Réflexions théologiques sur Dieu après la Shoah

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Re: Réflexions théologiques sur Dieu après la Shoah

par Cinci » lun. 21 oct. 2019, 0:32

Je ne suis pas très au fait de cette expérience des soviétiques à propos de républiques socialistes juives. Mais je suppose que dans celles-ci la religion juive n'y aurait pas eu droit de cité. De quoi auraient pu avoir l'air ces Juifs sinon des Russes soviétisés comme tout le monde ? Je ne sais pas si le propos y eut été de faire vivre une sorte de république sioniste sur place au lieu de songer à vouloir installer la chose en Palestine ? L'idée aurait-elle été de soustraire définitivement les Juifs à ces menaces de pogroms comme il dut s'en trouver sous la Russie tsariste ? Foin de racisme ! Mais au prix de l'abandon de la religion traditionnelle des rabbins.

Re: Réflexions théologiques sur Dieu après la Shoah

par Kerniou » dim. 20 oct. 2019, 2:14

Dans la Russie Soviétique, il existait des républiques juives (au moins deux, me semble-t-il) où les juifs étaient "invités" à s'installer ... N'est-ce pas, là, une solution pour les isoler et les séparer des russes ?

Re: Réflexions théologiques sur Dieu après la Shoah

par Cinci » sam. 19 oct. 2019, 22:01

C'est intéressant de confronter ce que raconte l'abbé Pierre avec ce que nous montre Jacques Maritain. On voit à quel point ce dernier était en contact avec un réseau d'informateurs sûrs même en pleine guerre. C'est vraiment étonnant.


Autre réflexion de Maritain

"... il est difficile de n'être pas frappé de l'extraordinaire bassesse des grands thèmes généraux de la propagande antisémite. Les hommes qui dénoncent la conspiration mondiale d'Israël pour l'asservissement des nations, le meurtre rituel, l'universelle perversité des Juifs procurée par le Talmud [...] ou que les Juifs sont unis comme un seul homme dans le dessein de corrompre moralement et de subvertir politiquement la chrétienté, ainsi qu'il appert d'une pièce manifestement forgée comme les Protocoles de Sion, bref qui savent que tous les Juifs regorgent d'or et que tout irait bien sur terre si on en finissait une bonne fois avec cette race immonde, semblent nés pour attester qu'il est impossible de haïr le peuple juif et de rester intelligent. A un esprit suffisamment attentif cette étonnante bassesse apparaît elle-même comme inquiétante, elle doit avoir un sens mystique. La sottise poussée trop loin confine au mystère, cache l'instinct prophétique du monde obscur de l'irrationnel.

La tragédie d'Israël est la tragédie même de l'humanité, a-t-on dit, et c'est pourquoi il n'est pas de solution à la question juive. Disons plus exactement : c'est la tragédie de l'homme dans sa lutte avec le monde et du monde dans sa lutte avec Dieu.

Finalement je voudrais noter que certaines des formules les plus frappantes concernant l'essence spirituelle de l'antisémitisme peuvent être trouvées dans un livre publié en 1940 par un écrivain juif, qui, assez curieusement, semble lui-même très inattentif à leur sens profondément chrétien. Je ne sais pas si M. Maurice Samuel est même attaché à la vieille religion israélite; il est peut-être une âme cherchant Dieu mais privée de toute croyance définie, et se regardant comme libérée de toute foi en la révélation divine, qu'il s'agisse de l'Ancien Testament comme du Nouveau. Le témoignage qu'il apporte n'en apparaît que plus significatif ...

"Nous ne comprendrons jamais, écrit Maurice Samuel, l'immense et démente portée de l'antisémitisme qu'à condition d'en transposer les termes. C'est du Christ que les Nazis-Fascistes ont peur; c'est sa toute-puissance qu'ils croient; c'est Lui qu'Ils sont follement décidés à anéantir. Mais les mots mêmes Christ et Christianisme sont trop écrasants, et l'habitude de les respecter trop profondément enracinée depuis des siècles. Il leur faut donc porter leur attaque sur ceux qui sont responsables de la naissance et de l'expansion du christianisme. Il leur faut cracher sur les Juifs comme ayant mis à mort le Christ , parce qu'ils sont obsédés par leur désir de cracher sur les Juifs comme ayant donné le Christ au monde."

Le simple fait de ne pas éprouver de sympathie pour les Juifs ou d'être plus sensible à leurs défauts qu'à leurs vertus n'est pas de l'antisémitisme. L'antisémitisme est la peur, le mépris et la haine du peuple juif, et la volonté de le soumettre à des mesures de discrimination.

Mais ce qu'il importe avant tout de remarquer, c'est que les diverses causes particulières que l'observateur peut assigner à l'antisémitisme, depuis le sentiment de haine de l'étranger, naturel au groupe social, jusqu'aux inconvénients produits par l'arrivée d'immigrants, et aux griefs variés indiqués plus haut, dissimulent une racine de haine encore plus profonde. Si le monde hait les Juifs, c'est qu'il sent bien qu'ils lui seront toujours surnaturellement étrangers; c'est qu'il déteste leur passion de l'absolu et l'insupportable stimulation qu'elle lui inflige. C'est la vocation d'Israël que le monde exècre - cette exécration de la prétendue race porte en réalité sur la vocation. Odium generis humani, Haï du monde, c'est leur gloire, comme c'est aussi la gloire des chrétiens qui vivent de la foi : mais les chrétiens ont vaincu le monde, et les Juifs ne l'ont pas vaincu (c'est pourquoi devenir chrétien pour un Juif est une double victoire, son peuple triomphe en lui). Malheur au Juif qui plaît comme au chrétien qui plaît.

Le Juif se perd s'il s'installe, je parle de l'installation comme phénomène spirituel, comme perte de l'inquiétude stimulatrice et manque à la vocation. L'assimilation concerne un tout autre problème, d'ordre social et politique, non spirituel. Un Juif "assimilé" peut ne pas être installé. L'assimilation, pas plus que le yiddishisme et que le sionisme n'est la solution de la question d'Israël, mais l'assimilation comme l'autonomisme et comme le sionisme est un accommodement partiel, une solution d'entretien, bonne et souhaitable dans la mesure ou elle est possible. Il reste qu'elle comporte un risque - et le sionisme aussi (comme État) - le risque pour les Juifs de s'Installer, de devenir comme les autres, je dis au spirituel; de perdre la vocation de la maison d'Israël.

Jamais Juifs n'avaient été plus assimilés que les Juifs allemands; d'autant plus attachés à la culture allemande qu'elle était en partie leur oeuvre; germanisés jusqu'aux moelles, et non seulement assimilés, mais installés, mais voulant plaire, mais bien réconciliés avec le prince de ce monde. Les Juifs qui deviennent comme les autres deviennent pires que les autres, quand un Juif reçoit la grâce chrétienne, il est moins que jamais comme les autres : il retrouve son Messie."

et


"L'athéisme communiste n'est pas antisémite, il lui suffit d'être universellement contre Dieu. Dans l'un et l'autre [raciste, communiste] un même naturalisme foncier se fait jour, une même détestation de l'absolu et de toute transcendance. Assez des contraintes de Dieu, place aux contraintes de l'homme, on verra si elles sont plus douces. Plus de morale des esclaves, des faibles, des souffrants, des impuissants déguisés en miséricordieux. On verra si la morale du sang ou la morale de la sueur sont des morales d'hommes libres !

