par Cinci » ven. 13 déc. 2019, 13:17
Si je pense à Hans Küng ce n'est pas parce que je partage ses idées mais parce que je pense qu'il doit, certainement, représenter une façon de penser, qui illustre de quoi est faite la situation de "crise" dans l'Église catholique. Il est probable que cette "crise" s'exprime avec plus de vivacité en Allemagne qu'ailleurs, bien que le désenchantement puisse aussi faire tache d'huile ailleurs et jusque dans ces pays considérés encore il y a peu comme les derniers bastions du catholicisme, la Pologne, l'Irlande, etc. Nous en subissons directement les effets.
Il écrivait encore :
"... l'Église catholique, cette grande communauté de foi, est gravement malade, elle souffre du système de domination romain qui, malgré toutes les résistances, s'est établi au cours du deuxième millénaire et s'est maintenu jusqu'à nos jours. Il est caractérisé par un monopole du pouvoir et de la vérité, par le juridisme et le cléricalisme, l'hostilité envers la sexualité et les femmes, ainsi que par le recours à la violence spirituelle ou non spirituelle. [...] il est le principal responsable des trois grandes scissions de la chrétienté [...] entre l'Église d'Occident et d'Orient [...] entre catholiques et protestants [...] entre le catholicisme moderne et le monde moderne des Lumières." (p. 11)
et poursuivant
"... la papauté ne doit donc pas être abolie, mais rénovée dans le sens d'un service de Pierre inspiré par la Bible. Mais le système médiéval de la domination romaine doit être aboli. C'est pourquoi ma "destruction" critique est au service de la construction, de la réforme et de la rénovation, dans l'absolu espoir qu'à l'encontre des apparences l'Église catholique restera quand même viable au troisième millénaire." (p. 12)
Küng se présente comme le meilleur ami de l'Église catholique. Il lui veut du bien. Médecin, il lui prescrirait un traitement de choc. Sa critique se veut ègalement impitoyable des pontificats de Jean-Paul II et Benoit XVI. Faut voir ce qu'il en dit.
Voici :
Dès le début, Jean-Paul II se présenta à l'opinion mondiale comme un homme de caractère profondément enraciné dans la foi chrétienne, comme un impressionnant champion de la paix, des droits de l'homme, de la justice sociale et plus tard aussi du dialogue interreligieux - et en même temps aussi comme le champion d'une Église forte. Un homme sans nul doute doté d'un charisme, qui sut de manière remarquable, y compris dans l'aisance avec les médias, satisfaire l'aspiration des masses à un modèle moralement digne de confiance. C'est devenu si rare dans le monde actuel ! Il devint étonnamment vite une superstar des médias, et pour beaucoup dans l'Église catholique avant tout une sorte d'idole vivante. [...] Comme pape, avec son charisme rayonnant et son talent d'acteur gardé intact depuis sa jeunesse, il offrait au Vatican ce que possédera bientôt la Maison-Blanche avec Ronald Reagan : le grand communicateur médiatique qui sait par son charme, son allure sportive et ses gestes symboliques rendre acceptable même la doctrine ou la pratique la plus conservatrice.
Car le changement de climat lié à ce pape se fit d'abord sentir aux prêtres demandant leur retour à l'état laïc (souvent en vain à partir de son arrivée), puis aux théologiens et finalement aux femmes. Quelles étaient dès le début, en dépit de toutes les assurances verbales, les véritables intentions de ce pape, cela devint de plus en plus évident même pour ses admirateurs : le mouvement conciliaire devait être freiné, la réforme ecclésiastique interne stoppée, la franche entente avec les Églises d'Orient, les protestants et les anglicans remplacée par la vieille stratégie de repli, le dialogue avec le monde moderne se faire de nouveau plus par des enseignements et des décrets unilatéraux.
Lors de son pèlerinage à Saint-Jacques de Compostelle, en 1982, il annonça une sorte de reconquista de l'Europe par le christianisme. Cependant, à y regarder de près, sa réévangélisation signifiait plus précisément une "recatholicisation", voire une "reromanisation", et son volubile "oecuménisme" sous-entendait en fait un retour dans l'Église catholique.
