par L'athée » sam. 10 août 2019, 20:51
Je pense que le sujet est clos, mais voici un passage de mon mémoire de M2 que j'ai effectué sur le sujet. Peut-être certains y trouveront des réponses qui n'ont pas déjà été évoquées ici. Les références n'apparaissent pas et peuvent être données sur demande si vous le souhaitez.
Excusez mon style scolaire.
- Le message de la figure du Christ aux sept Églises d’Asie Mineure (2,1 - 3,22)
La première question que l’on peut se poser est la suivante : pourquoi ces sept Églises en particulier? Si le chiffre sept ne pose pas de problème quant à son interprétation (il est le symbole de la globalité, en s’adressant à ces sept Églises, le « fils d’homme » s’adresse, en réalité à la totalité des chrétiens) il n’en est pas de même pour les localités choisies par l’auteur. D’autres Églises existaient dans la région comme Milet, Colosses, Hiérapolis… Il n’y a pas, dans l’historiographie actuelle, de réponse admise comme vérité. On remarque que c’est là encore un héritage de la tradition judéo-chrétienne puisqu’avant lui, Paul a écrit à sept églises, corpus qui forme les « Épîtres » de saint Paul. Encore, dans le livre prophétique vétérotestamentaire d’Ézechiel, il y a un passage qui est un « oracle contre les nations » qui sont au nombre de sept.
On ne peut alors que constater ce que ces sept communautés ont en commun et il s’agit ici de la présence d’hérétiques. Plusieurs historiens en ont conclu qu’il ne fallait pas nécessairement chercher plus loin pour comprendre le choix de l’auteur. Les autres communautés étaient-elles pour autant sauvegardées de la présence de courants hérétiques? Certainement pas, mais si l’auteur a choisi de s’adresser à celles-là, ce n’est pas anodin. Il pouvait, en effet, estimer que ces communautés étaient les plus touchées parmi toutes, ou à l’inverse qu’elles étaient les seules qui pouvaient encore se défaire de l’emprise des hérétiques. Mais c’est bien à ces sept-là que s’adresse la Révélation et elles sont l’une des clefs de la compréhension du texte. Comprendre leur situation au sein de cités, ce n’est certes pas comprendre la complète signification de chacun des symboles utilisé par l’auteur tout au long de la Révélation, mais cela sert à entrevoir la raison de la composition du texte. Il nous faut donc étudier ces Églises individuellement pour comprendre en quoi elles participent pleinement à la Révélation étant les destinataires annoncées de celle-ci.
Tout d’abord, le fait que l’auteur ai choisi sept Églises nous montre une indépendance d’organisation fondamentale par rapport aux 5 cités néocores d’Asie disposant d’un ou plusieurs temples du culte impérial provincial, qui vers 130 ap. J.-C. sont les suivantes : Pergame Smyrne, Éphèse Cyzique et Sardes. Le message adressé à chaque Église se compose presque toujours de la même manière. Les paroles rapportées du Christ nous font savoir qu’il est au courant des difficultés de chacune d’entre elles, puisqu’il dit « Je sais » ou « Je connais ». Pour autant ces difficultés ne peuvent pas être un prétexte pour accepter la présence d’hérétiques, ou justifier une perte de foi et c’est ce sur quoi va insister l’auteur. Il dit aussi être au courant du bon comportement de l’Église ou seulement d’une partie de ses membres, et au contraire de ses/leurs fautes.
Les sommations du Christ seront les dernières, puisqu’après il sera trop tard étant donné l’arrivée toute prochaine du combat eschatologique contre le Mal. Les promesses de paradis qui suivent ces avertissements sont la récompense en cas de repentir et de changement de comportement. Cependant certaines Églises ne suivent pas exactement ce modèle, puisque l’auteur ne mentionne pas à chaque fois de difficultés particulières (ce qui n’exclut pas pour autant leur présence), ou de bons ou mauvais comportements.
Ces passages sont, d’un point de vue historique, fondamentaux pour comprendre le contexte d’écriture de l’Apocalypse. Les éléments donnés par l’auteur nous montrent bien que le contexte sert à justifier l’écriture de sa Révélation et c’est ce que nous allons voir maintenant à travers l’étude de chacune des Églises, réalisée individuellement.
- Éphèse : La métropole prospère et luxueuse
Les premières installations de la cité d’Éphèse dateraient de 1100 av. J.-C. Elle aurait été établie par des Grecs alors que des peuples indigènes y vivaient. En 555 av. J.-C. Crésus, roi de Lydie prend le contrôle la ville et la rend véritablement prospère. Il contribue à la construction du Temple d’Artémis et détruit la vieille ville. Suite à la Paix des Rois en 386 av. J.-C. signée entre le roi perse et le roi Sparte, la cité passe sous domination perse, jusqu’à ce qu’elle soit conquise par Alexandre en 334 av. J.-C. Elle passe ensuite sous le contrôle d’une succession de rois hellénistiques. Le temple qui avait été détruit par Érostrate en 356 av. J.-C., avec certainement comme seul objectif de devenir célèbre, est reconstruit grâce au financement de plusieurs cités voisines, et se base sur les mêmes plans que l’ancien. Pline l’Ancien nous décrit alors un bâtiment immense qui aurait comporté 127 colonnes et mesurerait 225 pieds de large sur 425 de long et 65 de haut. Le temple est également signalé dans les Actes des Apôtres (XIX, 23,40). En 47, Éphèse est victime d’un tremblement de terre.
Après la mort d’Alexandre, c’est Lysimaque qui en prend le pouvoir. Il construit et fortifie une nouvelle cité qu’il entoure d’un mur vers 287 av. J.-C. La cité passe successivement entre les mains de différents souverains jusqu’à ce qu’Attales III de Pergame meurt en 133 av. J.-C. et lègue tout son territoire à l’Empire romain. Elle est la ville la plus peuplée de la province mais n’est pas la capitale puisque le proconsul vit à Pergame. La cité compterait 40 000 mâles citoyens, soit environ entre 200 000 et 225 000 personnes si l’on rajoute les mineurs, les femmes et les esclaves. Les habitants de la ville éprouvent rapidement pour Rome et les citoyens romains, une grande haine et provoquent même un massacre de Romains en 88 av. J.-C. Ceux qui se réfugient dans le temple d’Artémis, qui est également un asile, sont également exécutés. Plus tard, sous la Pax Romana (entre 25 av. J.-C. et environ 180 ap.) la cité devient célèbre, prospère et extrêmement luxueuse, bien que l’évasement du port apparaisse comme une limite au futur de la cité et qui est responsable du déclin de celle-ci dans les années de l’Apocalypse. Pour autant dans la course aux titres qui oppose toutes les cités, elle obtient le titre de « première de la province », ce qui est un titre particulièrement honorifique.
Au niveau religieux, la cité est d’une grande importance puisqu’en 29 av. J.-C. Auguste autorise la ville à lui dédier un culte. Plus tard, sous Claude, elle devient néocore (voir chap 2 part 1) puis cumulera trois fois le titre de néocore ce qui nous montre la très grande importance du culte impérial et même encore plusieurs décennies après la composition de l’Apocalypse. On a, par exemple, retrouvé un temple en l’honneur d’Hadrien, probablement construit au début de son règne, une fontaine en l’honneur de Trajan et les traces d’un temple muni d’une terrasse pour Domitien, ce qui montre une grande ferveur pour ce dernier. Parallèlement, le culte d’Artemis connaît un festival annuel très important dans la cité, avec des jeux, des sacrifices etc. Tout cela a été rendu possible par la ferveur de longue date de la cité pour le culte impérial faisant d’elle un lieu parfait pour l’érection de ce temple et des différents cultes.
Depuis plusieurs siècles la présence des juifs y est attestée. Ces derniers, au temps des Séleucides auraient même obtenu le statut de citoyen, qui peut alors être accordé en tant que privilège par un monarque local. Mais on sait grâce à Luc, que les Éphésiens peuvent leur être hostile malgré leur statut et leurs privilèges. Parmi ces privilèges, les Juifs pouvaient parfois compter sur l’appui de certains empereurs comme nous le montre Flavius Josèphe, qui transmet des lettres adressées aux cités, et une notamment à Éphèse, qui sont des rappels à l’ordre quant à la conduite à tenir envers eux, puisqu’ils n’ont pas obligation de se mêler aux rites païens, malgré le fait qu’ils aimaient à se mélanger à la population et à vivre en communauté avec eux. On en connaît moins sur la présence des chrétiens à Éphèse, mais l’on sait que très tôt la cité a vu la naissance d’une communauté des disciples du Christ : elle est attestée à de nombreuses reprises dans le Nouveau Testament. Irénée explique que Paul, lors de son voyage dans la cité aurait trouvé une communauté chrétienne. C.J Hemer estime même que la cité serait devenue temporairement un point de rassemblement pour la communauté chrétienne orientale, après la destruction du Temple en 70. Cependant, la communauté d’Éphèse connaîtrait plusieurs courants qui auraient cohabité ensemble pendant plusieurs années : l’Église fondée par Paul, un mouvement qu’Irénée appelle une « École judéo-chrétienne », la secte hérétique des Nicolaïtes et un groupe de chrétiens mené par Jean de Patmos. On sait également que le nom de l’apôtre Jean lui est rattaché, puisqu’il aurait vécu là pendant longtemps. Il s’y serait selon Ignace d’Antioche, opposé à un hérétique gnosticisant appelé Cérinthe et on sait que l’Église d’Éphèse a été très tôt tenté par ce courant gnostique. Voyons maintenant ce que dit ce dernier.
a- Les difficultés
La principale indication que nous livre l’auteur sur la situation des chrétiens dans la cité est la présence de « ceux qui usurpent le titre d’apôtres » (2,2). Pour ces faux apôtres, il peut s’agir des membres de certains des courants que nous venons d’évoquer. La Didachè peut également nous en apprendre plus en ce qui concerne ces usurpateurs. Dans ce texte anonyme qui daterait pour la partie la plus récente de la fin du Ier siècle, il est question à de nombreuses reprises d’apôtres et de prophètes. L’auteur de la troisième partie, dans laquelle il est question de ces derniers, met en garde le lecteur et explique comment discerner les vrais prophètes, les vrais apôtres des autres. Les principaux signes qu’il donne sont des éléments de conduite qu’adoptent ces derniers pour demander l’hospitalité. Nous ne savons pas véritablement quels sont les groupes visés, mais leur présence est attestée et chacun d’entre eux peut représenter aux yeux de l’auteur, une menace pour la communauté. Il est également possible que l’auteur ne cible pas qu’un seul de ces groupes, et que par ce nom d’usurpateur il désigne tous ceux qui représente un danger pour l’unité de l’Église, ainsi que pour son salut. Cependant, l’auteur, rapportant les paroles du Christ, écrit que la communauté éphesienne les a mis à l’épreuve et qu’elle les a « trouvé menteurs ». C’est à dire que Jean sait que l’Église a conscience de la présence de ces faux apôtres et qu’elle ne se laisse pas berner par le premier qui se présente en tant que tel, ce que nous confirme Ignace d’Antioche.