Mais quoi ! L'histoire les a tellement intoxiqués de judéo-christianisme qu'ils ne peuvent pas ne pas vouloir sauver le monde avec ça. Et les racistes restent débiteurs de l'Ancien Testament, comme les communistes du Nouveau. C'est des Écritures des Juifs que les premiers ont tiré pour la corrompre l'idée d'une race prédestinée, d'un peuple de Dieu; c'est de l'Évangile que les seconds ont reçu, en la dénaturant, l'idée d'une universelle délivrance et fraternité humaine."

p. 54

Re: Réflexions théologiques sur Dieu après la Shoah

par Cinci » jeu. 17 oct. 2019, 23:22

Témoignage intéressant :



Bernard Kouchner :

Comment devant cette démonstration d'intolérance par essence qu'était la Shoah, comment n'avez-vous pas dit, vous qui avez tenté de les protéger - surtout toi, mon père, qui as si bien réussi - comment n'avoir pas dit qu'il fallait prévenir, pas seulement guérir ?

Abbé Pierre :

Mais je pense qu'au sortir de la guerre, la réalité de la Shoah n'était pas connue.

Bernard Kouchner :
Vous n'avez pas su dès la fin de la guerre ?

Abbé Pierre :

Non. On n'avait pas le concept de la solution finale, ce plan d'Hitler. La prise de conscience planétaire de la Shoah n'a eu lieu qu'avec le temps. Dans nos familles, nous avions aussi des déportés. Les déportés n'étaient pas tous Juifs.

Bernard Kouchner :

Mais le retour des Juifs déportés à l'hôtel Lutétia ?

Abbé Pierre :
Ils revenaient avec le même habit de toile rayée que les autres. On ne distinguait pas le Juif du non-Juif.

Bernard Kouchner :

Le nombre n'était pas le même !

Abbé Pierre :

On n'avait pas conscience du nombre. On voyait arriver des camions avec des moribonds dont les os déchiraient la peau, on n'allait pas s'inquiéter de pointer si c'étaient des Juifs ou non.

Bernard Kouchner :

Mais toi, Henry Grouès, tu n'as jamais su pendant la guerre que les Juifs qui partaient ne reviendraient jamais ?

Abbé Pierre :

Si. Je pensais qu'ils ne reviendraient pas, mais je ne me rendais pas compte de la quantité.

Bernard Kouchner :

Tu avais tout de même compris qu'on allait les tuer un par un ?

Abbé Pierre :
Nous pensions qu'on allait les faire travailler comme des bêtes jusqu'à ce qu'ils crèvent, qu'ils étaient en grand danger de mourir d'épuisement.

Bernard Kouchner :

Jamais au cours de la guerre ne t'es venue la suspicion du massacre systématique, ni après ?

Abbé Pierre :

Pendant la guerre, pas du tout. Et après, il m'a fallu du temps pour prendre conscience de la Shoah.

p. 135

Re: Réflexions théologiques sur Dieu après la Shoah

par Cinci » jeu. 17 oct. 2019, 22:27

Le dialogue entre Henry Grouès dit l'abbé Pierre et Bernard Kouchner ...

[...]

Abbé Pierre :

Oui, Dieu est Amour quand même.

Bernard Kouchner :

Quoi, quand même ? C'est trop facile de faire payer les innocents ! La mort de l'enfant, la mort de la mère, la mère qui reste seule. Les enfants qui meurent avant les parents, quelle douleur insondable. Pour faire payer quoi ? La mort de l'enfant, inacceptable, constitue à mes yeux un reproche éternel. Des croyants me répondent que cette épreuve nous a été envoyée pour nous rendre plus forts, et que l'abjection même de ces événements renforce les certitudes et les nécessités de ces certitudes. Je refuse. Ce n'est pas mon truc. Je refuse la mort d'un enfant. Je refuse la mort des innocents. La méchanceté des hommes demeure démonstrative de l'inexistence de Dieu. La sauvagerie, les formidables horreurs ... le mal, quoi. Tu l'appelles l'irascibilité, c'est mou ! Ce sont des salauds, les hommes. D'accord, pas tous ! Mais à mon avis, le mal ne convainc pas du bien. Il est beaucoup plus massif que le bien.

Abbé Pierre :

Bernard, tu me fatigues et tu m'irrites !

Bernard Kouchner :

Je crois le mal absolu, permanent, constant, ce qui me permet d'aménager des plages de soleil de temps en temps à l'intérieur de cette noirceur. Une éclaircie, la bonté. Je m'attends au pire. Ce pessimisme actif est nécessaire à ma survie. Sinon, je serais mort d'infarctus depuis longtemps. Je ne compte pas sur la rencontre du bien. Il faut se préparer à cotôyer le mal d'abord, partout [...] Question de survie indispensable pour qui parcourt les guerres, pardon, j'en ai parcouru bien plus que toi. Bien sûr, tu t'es plongé dans celle de 40, comme un résistant utile et courageux : passeur de Juifs, militant de la l.iberté. Puisque tous les hommes ne se sont pas comportés comme toi, ma théorie là aussi se vérifie. Dans la population française de 1940 à 1945, il y eut des justes [...] mais si peu par rapport à la population totale. N'était-ce pas la soumission qui prévalait, même dans l'Église ? Dieu avait-il envoyé Vichy comme une épreuve à tous les Français pour qu'ils se soumettent ou se révoltent ? Vichy, est-ce l'expression locale de l'épreuve de Dieu ?

Abbé Pierre :
Dieu n'y est pour rien du tout ! Les hommes, oui ! Les hommes qui laissaient progresser en eux la graine du fascisme aboutissaient à Vichy.

Bernard Kouchner :

C'est quand même assez facile de penser que Dieu ne nous envoie que la bonté.

Abbé Pierre :
Non, il n'envoie pas que la bonté, il nous envoie la liberté ! Avec cette liberté.. tu peux être bon ou mauvais.

Il y a mille raisons pour dire : "Cela n'existerait pas si Dieu existait !" Nous l'avons tous entendu, et nous l'avons par moment senti et crié au-dedans de nous. Pour moi, l'image qui restera à jamais c'est à la télévision, la petite fille engloutie par la boue lors du tremblement de terre en Colombie. Et le caméraman a eu ... j'allais dire le courage, il a eu la cruauté - mais il faisait son métier - de filmer cela. Cette petite fille criait : "Maman, je t'aime ! Maman, je t'aime !" et la boue montait, et tout le monde savait qu'on ne pouvait rien. Rien. Comment ne pas s'écrier en nous : "Mais mon Dieu, ou êtes-vous ? Que faites-vous ? " Tant d'occasions de demander "Mais, mon Dieu ou est votre amour ?" Je pense que n'est pas croyable le croyant qui croit sans ce quand même. Il triche. S'il croit sans le quand même, cela signifie qu'il ferme un oeil pour ne voir que le positif.