Avec raison, beaucoup parlèrent d'une trahison du Concile qui éloignait de l'Église d'innombrables catholiques du monde entier. Au lieu du programme conciliaire, on avait encore et toujours les paroles d'un magistère redevenu autoritaire et conservateur.
- Au lieu de l'aggiornamento dans l'esprit de l'Évangile, c'était de nouveau l'intégralité de la doctrine catholique traditionnelle (encycliques morales rigoristes, catholicisme mondial traditionnel) :
-au lieu de la collégialité du pape avec les évêques, c'était encore un strict centralisme romain qui, pour la nomination des évêques et l'attribution des chaires de théologie, ne tient pas compte des intérêts des Églises locales.
-au lieu de l'ouverture sur le monde, la soi-disant adaptation est mise en cause, déplorée et diabolisée, alors que les formes traditionnelles de la piété (mariolatrie) sont encouragées
-au lieu du dialogue, on a une inquisition renforcée et le refus de la liberté de conscience et d'enseignement dans l'Église
Même les plus modestes desiderata oecuméniques internes au catholicisme, tels ceux des synodes allemands, autrichiens et suisses [...] furent rejetés ou totalement ignorés sans la moindre justification par une Curie autoritaire; et on accepta ce rejet, de plus en plus résigné, même dans les pays germanophones. Manifestement, pour le Vatican le peuple ne compte pas, et un prêtre guère plus, et même un évêque bien peu; seul compte un cardinal, tant qu'il est personna grata auprès du pape.
[...]
Mais cinq années après sa mort, des doutes en lien avec la crise des abus sexuels ont malgré tout fait surface au Vatican : d'abord, trop de personnes se souviennent encore du fait que Hans Hermann Groër, pédophile viennois, successeur du grand cardinal König, fut longtemps couvert par le pape Wojtyla, alors que même la conférence épiscopale d'Autriche a considéré que la culpabilité de Groër était établie. Le pape a aussi beaucoup trop longtemps épargné un autre ami autrichien, l'évêque de Sankt-Pölten, Kurt Krenn : il ne se retira que lorsqu'il fut soumis à une trop forte pression publique à cause d'Informations sur des pratiques homosexuelles des séminaristes et des supérieurs du séminaire. Au mécontentement de beaucouo de catholiques américains, le pape nomma aussi le cardinal Bernard Law, qui avait dû démissionner de son archidiocèse de Boston, à cause du scandale des abus sexuels, archiprêtre de la basilique Sainte-Marie-Majeure, une des quatre principales églises de Rome. Il semble que pour ce pape la fidélité de "vassal" excuse toutes les défaillances et tous les crimes.
Cette indulgence devint manifeste à un point effrayant à propos des scandales dus au fondateur de la Légion du Christ (fondée en 1941) : le prêtre mexicain Marcial Maciel Degollado, un protégé spécial de Jean-Paul II. Ce catholique, ce grand croyant défenseur du célibat, menait un double vie bien camouflée. Il avait des relations intimes avec deux femmes fortunées, Blanca Gutierrez Lara et Norma Hilda Banos, qui donnèrent naissance à trois enfants.
Cela faisait déjà trente ans que les premières accusations contre Maciel étaient arrivées jusqu'à Rome :
1976 : les premières plaintes parviennent au pape Paul VI
1978 : Karol Wojtyla élu pape supprime bien vite la possibilité - mise en place par son prédécesseur - d'obtenir plus facilement la dispense du célibat.
1989 : les évêques américains envoient un canoniste à Rome pour obtenir l'autorisation du retour à l'état laïc des prêtres pédophiles, sans passer par une procédure prore à Rome. Jean-Paul II refuse.
Dans son livre-entretien de 2010, Lumière du monde, l'ancien chef de l'autorité pour la foi, maintenant pape Benoit XVI, reconnaît que les congrégations vaticanes compétentes auraient réagi "très lentement et très tard" au scandale des abus sexuels. Ce n'est pas étonnant, d'autant moins que des photos montrent comment Jean-Paul II, déjà chenu, bénit publiquement Maciel sur le front. Et le 15 mars 2005, sur la place Saint-Pierre, alors qu'il était moribond, de sa fenêtre le pape saluait encore expressément les Légionnaires du Christ (appelés "millionnaires du Christ" au Vatican à cause de leur puissance financière).