La seconde difficulté relevée est la souffrance subie par la communauté à cause du nom de Jésus. S’agit-il ici d’une persécution? Rien n’est moins sûr puisqu’aucune persécution impériale ni même locale, n’a été attestée à Éphèse, dans le Ier siècle. Peut être l’auteur a-t-il connaissance d’une animosité particulière de la part des citoyens païens et juifs de la communauté? Toujours est-il que cette souffrance, Jésus l’aurait annoncé puisqu’il l’avait prédit (Mt 10,22 ; Mc 13,13). Pour Prigent, cette souffrance serait plutôt la présence même de ces usurpateurs du titre d’apôtre. On retiendra donc que ce passage ne fait certainement pas référence à un évènement particulier, mais qu’en plus de reprendre un élément de la tradition chrétienne (la prédiction de Jésus à ce sujet), il s’agit ici d’un contexte général, propice à des souffrances quotidiennes. La perte de « l’amour d’antan » apparaît ici comme quelque chose de très grave aux yeux de l’auteur, puisque c’est la seule chose qu’il reproche aux Éphésiens. Comment expliquer cette expression? Il est très compliqué de définir véritablement ce qu’a voulu dire l’auteur, puisque nous n’avons pas d’exemple précis de comportement ou d’évènement qui relate de cette perte de foi. Peut-être a-t-il ressenti le fait que les hommes n’étaient plus prêts à donner leur vie à Dieu, à se consacrer entièrement à lui, alors que cet amour qui s’exprime à travers la figure christique est rappelé dès le début du texte (1,5).
b- Le bon comportement
La présence des Nicolaïtes et leur rejet par les Éphésiens est, au même titre que le reste, connu de l’auteur. Qui sont-ils? Ils ne descendent pas d’un personnage biblique puisque ce nom n’apparaît pas dans les textes anciens. P.Prigent pense qu’ils sont des chrétiens qui, contrairement à ce que demandent les Évangiles, ne sont pas rigoureusement stricts vis à vis des règles religieuses. Ils seraient en effet plus ouverts à quelques aspects de la vie religieuse païenne, comme le culte à l’empereur, ou la consommation d’idolotythes ou encore la vie sexuelle par exemple. Ils auraient également utilisé la magie. Les Pères de l’Église identifiaient les Nicolaïtes comme étant des adeptes du diacre Nicolas, qui aurait eu recours à des pratiques sexuelles ouvertes, mettant sa femme en commun pour d’autres hommes. Les Actes suggèrent qu’il est natif d’Antioche, converti au judaïsme. Diacre il est alors choisi parmi les sept pour figurer au rang de prêtre du ministère sacré. Cependant, le fait qu’il soit cité le dernier de la liste des sept sous entend une position moindre par rapport aux autres. Néanmoins il semblerait que le nom soit en réalité plutôt symbolique, tiré du grec nikolaos, (‘celui qui vainc le peuple’). On peut également se demander s’ils n’étaient pas gnostiques, ces fidèles qui pensaient que la gnose (la connaissance) apportait à elle seule le salut divin, sans que la foi ou la pratique religieuse ne soit nécessaire. Leur nom pourrait également venir de la racine nkl qui signifie « tromper ». On ne peut guère plus s’appuyer sur la littérature chrétienne des siècles suivants qui, sous l’appellation de Nicolaïtes, regroupent plusieurs courants de pensée, dont un est une vieille secte hérétique qui participaient à des sacrifices et qui avaient recours à la magie. On leur reproche également leur participation aux cérémonies païennes publiques et privées. Notons qu’à la fin du Ier siècle on tend encore à établir une ligne de conduite, des normes d’intégration à la communauté chrétienne. Les Églises d’Asie, quant à elles, s’en prirent à tous ceux qui défendaient fermement l’abstinence et le célibat et selon M.F Baslez il est possible que ce soit dans ce contexte que furent stigmatisés les nicolaïtes d’Éphèse. En effet, le Christ ne fait pas que constater la présence de cette secte dans la communauté chrétienne d’Éphèse, il remarque également qu’il a connaissance du rejet des Nicolaïtes par cette dernière et il en est heureux, car lui-même les déteste (2,7). On comprend donc que les nicolaïtes avaient en quelque sorte une position d’outsiders à Éphèse et qu’ils ont tenté de se faire une place dans la communauté, tentative qui s’est soldée par un rejet sans concession de leur courant de pensée.
- Smyrne : La trois fois néocore
Fondée au 3e millénaire, la ville a été envahie par le roi de Lydie aux alentours de 600 av. J.-C, puis par les Perses, en 546 av. J.-C, moment où elle a été ravagée. Reconstruite avec un luxe monumental après la conquête d’Alexandre, la cité connaît au Ier siècle un rayonnement important dans la province romaine d’Asie. Cette reconstruction amène Aelius Aristide à comparer Smyrne à un phoenix qui renaît de ses propres cendres. C’est peut être aussi pour cela que l’auteur de l’Apocalypse a décidé d’introduire le Christ comme celui « qui fut mort et qui a repris vie » et il est intéressant de noter que Clément de Rome compare la résurrection du Christ à celle d’un phoenix (1 Clem 25). Elle est la première cité d’Asie Mineure à ériger un temple l’honneur de la déesse Rome. Pendant la période impériale, la cité fait preuve, d’un très grand dévouement envers les Romains et « la cause romaine ». C’est d’ailleurs ce qui a poussé le Sénat à soutenir la candidature de la cité sous Tibère, au moment où celui-ci décide de choisir une cité pour construire un nouveau temple dédié à Auguste, Livie (sa mère) et au Sénat. Déjà, quelques temps auparavant, en 10 av. J.-C, un temple provincial du culte impérial y a été construit. Sa ferveur paraît tellement grande que la cité cumule trois titres de néocore des Augustes, ce qui en fait la plus titrée de la Province. Dans cette course aux titres qui est la cause d’une concurrence très vive entre les cités, et malgré un séisme en 47, Smyrne obtient un titre extrêmement honorifique, celui de « Première de la Province », mais uniquement en beauté, là où deux autres, Éphèse et Pergame sont toutes deux « premières de la province ». Ce qui fait que lorsqu’elle se présente aux autres cités, elle s’introduit de la sorte : « La première d’Asie en beauté et en taille, la Très Illustre, la Métropole, trois fois néocore des Augustes par décision du très sacré Sénat, l’ornement de l’Ionie, le cité des Smyrniens ». La cité est en effet extrêmement riche, puisque son port rayonne dans toute la région. Également reconnue pour son vin et ses beaux bâtiments, elle est un centre important de médecine et de science.
La présence des jeux accompagnant le culte impérial est très grande dans la cité, puisque les citoyens en sont apparemment friands. Sartre explique qu’à Smyrne « le peuple ne se lasse pas du spectacle, (des « massacres d’hommes »), et qui redemandent des combats de bêtes alors qu’il n’en est plus prévu ». Ces jeux rencontrent toujours une vive opposition chez les intellectuels, aussi bien païens que chrétiens.
- Les difficultés
On sait qu’une importante communauté juive résidait à Smyrne. Ils s’étaient regroupés en association locale, comme il était coutume de le faire, appelée ethnos et ce sont certainement eux qui sont ciblés par l’appellation de « Synagogue de Satan » (2,9). Cette virulence verbale de la part de l’auteur s’explique certainement par une violence émanant des juifs envers les disciples du Christ, violence dont on a un aperçu dans le Martyre de Polycarpe. C.J Hemer, explique que très certainement à Smyrne, les Juifs sont rapidement devenus actifs dans la participation aux persécutions contre les chrétiens, en les dénonçant aux autorités, mais également en les excluant des quartiers dans lesquels ils vivaient, les exposant alors davantage aux yeux de la société païenne, puisqu’ils n’étaient alors plus protégés par la couverture juive. Plus encore, Justin de Rome nous apprend que les juifs rejettent les chrétiens en « maudissant dans {leurs} synagogues ceux qui croient au Christ », et également, malgré le fait qu’ils n’ont pas le pouvoir direct de les violenter physiquement, cela aussi ils l’ont fait « chaque fois {qu’ils l’ont} pu ». Malgré la datation assez tardive de ce texte, rédigé certainement autour de 165, on comprend davantage la situation des chrétiens dans les cités, et plus particulièrement à Smyrne, où ces derniers pouvaient alors être persécutés physiquement mais également être victimes de sentence d’anathème et de malédictions.
Les paroles du Christ rapportées par saint Jean nous apprennent également que la communauté chrétienne de Smyrne est pauvre. Cette pauvreté est une conséquence directe des persécutions puisque les chrétiens pouvaient régulièrement être victimes d’un dépouillement de leurs biens par la foule, aussi bien païenne que juive. D’autres éléments peuvent être à la source de cette pauvreté. Par exemple, on sait que les chrétiens convertissaient beaucoup dans les milieux les plus pauvres, ou bien encore ceux des plus dévoués qui se restreignent eux même à une pauvreté plus ou moins stricte.
Le Christ met ensuite en garde les membres de la communauté de Smyrne, puisqu’il les avertit que « le Diable va {les} jeter en prison » (2,10). Durant la période antique, la prison n’était pas une peine, comme c’est le cas aujourd’hui, mais était un lieu dans lequel on enfermait les gens pour au moins trois raisons distinctes : 1) Les magistrats y enfermaient les récalcitrants pour stopper les contestations. 2) C’était le lieu où étaient détenus les accusés pendant un procès. 3) On y attendait son exécution après avoir été condamné à mort. Il est donc probable que l’auteur fasse ici allusion à ces trois raisons et ne dénonce donc pas par cette formule, les persécutions générales, mais plutôt de mesures visant à condamner les chrétiens, parfois à la mort, ce que signifie la phrase suivante. L’allusion au Diable est quant à elle une manière de parler de l’empereur, puisque, plus tard dans la Révélation, le Diable apparaîtra sous la forme d’un dragon et il représentera l’empereur. Il ne faut pas comprendre que l’empereur a décrété spécialement contre les chrétiens de Smyrne, mais que les représentants de l’autorité romaine de la province, qui sont des agents de l’empereur, tendent, peut-être plus facilement que dans d’autres cités, à les persécuter. L’utilisation du nom Diable et donc cette allusion à la personne impériale permet en même temps à l’auteur de faire savoir à l’Église de Smyrne qu’il est conscient de la place centrale du culte impérial au sein de la cité.
Smyrne fait office d’exception puisqu’elle est la seule des Églises à laquelle il n’est rien reproché ni accordé. Le visionnaire de Patmos fait uniquement allusion à ces persécutions à venir et met en garde la communauté de leur apparition très prochaine. L’unique chose qu’il leur est demandée est de tenir leur foi jusqu’à la mort si nécessaire. Il n’y a pas d’exhortation particulière ni d’avertissement au même titre que les six autres Églises. Mais les éléments apportés par l’auteur suffisent pour que nous puissions comprendre, même près de deux milles ans plus tard, pourquoi Smyrne figure parmi les sept.
- Pergame : capitale religieuse
Avant la période hellénistique Pergame apparaît comme une cité sans grande importance. Sous le contrôle de Lysimaque, elle devient indépendante lorsque celui-ci se fait assassiner par Seleucus en 281 av. J.-C. Sous la protection de la déesse Athéna Nicéphorus, elle devient la capitale du royaume Attalide, puis lorsqu’elle passe sous domination romaine maintient son statut de cité importante. Jusqu’au règne de Sylla, le gouverneur réside à Pergame, c’est seulement après que son lieu de résidence se déplacera à Éphèse. Elle est cependant de plus en plus concurrencée par Éphèse. La cité est immensément reconnue par sa bibliothèque qui rivalisait même avec celle d’Alexandrie, et par sa production d’ouvrages. Elle possédait également de nombreux gymnases (sept ou huit), lieux de réunion du peuple. La ville, qui accueille une grande école de sculpture est alors ornée de nombreux temples et autels, dont un monumental à Zeus Soter, un autre à Athéna, et un temple très important dédié à Asclépios, dieu de la guérison (C.J Hemer avance que cette école par le biais de ses constructions a contribué à l’émergence du culte aux souverains). La cité est en effet un grand lieu de cure thermale, muni de nombreux bains, de centres de soin et d’incubation et de plusieurs écoles de médecine. Ses richesses et son luxe sont reconnus à travers tout l’Empire et malgré une ruine passagère à cause de la concurrence avec Éphèse, elle obtient elle aussi le statut de « Première de la Province ». C’est au IIe siècle que la cité connaît son apogée : Un temple de Sarapis est construit sous Hadrien, le temple de Déméter est restauré, un amphithéâtre est aménagé, et l’Asklèpieion est grandement embelli. Même si ces informations sont postérieures à la rédaction de l’Apocalypse, elles montrent le rayonnement de la cité, ainsi que sa richesse et surtout son dévouement pour le culte païen.
a- Les difficultés
L’expression du « trône de Satan » (2,13) est très révélatrice du statut de la cité. Pergame est la capitale religieuse de la province. Comme nous venons de le voir la ville est imprégnée du culte païen mais il faut surtout ne pas négliger l’importance du culte impérial. Rappelons que dès 29 av. J.-C. Auguste autorise à Pergame ainsi qu’à Nicomédie, la construction d’un temple qui lui est dédié ainsi qu’à la déesse Rome, faisant de la cité le centre le plus important du culte à l’empereur. Devant cet honneur, la cité maintient une ferveur importante à la personne impériale, encore pendant la période de rédaction de l’Apocalypse. Ainsi on retrouvera au IIe siècle un temple dédié à Trajan et un autre à Hadrien. L’expression du trône de Satan peut également avoir été choisi pour faire référence au siège du Proconsul présent dans la cité et l’on sait que les chrétiens présents dans les alentours de la cité, lorsqu’ils étaient dénoncés par d’autres citoyens étaient ramenés à Pergame pour être jugés. On retrouve une expression similaire dans un autre texte parfaitement contemporain à celui de la Révélation, Testament de Job, écrit à la toute fin du Ier siècle où il est question du « sanctuaire de Satan » (3,6)
Le martyre d’Antipas nous révèle la seconde difficulté à laquelle doit faire face la communauté chrétienne de Pergame, directement en lien avec la première, les persécutions. On sait, par le biais de l’auteur, que des persécutions ont donc lieu dans la cité. Certains auteurs pensent que le fait qu’Antipas seul soit désigné, montre le caractère très limité de cette persécution. On peut cependant remettre en question cette théorie car il peut être la plus connue des victimes parmi un groupe plus ou moins important de Chrétiens. Antipas était probablement sous Domitien évêque de Pergame. Il se serait fait condamner à mort après avoir refusé de renier le Christ devant le gouverneur. Il a en effet été dénoncé par des païens idolâtres qui auraient reçu une révélation de leurs dieux qui auraient manifesté leur refus de cohabiter avec Antipas.