Trop souvent aujourd'hui nous sommes entraînés à fermer l'autre oeil et à ne voir que le négatif, tellement il y en a. Mais il faut ouvrir les deux yeux, voir le positif aussi. Le monde a beau être épouvantable, le soleil se lève chaque matin, les étoiles sont belles toutes les nuits, les fleurs belles chaque printemps, les fiancés qui s'aiment se sourient.

[...]


Un dimanche, j'avais onze ou douze ans, mon père dit à maman : "J'emmène Léon et Henry." Léon, c'était mon frère plus âgé que moi. Je m'appelle Henry. Pierre est un pseudonyme de la Résistance. Nous voilà partis, traversant toute la ville de Lyon en tramway pour arriver cité Rambaud, un quadrilatère de petits logements pour personnes âgées. Un prêtre avait mis là tout ce qu'il possédait pour construire ces habitations de vieux couples. Nous entrons et dans une salle je vois cinq pu six messieurs que je connais, des habitués des déjeuners chez mes parents, un général en retraite, des hommes d'affaires, etc. , en bras de chemise et les manches retroussées, et trente, quarante, je ne sais combien de gueux, de mendiants, de pouilleux. Et ces messieurs faisaient les coiffeurs des pauvres et leur servaient le petit déjeuner. Cela se savait chez les miséreux, ils venaient. Les messieurs s'appelaient les Hospitaliers-Veilleurs, une très vieille confrérie, la plus ancienne association charitable de Lyon, qui autrefois veillait les corps des pauvres morts seuls. Bien sûr, mon père et ses amis essayaient de trouver des solutions, de procurer du travail à ceux qu'ils soignaient [...]

Je me rappelle mon ébahissement en voyant papa dans cette crasse.

Il coupait les cheveux d'un homme et, à un moment, il s'est fait engueuler par le type, je ne sais pourquoi. Il lui avait peut-être tiré les cheveux avec le peigne. Et au retour papa nous a dit une parole de saint Vincent de Paul qui lui est venue tout naturellement : "Vous avez vu comme c'est difficile d'être digne d'aider ceux qui souffrent tant."

C'était une révélation du mal. Mais en même temps que du mal, de l'amour. Je découvrais deux aspects d'une réalité extrême.

[...]

Il y a une coincidence triste, je viens de recevoir une lettre des Hospitaliers-Veilleurs. Ils vont dissoudre cette association vieille de plusieurs siècles, parce qu'ils ne trouvent plus de volontaires. Alors que des pauvres à soigner, il y en a toujours.

[...]

La foi n'est pas pour moi la conclusion d'un raisonnement, mais un moment ou l'on consent à se savoir non suffisant. On sait que la damnation est une notion enseignée dans la foi, mais jamais il n'a été dit, dans aucun concile, qu'il y ait des damnés Nous n'avons aucune obligation de le penser. Nous n'en savons rien. Jamais il n'a été dit qu'Hitler était damné : il était peut-être fou, qui peut savoir le degré de responsabilité ? Même pour les crimes les plus épouvantables, nous ne savons pas.

Bernard Kouchner :

C'est trop commode ! Je pense qu'Hitler n'était pas fou du tout. J'en ai vu des petits Hitler, des Hitler à échelle individuelle, à dimension humaine, et ils n'ont rien de fou. En ce moment, on souhaiterait que Slobodan Milosevic soit un aliéné. Je l'ai rencontré souvent pour lui arracher des autorisations humanitaires qu'il m'a accordées. Il n'est pas fou du tout. C'est trop simple d'expliquer la dictature par la folie d'un seul. Je refuse cette idée. Votre adversaire politique est fou puisqu'il n'est pas de votre côté. C'est méprisant. Et peu démocratique. Et avec un cran de plus, s'Il est fasciste, il sera donc extrêmement fou, voire schizophrène ? Mais non ! Personne à ce niveau n'est fou, ce n'est pas vrai ! Pinochet, l'assassin de Salvadore Allende n'était en rien un fou. C'était un banal général. Franco non plus n'était pas fou, ni Jules César ! Personne n'est fou ! Qui est fou ? L'homme qui a tué l'archiduc François-Ferdinand à Sarajevo, Gavrilo Princip, celui qui a déclenché la guerre de 1914 ? Pas du tout ! Il était pareil aux gens qui aujourd'hui veulent refaire les Balkans en assassinant leurs voisins. Par exemple, Karadzic, le chef bosniaque, je le connais, il n'est pas fou, c'est un psychiatre. Oui, je sais, on peut aussi dire que tous les psychiatres sont fous, suivant la coutume ! Dès que quelqu'un n'est pas comme vous, on dit qu'il est fou. Je refuse cette facilité. Elle va très bien avec ce que tu dis, tu penses que Dieu est bonté et qu'on va se retrouver tous et qu'il n'y aura même pas de damnés. Je crois en effet qu'il n'y aura pas de damnés, parce que le ciel est vide et qu'il n'y a pas de bonté [...]

Abbé Pierre :

Écoutes-moi : si la damnation existe, elle n'est pas le jugement d'un tribunal, pas une sentence. La mort se résume à cette simplicité : c'est une sortie de l'ombre. On vit dans l'ombre, l'ombre du temps. Pour moi, la béatitude ou la damnation, c'est au moment de la sortie de l'ombre, des ombres du temps, se voir tel qu'on s'est fait. Tu t'es fait suffisant, suffis-toi. La damnation, c'est être condamné à se regarder à perpétuité dans la glace, soi tout seul avec sa prétendue suffisance ... Et la béatitude, c'est le creux qui est en moi, comblé. Saint Thomas d'Aquin dans son inépuisable théologie, écrit - c'est charmant, mais c'est raisonné - que la béatitude originale de chacun sera caractérisée par ce qui aura été sa recherche, son intérêt passionné. Un musicien aura une béatitude de musicien. Un mathématicien aura une béatitude dans l'éblouissement de la combinaison des chiffres, des nombres. Donc, creuse en toi des appétits car c'est dans la mesure ou tu seras insatisfait que tu trouveras satisfaction.

A la sortie de l'ombre, on se voir tel que l'on s'est fait. Voilà notre grande espérance à l'égard de tous les non-croyants. Car si tu te fais satisfait, suffisant, eh bien, suffis-toi. C'est la malédiction absolue, suffis-toi.

Reste l'existence du mal.

Une petite fille disait à sa maman qui enseignait le catéchisme : "Quelle gaffe il a faite, le bon Dieu, en nous laissant libres ! S'il n'y avait pas de mal, de cruauté, tout tournerait rond comme les étoiles !" La maman - Francine de la Gorce, qui est l'une des principales auxiliaires du père Joseph Wrezinsky - a écrit un livre appelé La Gaffe de Dieu. Elle explique à sa fille : "Oui, ce serait tout merveilleux. Mais moi je n'aurais pas de petite fille pour m'aimer, toi tu n'aurais pas de maman pour t'aimer. On serait des automates parfaits, tu ne ferais pas de caprices, je ne ferais pas de sottises, tout serait parfait. Mais pourquoi faire ? Est-ce que le bon Dieu a besoin des étoiles, des galaxies, comme de billes de collégien pour s'amuser ? Il ne s'embête pas. Si Dieu agit, ce ne peut être que pour l'Amour."