Sous Jean-Paul II, les rustiques et combatifs Légionnaires du Christ s'élevèrent, à côté de l'aristocratique Opus Dei, au rang d'une des plus puissantes coteries de l'appareil de la Curie. Les deux sont riches et aident volontiers le pape. Jean-Paul II ne se lassa jamais de les glorifier, eux et leurs semblables, comme le "printemps et l'espoir de l'Église" - bien qu'il connut la réalité des abus sexuels de Maciel sur les enfants.
De Benoit XVI
"... beaucoup de catholiques constatent avec irritation et une tristesse croissante, que Benoit XVI prend toujours plus ses distances avec le Concile sur de nombreux points [...] mais il s'agit aussi de décisions de détails mineurs, de nature concrète ou personnelle, qui montrent que ce pape, qui s'est même rapproché des quatre évêques schismatiques, anticonciliares et antisémites de la Fraternité Saint Pie X, s'est toujours plus éloigné de Vatican II et donc aussi de la communauté des croyants.
L'écart avec Vatican II s'exprime symboliquement dans le vieux ou le nouveau goût du faste et de l'apparat vestimentaire du pape Benoit. Peut-être pense-t-il pouvoir compenser un peu la perte de la splendeur morale interne de la papauté - perte due aux scandales - par une restauration de la splendeur et de la gloire d'antan ? Mais Joseph Ratzinger a toujours eu un penchant pour le baroque et une nostalgie de l'ancienne liturgie. Il porte de nouveau volontiers, avec des chaussures modernes de couleur rouge, une courte cape de velours rouge garnie d'hermine et bordée de soie (mozette), datant du XIIIe siècle. Il a fait sortir des entrepôts du Vatican la mitre garnie de pierres précieuses que Pie IX avait portée à l'ouverture de Vatican I, mais aussi le trône princier fastueusement ouvragé du successeur de ce dernier, Léon XIII, et une lourde crosse en or.
Au Vatican, beaucoup exultent de ce que, grâce au nouveau maître des cérémonies pontificales, des coutumes préconciliaires soient réintroduites : six cierges immenses garnissent l'autel du pape, les messes pontificales solennelles sont nanties de célébrants adjoints, deux cardinaux diacre portant la mitre.
On pourrait sourire de voir ce pape se présenter au monde dans des habits raffinés toujours nouveaux et avec des mitres richement brodées : un faste et un attirail d'antan, qui inciteront peut-être certains évêques à faire de même. Mais qu'un pape allemand, après avoir déjà célébré le mercredi des cendres 2008 dans des vêtements du pape Borghèse (Paul V), ait en outre fait confectionner trente nouveaux vêtements liturgiques selon le design du pape Medicis (Léon X, 1513-1521), qui condamna Luther et ne vit pas venir le Réforme est plus qu'une fantaisie en faveur de la mode traditionaliste. Face à cet onéreux manque de tact envers les protestants et à cette indélicatesse envers les catholiques de tendance réformiste, on peut rester dubitatif.
Mais plus graves que les incartades de style et les régressions liturgiques (par exemple le retour de la communion dans la bouche et non dans la main), il y a les constantes nominations à des sièges épiscopaux ou aux postes décisifs de la Curie, de personnes peu favorables ou même hostile au Concile. Là aussi, juste un exemple : en octobre 2010, Benoit a nommé préfet de l'importante Congrégation pour le clergé [...] Mauro Piacenza [...] Piacenza s'oppose à toute discussion sur l'obligation du célibat des prêtres, c'est un adversaire de la langue vernaculaire dans la liturgie et de la célébration de l'eucharistie face à l'assemblée. Dans l'Osservatore Romano, il en appelle, sous toutes les formes, à une "réforme de la réforme" et défend, comme Joseph Ratzinger, une herméneutique de la continuité. (p. 191)
Si je pense à Hans Küng ce n'est pas parce que je partage ses idées mais parce que je pense qu'il doit, certainement, représenter une façon de penser, qui illustre de quoi est faite la situation de "crise" dans l'Église catholique. Il est probable que cette "crise" s'exprime avec plus de vivacité en Allemagne qu'ailleurs, bien que le désenchantement puisse aussi faire tache d'huile ailleurs et jusque dans ces pays considérés encore il y a peu comme les derniers bastions du catholicisme, la Pologne, l'Irlande, etc. Nous en subissons directement les effets.