Remarquons que l’auteur ne parle pas de la présence de Juifs. Ces derniers sont pourtant bien présents dans la cité, mais peut être en moins grand nombre que dans les Églises précédentes, puisque leur situation à Pergame n’a jamais été simple. En 62 av. J.-C. les juifs de la cité, qui ont durement souffert pendant la guerre contre Aristonicus (133 av J.-C. - 129 av. J.-C.), voient leur or confisqué par le gouverneur Flacus qui en avait besoin pour reconstruire la ville. Cet incident, assez révélateur de la position de la communauté juive au sein de la cité, en plus du fort développement du culte impérial dans la cité, limitant l’extension de leur propre culte, expliquent peut être pourquoi ils ne posent pas beaucoup de torts aux chrétiens et que l’auteur a décidé de ne pas s’arrêter sur leur présence.
b- La faute
Contrairement à l’Église d’Éphèse, dont les Nicolaïtes sont rejetés systématiquement, il est ici reproché aux fidèles de Pergame de laisser vivre les disciples de Balaam parmi eux. Balaam est un personnage de l’Ancien Testament, qui apparaît dans les Nombres. C’est sous son influence que les femmes madianites ont poussé le peuple d’Israël à tromper Yahvé, en se livrant à la débauche avec les filles de Moab et en se laissant pousser à festoyer de la viande sacrificielle ainsi qu’à adorer leurs idoles. Il s’agit donc ici d’un courant hérétique qui accepte certainement de participer aux rites païens et qui accepte la consommation d’idolothytes. On peut imaginer qu’ils se réclament donc à l’extrême de la doctrine de Paul, qui n’avait pas une position aussi tranchée que l’auteur de l’Apocalypse sur la consommation de viandes sacrificielles. Le verset suivant peut nous laisser penser que ces disciples de Balaam sont en fait également des Nicolaïtes et que de les nommer ainsi permet à l’auteur de montrer que, au même titre que le Christ qui va puiser ses caractéristiques dans les textes anciens, le mal qui est en eux est ancré depuis fort longtemps.
c- Le bon comportement
Malgré les persécutions violentes, voire mortelles, l’omniprésence des cultes païens et impériaux et la présence qui semble être importante des Nicolaïtes dans la cité, le Christ insiste sur le fait que l’Église « tiens ferme {son} nom et n’a pas renié {sa} foi ». Il ne faut pas minimiser cette remarque car elle est certainement la plus importante de toutes. La Révélation entière a pour but de maintenir la foi chez les fidèles dans ce contexte de la fin du Ier siècle qui leur est complètement hostile et seule la communauté de Pergame réussit a maintenir intacte sa foi. L’auteur semble en avoir pleinement conscience car littéralement le verset qui amorce l’énoncé de ce qu’il reproche à la communauté commence ainsi : « J’ai contre toi quelques petites choses », nuance que l’on ne retrouve pas dans les autres lettres. Pour autant l’exclusion d’un groupe d’hérétiques n’est certainement pas la tâche la plus simple pour une communauté qui arrive à survivre et à maintenir sa foi dans un milieu hostile, puisque cela risque de faire du remous et peut-être de mettre sur le devant de la scène, cette communauté qui ne peut pas se permettre de se retrouver sous les feux des projecteurs.
- Thyatire : l’Église aux turbulences internes
La cité de Thyatire, située entre Pergame et Sardes, aurait été, selon la légende, construite pour servir de sanctuaire au dieu Soleil Tyrimnus. Plus probablement, elle a été fondée par les Séleucides et a servi de lieu de garnison pour des armées macédoniennes et a gardé pendant un temps son rôle de cité militaire. Lorsqu’au IIe av. J.-C. elle passe sous l’autorité romaine, elle connaît un développement continu et régulier au point d’être considérée comme la métropole de Lydie. Un tremblement de terre effroyable détruit la ville au début du règne de Tibère et celui-ci intervient financièrement pour aider à la reconstruction. Dans son Histoire Naturelle, Pline l’Ancien la classe parmi les cités qui ne brillent pas particulièrement. La ville est réputée pour ses nombreux corps d’artisanat comptant ainsi de nombreux boulangers, teinturiers, tailleurs, potiers, tisserands, cordonniers, fondeurs et autres artisans spécialisés. D’importantes mines de cuivre situées à mi-chemin entre Thyatire et Pergame font que la métallurgie représente la plus grosse part de l’industrie de la cité. Cela peut également s’expliquer par son rôle militaire passé. Il faut cela dit préciser la très importante relation qu’ont les corporations avec le culte païen, puisque leurs réunions se déroulaient presque de manière systématique autour de banquets à fort caractère religieux.
L’absence de la mention du culte impérial dans la lettre adressée à Thyatire n’est pas anodine. On sait qu’aucun temple impérial ne s’y trouvait. Nous savons juste que Livie possédait un domaine important dans la cité. Nous n’avons pas non plus de trace de persécutions, ni de la part des autorités ni de la part de la population.
Pour ce qui est de la présence des juifs, on sait qu’une communauté était présente grâce à la conversion de Lydie par Paul, qui était une marchande de pourpre et une prosélyte juive, au milieu du Ier siècle. Une fois encore l’auteur ne semble pas porter attention à cette communauté.
La situation ne semble pas aussi difficile et instable que dans les autres cités, pourtant les chrétiens doivent tout de même affronter des problèmes qui, nous le comprenons maintenant, se déroulent surtout en interne.
a- Le bon comportement
La communauté de Thyatire apparaît comme l’une des plus dévouée au Christ. La situation assez souple dans laquelle elle vit le lui permet certainement. L’auteur évoque ainsi son « amour », sa « foi », son « dévouement », sa « constance » et ses « oeuvres se multipliant sans cesse » (2,19). Il n’est guère besoin de développer ici les compliments faits aux fidèles, ils sont intelligibles et ne nous cachent rien.
b- La faute
Une nouvelle figure fait ici son apparition : Jézabel. C’est certainement au même titre que Balaam que le nom de Jézabel est utilisé par l’auteur. En effet si l’on regarde ce qui est reproché aux disciples de cette dernière, on retrouve une forte similitude avec ce que l’on a déjà vu à propos des Nicolaïtes : la consommation d’idolothytes et la prostitution. Mais qui est cette Jézabel ? Là encore, et ce malgré le langage allusif utilisé par l’auteur, elle semble être un personnage tiré de l’Ancien Testament et plus particulièrement du livre des Rois. Jézabel est alors reine et épouse d’Achab (roi d’Israël entre 874 et 853 av. J.-C.) et aurait poussé ce dernier à adorer Baal, accusée alors par Jéhu, de se prostituer. Vue par saint Jean comme une pseudo-prophétesse des Nicolaïtes, on comprend par l’utilisation de l’image de la prostitution et de la fornication qu’elle représente l’incarnation des dissensions présentes dans la communauté chrétienne de Thyatire. Parmi elle, l’une des plus importantes est l’hérésie montaniste qui se développe très largement dans la cité dans le courant du IIe siècle de notre ère. Même si ce courant est postérieur à notre texte, il est révélateur du fait que Thyatire était dans une situation favorable à ce genre de dissidence. La figure de Jézabel soulève une autre question : l’auteur a-t-il une autre personne en tête que la figure vétérotestamentaire? Plusieurs historiens se sont demandé si elle ne pouvait pas être Lydie, cette femme rattachée à Paul. Elle est donc une marchande (plus précisément une négociante) en tissus de pourpre, dont le nom désigne la région d’origine : la Lydie d’Asie Mineure. Elle est celle qui accueille Paul à Philippes, avec une hospitalité remarquable qui s’expliquerai par le fait que l’apôtre lui-même serait peut-être issus d’une famille de marchands. On sait que plusieurs femmes jouent un rôle important dans l’expansion du christianisme des deux premiers siècles de notre ère. Paul en reconnaît même certaines suffisamment inspirées pour qu’elles dirigent une prière. C’est certainement cela que l’auteur de l’Apocalypse ne peut tolérer, car même si elles occupent un place exceptionnelle tel que chefs d’entreprise et chefs de famille, cela ne justifie pas qu’elles soient inspirées et puissent transmettre la parole de Dieu. On sait que Lydie par exemple, réunissait chez elle le premier groupe chrétien de Philippes. Cette position envers les femmes divise déjà les communautés chrétiennes des premiers siècles et certaines communautés pauliniennes manifeste un féminisme exacerbé tout en se réclamant du patronage de Paul. Elles vont même jusqu’à mettre en circulation vers 180 les Actes de Paul ouvrage chrétien ou l’apôtre est doublé d’un « apôtre au féminin » : Thècle. La figure de Jézabel fait donc écho à Paul, puisque l’auteur lui reproche une intégration aux monde païen, par le biais de la consommation d’idolothytes, et l’exercice d’une autorité charismatique illégitime que ce dernier accordait à des femmes de pouvoir.
c- Les difficultés
Ainsi c’est par une allocution très courte que le Christ fait allusion aux difficultés que nous venons d’indiquer : « Je vous déclare que vous n’aurez pas d’autres fardeau, du moins, ce que vous avez, tenez le ferme jusqu’à la fin » (2,24-25). On comprend que ce fardeau est la foi envers le Fils d’homme, et qu’ils ne doivent pas se laisser tenter par les différents courants qui émergent au sein de l’Église de la cité.
- Sardes : la communauté « morte »
Sardes est l’une des cités les plus importantes de l’Anatolie ancienne et grande concurrente de cités puissantes comme Smyrne et Éphèse. Capitale du royaume de Lydie, elle est également la cité où siège le très riche roi Crésus. La richesse de la cité vient de sa position géographique stratégique, terminus de nombreuses routes commerciales. En 547 av. J.-C. Sardes passe sous domination perse. Cette période marque le début de son déclin puisqu’elle se retrouve à plusieurs reprises au milieu de guerres et de conquêtes. Puis Alexandre en fait la conquête et décide de construire un autel dédié à Zeus et de rebâtir le temple à Cybele. C’est entre 281 av. J.-C. et 190 av. J.-C. elle devient capitale du royaume seleucide. Elle est reconstruite en 213 av. J.-C. par Antiochus III, qui érige un temple à Artemis qui se trouve être le quatrième plus grand temple d’Ionie de toute la période antique. Il y avait alors de très nombreux temples à Sardes ainsi que des bas-reliefs représentants des rites païens (l’un d’entre eux montre par exemple une scène de taurobole), le culte païen y étant extrêmement développé, mais l’archéologie ne nous a permis de n’en retrouver que deux, celui d’Artemis, et un plus ancien, certainement dédié à Vespasien. Entre 190 et 133 av. J.-C. la ville était sous la domination des rois de Pergame, puis devient propriété romaine, au même titre que les autres Églises de l’Apocalypse. En 10 av. J.-C. un temple provincial du culte impérial est établi dans la cité En 17 ap. J.-C. un terrible tremblement de terre ravage la cité en plus d’une douzaine de cités alentours. Tibère lui promet alors 10 millions de sesterces et l’exempte les cinq années suivantes d’impôts et de taxes pour l’aider dans la reconstruction. Cette aide semble avoir été bénéfique puisque seulement 6 ans plus tard elle postule pour devenir métropole du culte impérial, mais c’est finalement Smyrne qui l’emporte. Dans cette lettre l’auteur ne mentionne pas ouvertement de difficulté inhérente à la communauté chrétienne, puisqu’il l’avertit directement.
a- La faute
C’est une communauté « endormie », « défaillante » et même « morte » (3,1-2) que le Christ trouve à Sardes. Que faut-il comprendre par-là? Malgré le fait que l’auteur ne la mentionne pas, on sait qu’une communauté juive très importante est présente car, au IIIe siècle ap. J.-C., elle se trouve suffisamment puissante pour y construire une seconde synagogue, l’une des plus grandes de la province (appelée Beth Alpha et construite en plusieurs étapes), capable au VIIe siècle d’accueillir jusqu’à mille fidèles. Lors de sa découverte grâce à l’archéologie qui a eu lieu entre 1958 et 1970, on retrouve environs 80 inscriptions dont la plupart ont été faites en l’honneur de généreux donateurs. Ces inscriptions nous dévoilent donc la présence de nombreux juifs très riches et puissants dans la cité, puisque certains d’entre eux travaillent pour l’administration. On estime que la première communauté juive serait arrivée à Sardes aux alentours du début VIe av. J.-C. à la suite de la chute de Jérusalem en 587 puisqu’une inscription bilingue a été retrouvée et atteste ce fait. C’est grâce à Flavius Josèphe que l’on en sait plus sur la période qui nous concerne, puisqu’il nous apprend qu’un important groupe de juifs en provenance de Mésopotamie s’installe à Sardes grâce à Antiochus III à la fin du 3e siècle av. J.-C., mais également qu’au Ier av. J.-C. ils possèdent une place de culte et ont l’autorisation d’envoyer de l’or à Jérusalem. Finalement c’est Jules César qui, a travers le proconsul d’Asie demande aux magistrats de la cité de ne pas intervenir dans les pratiques juives ni dans l’envoi de l’or à Jérusalem. Sartre nous apprend également que les juifs de la cité se sont fortement accoutumés aux traditions locales puisque la plupart d’entre eux portent des noms grecs et latins. De plus ils possédaient leur propre gymnase, fait rare, et celui-ci était très certainement ouvert à tous et ne leur était pas juste réservé. Hemer pense que les chrétiens, au même titre que les juifs, ont vécu modus vivendi c’est à dire en accommodation avec l’environnement païen dans lequel ils évoluaient. On comprend alors mieux les critiques adressées par le Christ à travers Jean qui, on le comprend déjà, a une vision extrêmement stricte quant aux barrières à fixer entre les Chrétiens et le reste du monde.