Alors cela m'a conduit un jour à cette espèce de cri au-dedans de moi : "Quelle valeur prodigieuse a l'Amour, pour que Dieu à ce point risque Sa gloire !" Car en créant des libertés, il met en querelle sa gloire.

Face au mal qui est là, défiant Dieu, je ne vois qu'une réponse : s'il n'y avait pas de liberté, l'univers serait l'absurde absolu. Si tu es un automate, qu'est-ce qu'il reste ? Ce n'est pas concevable. Il ne peut y avoir de sens que s'il y a de l'être libre, qui est capable d'aimer. La liberté, c'est grave, cela nous rend responsable. Et c'est merveilleux. Cela rend capable d'aimer. La liberté, c'est l'aptitude à l'amour.

[...]

Je m'aperçois que je n'ai pas précisé quelque chose qui a pris beaucoup d'évidence dans ma pensée. On parle de la gloire de Dieu. La gloire de Dieu c'est être ontologiquement par Son Être, amour reconnu comme amour. Là est le sublime, l'amour infini reconnu comme amour, ce qui ne serait pas si l'on pensait Dieu comme Allah, mystérieusement solitaire. Étant l'Unité, l'Unique, absolument unique Dieu, il y a cette vie qui fait Dieu être Père. La gloire est d'être Amour reconnu comme amour. Au fond, notre mission en tant qu'humains croyants est de tendre nos pauvres petites énergies pour que cette gloire soit reconnue par la Création. Et elle est reconnue là ou elle existe !

Je me rappelle un jour ou je devais demander un coup de main à un ouvrier maçon qui fabriquait des blocs de ciment. C'était un samedi soir. On nous avait apporté des matériaux, de quoi monter une baraque le lendemain dimanche. On travaillait le dimanche, je disais que quand les gens n'ont pas de maison, le problème n'est pas de leur dire d'aller à la messe, mais de construire une maison. Quand ils en auront une, on leur expliquera le sens de la vie. Nous avions commencer de travailler mais les camarades m'ont dit : "Père, il n'y aura pas assez de parpaings pour soulever le plancher pour pas qu'il pourrisse dans l'herbe." Et l'un m'explique qu'il connaît un ouvrier maçon qui dans des moules en bois, avec du mâchefer et du ciment, en fabrique pour les vendre. Il ajoute : "Il est très bouffeur de curés, ce ne sera pas drôle." Bon, je vais le voir. Un gosse crie : Papa, c'est l'abbé Pierre ! Cet homme me dit : "Entrez. Vous êtes le premier curé que je laisse entrer chez moi." Il me sert à boire et il me raconte :

"Il y a quelque mois, X, patron d'une grosse entreprise, considéré comme une brute avec son personnel, scandaleux dans sa vie privée bien connue, casse sa pipe. Peut-être qu'il donnait beaucoup pour le séminaire : l'évêque est venu pour l'absoute et il y avait cinq ou six prêtres. Et puis peu après ma voisine vient à mourir. Elle était vénérée du quartier pour la façon dont elle avait soignée son mari infirme, elle était une bonne voisine pour tout le monde et lorsqu'elle vient à mourir, trois coups de goupillon et c'est terminé ! Ça ne peut pas être comme ils font !"

Il tapait du poing sur la table : "Ça ne peut pas être comme ils font." Il ne disait pas comme ils disent ou comme ils enseignent, mais comme ils font.

Quand il a fini, il me donne les parpaings et il ne veut pas que je paie. Au moment de partir, dans la nuit devant la voiture il me saisit les épaules - il était plus fort que moi - et d'une voie très émue, il me dit : Monsieur le curé, je ne sais pas si le bon Dieu existe, mais je suis sûr que s'il existe, il est ce que vous faites."

C'est cela la gloire de Dieu : l'amour reconnu par l'amour. "S'Il existe, il est ce que vous faites ..."

- Dieu et les hommes, p. 60

Re: Réflexions théologiques sur Dieu après la Shoah

par Cinci » sam. 12 oct. 2019, 13:44

Primo Lévi écrivait dans son texte de 1947 :

"... dans la haine nazie, il n'y a rien de rationnel : c'est une haine qui n'est pas en nous, qui est étrangère à l'homme. C'est un fruit vénéneux issu de la funeste source du fascisme, et qui est en même temps au dehors et au-delà du fascisme même. Nous ne pouvons pas la comprendre; mais nous pouvons et nous devons comprendre d'ou elle est issue, et nous tenir sur nos gardes. Il faut rappeler que ces fidèles, et parmi eux les exécuteurs zélés d'ordres inhumains, n'étaient pas des bourreaux-nés, ce n'étaient pas - sauf rares exceptions - des monstres, c'étaient des hommes quelconques. Les monstres existent, mais ils sont trop peu nombreux pour être vraiment dangereux; ceux qui sont plus dangereux, ce sont les hommes ordinaires, les fonctionnaires prêts à croire et à obéir sans discuter. " (Si c'était un homme, p. 311)

et

"... je dois admettre que les explications qui sont celles communément admises ne me satisfont pas : elles sont restrictives, sans mesure, sans proportion avec les événements qu'elles sont censées éclairer. A relire les historiques du nazisme, depuis les troubles des débuts jusqu'aux convulsions finales, je n'arrive pas à me défaire de l'impression d'une atmosphère générale de folie incontrôlée qui me paraît unique dans l'histoire. Pour expliquer cette folie, cette espèce d'embardée collective, on postule habituellement la combinaison de plusieurs facteurs différents, qui se révèlent insuffisants dès qu'on les considère séparément, et dont le principal serait la personnalité même de Hitler, et les profonds rapports d'interaction qui les liaient au peuple allemand. Mais encore une fois cela ne semble pas concluant. On ne peut pas, me semble-t-il , expliquer un phénomène historique en attribuant toute la responsabilité à un seul individu (ceux qui ont exécuté des ordres contre nature ne sont pas innocents !) , et par ailleurs il est toujours hasardeux d'interpréter les motivations profondes d'un individu. Les explications avancées ne justifient les faits que dans une certaine mesure, ils en expliquent la qualité mais pas la quantité." (p. 310)

Re: Réflexions théologiques sur Dieu après la Shoah

par Cinci » sam. 12 oct. 2019, 12:47

Ce que saint Paul nous révèle - nous y reviendrons plus loin - c'est précisément que même aveuglé, et dépossédé par son rejet de l'Évangile, Israël est toujours aimé comme peuple choisi, et c'est pourquoi sa dépossession ne sera que temporaire. Encore faut-il ajouter que si le peuple juif a achoppé, et doit supporter jusqu'à sa réintégration finale les conséquences de son faux-pas, ce serait cependant une aberration d'imaginer que ce peuple est en "état de péché mortel", car un peuple n'a pas une âme personnelle, et c'est en victime, innocente de la faute commise autrefois par quelques uns, qu'Israël porte le fardeau de la prévarication de ses prêtres.

Nous avons dit que c'est une Église précipitée, et que sa vocation, devenue, du fait même, ambivalente, continue dans la nuit du monde; et nous avons averti que ces choses doivent s'entendre d'une manière analogique : "une sorte d'analogie renversée avec l'Église est ici, croyons-nous, l'unique fil conducteur."

