Griffon a écrit :
Dieu est amour. On le dit et le re-dit de nos jours.
Mais on ne dit pas « Dieu est amour surabondant » et la justification théologique est que l’amour trinitaire est déjà un amour parfait qui n’a nullement besoin d’être parachevé par un autre amour. L’amour pour la Création vient de surcroît. Pour reprendre une expression populaire « c’est la cerise sur le gâteau » mais le gâteau n’a nullement besoin d’une cerise...
Griffon a écrit :
L'amour est en lui surabondant au point que l'échange d'amour entre le Père et le Fils est personnifié dans l'Esprit.
Et non justement, la surabondance d’amour débouche sur la Création, elle est seconde par rapport à l’abondance d’amour qui emplit déjà la vie trinitaire. D’un point de vue pratique et même pastoral cela a des conséquences : cela nous force à l’humilité, car en effet : Dieu a déjà tout l’amour qu’il lui faut, il n’a nullement besoin du nôtre, il ne souffre d’aucun manque (s’il souffre c’est pour nous et pas à cause de nous...) par contre nous nous avons besoin de son amour, nous souffrons de ce manque. Quelqu’un qui dirait « Dieu a besoin de mon amour » pécherait par orgueil, car il se mettrait ainsi sur un piédestal croyant tenir Dieu dans une sorte de chantage affectif. Par contre dire « Dieu veut mon amour » là c’est différent car c’est l’amour qui commande à l’amour et ce n’est pas l’amour qui a besoin de l’amour comme c’est le cas par exemple pour l’amoureux transit en manque de sa belle.
Griffon a écrit :
Le Tout-Puissant est naturellement tout amour au point qu'il lui est impossible de poser un acte contraire à l'amour, il est "lié" par sa nature, même si ce lien n'est pas une privation de liberté.
Tout à fait mais cela ne le contraint (au sens logique du terme) nullement à poser un acte de surcroît étant donné qu’il satisfait déjà pleinement à sa nature dans l’acte d’amour trinitaire. Il est déjà en lui-même tout amour...
Griffon a écrit :
Quand au fait de poser un acte qui ne soit pas dans sa nature, je me demande comment ce serait possible ?
Je ne suis pas philosophe, mais je sais que je ne vole pas, car ce n'est pas dans ma nature.
Il y a des péchés contre-nature : le fait de poser un acte contre sa propre nature. Je ne vais pas donner d’exemple, notre époque en est pleine.
Il y a des actes surnaturels : le fait de poser un acte au dessus des forces de sa nature, comme un acte de charité, de foi, d’espérance. Et pour cela nous avons besoin de l’aide de Dieu.
Mais le problème soulevé n’est pas là : je récusais l’assertion comme quoi tous les actes d’une personne sont inscrits dans la nature de cette personne. Et la meilleure preuve c’est que nous les hommes nous partageons tous la même nature et pourtant nous commettons des actes très différents, notre nature n’est donc pas déterminante. Pas plus d’ailleurs que ne l’est celle de l’Ange, qui pourtant lui a un rapport exclusif à sa nature, car les Anges diffèrent entre eux par leur essence : Lucifer, dont on dit qu’il était le plus beau des Anges, avait peut-être une nature supérieure à celle de Saint Michel Archange, pourtant ce n’est pas sa nature qui l’a sauvé et lui a permis de faire le bon choix...
Pour reprendre votre exemple : votre nature, ma nature est la même que celle du voleur : c’est la nature humaine. Si vous humain affirmez que votre nature diffère de celle du voleur, parce que « naturellement » le vol vous répugne, alors vous affirmez du même coup la non-humanité du voleur.
Griffon a écrit :
Je ne comprends pas trop votre phrase sur la création, l'incarnation et la résurrection qui serait un, un et un autre...
Dieu n’était pas contraint par sa nature de créer le monde.
Dieu n’était pas contraint par sa nature de s’incarner, de ressusciter et de le sauver.