b- Le bon comportement
Malgré cette accommodation, quelques-uns d’entre eux tiennent encore leur foi et semblent ne pas souhaiter cette vie en communauté avec les païens et les juifs. Si de plus amples explications ne sont pas ici nécessaires et sachant cela, on peut quand même remarquer que cette lettre nous donne à voir un aperçu de ce que sera la suite du texte : toute accommodation avec les communautés étrangères au Christ ou plutôt étrangères à l’idée très fermée qu’a l’auteur de la relation que les chrétiens doivent avoir avec le fils d’homme, est inacceptable et, pis encore, ne permettra pas à ceux qui, alors, se croient fidèles d’obtenir leur salut. La résistance pacifique ne sera alors pas passive, mais consistera à rejeter de manière systématique les païens et les juifs, que ce soient leurs rituels, leurs lieux de réunion ou leur mode de vie en général et cela, jusqu’au martyre s’il le faut, puisque la vie après la mort a bien plus de valeur que la vie sur terre.
- Philadelphie : Une Église soudée
La cité est relativement jeune puisqu’elle aurait été fondée entre 189 av. J.-C., au moment de l’annexion de la région par la dynastie attalide et 138 av. J.-C, certainement par Attale II Philadelphie de Pergame, qui lui aurait donné son nom selon Étienne de Byzance, un géographe du VIe. Cette version est rapidement mise en doute par Jean le Lydien, un écrivain du VIe qui avance que la cité aurait été crée par les Égyptiens. Son fondateur serait Ptolémée Philadelphus (308-246 av. J.-C.) qui aurait conquis une grande partie de l’Asie Mineure. Toujours est-il que Philadelphie est située dans une zone volcanique et connaît régulièrement de violents tremblements de terre, dont le plus dur est celui de 17 ap J.-C. qui touche également Sardes. Tibère, moins généreux que pour cette dernière, exempte cependant la cité d’impôts pendant cinq ans également et envoie une commission sénatoriale pour constater les dégâts et fixer le montant de l’aide. Pour remercier l’empereur la ville ajoute la mention « Neocaesareia » à son nom. Sous Vespasien, elle décide de supprimer cette mention pour rendre hommage au nouvel empereur, s’appelant alors « Philadelphia Flavia ». Pourtant la cité n’obtient le titre de néocore qu’en 214 sous Caracalla. La situation géographique de la cité (dans une région volcanique) lui offre une campagne fertile ce qui assure sa richesse. De plus, si le tremblement de terre a causé des dégâts matériels, il a également marqué les esprits puisque Strabon, un célèbre historien/géographe et philosophe nous apprend qu’une partie de la population se réfugie à l’extérieur de la ville afin d’être en sécurité. La crainte d’un nouveau drame est omniprésente et certainement renforcée par le tremblement de terre qui frappe Laodicée en 60. L’auteur de l’Apocalypse, certainement très au fait de la situation, écrit dans sa lettre à propos du fidèle accueilli dans le temple de Dieu : καὶ ἔξω οὐ μὴ ἐξέλθῃ, « il n’aura plus jamais à en sortir », en référence au danger qui règne au sein de la cité.
a- Les difficultés
Le Christ, à travers Jean, nous apprend la présence d’une communauté juive importante qu’il nomme une fois encore « Synagogue de Satan », ces « menteurs », « ceux qui usurpent le titre de Juif » (3,9) Nous n’avons pas de traces plus anciennes que le texte de l’Apocalypse faisant référence à cette communauté. On pourrait imaginer les expressions utilisées renvoient à une communauté similaire à celle de Smyrne, pourtant si l’on regarde attentivement l’unique autre auteur contemporain qui parle de ceux que Jean appelle « menteurs », qui se trouve être Ignace dans sa lettre aux Philadelphiens, on comprend que la situation est plus complexe que ça, puisque ce dernier, au contraire, énonce qu’il « vaut mieux écouter la christianisme de la part d’un homme circoncis, que le judaïsme de la part d’un incirconcis » (Philadelphiens 6,1). Il s’agit donc ici certainement d’un courant gnostique qui intègre dans sa foi de nombreux éléments empruntés au Judaïsme. Cependant la présence d’une communauté juive n’est pas exclue pour autant.
Le texte du martyre de Polycarpe nous apprend la présence de onze chrétiens de Philadelphie qui subirent le martyre en même temps que le saint éponyme. Ils étaient certainement moins influents que Polycarpe puisque l’auteur nous dit que « c’est de lui seul que tous gardent surtout le souvenir » (19,1) Eusèbe nous apprend quant à lui, dans l’Histoire ecclésiastique, qu’Ammia, une des prophétesses montanistes était originaire de la ville (5,17,4). On comprend alors que les véritables fidèles de la cité doivent résister quotidiennement contre plusieurs mouvements qui vont à l’encontre du leur. Malgré cela, la communauté chrétienne de la cité apparaît comme un modèle à suivre.
b- Le bon comportement
En effet, l’Église de Philadelphie n’a pas à faire l’objet de reproche aux yeux du Christ puisqu’il ne mentionne aucune faute particulière. La communauté semble unie et solide face aux difficultés que nous venons de voir et ce dernier la couvre de compliments. Un point demeure en suspens : le Christ nous révèle que la communauté n’a que « peu de puissance » (3,8), sans laisser transparaître plus d’information. Fait-il allusion à une communauté peu nombreuse? ou bien à des fidèles d’origine modeste? Peu importe, malgré cela l’Église a su faire face et rester dans le droit chemin. Pour cela elle se voit accorder un soutien total de la part du Christ qui viendra bientôt la libérer de ses tourments et lui offrir la puissance et la force dont elle semble manquer et cela pour l’éternité.
- Laodicée : Une communauté riche, spirituellement pauvre
C’est Antiochus II le premier qui aurait fortifié la cité de Diospolis comme avant-poste de l’armée Séleucide entre 261 et 253 av. J.-C. et lui aurait donné le nom de sa femme ou de sa soeur, Laodice. D’abord appelé Laodicée sur Lykos, elle est rebaptisée Laodicée d’Asie afin d’être distinguée d’une dizaine d’autres cités homonymes. D’abord sous le contrôle du royaume de Pergame, elle passe sous l’emprise de l’Empire en 133 av J.-C. En 17 av J.-C. Laodicée est en partie endommagée et Tibère l’aide à se relever. Un second tremblement de terre la frappe en 60 ap. J.-C. Néron lui vient alors en aide, mais la cité est suffisamment riche pour refuser le soutien impérial et se serait redressée par ses propres moyens. Il est vrai que la ville est parfaitement située sur des routes commerciales entre Éphèse et les régions orientales. À proximité de Hierapolis dont la grande richesse se base sur l’industrie de la laine, elle est également proche de Colosse, autre cité commerciale importante. Sa richesse se basait surtout sur le commerce de la laine noire et toute l’industrie que ce commerce peut générer trouvait sa place dans la ville. Ainsi de nombreux foulons, teinturiers, tisserands et marchands de vêtements travaillaient à Laodicée. Galien parle également d’un remède pour les yeux qui aurait été inventé dans la cité.
Il semblerait qu’une communauté juive très importante siégeait à Laodicée puisque la taxe payée par les membres de la Diaspora juive à Jérusalem a été relevée en 62 av J.-C. mais nous n’en savons pas plus et le Christ ne semble pas leur prêter la moindre attention. Il en est de même pour les autres cultes païens et le culte impérial. Un temple provincial du culte à l’empereur a été construit vers 10 av J.-C., mais cela ne concerne en rien les problèmes que les fidèles peuvent rencontrer dans la cité, selon la lettre qui leur est adressée. Cette dernière est la plus dure de toute, puisqu’aucun compliment ne lui est fait. En fait cette lettre ressemble à une dernière chance accordée puisque rien ne semble aller dans l’Église et qu’elle est entièrement tournée vers le mauvais comportement des fidèles.
- La faute
Dans la lettre adressée à une communauté trouvée « tiède » (3,16) on retrouve en particulier trois éléments du contexte historique que l’auteur aurait repris. On retrouve ces trois éléments dans la même phrase : « c’est toi qui est {…} pauvre, aveugle et nue » (3,17). Pour la pauvreté, ce que nous fait comprendre l’auteur c’est que Pour ce qui est d’être aveugle, l’auteur peut ici faire référence à ce remède présumé contre la cécité, trouvé dans la cité et qui participe à sa renommée. Personne à part Dieu ne peut ouvrir les yeux à un homme sur sa vie et sur ce qui compte véritablement. Enfin la nudité fait probablement référence aux peaux de bêtes fabriquées et vendues à Laodicée et qui sont le fondement de sa richesse. Le Christ dénonce l’orgueil et estime que la communauté devrait avoir honte de son comportement, puisque la nudité est, depuis la Genèse, la marque par excellence de la honte. Le verset suivant explique parfaitement que l’or terrestre ne vaut rien et que les fidèles, au lieu de vivre ainsi devraient acheter auprès du Christ de quoi combler cette pauvreté spirituelle, de quoi guérir cette cécité et de quoi couvrir leur corps nu. Pour cela, peu importe l’or, la seule chose nécessaire est une foi qui n’est ni froide, ni tiède, mais chaude, une foi sans faille et sans détour et ce n’est pas le cas. Le Christ semble avoir bien conscience que la tâche ne va pas être simple puisqu’il émet l’hypothèse que son message ne soit pas entendu : « si quelqu’un entend ma voix » (3,20).
Il est maintenant indéniable que le contexte historique a nécessairement influencé l’auteur dans la rédaction de son texte. Ce dernier est un homme qui allie une parfaite connaissance du monde dans lequel il vit, des évènements marquants, des comportements et des difficultés qui font le contexte quotidien des communautés avec une sévérité et une intolérance à toute forme de foi extérieure et à tout point de vue divergent du sien. Les ennemis du Christ sont donc à la fois les païens et leurs cultes intolérables, aussi bien celui voué à leur panthéon qu’à la personne impériale, les juifs qui n’ont pas reconnu le Messie dans la personne de Jésus et qui participent régulièrement à la persécution des véritables fidèles, soit en étant violents soit en les dénonçant aux autorités, mais également tout autre courant qui se dit chrétien mais dont les fidèles ne sont pas assez stricts et s’accoutument trop régulièrement avec les « ennemis » cités à l’instant : Nicolaïtes ou les gnostiques, bien qu’ils soient, au moment de la rédaction de l’Apocalypse, considérés encore comme de « simples » groupes dissidents, et non pas encore comme hérétique puisque cette notion n’est pas encore nettement définie.
Chacune des Églises est dans une situation différente, mais elles ont en commun d’avoir le même but : retrouver ou maintenir leur foi et se tenir prêtes pour la fin du monde et la Parousie. Malgré ces mises en garde qui concernent à chaque fois une communauté, le salut sera individuel et le Christ ne cesse de le répéter précisant à chaque fois qu’il a conscience que certains fidèles trouvent individuellement la force de résister et que ceux-là seront sauvés.
Nous allons maintenant étudier les autres figures appartenant à l’armée de Dieu présentes dans le texte. Néanmoins la limite de l’influence des éléments historiques va très rapidement nous rattraper, puisque la plupart de ces figures prennent racines dans la tradition juive et chrétienne, mais très peu dans le contexte direct de l’auteur. En effet, leur description sont généralement assez courte et semblent tirer leur signification dans les textes vétérotestamentaires. Mais si l’influence historique des figures ne se retrouve pas dans leur forme (la description), elle se retrouve, par contre dans le fond (le rôle de chacune).
Je pense que le sujet est clos, mais voici un passage de mon mémoire de M2 que j'ai effectué sur le sujet. Peut-être certains y trouveront des réponses qui n'ont pas déjà été évoquées ici. Les références n'apparaissent pas et peuvent être données sur demande si vous le souhaitez.