Israël n'est pas surnaturellement étranger au monde de la même façon que l'Église : celle-ci est le royaume de Dieu, à l'état pérégrinal et crucifié : celui-là est le peuple de Dieu que Dieu appelle toujours et qui n'écoute pas, mais qui garde l'espérance de Dieu sur terre et la nostalgie de l'absolu, et les Écritures, et les prophéties, et les promesses, et la foi en la Sainteté divine, et le désir du Messie. Les Juifs ne sont pas haïs du monde de la même façon que les chrétiens, ceux-ci sont haïs du monde à cause de Jésus-Christ, et à cause de la Croix, ceux-là à cause de Moïse et des Patriarches, et à cause de l,activation terrestre que le monde reçoit de leur aiguillon. Et parce que Jésus-Christ est venu d'eux selon la chair. Les Juifs ne sont pas et ne seront jamais du monde, non parce qu'ils sont chargés comme l'Église de continuer l'oeuvre rédemptrice du Christ; mais parce qu'ils sont dus au Christ; parce que, séparés pour Dieu par leur vocation messianique, ils restent, même après leur faux-pas, séparés du monde par leur passion d'une Justice dont le monde ne veut pas.

p. 126

Re: Réflexions théologiques sur Dieu après la Shoah

par Cinci » sam. 12 oct. 2019, 12:46

A vrai dire c'est en vertu des apparences menteuses de l'histoire - trop réelle en ce qui concerne les fautes des hommes - que le Christ a été rendu, par violence, un signe de séparation entre Juifs et chrétiens. Dans l'essentielle réalité de son oeuvre rédemptrice, dans le mystère même de sa mort sur la croix, dans l'éternel dessein de Dieu il n'a pas séparé, il a uni les deux peuples, Israël et les Gentils, "il a renversé le mur de séparation, aboli l'inimitié, afin de faire des deux, en lui-même, un unique homme nouveau ... Il est venu annoncer la paix à vous qui étiez au loin [les nations], et la paix à ceux qui étaient proches [les Juifs]". - Saint Paul, Éphésiens II, 14-17

Re: Réflexions théologiques sur Dieu après la Shoah

par Cinci » sam. 12 oct. 2019, 12:44

Jacques Maritain, le 5 janvier 1944

Le Christ souffre en tout innocent persécuté, c'est son agonie qui s'exhale dans le cri des innombrables êtres humains humiliés et torturés. Tout cela, il l'a aussi pris sur lui, il n'est pas une blessure qu'il n'ait ressentie, pu il n'ait mis un peu de son sang, une trace de sa pitié à chaque pas de l'abominable route.

Jésus-Christ souffre dans la passion d'Israël. Persécuter la maison d'Israël, c'est aussi persécuter le Christ, non pas dans son corps mystique comme lorsqu'on persécute l'Église, mais dans sa souche charnelle et dans son peuple oublieux qu'il ne cesse d'aimer et d'appeler. Dans la passion d'Israël le Christ souffre et agit comme pasteur de Sion et Messie d'Israël, et pour conformer peu à peu son peuple à lui-même. Ce que le monde nous donne à contempler dans les grandes persécutions racistes, c'est Israël engagé lui-même dans la voie du Calvaire, parce qu'il active et stimule l'histoire terrestre, et parce que les marchands d'esclaves ne lui pardonnent pas les exigences que lui et son Christ ont introduites au sein de la vie temporelle du monde, et qui diront toujours non à la tyrannie et à l'injustice triomphante.

Malgré lui, Israël monte la voie du Calvaire, côte à côte avec les chrétiens, et ces étranges compagnons sont parfois surpris de se trouver ensemble. Comme dans l'admirable tableau de Chagall, les malheureux Juifs sans y rien comprendre sont emportés dans la grande tempête de la crucifixion, tout autour du Christ étendu à travers le monde perdu.

Le fait central, qui a sans doute la signification la plus importante au point de vue de la philosophie de l'histoire et des destinés du genre humain, c'est que de nos jours la passion d'Israël prend de plus en plus distinctement la forme de la croix.

Juifs et chrétiens sont persécutés ensemble et par les mêmes ennemis : les chrétiens parce qu'ils sont les fidèles du Christ, et les Juifs parce qu'ils ont donné le Christ au monde. Comment est-il possible que tant de chrétiens ferment les yeux à la signification surnaturelle d'un drame qu'eux seuls ils pourraient déchiffrer ? Ce n'est pas seulement une question d'humanité qui est en cause; il y a d'autres victimes innombrables, oui, mais les Juifs sont les premières victimes, et les seuls qu'on veut exterminer de la face de la terre comme race et comme peuple. Ce n'est pas seulement une question de justice et de droit naturel qui est en cause, et qui demande que la vérité soit crié sur les toits. C'est notre Dieu qui est en cause, c'est lui qui est souffleté, frappé, insulté, couvert de crachats par la persécution antisémite. Désormais le Christ ne sépare plus, il unit Juifs et chrétiens.

p. 204

Re: Réflexions théologiques sur Dieu après la Shoah

par Cinci » sam. 12 oct. 2019, 1:35

Et voyez à la page 39 un développement extraordinaire :

"... si l'idée du karma pèche en ce que du moral elle transfère le châtiment à l'ordre purement physique, en revanche la notion occidentale du châtiment est trop souvent chargée d'anthropomorphisme juridique. La peine ou le châtiment n'est pas l'invention arbitraire d'une blessure infligée du dehors à un être intact pour venger la loi; c'est - dans l'ordre moral lui-même - le fruit de la blessure infligée à l'être par sa propre liberté volontairement défaillante, et ce fruit naturel est la vengeance de la loi, La peine est l'éclosion de la faute; notre châtiment c'est notre choix.

Les Juifs ont choisi le monde; ils l'ont aimé, leur peine est d'être tenus par leur choix. Prisonniers et victimes de ce monde qu'ils aiment; et dont ils ne sont pas, ne seront jamais, ne peuvent pas être.

L'Église est universelle, répandue dans toutes les civilisations et les nations comme une unité et communauté transcendante ou du sein des diversités temporelles tous et chacun peuvent être assumés, pour être fait de la race de Dieu par le sang vivificateur du Fils de Dieu. Le corps mystique d'Israël est celui d'un peuple particulier, sa base est temporelle et comporte une communauté de chair et de sang; pour se répandre dans l'univers il le faut disjoint de lui-même, brisé et dispersé. La diaspora - déjà commencé avant l'ère chrétienne - est la correspondante terrestre et meurtrie de la catholicité de l'Église.

Le corps mystique d'Israël est une Église précipitée. Ce n'est pas une contre-Église. Pas plus qu'il n'existe de contre-Dieu, ou de contre-Épouse. C'est une Église infidèle. Le corps mystique d'Israël est une Église infidèle et répudiée (et voilà pourquoi Moïse avait accordé figurativement le libellum repudii), - répudiée comme Église, non comme peuple. Et toujours attendu de l'Époux, qui n'a pas cessé de l'aimer. "

p. 39

Re: Réflexions théologiques sur Dieu après la Shoah

par Cinci » sam. 12 oct. 2019, 0:06

Puis Maritain faisait de si belles et si utiles réflexions sur ce fameux mystère d'Israël.