Il écrivait encore :
[color=#0000FF]"... l'Église catholique, cette grande communauté de foi, est gravement malade, elle souffre du [i]système de domination romain[/i] qui, malgré toutes les résistances, s'est établi au cours du deuxième millénaire et s'est maintenu jusqu'à nos jours. Il est caractérisé par un monopole du pouvoir et de la vérité, par le juridisme et le cléricalisme, l'hostilité envers la sexualité et les femmes, ainsi que par le recours à la violence spirituelle ou non spirituelle. [...] il est le principal responsable des trois grandes scissions de la chrétienté [...] entre l'Église d'Occident et d'Orient [...] entre catholiques et protestants [...] entre le catholicisme moderne et le monde moderne des Lumières." (p. 11)
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et poursuivant
[color=#0000FF]"... la papauté ne doit donc pas être abolie, mais rénovée dans le sens d'un service de Pierre inspiré par la Bible. Mais le système médiéval de la domination romaine doit être aboli. C'est pourquoi ma "destruction" critique est au service de la construction, de la réforme et de la rénovation, dans l'absolu espoir qu'à l'encontre des apparences l'Église catholique restera quand même viable au troisième millénaire." (p. 12)
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Küng se présente comme le meilleur ami de l'Église catholique. Il lui veut du bien. Médecin, il lui prescrirait un traitement de choc. Sa critique se veut ègalement impitoyable des pontificats de Jean-Paul II et Benoit XVI. Faut voir ce qu'il en dit.
Voici :
[color=#0000FF]Dès le début, Jean-Paul II se présenta à l'opinion mondiale comme un homme de caractère profondément enraciné dans la foi chrétienne, comme un impressionnant champion de la paix, des droits de l'homme, de la justice sociale et plus tard aussi du dialogue interreligieux - et en même temps aussi comme le champion d'une Église forte. Un homme sans nul doute doté d'un charisme, qui sut de manière remarquable, y compris dans l'aisance avec les médias, satisfaire l'aspiration des masses à un modèle moralement digne de confiance. C'est devenu si rare dans le monde actuel ! Il devint étonnamment vite une superstar des médias, et pour beaucoup dans l'Église catholique avant tout une sorte d'idole vivante. [...] Comme pape, avec son charisme rayonnant et son talent d'acteur gardé intact depuis sa jeunesse, il offrait au Vatican ce que possédera bientôt la Maison-Blanche avec Ronald Reagan : le grand communicateur médiatique qui sait par son charme, son allure sportive et ses gestes symboliques rendre acceptable même la doctrine ou la pratique la plus conservatrice.
Car le changement de climat lié à ce pape se fit d'abord sentir aux prêtres demandant leur retour à l'état laïc (souvent en vain à partir de son arrivée), puis aux théologiens et finalement aux femmes. Quelles étaient dès le début, en dépit de toutes les assurances verbales, les véritables intentions de ce pape, cela devint de plus en plus évident même pour ses admirateurs : le mouvement conciliaire devait être freiné, la réforme ecclésiastique interne stoppée, la franche entente avec les Églises d'Orient, les protestants et les anglicans remplacée par la vieille stratégie de repli, le dialogue avec le monde moderne se faire de nouveau plus par des enseignements et des décrets unilatéraux.
Lors de son pèlerinage à Saint-Jacques de Compostelle, en 1982, il annonça une sorte de reconquista de l'Europe par le christianisme. Cependant, à y regarder de près, sa réévangélisation signifiait plus précisément une "recatholicisation", voire une "reromanisation", et son volubile "oecuménisme" sous-entendait en fait un retour dans l'Église catholique.