Excusez mon style scolaire.
[b]- Le message de la figure du Christ aux sept Églises d’Asie Mineure (2,1 - 3,22)[/b]
La première question que l’on peut se poser est la suivante : pourquoi ces sept Églises en particulier? Si le chiffre sept ne pose pas de problème quant à son interprétation (il est le symbole de la globalité, en s’adressant à ces sept Églises, le « fils d’homme » s’adresse, en réalité à la totalité des chrétiens) il n’en est pas de même pour les localités choisies par l’auteur. D’autres Églises existaient dans la région comme Milet, Colosses, Hiérapolis… Il n’y a pas, dans l’historiographie actuelle, de réponse admise comme vérité. On remarque que c’est là encore un héritage de la tradition judéo-chrétienne puisqu’avant lui, Paul a écrit à sept églises, corpus qui forme les « Épîtres » de saint Paul. Encore, dans le livre prophétique vétérotestamentaire d’Ézechiel, il y a un passage qui est un « oracle contre les nations » qui sont au nombre de sept.
On ne peut alors que constater ce que ces sept communautés ont en commun et il s’agit ici de la présence d’hérétiques. Plusieurs historiens en ont conclu qu’il ne fallait pas nécessairement chercher plus loin pour comprendre le choix de l’auteur. Les autres communautés étaient-elles pour autant sauvegardées de la présence de courants hérétiques? Certainement pas, mais si l’auteur a choisi de s’adresser à celles-là, ce n’est pas anodin. Il pouvait, en effet, estimer que ces communautés étaient les plus touchées parmi toutes, ou à l’inverse qu’elles étaient les seules qui pouvaient encore se défaire de l’emprise des hérétiques. Mais c’est bien à ces sept-là que s’adresse la Révélation et elles sont l’une des clefs de la compréhension du texte. Comprendre leur situation au sein de cités, ce n’est certes pas comprendre la complète signification de chacun des symboles utilisé par l’auteur tout au long de la Révélation, mais cela sert à entrevoir la raison de la composition du texte. Il nous faut donc étudier ces Églises individuellement pour comprendre en quoi elles participent pleinement à la Révélation étant les destinataires annoncées de celle-ci.
Tout d’abord, le fait que l’auteur ai choisi sept Églises nous montre une indépendance d’organisation fondamentale par rapport aux 5 cités néocores d’Asie disposant d’un ou plusieurs temples du culte impérial provincial, qui vers 130 ap. J.-C. sont les suivantes : Pergame Smyrne, Éphèse Cyzique et Sardes. Le message adressé à chaque Église se compose presque toujours de la même manière. Les paroles rapportées du Christ nous font savoir qu’il est au courant des difficultés de chacune d’entre elles, puisqu’il dit « Je sais » ou « Je connais ». Pour autant ces difficultés ne peuvent pas être un prétexte pour accepter la présence d’hérétiques, ou justifier une perte de foi et c’est ce sur quoi va insister l’auteur. Il dit aussi être au courant du bon comportement de l’Église ou seulement d’une partie de ses membres, et au contraire de ses/leurs fautes.
Les sommations du Christ seront les dernières, puisqu’après il sera trop tard étant donné l’arrivée toute prochaine du combat eschatologique contre le Mal. Les promesses de paradis qui suivent ces avertissements sont la récompense en cas de repentir et de changement de comportement. Cependant certaines Églises ne suivent pas exactement ce modèle, puisque l’auteur ne mentionne pas à chaque fois de difficultés particulières (ce qui n’exclut pas pour autant leur présence), ou de bons ou mauvais comportements.
Ces passages sont, d’un point de vue historique, fondamentaux pour comprendre le contexte d’écriture de l’Apocalypse. Les éléments donnés par l’auteur nous montrent bien que le contexte sert à justifier l’écriture de sa Révélation et c’est ce que nous allons voir maintenant à travers l’étude de chacune des Églises, réalisée individuellement.
-[b] Éphèse : La métropole prospère et luxueuse [/b]
Les premières installations de la cité d’Éphèse dateraient de 1100 av. J.-C. Elle aurait été établie par des Grecs alors que des peuples indigènes y vivaient. En 555 av. J.-C. Crésus, roi de Lydie prend le contrôle la ville et la rend véritablement prospère. Il contribue à la construction du Temple d’Artémis et détruit la vieille ville. Suite à la Paix des Rois en 386 av. J.-C. signée entre le roi perse et le roi Sparte, la cité passe sous domination perse, jusqu’à ce qu’elle soit conquise par Alexandre en 334 av. J.-C. Elle passe ensuite sous le contrôle d’une succession de rois hellénistiques. Le temple qui avait été détruit par Érostrate en 356 av. J.-C., avec certainement comme seul objectif de devenir célèbre, est reconstruit grâce au financement de plusieurs cités voisines, et se base sur les mêmes plans que l’ancien. Pline l’Ancien nous décrit alors un bâtiment immense qui aurait comporté 127 colonnes et mesurerait 225 pieds de large sur 425 de long et 65 de haut. Le temple est également signalé dans les Actes des Apôtres (XIX, 23,40). En 47, Éphèse est victime d’un tremblement de terre.
Après la mort d’Alexandre, c’est Lysimaque qui en prend le pouvoir. Il construit et fortifie une nouvelle cité qu’il entoure d’un mur vers 287 av. J.-C. La cité passe successivement entre les mains de différents souverains jusqu’à ce qu’Attales III de Pergame meurt en 133 av. J.-C. et lègue tout son territoire à l’Empire romain. Elle est la ville la plus peuplée de la province mais n’est pas la capitale puisque le proconsul vit à Pergame. La cité compterait 40 000 mâles citoyens, soit environ entre 200 000 et 225 000 personnes si l’on rajoute les mineurs, les femmes et les esclaves. Les habitants de la ville éprouvent rapidement pour Rome et les citoyens romains, une grande haine et provoquent même un massacre de Romains en 88 av. J.-C. Ceux qui se réfugient dans le temple d’Artémis, qui est également un asile, sont également exécutés. Plus tard, sous la Pax Romana (entre 25 av. J.-C. et environ 180 ap.) la cité devient célèbre, prospère et extrêmement luxueuse, bien que l’évasement du port apparaisse comme une limite au futur de la cité et qui est responsable du déclin de celle-ci dans les années de l’Apocalypse. Pour autant dans la course aux titres qui oppose toutes les cités, elle obtient le titre de « première de la province », ce qui est un titre particulièrement honorifique.
Au niveau religieux, la cité est d’une grande importance puisqu’en 29 av. J.-C. Auguste autorise la ville à lui dédier un culte. Plus tard, sous Claude, elle devient néocore (voir chap 2 part 1) puis cumulera trois fois le titre de néocore ce qui nous montre la très grande importance du culte impérial et même encore plusieurs décennies après la composition de l’Apocalypse. On a, par exemple, retrouvé un temple en l’honneur d’Hadrien, probablement construit au début de son règne, une fontaine en l’honneur de Trajan et les traces d’un temple muni d’une terrasse pour Domitien, ce qui montre une grande ferveur pour ce dernier. Parallèlement, le culte d’Artemis connaît un festival annuel très important dans la cité, avec des jeux, des sacrifices etc. Tout cela a été rendu possible par la ferveur de longue date de la cité pour le culte impérial faisant d’elle un lieu parfait pour l’érection de ce temple et des différents cultes.
Depuis plusieurs siècles la présence des juifs y est attestée. Ces derniers, au temps des Séleucides auraient même obtenu le statut de citoyen, qui peut alors être accordé en tant que privilège par un monarque local. Mais on sait grâce à Luc, que les Éphésiens peuvent leur être hostile malgré leur statut et leurs privilèges. Parmi ces privilèges, les Juifs pouvaient parfois compter sur l’appui de certains empereurs comme nous le montre Flavius Josèphe, qui transmet des lettres adressées aux cités, et une notamment à Éphèse, qui sont des rappels à l’ordre quant à la conduite à tenir envers eux, puisqu’ils n’ont pas obligation de se mêler aux rites païens, malgré le fait qu’ils aimaient à se mélanger à la population et à vivre en communauté avec eux. On en connaît moins sur la présence des chrétiens à Éphèse, mais l’on sait que très tôt la cité a vu la naissance d’une communauté des disciples du Christ : elle est attestée à de nombreuses reprises dans le Nouveau Testament. Irénée explique que Paul, lors de son voyage dans la cité aurait trouvé une communauté chrétienne. C.J Hemer estime même que la cité serait devenue temporairement un point de rassemblement pour la communauté chrétienne orientale, après la destruction du Temple en 70. Cependant, la communauté d’Éphèse connaîtrait plusieurs courants qui auraient cohabité ensemble pendant plusieurs années : l’Église fondée par Paul, un mouvement qu’Irénée appelle une « École judéo-chrétienne », la secte hérétique des Nicolaïtes et un groupe de chrétiens mené par Jean de Patmos. On sait également que le nom de l’apôtre Jean lui est rattaché, puisqu’il aurait vécu là pendant longtemps. Il s’y serait selon Ignace d’Antioche, opposé à un hérétique gnosticisant appelé Cérinthe et on sait que l’Église d’Éphèse a été très tôt tenté par ce courant gnostique. Voyons maintenant ce que dit ce dernier.
[i]a- Les difficultés[/i]
La principale indication que nous livre l’auteur sur la situation des chrétiens dans la cité est la présence de « ceux qui usurpent le titre d’apôtres » (2,2). Pour ces faux apôtres, il peut s’agir des membres de certains des courants que nous venons d’évoquer. La Didachè peut également nous en apprendre plus en ce qui concerne ces usurpateurs. Dans ce texte anonyme qui daterait pour la partie la plus récente de la fin du Ier siècle, il est question à de nombreuses reprises d’apôtres et de prophètes. L’auteur de la troisième partie, dans laquelle il est question de ces derniers, met en garde le lecteur et explique comment discerner les vrais prophètes, les vrais apôtres des autres. Les principaux signes qu’il donne sont des éléments de conduite qu’adoptent ces derniers pour demander l’hospitalité. Nous ne savons pas véritablement quels sont les groupes visés, mais leur présence est attestée et chacun d’entre eux peut représenter aux yeux de l’auteur, une menace pour la communauté. Il est également possible que l’auteur ne cible pas qu’un seul de ces groupes, et que par ce nom d’usurpateur il désigne tous ceux qui représente un danger pour l’unité de l’Église, ainsi que pour son salut. Cependant, l’auteur, rapportant les paroles du Christ, écrit que la communauté éphesienne les a mis à l’épreuve et qu’elle les a « trouvé menteurs ». C’est à dire que Jean sait que l’Église a conscience de la présence de ces faux apôtres et qu’elle ne se laisse pas berner par le premier qui se présente en tant que tel, ce que nous confirme Ignace d’Antioche.
La seconde difficulté relevée est la souffrance subie par la communauté à cause du nom de Jésus. S’agit-il ici d’une persécution? Rien n’est moins sûr puisqu’aucune persécution impériale ni même locale, n’a été attestée à Éphèse, dans le Ier siècle. Peut être l’auteur a-t-il connaissance d’une animosité particulière de la part des citoyens païens et juifs de la communauté? Toujours est-il que cette souffrance, Jésus l’aurait annoncé puisqu’il l’avait prédit (Mt 10,22 ; Mc 13,13). Pour Prigent, cette souffrance serait plutôt la présence même de ces usurpateurs du titre d’apôtre. On retiendra donc que ce passage ne fait certainement pas référence à un évènement particulier, mais qu’en plus de reprendre un élément de la tradition chrétienne (la prédiction de Jésus à ce sujet), il s’agit ici d’un contexte général, propice à des souffrances quotidiennes. La perte de « l’amour d’antan » apparaît ici comme quelque chose de très grave aux yeux de l’auteur, puisque c’est la seule chose qu’il reproche aux Éphésiens. Comment expliquer cette expression? Il est très compliqué de définir véritablement ce qu’a voulu dire l’auteur, puisque nous n’avons pas d’exemple précis de comportement ou d’évènement qui relate de cette perte de foi. Peut-être a-t-il ressenti le fait que les hommes n’étaient plus prêts à donner leur vie à Dieu, à se consacrer entièrement à lui, alors que cet amour qui s’exprime à travers la figure christique est rappelé dès le début du texte (1,5).