Le faux pas d'Israël

On lit dans le Lévitique (IV, 1-3) : "Yahweh parla à Moïse en ces termes : Parle aux enfants d'Israël : Quand quelqu'un aura péché par inadvertance contre l'un des commandements de Yahweh en faisant l'une des choses qu'ils défendent de faire : Si c'est un prêtre oint qui a péché, rendant par là le peuple coupable, il offrira à Yahweh ..."

Ainsi, le péché du prêtre rend le peuple coupable. Disons plus généralement, et dans un langage moins redoutable que le langage sacré, que par l'effet d'une inévitable solidarité dans le péché des chefs, temporels ou spirituels, qui font commettre à un peuple quelque chose d'inique (par exemple une guerre injuste) entraîne ce peuple dans une certaine participation au mal, même quand tous les individus qui le composent auraient été innocents de l'iniquité dont il s'agit (par exemple si tous croient juste, parce qu'ils sont trompés par leurs chefs, la guerre dont il s'agit).

Pour désigner ce fait le mot "faute collective" ne vaut rien, car il est équivoque, et semble indiquer que les individus eux-mêmes sont rendus collectivement coupables, ce qui n'est pas le cas. La faute en question est une faute nationale, une faute du corps social ou du tout social comme tel, qui dépend de la faute des chefs comme le corps dépend de la tête. Ses conséquences atteindront sans doute les individus eux-mêmes, mais en tant que parties de la communauté et parce qu'ils sont membres d'un tout qui, comme tel, a mal fait, non en tant que personnes individuelles et parce que chacun d'eux serait personnellement coupable à un degré ou à un autre (certains peuvent l'être, mais c'est une autre question).

Si un chef d'État conquiert un pays par pure cupidité et en massacre les habitants, il déclenche des sanctions historiques qui s'abattront un jour sur son peuple en raison de la faute commise par lui et à laquelle ce peuple comme tout social a participé, les individus qui le composent pouvant tous (ou presque tous) être parfaitement innocents comme individus.

Les sanctions historiques dont il s'agit sont l,affaire de la Providence. On peut et on doit parler alors de châtiment divin. Nul peuple plus que le peuple hébreu n'a su, en chacune de ses épreuves, qu'il était châtié parce qu'il avait, en tant même que communauté (et soit de par l'initiative de celle-ci, soit de par celle de tel ou tel de ses chefs), péché contre son Dieu. C'est un thème qui revient constamment dans l'Ancien Testament.

C'est le châtiment-événement, qui est passager comme tout événement, et auquel Dieu, - nous avons là-dessus la parole de Yahweh, - peut laisser le champ libre jusqu'à la troisième ou quatrième génération, mais pas au-delà. C'est en ce sens-là que la ruine de Jérusalem et la destruction du Temple apparaissent comme le châtiment du crime des princes des prêtres (non qu'ils aient eu quelque intention "déicide", puisqu'ils ne savaient pas que Jésus était Dieu - mais précisément ils auraient dû le savoir, leur crime, crime contre Israël, et contre le Sauveur issu de lui, et contre Dieu, a été d'abord de ne pas reconnaître le Messie, et ensuite, après la Résurrection, de s'obstiner dans leur aveuglement, et de tourner le peuple contre la Bonne Nouvelle.

S'agit-il après cela de souffrances et d'afflictions dont la possibilité - à travers les contingences historiques qui vont à l'infini, - remonte à une faute commise dans le passé, au temps, d'une génération trente ou soixante fois antérieure, elles ne sont sûrement pas un châtiment-événement qui atteindrait la trentième ou la soixantième génération. Absit ! Dieu a donné l'assurance qu'il n'en serait jamais ainsi. Ce serait un stupide blasphème d'imaginer que toutes les persécutions, les humiliations, les infamies subies par les Juifs depuis la ruine du Temple, et les pogroms et les camps d'extermination, sont des châtiments qu'un Dieu de colère ne se lasserait pas d'envoyer pour venger la mort de son Fils ! Ce sont plutôt des effets de la malice et des féroces passions des hommes, d'hommes qui le plus souvent se disaient et se croyaient chrétiens, - effets rendus possibles par la situation historique ou Israël s'est trouvé après son faux-pas. Et sans doute ces effets, comme tout mal survenant ici-bas, ont été permis par Dieu, mais dans un de ces inscrutables desseins de miséricorde que nous adorons en tremblant, non dans quelque dessein de colère ou de vengeance.

Tout le long de cet abominable histoire, ce n'est pas la colère de Dieu, c'est sa pitié et son amour qui ont accompagné son peuple, et l'ont "gardé", ainsi que disait Léon Bloy, "préservé comme la pupille de son oeil" à travers toutes les douleurs, le sang et les larmes qui sont la rançon de sa vocation et de sa mission dans le monde.

p. 38

Commentaire :

Ce que Maritain veut dire au fond c'est que Dieu a permis que le désastre survienne ou la tragédie. Comme il permet à tant d'autres catastrophes de survenir et dont il sera bien impossible pour nous d'arriver à démêler l'écheveau ou toute la trame, bien que l'on puisse se douter ici que la chose ne soit pas sans rapport avec un dessein de miséricorde ultimement. Lui-même soupçonne que Dieu puisse permettre à ce que son peuple soit configuré au Christ.

Re: Réflexions théologiques sur Dieu après la Shoah

par Cinci » ven. 11 oct. 2019, 20:58

Maritain poursuit dans son texte de janvier 1943 :

"Le racisme nazi est d'une autre essence [que le racisme des Japonais], et son ignoble orgueil n'est que la compensation d'une trouble psychologie faite de complexe d'infériorité, de rêve de ressentiments et de délire de persécution. Le racisme allemand ne s'est pas constitué pour la race allemande ou nordique, il sait bien à quoi s'en tenir sur les impostures de ses ethnologues, et il est prêt au besoin à appeler les Japonais des aryens jaunes. Le racisme allemand s'est constitué contre un ennemi mythique parce que sa donnée primordiale est la haine et parce qu'à la haine il faut bien un ennemi à détester et à détruire. [...]

Il n'y a qu'une seule chose ferme et inébranlable au coeur du racisme allemand, c'est l'antisémitisme nazi, forme extrême et paroxystique du vieil antisémitisme allemand. Et l'antisémitisme nazi est dans son fond une aversion furieuse de la Révélation du Sinaï et de la loi du Décalogue. Il est surtout, comme l'écrivain juif américain Maurice Samuel l'a bien montré, une criante et une haine surnaturelles, qui n'osent pas dire leur nom, du christianisme et de la loi évangélique, et de ce Roi des Juifs qui est le Verbe Incarné, le Verbe qui était au commencement - le Verbe et non l'Action ! - et qui a pris chair dans une vierge d'Israël, et qui est venu pour rendre témoignage à la vérité, et qui a annoncé les béatitudes aux pauvres et aux miséricordieux, et qui renversera les puissants de leurs sièges, et dont la royaume n'est pas de ce monde et qui nous jugera tous sur l'amour et la charité. Voilà les choses qui font grincer des dents à l'antisémitisme nazi et qui excitent sa rage de destruction. Il veut exterminer la race du Christ de la face de la terre parce qu'il veut exterminer le Christ de l'histoire humaine, il se venge sur les Juifs du Messie qui est venu d'eux, il humilie et torture les Juifs en cherchant à torturer et humilier leur Messie dans leur chair, il est essentiellement une christophobie.


