chair et de ses os. C'est pourquoi l'homme quittera son père et sa mère pour s'attacher à sa femme, et ils seront deux en une seule chair. Ce mystère est grand ; je veux dire, par rapport au Christ et à l'Eglise (Eph. V, 25-32).
Nous avons appris également par l'enseignement des apôtres que Jésus-Christ a déclaré saintes et décrété à jamais inviolables l'unité et la stabilité perpétuelle exigées par l'origine même du mariage. A ceux qui sont unis par le mariage, dit encore saint Paul, je prescris, ou plutôt ce n'est pas moi, c'est le Seigneur, que la femme ne se sépare pas de son mari. Si elle s'en sépare, qu'elle reste sans se marier, ou se réconcilie avec son mari (I Cor. VII, 10-11). Et il ajoute : La femme est liée à la loi, tant que vit son mari ; si son mari vient à mourir, elle est libre (I Cor. VII, 39). Pour ces motifs le mariage est donc un grand sacrement (Eph. V, 32), honorable en tout (Hebr. XIII, 4), saint, chaste, digne de respect en raison des choses très hautes dont il est la figure.
Mais ce n'est pas uniquement dans ce qui vient d'être rappelé que se trouve la chrétienne et souveraine perfection du mariage. Car en premier lieu, la société conjugale eut désormais un but plus noble et plus élevé qu'auparavant. Sa mission ne fut plus seulement de pourvoir à la propagation du genre humain, mais d'engendrer les enfants de l'Eglise, les concitoyens des saints et les serviteurs de Dieu (Eph. II, 19), afin qu'un peuple fût procréé et élevé pour le culte et la religion du vrai Dieu et de notre Sauveur Jésus-Christ (Catéch. Rom., c. XXVII, IV).
En second lieu, les devoirs de chacun des deux époux furent nettement définis, leurs droits exactement fixés. Il faut qu'ils se souviennent toujours qu'ils se doivent mutuellement le plus grand amour, une fidélité constante, une aide prompte et assidue.
L'homme est le prince de la famille et le chef de la femme. Celle-ci cependant est la chair de sa chair et l'os de ses os. Comme telle, elle doit être soumise à son mari et lui obéir, non à la manière d'une esclave, mais d'une compagne. Ainsi l'obéissance qu'elle lui rend ne sera pas sans dignité ni sans honneur. Dans celui qui commande, ainsi que dans celle qui obéit, puisque tous deux sont l'image, l'un du Christ, l'autre de l'Eglise, il faut que la charité divine soit la règle perpétuelle du devoir, car le mari est le chef de la femme comme le Christ est le chef de l'Eglise. Mais de même que l'Eglise est soumise au Christ, ainsi les femmes doivent être soumises à leurs maris en toutes choses (Eph. V, 23-24).
Pour ce qui regarde les enfants, ils doivent être soumis à leurs parents, leur obéir et les honorer par devoir de conscience. En retour, les parents doivent appliquer toutes leurs pensées et tous leurs soins à protéger leurs enfants et surtout les élever dans la vertu. Pères, élevez-les (vos fils), en les corrigeant et en les avertissant selon le Seigneur (Eph. VI, 4). On voit par là que les devoirs des époux sont nombreux, et graves. Grâce à la vertu que donne le sacrement, ils deviennent cependant pour les bons époux, non seulement tolérables, mais pleins de joie.
Lorsque Jésus-Christ eut ainsi ramené le mariage à une si grande perfection, il en remit et en confia toute la discipline à l'Eglise. L'Eglise, en effet, exerça ce pouvoir sur les mariages des chrétiens en tout temps et en tout lieu. Elle le fit de façon à montrer évidemment que ce pouvoir lui appartenait en propre, qu'il ne lui venait pas du consentement des hommes, mais qu'elle l'avait acquis par la volonté divine de son auteur. On sait avec quel soin et quelle vigilance elle s'occupa de maintenir la sainteté du mariage et de lui garder son véritable caractère ; il est inutile de le démontrer.
Ainsi une décision du concile de Jérusalem a réprouvé les amours dissolues et libres (Act. XV, 29). Saint Paul a condamné un citoyen de Corinthe, coupable d'inceste (I Cor. V, 5). L'Eglise a toujours, avec la même énergie, repoussé et réprimé les efforts de ceux qui s'attaquèrent au mariage chrétien, tels que les gnostiques, les manichéens, les montanistes, dans les premiers temps du christianisme, et de nos jours, les mormons, les saint-simoniens, les phalanstériens, les communistes.
Ainsi encore le droit du mariage fut établi égal entre tous et le même pour tous, par la suppression de l'ancienne distinction entre esclaves et hommes libres. Les droits du mari et de la femme devinrent semblables. Comme le disait saint Jérôme, chez nous ce qui n'est pas permis aux femmes ne l'est pas non plus aux maris et ils subissent le même joug sous une même condition (S. Jérôme, Epist. 77 PL 22, 691). Ces droits trouvèrent dans l'affection mutuelle et les devoirs réciproques un affermissement solide. La dignité de la femme fut revendiquée et garantie. Il fut défendu à l'homme de punir de mort la femme adultère et de violer la foi jurée, pour satisfaire ses passions et son impudicité. Et, ce qui est aussi de grande importance, l'Eglise limita, dans la mesure voulue, le pouvoir du père de famille, afin que la juste liberté des fils et des filles désireux de se marier ne fût en rien diminuée. Elle décréta la nullité des mariages entre parents et alliés à un certain degré, afin que l'amour surnaturel des époux se répandît en un champ plus vaste. Elle prit soin, tant qu'elle le put, d'écarter du mariage l'erreur, la violence et la fraude. Elle voulut que la sainte pudeur de la couche nuptiale, la sécurité des personnes, l'honneur des mariages, les droits de la religion, fussent maintenus et sauvegardés. Enfin, elle entoura cette institution divine de tant de force, de tant de lois prévoyantes, que, pour tout juge impartial, l'Église, même en ce qui concerne le mariage est la meilleure garde, la meilleure défense de la société humaine. Sa sagesse a triomphé de la course du temps, de l'injustice des hommes, des vicissitudes innombrables de la politique.