[i]b- Le bon comportement[/i]
La présence des Nicolaïtes et leur rejet par les Éphésiens est, au même titre que le reste, connu de l’auteur. Qui sont-ils? Ils ne descendent pas d’un personnage biblique puisque ce nom n’apparaît pas dans les textes anciens. P.Prigent pense qu’ils sont des chrétiens qui, contrairement à ce que demandent les Évangiles, ne sont pas rigoureusement stricts vis à vis des règles religieuses. Ils seraient en effet plus ouverts à quelques aspects de la vie religieuse païenne, comme le culte à l’empereur, ou la consommation d’idolotythes ou encore la vie sexuelle par exemple. Ils auraient également utilisé la magie. Les Pères de l’Église identifiaient les Nicolaïtes comme étant des adeptes du diacre Nicolas, qui aurait eu recours à des pratiques sexuelles ouvertes, mettant sa femme en commun pour d’autres hommes. Les Actes suggèrent qu’il est natif d’Antioche, converti au judaïsme. Diacre il est alors choisi parmi les sept pour figurer au rang de prêtre du ministère sacré. Cependant, le fait qu’il soit cité le dernier de la liste des sept sous entend une position moindre par rapport aux autres. Néanmoins il semblerait que le nom soit en réalité plutôt symbolique, tiré du grec nikolaos, (‘celui qui vainc le peuple’). On peut également se demander s’ils n’étaient pas gnostiques, ces fidèles qui pensaient que la gnose (la connaissance) apportait à elle seule le salut divin, sans que la foi ou la pratique religieuse ne soit nécessaire. Leur nom pourrait également venir de la racine nkl qui signifie « tromper ». On ne peut guère plus s’appuyer sur la littérature chrétienne des siècles suivants qui, sous l’appellation de Nicolaïtes, regroupent plusieurs courants de pensée, dont un est une vieille secte hérétique qui participaient à des sacrifices et qui avaient recours à la magie. On leur reproche également leur participation aux cérémonies païennes publiques et privées. Notons qu’à la fin du Ier siècle on tend encore à établir une ligne de conduite, des normes d’intégration à la communauté chrétienne. Les Églises d’Asie, quant à elles, s’en prirent à tous ceux qui défendaient fermement l’abstinence et le célibat et selon M.F Baslez il est possible que ce soit dans ce contexte que furent stigmatisés les nicolaïtes d’Éphèse. En effet, le Christ ne fait pas que constater la présence de cette secte dans la communauté chrétienne d’Éphèse, il remarque également qu’il a connaissance du rejet des Nicolaïtes par cette dernière et il en est heureux, car lui-même les déteste (2,7). On comprend donc que les nicolaïtes avaient en quelque sorte une position d’outsiders à Éphèse et qu’ils ont tenté de se faire une place dans la communauté, tentative qui s’est soldée par un rejet sans concession de leur courant de pensée.
[b]- Smyrne : La trois fois néocore[/b]
Fondée au 3e millénaire, la ville a été envahie par le roi de Lydie aux alentours de 600 av. J.-C, puis par les Perses, en 546 av. J.-C, moment où elle a été ravagée. Reconstruite avec un luxe monumental après la conquête d’Alexandre, la cité connaît au Ier siècle un rayonnement important dans la province romaine d’Asie. Cette reconstruction amène Aelius Aristide à comparer Smyrne à un phoenix qui renaît de ses propres cendres. C’est peut être aussi pour cela que l’auteur de l’Apocalypse a décidé d’introduire le Christ comme celui « qui fut mort et qui a repris vie » et il est intéressant de noter que Clément de Rome compare la résurrection du Christ à celle d’un phoenix (1 Clem 25). Elle est la première cité d’Asie Mineure à ériger un temple l’honneur de la déesse Rome. Pendant la période impériale, la cité fait preuve, d’un très grand dévouement envers les Romains et « la cause romaine ». C’est d’ailleurs ce qui a poussé le Sénat à soutenir la candidature de la cité sous Tibère, au moment où celui-ci décide de choisir une cité pour construire un nouveau temple dédié à Auguste, Livie (sa mère) et au Sénat. Déjà, quelques temps auparavant, en 10 av. J.-C, un temple provincial du culte impérial y a été construit. Sa ferveur paraît tellement grande que la cité cumule trois titres de néocore des Augustes, ce qui en fait la plus titrée de la Province. Dans cette course aux titres qui est la cause d’une concurrence très vive entre les cités, et malgré un séisme en 47, Smyrne obtient un titre extrêmement honorifique, celui de « Première de la Province », mais uniquement en beauté, là où deux autres, Éphèse et Pergame sont toutes deux « premières de la province ». Ce qui fait que lorsqu’elle se présente aux autres cités, elle s’introduit de la sorte : « La première d’Asie en beauté et en taille, la Très Illustre, la Métropole, trois fois néocore des Augustes par décision du très sacré Sénat, l’ornement de l’Ionie, le cité des Smyrniens ». La cité est en effet extrêmement riche, puisque son port rayonne dans toute la région. Également reconnue pour son vin et ses beaux bâtiments, elle est un centre important de médecine et de science.
La présence des jeux accompagnant le culte impérial est très grande dans la cité, puisque les citoyens en sont apparemment friands. Sartre explique qu’à Smyrne « le peuple ne se lasse pas du spectacle, (des « massacres d’hommes »), et qui redemandent des combats de bêtes alors qu’il n’en est plus prévu ». Ces jeux rencontrent toujours une vive opposition chez les intellectuels, aussi bien païens que chrétiens.
[i]- Les difficultés[/i]
On sait qu’une importante communauté juive résidait à Smyrne. Ils s’étaient regroupés en association locale, comme il était coutume de le faire, appelée ethnos et ce sont certainement eux qui sont ciblés par l’appellation de « Synagogue de Satan » (2,9). Cette virulence verbale de la part de l’auteur s’explique certainement par une violence émanant des juifs envers les disciples du Christ, violence dont on a un aperçu dans le Martyre de Polycarpe. C.J Hemer, explique que très certainement à Smyrne, les Juifs sont rapidement devenus actifs dans la participation aux persécutions contre les chrétiens, en les dénonçant aux autorités, mais également en les excluant des quartiers dans lesquels ils vivaient, les exposant alors davantage aux yeux de la société païenne, puisqu’ils n’étaient alors plus protégés par la couverture juive. Plus encore, Justin de Rome nous apprend que les juifs rejettent les chrétiens en « maudissant dans {leurs} synagogues ceux qui croient au Christ », et également, malgré le fait qu’ils n’ont pas le pouvoir direct de les violenter physiquement, cela aussi ils l’ont fait « chaque fois {qu’ils l’ont} pu ». Malgré la datation assez tardive de ce texte, rédigé certainement autour de 165, on comprend davantage la situation des chrétiens dans les cités, et plus particulièrement à Smyrne, où ces derniers pouvaient alors être persécutés physiquement mais également être victimes de sentence d’anathème et de malédictions.
Les paroles du Christ rapportées par saint Jean nous apprennent également que la communauté chrétienne de Smyrne est pauvre. Cette pauvreté est une conséquence directe des persécutions puisque les chrétiens pouvaient régulièrement être victimes d’un dépouillement de leurs biens par la foule, aussi bien païenne que juive. D’autres éléments peuvent être à la source de cette pauvreté. Par exemple, on sait que les chrétiens convertissaient beaucoup dans les milieux les plus pauvres, ou bien encore ceux des plus dévoués qui se restreignent eux même à une pauvreté plus ou moins stricte.
Le Christ met ensuite en garde les membres de la communauté de Smyrne, puisqu’il les avertit que « le Diable va {les} jeter en prison » (2,10). Durant la période antique, la prison n’était pas une peine, comme c’est le cas aujourd’hui, mais était un lieu dans lequel on enfermait les gens pour au moins trois raisons distinctes : 1) Les magistrats y enfermaient les récalcitrants pour stopper les contestations. 2) C’était le lieu où étaient détenus les accusés pendant un procès. 3) On y attendait son exécution après avoir été condamné à mort. Il est donc probable que l’auteur fasse ici allusion à ces trois raisons et ne dénonce donc pas par cette formule, les persécutions générales, mais plutôt de mesures visant à condamner les chrétiens, parfois à la mort, ce que signifie la phrase suivante. L’allusion au Diable est quant à elle une manière de parler de l’empereur, puisque, plus tard dans la Révélation, le Diable apparaîtra sous la forme d’un dragon et il représentera l’empereur. Il ne faut pas comprendre que l’empereur a décrété spécialement contre les chrétiens de Smyrne, mais que les représentants de l’autorité romaine de la province, qui sont des agents de l’empereur, tendent, peut-être plus facilement que dans d’autres cités, à les persécuter. L’utilisation du nom Diable et donc cette allusion à la personne impériale permet en même temps à l’auteur de faire savoir à l’Église de Smyrne qu’il est conscient de la place centrale du culte impérial au sein de la cité.
Smyrne fait office d’exception puisqu’elle est la seule des Églises à laquelle il n’est rien reproché ni accordé. Le visionnaire de Patmos fait uniquement allusion à ces persécutions à venir et met en garde la communauté de leur apparition très prochaine. L’unique chose qu’il leur est demandée est de tenir leur foi jusqu’à la mort si nécessaire. Il n’y a pas d’exhortation particulière ni d’avertissement au même titre que les six autres Églises. Mais les éléments apportés par l’auteur suffisent pour que nous puissions comprendre, même près de deux milles ans plus tard, pourquoi Smyrne figure parmi les sept.
[b] - Pergame : capitale religieuse[/b]
Avant la période hellénistique Pergame apparaît comme une cité sans grande importance. Sous le contrôle de Lysimaque, elle devient indépendante lorsque celui-ci se fait assassiner par Seleucus en 281 av. J.-C. Sous la protection de la déesse Athéna Nicéphorus, elle devient la capitale du royaume Attalide, puis lorsqu’elle passe sous domination romaine maintient son statut de cité importante. Jusqu’au règne de Sylla, le gouverneur réside à Pergame, c’est seulement après que son lieu de résidence se déplacera à Éphèse. Elle est cependant de plus en plus concurrencée par Éphèse. La cité est immensément reconnue par sa bibliothèque qui rivalisait même avec celle d’Alexandrie, et par sa production d’ouvrages. Elle possédait également de nombreux gymnases (sept ou huit), lieux de réunion du peuple. La ville, qui accueille une grande école de sculpture est alors ornée de nombreux temples et autels, dont un monumental à Zeus Soter, un autre à Athéna, et un temple très important dédié à Asclépios, dieu de la guérison (C.J Hemer avance que cette école par le biais de ses constructions a contribué à l’émergence du culte aux souverains). La cité est en effet un grand lieu de cure thermale, muni de nombreux bains, de centres de soin et d’incubation et de plusieurs écoles de médecine. Ses richesses et son luxe sont reconnus à travers tout l’Empire et malgré une ruine passagère à cause de la concurrence avec Éphèse, elle obtient elle aussi le statut de « Première de la Province ». C’est au IIe siècle que la cité connaît son apogée : Un temple de Sarapis est construit sous Hadrien, le temple de Déméter est restauré, un amphithéâtre est aménagé, et l’Asklèpieion est grandement embelli. Même si ces informations sont postérieures à la rédaction de l’Apocalypse, elles montrent le rayonnement de la cité, ainsi que sa richesse et surtout son dévouement pour le culte païen.
[i]a- Les difficultés [/i]
L’expression du « trône de Satan » (2,13) est très révélatrice du statut de la cité. Pergame est la capitale religieuse de la province. Comme nous venons de le voir la ville est imprégnée du culte païen mais il faut surtout ne pas négliger l’importance du culte impérial. Rappelons que dès 29 av. J.-C. Auguste autorise à Pergame ainsi qu’à Nicomédie, la construction d’un temple qui lui est dédié ainsi qu’à la déesse Rome, faisant de la cité le centre le plus important du culte à l’empereur. Devant cet honneur, la cité maintient une ferveur importante à la personne impériale, encore pendant la période de rédaction de l’Apocalypse. Ainsi on retrouvera au IIe siècle un temple dédié à Trajan et un autre à Hadrien. L’expression du trône de Satan peut également avoir été choisi pour faire référence au siège du Proconsul présent dans la cité et l’on sait que les chrétiens présents dans les alentours de la cité, lorsqu’ils étaient dénoncés par d’autres citoyens étaient ramenés à Pergame pour être jugés. On retrouve une expression similaire dans un autre texte parfaitement contemporain à celui de la Révélation, Testament de Job, écrit à la toute fin du Ier siècle où il est question du « sanctuaire de Satan » (3,6)
Le martyre d’Antipas nous révèle la seconde difficulté à laquelle doit faire face la communauté chrétienne de Pergame, directement en lien avec la première, les persécutions. On sait, par le biais de l’auteur, que des persécutions ont donc lieu dans la cité. Certains auteurs pensent que le fait qu’Antipas seul soit désigné, montre le caractère très limité de cette persécution. On peut cependant remettre en question cette théorie car il peut être la plus connue des victimes parmi un groupe plus ou moins important de Chrétiens. Antipas était probablement sous Domitien évêque de Pergame. Il se serait fait condamner à mort après avoir refusé de renier le Christ devant le gouverneur. Il a en effet été dénoncé par des païens idolâtres qui auraient reçu une révélation de leurs dieux qui auraient manifesté leur refus de cohabiter avec Antipas.