[...]

M. Robert Ley, ministre nazi du travail, a confirmé les paroles de son maître (1) et affirmé que "les nazis poursuivraient la guerre jusqu'à ce que les Juifs aient été balayés de la face de la terre". M. Karl Rudolph Best, conseiller légal de la Gestapo, un maître en droit raciste, à coup sûr, expliquait doctement l'été dernier que "l'expérience enseigne que l'annihilation d'un peuple étranger n'est pas contraire aux lois de la vie, pourvu que cette annihilation soit totale". (" Grossraun Ordnung und Grossraun Verwaltung" in Zeitschrift fur Politish, juin 1942) .:

p. 186

___
(1) faisant allusion à ses précédentes menaces, Hitler a dit le 8 novembre 1942, "qu'une multitude sans nombre de ceux qui riaient alors ne rient plus aujourd'hui". Mais de l'âme fidèle il est dit, selon les Écritures juives et chrétiennes : "Elle rira au dernier jour.'"

Re: Réflexions théologiques sur Dieu après la Shoah

par Cinci » ven. 11 oct. 2019, 20:15

Bon ...

On aura perdu Booz en cours de route. Il repassera un autre tantôt on espère.

[...]

Ce fil m'aura incité à me pencher au moins sur le livre de Jacques Maritain Le Mystère d'Israël. Un livre que je n'avais jamais lu jusqu'ici, en grande partie parce que je n'arrivais pas à le trouver, ces quelques fois ou j'aurai voulu l'examiner un peu. Cette fois, j'ai pu le trouver. Et je puis dire maintenant qu'il s'agit bien d'un excellent ouvrage. Très bien, très très bien. A placer sur les rayons d'une bibliothèque idéale ... Vos cent meilleurs livres de référence.

Jacques Maritain y allait de ses propres réflexions à chaud, pendant la période même de la tragédie susdite, alors que les cheminées et les fours étaient encore en opération dans l'univers concentrationnaire allemand installé en Pologne; une réflexion amorcée, de son côté, pendant la guerre et qu'il aura bien sûr approfondie des années après.

Détail en passant : la consultation de ces pages m'a permis de voir qu'il était incroyablement bien informé de tout ce qui se passait en Europe occupée. Oui, et pas plus tard que dès l'année 1942 ! Il était déjà bien au fait d'absolument tout ce que la fin de la guerre aura permis ensuite au reste du monde d'apprendre. De quoi me faire penser que les amitiés du philosophe avec quelques personnes haut placées à Rome à l'époque auront sans doute pu jouer ici sur le fait qu'il était si bien informé.



Jacques Maritain, le 23 janvier 1943

"... une immense multitude d'hommes de femmes et d'enfants entièrement innocents ont été mis à mort par les Nazis, pour crime d'appartenir à la race juive. [...]

Qu'Il nous suffise de savoir qu'en Pologne et en Lithuanie seulement, environs 700 000 personnes appartenant à la race juive avaient déjà été tuées au début de l'automne dernier, le chiffre qui paraît le plus probable étant beaucoup plus élevé; et que pour l'ensemble des victimes de la persécution raciste le chiffre le plus modéré est d'au moins un million, et le chiffre donné comme le plus probable, de deux millions déjà. Quatre ou cinq millions - ce qui reste de Juifs dans l'Europe soumise à la croix gammée - sont menacés du même sort. En Pologne surtout et en Russie occupée les procédés de destruction dépassent les cauchemars de l'imagination la plus infernale. Des méthodes scientifiques à la hauteur du génie allemand ont déjà été inventées.

En racontant comment tous les Juifs de Lublin ont été chassés de la ville (ils ont déjà disparu ensuite sans laisser de trace) et comment toutes leurs maisons, sauf quelques édifices d'intérêt historique, ont été rasées, un journal nazi, la Krabauer Zeitung, célébrait cette démolition du quartier juif en écrivant : "Voilà une autre façon de briser les tables de la loi à la manière de Moïse, mais cette fois pour tout autre chose que le bien des Juifs ! Leur expulsion a été un autre exode, mais non pas pour aller vers la Terre promise ! Le temps du parasitisme biblique est fini."

En Pologne les abominations souffertes par la nature humaine dans les camps de concentration ont atteint un tel degré qu'on a souvent vu de malheureux Juifs verser de l'argent aux Nazis - cent zlotys, ce n'est pas cher - pour être fusillés tout de suite plutôt que d'être envoyés dans les camps et torturés (Rapport du gouvernement polonais en exil à Londres, décembre 1942). Des milliers de Juifs évacués du ghetto de Lodz et emmenés à Chelmno ont été tués par les gaz asphyxiants. En août dernier le maire du ghetto de Varsovie, Adam Cziernakow, s'est suicidé pour ne pas obéir à l'ordre que les Nazis lui avaient adressé d'établir une liste de 100 000 Juifs à déporter pour le travail forcé, vers "un lieu indéterminé". Après ce qui s'était passé à Lodz, il savait ce que cette demande signifiait. A Prague, le jeune poète Janus Bonn refusa de même d'établir une liste de déportation et fut exécuté par les Nazis. A Chelm, en décembre 1939, la Gestapo fit rassembler huit cents Juifs sur la place du marché, pour les forcer de là à courir pieds nus dans la campagne et en massacrer six cents à la chasse.

[...]

Voici donc quelques éléments du tableau qui est ainsi mis sous nos yeux.

Des 250 000 Juifs chassés de Bessarabie vers la partie de l'Ukraine du sud occupée par la Roumanie, environ 190 000 ont été fusillés, brûlés vifs ou torturés à mort pendant le transport. Le jour ou une bombe fit explosion dans l'hôtel de l'État-Major, 10 000 Juifs ont été rassemblés dans des baraques en bois et brûlés vifs. A Vitebsk, plusieurs milliers de Juifs ont de même été brûlés vifs. A Kiev, selon une information reçue par le gouvernement soviétique, 52 000 hommes, femmes et enfants ont été massacrés. A Pinsk, 8000 Juifs ont été tués à la mitrailleuse, à Brest-Litovsk, 6000, à Marioupol la population juve tout entière - massacrée par groupes de 500 devant les tranchées ou on poussait les cadavres. Dans une ville près de Smolensk, 7000 Juifs ont été conduit dans les champs, forcés de creuser leur tombe et fusillés. Beaucoup ont été enterrés vivants.