Avec raison, beaucoup parlèrent d'une [i]trahison du Concile[/i] qui éloignait de l'Église d'innombrables catholiques du monde entier. Au lieu du programme conciliaire, on avait encore et toujours les paroles d'un magistère redevenu autoritaire et conservateur.
- Au lieu de l'[i]aggiornamento[/i] dans l'esprit de l'Évangile, c'était de nouveau l'intégralité de la doctrine catholique traditionnelle (encycliques morales rigoristes, catholicisme mondial traditionnel) :
-au lieu de la collégialité du pape avec les évêques, c'était encore un strict centralisme romain qui, pour la nomination des évêques et l'attribution des chaires de théologie, ne tient pas compte des intérêts des Églises locales.
-au lieu de l'ouverture sur le monde, la soi-disant adaptation est mise en cause, déplorée et diabolisée, alors que les formes traditionnelles de la piété (mariolatrie) sont encouragées
-au lieu du dialogue, on a une inquisition renforcée et le refus de la liberté de conscience et d'enseignement dans l'Église
Même les plus modestes desiderata oecuméniques internes au catholicisme, tels ceux des synodes allemands, autrichiens et suisses [...] furent rejetés ou totalement ignorés sans la moindre justification par une Curie autoritaire; et on accepta ce rejet, de plus en plus résigné, même dans les pays germanophones. Manifestement, pour le Vatican le peuple ne compte pas, et un prêtre guère plus, et même un évêque bien peu; seul compte un cardinal, tant qu'il est [i]personna grata[/i] auprès du pape.
[...]
Mais cinq années après sa mort, des doutes en lien avec la crise des abus sexuels ont malgré tout fait surface au Vatican : d'abord, trop de personnes se souviennent encore du fait que Hans Hermann Groër, pédophile viennois, successeur du grand cardinal König, fut longtemps couvert par le pape Wojtyla, alors que même la conférence épiscopale d'Autriche a considéré que la culpabilité de Groër était établie. Le pape a aussi beaucoup trop longtemps épargné un autre ami autrichien, l'évêque de Sankt-Pölten, Kurt Krenn : il ne se retira que lorsqu'il fut soumis à une trop forte pression publique à cause d'Informations sur des pratiques homosexuelles des séminaristes et des supérieurs du séminaire. Au mécontentement de beaucouo de catholiques américains, le pape nomma aussi le cardinal Bernard Law, qui avait dû démissionner de son archidiocèse de Boston, à cause du scandale des abus sexuels, archiprêtre de la basilique Sainte-Marie-Majeure, une des quatre principales églises de Rome. Il semble que pour ce pape la fidélité de "vassal" excuse toutes les défaillances et tous les crimes.
Cette indulgence devint manifeste à un point effrayant à propos des scandales dus au fondateur de la Légion du Christ (fondée en 1941) : le prêtre mexicain Marcial Maciel Degollado, un protégé spécial de Jean-Paul II. Ce catholique, ce grand croyant défenseur du célibat, menait un double vie bien camouflée. Il avait des relations intimes avec deux femmes fortunées, Blanca Gutierrez Lara et Norma Hilda Banos, qui donnèrent naissance à trois enfants.
Cela faisait déjà trente ans que les premières accusations contre Maciel étaient arrivées jusqu'à Rome :
1976 : les premières plaintes parviennent au pape Paul VI
1978 : Karol Wojtyla élu pape supprime bien vite la possibilité - mise en place par son prédécesseur - d'obtenir plus facilement la dispense du célibat.
1989 : les évêques américains envoient un canoniste à Rome pour obtenir l'autorisation du retour à l'état laïc des prêtres pédophiles, sans passer par une procédure prore à Rome. Jean-Paul II refuse.
Dans son livre-entretien de 2010, [i]Lumière du monde[/i], l'ancien chef de l'autorité pour la foi, maintenant pape Benoit XVI, reconnaît que les congrégations vaticanes compétentes auraient réagi "très lentement et très tard" au scandale des abus sexuels. Ce n'est pas étonnant, d'autant moins que des photos montrent comment Jean-Paul II, déjà chenu, bénit publiquement Maciel sur le front. Et le 15 mars 2005, sur la place Saint-Pierre, alors qu'il était moribond, de sa fenêtre le pape saluait encore expressément les Légionnaires du Christ (appelés "millionnaires du Christ" au Vatican à cause de leur puissance financière).