Remarquons que l’auteur ne parle pas de la présence de Juifs. Ces derniers sont pourtant bien présents dans la cité, mais peut être en moins grand nombre que dans les Églises précédentes, puisque leur situation à Pergame n’a jamais été simple. En 62 av. J.-C. les juifs de la cité, qui ont durement souffert pendant la guerre contre Aristonicus (133 av J.-C. - 129 av. J.-C.), voient leur or confisqué par le gouverneur Flacus qui en avait besoin pour reconstruire la ville. Cet incident, assez révélateur de la position de la communauté juive au sein de la cité, en plus du fort développement du culte impérial dans la cité, limitant l’extension de leur propre culte, expliquent peut être pourquoi ils ne posent pas beaucoup de torts aux chrétiens et que l’auteur a décidé de ne pas s’arrêter sur leur présence.
[i]b- La faute[/i]
Contrairement à l’Église d’Éphèse, dont les Nicolaïtes sont rejetés systématiquement, il est ici reproché aux fidèles de Pergame de laisser vivre les disciples de Balaam parmi eux. Balaam est un personnage de l’Ancien Testament, qui apparaît dans les Nombres. C’est sous son influence que les femmes madianites ont poussé le peuple d’Israël à tromper Yahvé, en se livrant à la débauche avec les filles de Moab et en se laissant pousser à festoyer de la viande sacrificielle ainsi qu’à adorer leurs idoles. Il s’agit donc ici d’un courant hérétique qui accepte certainement de participer aux rites païens et qui accepte la consommation d’idolothytes. On peut imaginer qu’ils se réclament donc à l’extrême de la doctrine de Paul, qui n’avait pas une position aussi tranchée que l’auteur de l’Apocalypse sur la consommation de viandes sacrificielles. Le verset suivant peut nous laisser penser que ces disciples de Balaam sont en fait également des Nicolaïtes et que de les nommer ainsi permet à l’auteur de montrer que, au même titre que le Christ qui va puiser ses caractéristiques dans les textes anciens, le mal qui est en eux est ancré depuis fort longtemps.
[i]c- Le bon comportement[/i]
Malgré les persécutions violentes, voire mortelles, l’omniprésence des cultes païens et impériaux et la présence qui semble être importante des Nicolaïtes dans la cité, le Christ insiste sur le fait que l’Église « tiens ferme {son} nom et n’a pas renié {sa} foi ». Il ne faut pas minimiser cette remarque car elle est certainement la plus importante de toutes. La Révélation entière a pour but de maintenir la foi chez les fidèles dans ce contexte de la fin du Ier siècle qui leur est complètement hostile et seule la communauté de Pergame réussit a maintenir intacte sa foi. L’auteur semble en avoir pleinement conscience car littéralement le verset qui amorce l’énoncé de ce qu’il reproche à la communauté commence ainsi : « J’ai contre toi quelques petites choses », nuance que l’on ne retrouve pas dans les autres lettres. Pour autant l’exclusion d’un groupe d’hérétiques n’est certainement pas la tâche la plus simple pour une communauté qui arrive à survivre et à maintenir sa foi dans un milieu hostile, puisque cela risque de faire du remous et peut-être de mettre sur le devant de la scène, cette communauté qui ne peut pas se permettre de se retrouver sous les feux des projecteurs.
[b]- Thyatire : l’Église aux turbulences internes[/b]
La cité de Thyatire, située entre Pergame et Sardes, aurait été, selon la légende, construite pour servir de sanctuaire au dieu Soleil Tyrimnus. Plus probablement, elle a été fondée par les Séleucides et a servi de lieu de garnison pour des armées macédoniennes et a gardé pendant un temps son rôle de cité militaire. Lorsqu’au IIe av. J.-C. elle passe sous l’autorité romaine, elle connaît un développement continu et régulier au point d’être considérée comme la métropole de Lydie. Un tremblement de terre effroyable détruit la ville au début du règne de Tibère et celui-ci intervient financièrement pour aider à la reconstruction. Dans son Histoire Naturelle, Pline l’Ancien la classe parmi les cités qui ne brillent pas particulièrement. La ville est réputée pour ses nombreux corps d’artisanat comptant ainsi de nombreux boulangers, teinturiers, tailleurs, potiers, tisserands, cordonniers, fondeurs et autres artisans spécialisés. D’importantes mines de cuivre situées à mi-chemin entre Thyatire et Pergame font que la métallurgie représente la plus grosse part de l’industrie de la cité. Cela peut également s’expliquer par son rôle militaire passé. Il faut cela dit préciser la très importante relation qu’ont les corporations avec le culte païen, puisque leurs réunions se déroulaient presque de manière systématique autour de banquets à fort caractère religieux.
L’absence de la mention du culte impérial dans la lettre adressée à Thyatire n’est pas anodine. On sait qu’aucun temple impérial ne s’y trouvait. Nous savons juste que Livie possédait un domaine important dans la cité. Nous n’avons pas non plus de trace de persécutions, ni de la part des autorités ni de la part de la population.
Pour ce qui est de la présence des juifs, on sait qu’une communauté était présente grâce à la conversion de Lydie par Paul, qui était une marchande de pourpre et une prosélyte juive, au milieu du Ier siècle. Une fois encore l’auteur ne semble pas porter attention à cette communauté.
La situation ne semble pas aussi difficile et instable que dans les autres cités, pourtant les chrétiens doivent tout de même affronter des problèmes qui, nous le comprenons maintenant, se déroulent surtout en interne.
[i]a- Le bon comportement[/i]
La communauté de Thyatire apparaît comme l’une des plus dévouée au Christ. La situation assez souple dans laquelle elle vit le lui permet certainement. L’auteur évoque ainsi son « amour », sa « foi », son « dévouement », sa « constance » et ses « oeuvres se multipliant sans cesse » (2,19). Il n’est guère besoin de développer ici les compliments faits aux fidèles, ils sont intelligibles et ne nous cachent rien.
[i]b- La faute[/i]
Une nouvelle figure fait ici son apparition : Jézabel. C’est certainement au même titre que Balaam que le nom de Jézabel est utilisé par l’auteur. En effet si l’on regarde ce qui est reproché aux disciples de cette dernière, on retrouve une forte similitude avec ce que l’on a déjà vu à propos des Nicolaïtes : la consommation d’idolothytes et la prostitution. Mais qui est cette Jézabel ? Là encore, et ce malgré le langage allusif utilisé par l’auteur, elle semble être un personnage tiré de l’Ancien Testament et plus particulièrement du livre des Rois. Jézabel est alors reine et épouse d’Achab (roi d’Israël entre 874 et 853 av. J.-C.) et aurait poussé ce dernier à adorer Baal, accusée alors par Jéhu, de se prostituer. Vue par saint Jean comme une pseudo-prophétesse des Nicolaïtes, on comprend par l’utilisation de l’image de la prostitution et de la fornication qu’elle représente l’incarnation des dissensions présentes dans la communauté chrétienne de Thyatire. Parmi elle, l’une des plus importantes est l’hérésie montaniste qui se développe très largement dans la cité dans le courant du IIe siècle de notre ère. Même si ce courant est postérieur à notre texte, il est révélateur du fait que Thyatire était dans une situation favorable à ce genre de dissidence. La figure de Jézabel soulève une autre question : l’auteur a-t-il une autre personne en tête que la figure vétérotestamentaire? Plusieurs historiens se sont demandé si elle ne pouvait pas être Lydie, cette femme rattachée à Paul. Elle est donc une marchande (plus précisément une négociante) en tissus de pourpre, dont le nom désigne la région d’origine : la Lydie d’Asie Mineure. Elle est celle qui accueille Paul à Philippes, avec une hospitalité remarquable qui s’expliquerai par le fait que l’apôtre lui-même serait peut-être issus d’une famille de marchands. On sait que plusieurs femmes jouent un rôle important dans l’expansion du christianisme des deux premiers siècles de notre ère. Paul en reconnaît même certaines suffisamment inspirées pour qu’elles dirigent une prière. C’est certainement cela que l’auteur de l’Apocalypse ne peut tolérer, car même si elles occupent un place exceptionnelle tel que chefs d’entreprise et chefs de famille, cela ne justifie pas qu’elles soient inspirées et puissent transmettre la parole de Dieu. On sait que Lydie par exemple, réunissait chez elle le premier groupe chrétien de Philippes. Cette position envers les femmes divise déjà les communautés chrétiennes des premiers siècles et certaines communautés pauliniennes manifeste un féminisme exacerbé tout en se réclamant du patronage de Paul. Elles vont même jusqu’à mettre en circulation vers 180 les Actes de Paul ouvrage chrétien ou l’apôtre est doublé d’un « apôtre au féminin » : Thècle. La figure de Jézabel fait donc écho à Paul, puisque l’auteur lui reproche une intégration aux monde païen, par le biais de la consommation d’idolothytes, et l’exercice d’une autorité charismatique illégitime que ce dernier accordait à des femmes de pouvoir.
[i]c- Les difficultés[/i]
Ainsi c’est par une allocution très courte que le Christ fait allusion aux difficultés que nous venons d’indiquer : « Je vous déclare que vous n’aurez pas d’autres fardeau, du moins, ce que vous avez, tenez le ferme jusqu’à la fin » (2,24-25). On comprend que ce fardeau est la foi envers le Fils d’homme, et qu’ils ne doivent pas se laisser tenter par les différents courants qui émergent au sein de l’Église de la cité.
[b]- Sardes : la communauté « morte [/b]»
Sardes est l’une des cités les plus importantes de l’Anatolie ancienne et grande concurrente de cités puissantes comme Smyrne et Éphèse. Capitale du royaume de Lydie, elle est également la cité où siège le très riche roi Crésus. La richesse de la cité vient de sa position géographique stratégique, terminus de nombreuses routes commerciales. En 547 av. J.-C. Sardes passe sous domination perse. Cette période marque le début de son déclin puisqu’elle se retrouve à plusieurs reprises au milieu de guerres et de conquêtes. Puis Alexandre en fait la conquête et décide de construire un autel dédié à Zeus et de rebâtir le temple à Cybele. C’est entre 281 av. J.-C. et 190 av. J.-C. elle devient capitale du royaume seleucide. Elle est reconstruite en 213 av. J.-C. par Antiochus III, qui érige un temple à Artemis qui se trouve être le quatrième plus grand temple d’Ionie de toute la période antique. Il y avait alors de très nombreux temples à Sardes ainsi que des bas-reliefs représentants des rites païens (l’un d’entre eux montre par exemple une scène de taurobole), le culte païen y étant extrêmement développé, mais l’archéologie ne nous a permis de n’en retrouver que deux, celui d’Artemis, et un plus ancien, certainement dédié à Vespasien. Entre 190 et 133 av. J.-C. la ville était sous la domination des rois de Pergame, puis devient propriété romaine, au même titre que les autres Églises de l’Apocalypse. En 10 av. J.-C. un temple provincial du culte impérial est établi dans la cité En 17 ap. J.-C. un terrible tremblement de terre ravage la cité en plus d’une douzaine de cités alentours. Tibère lui promet alors 10 millions de sesterces et l’exempte les cinq années suivantes d’impôts et de taxes pour l’aider dans la reconstruction. Cette aide semble avoir été bénéfique puisque seulement 6 ans plus tard elle postule pour devenir métropole du culte impérial, mais c’est finalement Smyrne qui l’emporte. Dans cette lettre l’auteur ne mentionne pas ouvertement de difficulté inhérente à la communauté chrétienne, puisqu’il l’avertit directement.