A Riga, en Lettonie, plus de 20 000 Juifs ont été massacrés par les Allemands. A Jasny, en Moldavie, 10 000 Juifs ont été mis à mort dans un pogrom de trois jours (28, 29 et 30 juillet 1941) ou le plus grand nombre, enfermés dans des trains scellés ou ils ne pouvaient recevoir ni eau ni nourriture. Les autorités roumaines les y ont laissés onze jours, jusqu'à ce qu'aucun signe de vie ne fût plus perceptible. Quand elles ont fait ouvrir les wagons le 10 août, tous ces malheureux étaient morts de suffocation ou des tourments de la faim. Une lettre de Berlin, du 8 avril 1942, fait savoir que le 25 janvier un millier de Juifs ont été empilés et verrouillés dans des trains à bestiaux, à destination de Riga, pour un voyage de dix-huit jours. Pas un seul n'est resté vivant, ils sont tous morts de froid ou de faim; on arrache les malades des hôpitaux juifs pour les déporter ainsi.

Le gouvernement tchécoslovaque vient de faire connaître que 77 000 Juifs sont morts dans les camps de concentration du Protectorat ou ont été déportés dans les ghettos polonais, ou ils ont "disparu".

En France, on a enlevé, sur l'ordre allemand en région occupée, sur l'ordre de M. Laval dans la région non-occupée, des dizaines de milliers de Juifs étrangers ou récemment naturalisés pour les envoyer à un pareil destin. C'est le chef des S.S. de Zone occupée qui dirigeait l'opération. 5000 enfants ont été séparés de leurs familles. La même opération a commencé le 26 août en zone non-occupée. Elle a été conduite avec la même brutalité. Des agents de la police française régulière ont démissionné pour n'y pas participer. La police spéciale du régime de Vichy s'est acquittée de la besogne. Là encore des malades ont été enlevés des hôpitaux, pour être arrêtés et déportés.

Comme je disais en septembre (8 septembre 1942) dans un broadcast à nos amis de France, jamais dans l'histoire infamie pareille n'a été imposée à la France.

Et si la France n'a pas perdu son âme, c'est grâce à son peuple et à ses chrétiens, qui ont crié leur indignation devant l'iniquité, et qui ont tout fait et tout risqué pour abriter dans leurs foyers, ou pour cacher dans les montagnes et dans les forêts, pour aider et défendre les victimes de ces mesures infâmes.

p. 179

Re: Réflexions théologiques sur Dieu après la Shoah

par Druss » lun. 07 oct. 2019, 19:18

Rebonsoir Booz,

Bon finalement, mon message va être plus court, à l'essentiel.

Vous dites:
on essaie d'insérer Dieu en nous, dans la demeure intérieure qui lui convient, pour que sa présence demeure en nous et dans le réel, avec autrui et au côté de sa souffrance, par nous et à travers nous, dans le vif de l'histoire et le chaos du réel détruit par la folie collective des hommes, pour ainsi dire.
Et aussi:
Prière, chant, lamentation, et surtout silence de recueillement qui ne fait pas qu'espérer passivement, mais qui essaie, en faisant place nette pour Dieu, de faire un peu comme Noé avec son arche : sauver ce qui peut être sauver, plutôt que de consoler par une fable.
Je vous oppose cette phrase du Christ:
Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice: le royaume des cieux est à eux.
N'est-ce pas honteux?
On n'est pas loin de :
Pas une foi qui dit : "t'inquiète, moi j'ai la réponse; tout ça va excéder un peu tes pauvres capacités, mais derrière le rideau il y a du bon, tu verras
J'ai essayé dans mes derniers messages d'exposer les articulations conceptuelles permettant de comprendre comment un Dieu soit disant pur amour et tout puissant peut dire par la bouche de son fils une telle phrase, surtout en regard de l'évènement qu'a été la Shoah. On s'y reportera. Je m'appuie notamment sur la réflexion sur le Souverain Bien de Kant, dans la Critique de la raison pratique, que je crois indépassable pour penser l'évangile.
La foi, là, n'est pas un opium, mais un appel renouvelé, entre chant et silence. Pas de réponse rationnelle systématique.
Je pense, pour ma part, que c'est plutôt ce type de phrase qui est coupée du réel; la foi : un "appel renouvelé, entre chant et silence"? On est loin du concret du texte des béatitudes dans l'évangile. Un peu trop esthétisé, à mon goût.

Re: Réflexions théologiques sur Dieu après la Shoah

par Druss » lun. 07 oct. 2019, 1:31

Rebonsoir !
D'une manière générale sur ces questions, je m'applique cette petite discipline de l'esprit (et du cœur aussi) : est-ce que je pourrais tenir un tel discours sur le mal et la souffrance humaine devant un petit enfant juif qui va à l'abattoir pour le seul fait qu'il est "juif"? Pourrais-je lui dire qu'il y aura pour lui une récompense, bien que cette justice de Dieu excède complètement le réel et est coupé de tout lien avec notre monde - son monde? Qu'il faut qu'il ait la foi malgré un réel qui le condamne de manière absurde, et qu'il perce cet absolu de sa souffrance trop lié à son "moi" pour voir derrière le rideau ce qu'il ne peut pas voir dans l'immédiat? Non, en ce qui me concerne. Trop amère, me semble-t-il.
Qu'est-ce qu'une mère peut dire d'autre à son enfant avec qui elle vient d'arriver dans un camp d'extermination, sinon que "tout va bien se passer"? Et en même temps quoi de plus faux ? Comment résoudre cette antinomie ? Pas en discutant philosophie, ça je vous l'accorde : on est pas sur un forum mais aux portes de l'horreur. Les Psaumes ? Je veux bien. Mais sur quoi se fondent les Psaumes ? Sur la foi en un Dieu tout puissant et souverainement bon. Comment la toute puissance et bonté de dieu peuvent elles apparaître aux yeux d'un enfant sinon sous la forme d'une espérance en un monde meilleur où il pourra vivre heureux, lui, ses parents, pour l'éternité ? Je crois que même une mère athée, pour consoler son enfant, utiliserait ce subterfuge, si elle estimait pourvoir l'apaiser ainsi. Ma réponse ne prétendait pas se substituer aux consolations d'une mère à l'égard de son enfant, mais je crois que, d'un point de vue conceptuel, elle en expose les fondements.
Alors ma conclusion est la suivante : le point ultime de toute théodicée est le silence
Je crois plutôt que le point ultime de toute theodicée est l'espérance, qui ne se révèle jamais aussi pure que dans le silence du logos effondré, comme vous dites, ou dans le chant. Qu'est-ce qui habitera sinon ce silence ? Le néant ? Ou est Dieu alors ?
je crois que la foi qui se repose sur un arrière monde consolateur au sens nietzschéen est discutable quoique compréhensible et respectable. Je préfère une foi pleinement inscrite dans le vif du réel et le drame de l'histoire.
Si une mère, athée qui plus est, en plein cœur d'un camp, voit "dans cet arrière monde consolateur" une ressource pour consoler son fils, alors il me semble que c'est la preuve, que même sous la forme d'une fable, cela témoigne d'une "foi pleinement inscrite dans le vif du réel et le drame de l'histoire". Et je pense même que Ivan serait d'accord sur ce point. À propos de quoi, je n'ai pas voulu réduire tout son monologue à la dichotomie : avoir la foi ou ne pas l'avoir. Je souscris à tout ce que vous dites. Mais je pense que, en dernier ressort, tout tourne autour de cette dichotomie, dont j'ai voulu exposer les contours en parlant de ce "téléscopage" entre deux absolus.

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