Sous Jean-Paul II, les rustiques et combatifs Légionnaires du Christ s'élevèrent, à côté de l'aristocratique Opus Dei, au rang d'une des plus puissantes coteries de l'appareil de la Curie. Les deux sont riches et aident volontiers le pape. Jean-Paul II ne se lassa jamais de les glorifier, eux et leurs semblables, comme le "printemps et l'espoir de l'Église" - bien qu'il connut la réalité des abus sexuels de Maciel sur les enfants. [/color]
[b]De Benoit XVI
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[color=#0000FF]"... beaucoup de catholiques constatent avec irritation et une tristesse croissante, que Benoit XVI prend toujours plus ses distances avec le Concile sur de nombreux points [...] mais il s'agit aussi de décisions de détails mineurs, de nature concrète ou personnelle, qui montrent que ce pape, qui s'est même rapproché des quatre évêques schismatiques, anticonciliares et antisémites de la Fraternité Saint Pie X, s'est toujours plus éloigné de Vatican II et donc aussi de la communauté des croyants.
L'écart avec Vatican II s'exprime symboliquement dans le vieux ou le nouveau goût du faste et de l'apparat vestimentaire du pape Benoit. Peut-être pense-t-il pouvoir compenser un peu la perte de la splendeur morale interne de la papauté - perte due aux scandales - par une restauration de la splendeur et de la gloire d'antan ? Mais Joseph Ratzinger a toujours eu un penchant pour le baroque et une nostalgie de l'ancienne liturgie. Il porte de nouveau volontiers, avec des chaussures modernes de couleur rouge, une courte cape de velours rouge garnie d'hermine et bordée de soie (mozette), datant du XIIIe siècle. Il a fait sortir des entrepôts du Vatican la mitre garnie de pierres précieuses que Pie IX avait portée à l'ouverture de Vatican I, mais aussi le trône princier fastueusement ouvragé du successeur de ce dernier, Léon XIII, et une lourde crosse en or.
Au Vatican, beaucoup exultent de ce que, grâce au nouveau maître des cérémonies pontificales, des coutumes préconciliaires soient réintroduites : six cierges immenses garnissent l'autel du pape, les messes pontificales solennelles sont nanties de célébrants adjoints, deux cardinaux diacre portant la mitre.
On pourrait sourire de voir ce pape se présenter au monde dans des habits raffinés toujours nouveaux et avec des mitres richement brodées : un faste et un attirail d'antan, qui inciteront peut-être certains évêques à faire de même. Mais qu'un pape allemand, après avoir déjà célébré le mercredi des cendres 2008 dans des vêtements du pape Borghèse (Paul V), ait en outre fait confectionner trente nouveaux vêtements liturgiques selon le design du pape Medicis (Léon X, 1513-1521), qui condamna Luther et ne vit pas venir le Réforme est plus qu'une fantaisie en faveur de la mode traditionaliste. Face à cet onéreux manque de tact envers les protestants et à cette indélicatesse envers les catholiques de tendance réformiste, on peut rester dubitatif.
Mais plus graves que les incartades de style et les régressions liturgiques (par exemple le retour de la communion dans la bouche et non dans la main), il y a les constantes nominations à des sièges épiscopaux ou aux postes décisifs de la Curie, de personnes peu favorables ou même hostile au Concile. Là aussi, juste un exemple : en octobre 2010, Benoit a nommé préfet de l'importante Congrégation pour le clergé [...] Mauro Piacenza [...] Piacenza s'oppose à toute discussion sur l'obligation du célibat des prêtres, c'est un adversaire de la langue vernaculaire dans la liturgie et de la célébration de l'eucharistie face à l'assemblée. Dans l'[i]Osservatore Romano[/i], il en appelle, sous toutes les formes, à une "réforme de la réforme" et défend, comme Joseph Ratzinger, une herméneutique de la continuité. (p. 191)