[i]a- La faute[/i]
C’est une communauté « endormie », « défaillante » et même « morte » (3,1-2) que le Christ trouve à Sardes. Que faut-il comprendre par-là? Malgré le fait que l’auteur ne la mentionne pas, on sait qu’une communauté juive très importante est présente car, au IIIe siècle ap. J.-C., elle se trouve suffisamment puissante pour y construire une seconde synagogue, l’une des plus grandes de la province (appelée Beth Alpha et construite en plusieurs étapes), capable au VIIe siècle d’accueillir jusqu’à mille fidèles. Lors de sa découverte grâce à l’archéologie qui a eu lieu entre 1958 et 1970, on retrouve environs 80 inscriptions dont la plupart ont été faites en l’honneur de généreux donateurs. Ces inscriptions nous dévoilent donc la présence de nombreux juifs très riches et puissants dans la cité, puisque certains d’entre eux travaillent pour l’administration. On estime que la première communauté juive serait arrivée à Sardes aux alentours du début VIe av. J.-C. à la suite de la chute de Jérusalem en 587 puisqu’une inscription bilingue a été retrouvée et atteste ce fait. C’est grâce à Flavius Josèphe que l’on en sait plus sur la période qui nous concerne, puisqu’il nous apprend qu’un important groupe de juifs en provenance de Mésopotamie s’installe à Sardes grâce à Antiochus III à la fin du 3e siècle av. J.-C., mais également qu’au Ier av. J.-C. ils possèdent une place de culte et ont l’autorisation d’envoyer de l’or à Jérusalem. Finalement c’est Jules César qui, a travers le proconsul d’Asie demande aux magistrats de la cité de ne pas intervenir dans les pratiques juives ni dans l’envoi de l’or à Jérusalem. Sartre nous apprend également que les juifs de la cité se sont fortement accoutumés aux traditions locales puisque la plupart d’entre eux portent des noms grecs et latins. De plus ils possédaient leur propre gymnase, fait rare, et celui-ci était très certainement ouvert à tous et ne leur était pas juste réservé. Hemer pense que les chrétiens, au même titre que les juifs, ont vécu modus vivendi c’est à dire en accommodation avec l’environnement païen dans lequel ils évoluaient. On comprend alors mieux les critiques adressées par le Christ à travers Jean qui, on le comprend déjà, a une vision extrêmement stricte quant aux barrières à fixer entre les Chrétiens et le reste du monde.
[i]b- Le bon comportement[/i]
Malgré cette accommodation, quelques-uns d’entre eux tiennent encore leur foi et semblent ne pas souhaiter cette vie en communauté avec les païens et les juifs. Si de plus amples explications ne sont pas ici nécessaires et sachant cela, on peut quand même remarquer que cette lettre nous donne à voir un aperçu de ce que sera la suite du texte : toute accommodation avec les communautés étrangères au Christ ou plutôt étrangères à l’idée très fermée qu’a l’auteur de la relation que les chrétiens doivent avoir avec le fils d’homme, est inacceptable et, pis encore, ne permettra pas à ceux qui, alors, se croient fidèles d’obtenir leur salut. La résistance pacifique ne sera alors pas passive, mais consistera à rejeter de manière systématique les païens et les juifs, que ce soient leurs rituels, leurs lieux de réunion ou leur mode de vie en général et cela, jusqu’au martyre s’il le faut, puisque la vie après la mort a bien plus de valeur que la vie sur terre.
[b]- Philadelphie : Une Église soudée [/b]
La cité est relativement jeune puisqu’elle aurait été fondée entre 189 av. J.-C., au moment de l’annexion de la région par la dynastie attalide et 138 av. J.-C, certainement par Attale II Philadelphie de Pergame, qui lui aurait donné son nom selon Étienne de Byzance, un géographe du VIe. Cette version est rapidement mise en doute par Jean le Lydien, un écrivain du VIe qui avance que la cité aurait été crée par les Égyptiens. Son fondateur serait Ptolémée Philadelphus (308-246 av. J.-C.) qui aurait conquis une grande partie de l’Asie Mineure. Toujours est-il que Philadelphie est située dans une zone volcanique et connaît régulièrement de violents tremblements de terre, dont le plus dur est celui de 17 ap J.-C. qui touche également Sardes. Tibère, moins généreux que pour cette dernière, exempte cependant la cité d’impôts pendant cinq ans également et envoie une commission sénatoriale pour constater les dégâts et fixer le montant de l’aide. Pour remercier l’empereur la ville ajoute la mention « Neocaesareia » à son nom. Sous Vespasien, elle décide de supprimer cette mention pour rendre hommage au nouvel empereur, s’appelant alors « Philadelphia Flavia ». Pourtant la cité n’obtient le titre de néocore qu’en 214 sous Caracalla. La situation géographique de la cité (dans une région volcanique) lui offre une campagne fertile ce qui assure sa richesse. De plus, si le tremblement de terre a causé des dégâts matériels, il a également marqué les esprits puisque Strabon, un célèbre historien/géographe et philosophe nous apprend qu’une partie de la population se réfugie à l’extérieur de la ville afin d’être en sécurité. La crainte d’un nouveau drame est omniprésente et certainement renforcée par le tremblement de terre qui frappe Laodicée en 60. L’auteur de l’Apocalypse, certainement très au fait de la situation, écrit dans sa lettre à propos du fidèle accueilli dans le temple de Dieu : καὶ ἔξω οὐ μὴ ἐξέλθῃ, « il n’aura plus jamais à en sortir », en référence au danger qui règne au sein de la cité.
[i]a- Les difficultés[/i]
Le Christ, à travers Jean, nous apprend la présence d’une communauté juive importante qu’il nomme une fois encore « Synagogue de Satan », ces « menteurs », « ceux qui usurpent le titre de Juif » (3,9) Nous n’avons pas de traces plus anciennes que le texte de l’Apocalypse faisant référence à cette communauté. On pourrait imaginer les expressions utilisées renvoient à une communauté similaire à celle de Smyrne, pourtant si l’on regarde attentivement l’unique autre auteur contemporain qui parle de ceux que Jean appelle « menteurs », qui se trouve être Ignace dans sa lettre aux Philadelphiens, on comprend que la situation est plus complexe que ça, puisque ce dernier, au contraire, énonce qu’il « vaut mieux écouter la christianisme de la part d’un homme circoncis, que le judaïsme de la part d’un incirconcis » (Philadelphiens 6,1). Il s’agit donc ici certainement d’un courant gnostique qui intègre dans sa foi de nombreux éléments empruntés au Judaïsme. Cependant la présence d’une communauté juive n’est pas exclue pour autant.
Le texte du martyre de Polycarpe nous apprend la présence de onze chrétiens de Philadelphie qui subirent le martyre en même temps que le saint éponyme. Ils étaient certainement moins influents que Polycarpe puisque l’auteur nous dit que « c’est de lui seul que tous gardent surtout le souvenir » (19,1) Eusèbe nous apprend quant à lui, dans l’Histoire ecclésiastique, qu’Ammia, une des prophétesses montanistes était originaire de la ville (5,17,4). On comprend alors que les véritables fidèles de la cité doivent résister quotidiennement contre plusieurs mouvements qui vont à l’encontre du leur. Malgré cela, la communauté chrétienne de la cité apparaît comme un modèle à suivre.
[i]b- Le bon comportement[/i]
En effet, l’Église de Philadelphie n’a pas à faire l’objet de reproche aux yeux du Christ puisqu’il ne mentionne aucune faute particulière. La communauté semble unie et solide face aux difficultés que nous venons de voir et ce dernier la couvre de compliments. Un point demeure en suspens : le Christ nous révèle que la communauté n’a que « peu de puissance » (3,8), sans laisser transparaître plus d’information. Fait-il allusion à une communauté peu nombreuse? ou bien à des fidèles d’origine modeste? Peu importe, malgré cela l’Église a su faire face et rester dans le droit chemin. Pour cela elle se voit accorder un soutien total de la part du Christ qui viendra bientôt la libérer de ses tourments et lui offrir la puissance et la force dont elle semble manquer et cela pour l’éternité.
[b]- Laodicée : Une communauté riche, spirituellement pauvre[/b]
C’est Antiochus II le premier qui aurait fortifié la cité de Diospolis comme avant-poste de l’armée Séleucide entre 261 et 253 av. J.-C. et lui aurait donné le nom de sa femme ou de sa soeur, Laodice. D’abord appelé Laodicée sur Lykos, elle est rebaptisée Laodicée d’Asie afin d’être distinguée d’une dizaine d’autres cités homonymes. D’abord sous le contrôle du royaume de Pergame, elle passe sous l’emprise de l’Empire en 133 av J.-C. En 17 av J.-C. Laodicée est en partie endommagée et Tibère l’aide à se relever. Un second tremblement de terre la frappe en 60 ap. J.-C. Néron lui vient alors en aide, mais la cité est suffisamment riche pour refuser le soutien impérial et se serait redressée par ses propres moyens. Il est vrai que la ville est parfaitement située sur des routes commerciales entre Éphèse et les régions orientales. À proximité de Hierapolis dont la grande richesse se base sur l’industrie de la laine, elle est également proche de Colosse, autre cité commerciale importante. Sa richesse se basait surtout sur le commerce de la laine noire et toute l’industrie que ce commerce peut générer trouvait sa place dans la ville. Ainsi de nombreux foulons, teinturiers, tisserands et marchands de vêtements travaillaient à Laodicée. Galien parle également d’un remède pour les yeux qui aurait été inventé dans la cité.
Il semblerait qu’une communauté juive très importante siégeait à Laodicée puisque la taxe payée par les membres de la Diaspora juive à Jérusalem a été relevée en 62 av J.-C. mais nous n’en savons pas plus et le Christ ne semble pas leur prêter la moindre attention. Il en est de même pour les autres cultes païens et le culte impérial. Un temple provincial du culte à l’empereur a été construit vers 10 av J.-C., mais cela ne concerne en rien les problèmes que les fidèles peuvent rencontrer dans la cité, selon la lettre qui leur est adressée. Cette dernière est la plus dure de toute, puisqu’aucun compliment ne lui est fait. En fait cette lettre ressemble à une dernière chance accordée puisque rien ne semble aller dans l’Église et qu’elle est entièrement tournée vers le mauvais comportement des fidèles.
[i]- La faute[/i]
Dans la lettre adressée à une communauté trouvée « tiède » (3,16) on retrouve en particulier trois éléments du contexte historique que l’auteur aurait repris. On retrouve ces trois éléments dans la même phrase : « c’est toi qui est {…} pauvre, aveugle et nue » (3,17). Pour la pauvreté, ce que nous fait comprendre l’auteur c’est que Pour ce qui est d’être aveugle, l’auteur peut ici faire référence à ce remède présumé contre la cécité, trouvé dans la cité et qui participe à sa renommée. Personne à part Dieu ne peut ouvrir les yeux à un homme sur sa vie et sur ce qui compte véritablement. Enfin la nudité fait probablement référence aux peaux de bêtes fabriquées et vendues à Laodicée et qui sont le fondement de sa richesse. Le Christ dénonce l’orgueil et estime que la communauté devrait avoir honte de son comportement, puisque la nudité est, depuis la Genèse, la marque par excellence de la honte. Le verset suivant explique parfaitement que l’or terrestre ne vaut rien et que les fidèles, au lieu de vivre ainsi devraient acheter auprès du Christ de quoi combler cette pauvreté spirituelle, de quoi guérir cette cécité et de quoi couvrir leur corps nu. Pour cela, peu importe l’or, la seule chose nécessaire est une foi qui n’est ni froide, ni tiède, mais chaude, une foi sans faille et sans détour et ce n’est pas le cas. Le Christ semble avoir bien conscience que la tâche ne va pas être simple puisqu’il émet l’hypothèse que son message ne soit pas entendu : « si quelqu’un entend ma voix » (3,20).
Il est maintenant indéniable que le contexte historique a nécessairement influencé l’auteur dans la rédaction de son texte. Ce dernier est un homme qui allie une parfaite connaissance du monde dans lequel il vit, des évènements marquants, des comportements et des difficultés qui font le contexte quotidien des communautés avec une sévérité et une intolérance à toute forme de foi extérieure et à tout point de vue divergent du sien. Les ennemis du Christ sont donc à la fois les païens et leurs cultes intolérables, aussi bien celui voué à leur panthéon qu’à la personne impériale, les juifs qui n’ont pas reconnu le Messie dans la personne de Jésus et qui participent régulièrement à la persécution des véritables fidèles, soit en étant violents soit en les dénonçant aux autorités, mais également tout autre courant qui se dit chrétien mais dont les fidèles ne sont pas assez stricts et s’accoutument trop régulièrement avec les « ennemis » cités à l’instant : Nicolaïtes ou les gnostiques, bien qu’ils soient, au moment de la rédaction de l’Apocalypse, considérés encore comme de « simples » groupes dissidents, et non pas encore comme hérétique puisque cette notion n’est pas encore nettement définie.
Chacune des Églises est dans une situation différente, mais elles ont en commun d’avoir le même but : retrouver ou maintenir leur foi et se tenir prêtes pour la fin du monde et la Parousie. Malgré ces mises en garde qui concernent à chaque fois une communauté, le salut sera individuel et le Christ ne cesse de le répéter précisant à chaque fois qu’il a conscience que certains fidèles trouvent individuellement la force de résister et que ceux-là seront sauvés.
Nous allons maintenant étudier les autres figures appartenant à l’armée de Dieu présentes dans le texte. Néanmoins la limite de l’influence des éléments historiques va très rapidement nous rattraper, puisque la plupart de ces figures prennent racines dans la tradition juive et chrétienne, mais très peu dans le contexte direct de l’auteur. En effet, leur description sont généralement assez courte et semblent tirer leur signification dans les textes vétérotestamentaires. Mais si l’influence historique des figures ne se retrouve pas dans leur forme (la description), elle se retrouve, par contre dans le fond (le rôle de chacune).