Tous ces actes sont des actes gracieux ne relevant aucunement d’une nécessité de nature.
Si nous sommes sauvés c’est par la grâce de Dieu et certainement pas par nécessité...
Mais venons en à l’aspect historique et philosophique de cette déviance doctrinale consistant à considérer tous les actes du sujet comme contenus virtuellement dans son essence, donc à prédéterminer le sujet par sa nature.
Cela nous ramène au XVIIème s et à Leibniz. En effet Leibniz considère que toute essence est individuelle et qu’elle contient virtuellement une infinité d’actes liés au sujet, que donc l’existence du sujet n’est que le déploiement de son essence. Ainsi pour Leibniz « César a franchi le Rubicon » est contenu dans l’essence de César, et cela va très loin car il s’agit en plus d’un événement historique affectant le cours du monde, mais cela n’arrête pas Leibniz qui fait rentrer le cours du monde dans l’essence de César, et une fois que le Tout a été rentré dans chaque monade ou essence individuelle reste à savoir comment chaque monade peut déployer son existence de façon cohérente avec les autres pour constituer le Tout, et là encore Leibniz n’est pas arrêté puisqu’il avance l’argument ad hoc de « l’harmonie préétablie »
En fait Leibniz, brillant mathématicien, applique une vision mathématicienne, fortement influencée par la naissance du calcul infinitésimal, à tous les êtres: le germe et la tendance permettent de déduire pas à pas, par sauts infinitésimaux, toute la courbe de développement de l’être.
Dès lors il n’est pas étonnant qu’il ait appliqué le même raisonnement à Dieu lui-même.
Il part de l’essence de Dieu, plus précisément de son infinité bonté et de sa toute puissance.
Puis en substance il dit : « Si Dieu est infiniment bon et tout puissant alors le monde qu’il crée est le meilleur des mondes possibles puisque dans son infinie bonté il ne peut vouloir que le meilleur pour sa création et que sa toute puissance le lui permet ».
Ainsi de par sa nature infiniment bonne et puissante Dieu serait contraint par cette même nature de créer le meilleur des mondes possibles, celui dans lequel nous vivons, ce qui évidemment peut prêter à sourire...
Le problème c’est que le raisonnement leibnizien n’est pas catholique pour la raison suivante :il considère qu’un Dieu qui crée mieux est meilleur qu’un Dieu qui crée bien, qui est meilleur qu’un Dieu qui crée moins bien qui est meilleur qu’un Dieu qui ne crée pas du tout. Eh bien non que Dieu crée ou ne crée pas, qu’il crée un monde meilleur ou moins bien cela n’a aucune incidence sur son infinie bonté et toute puissance, cela ne peut jamais entrer en contradiction avec son essence. Que l’amour de Dieu surabonde ou non cela ne change rien au fait qu’il est amour : le Dieu créateur n’est pas supérieur à Dieu tout court, l’aspect créateur ni ne lui ajoute, ni ne lui retranche de l’amour, de la bonté ou de la toute puissance.
On peut essayer de comprendre cela sur un exemple emprunté justement aux mathématiques : ajouter 1 à l’infini, qu’obtenez vous ? Encore l’infini, toujours l’infini, vous n’avez pas obtenu un résultat supérieur à celui du départ, mais toujours le même résultat...
Bien saisir cela a aussi des conséquences pratiques sur notre attitude: nous sommes enclins à scruter l’immensité de la Création : ces milliards de milliards d’année-lumière, ces milliards d’étoiles, de galaxies, de nébuleuses... et nous sommes enclins à nous demander où peut bien être Dieu dans tout cela, comme s’il était niché quelque part dans un recoin de l’univers. Mais non la Création est minuscule, elle n’est rien comparée à l’immensité de Dieu, un Dieu infini, incommensurable, on pourrait presque dire qu’il est infiniment de fois plus difficile de trouver la Création en Dieu qu’il n’est difficile de trouver Dieu dans la Création !