par Trinité » sam. 16 mars 2019, 22:10
Excellent article dans "Sciences et Foi" de Peter Enns théologien évangélique à ce sujet! En effet, Il parle de concepts identiques et pas de copié/collé comme je le disais.
Genèse 1 et un récit babylonien de création
L’original de cet article paru sur le site de la fondation Biologos est consultable ici
Au milieu du dix-neuvième siècle, des archéologues creusaient dans la bibliothèque du Roi Assourbanipal (668-627 av. JC) dans la ville antique de Ninive. Ils découvrirent des milliers de tablettes d’argile écrites dans une langue désormais appelée l’Akkadien (un cousin éloigné et bien plus ancien que l’Hébreu).
Ces tablettes contenaient notamment des lois, des questions administratives et des récits littéraires. C’était comme si on avait déterré une capsule de temps qui permettait de voir à quoi ressemblait la vie dans le Proche-Orient antique il y a 3000 à 4000 ans.
Mais ce furent les textes religieux qui y furent découverts qui retinrent le plus l’attention. L’un des textes comportait des similitudes frappantes avec Genèse 1.
La manière de regarder la Genèse ne serait jamais plus la même.
C’est au milieu des ruines que fut découvert un récit Babylonien sur la création, aujourd’hui nommé Enuma Elish. Il s’agit de l’histoire d’une famille divine très perturbée engagée dans une lutte majeure pour le pouvoir à l’aube des temps. Le cœur de l’histoire est le point où le Dieu Mardouk tue sa Némésis Tiamat puis fend son corps en deux, créant le ciel d’une moitié et la terre de l’autre. Mardouk revendique donc le trône du Dieu le plus grand dans le panthéon.
Les spécialistes ont nommé Enuma Elish la « Genèse Babylonienne ». La raison en est que les deux récits ont en commun certains concepts qui furent immédiatement apparents.
Dans les deux récits, la matière existe quand la création commence. Comme Enuma Elish, Genèse 1 décrit Dieu mettant en ordre le chaos, et non créant à partir de rien.
Les ténèbres précèdent les actes de création.
Dans Enuma Elish, le symbole du chaos est la déesse Tiamat qui personnifie la mer. La Genèse fait référence à l’abîme. Le mot Hébreu est tehom, qui est apparenté linguistiquement à Tiamat.
Dans les deux récits, la lumière existe avant la création du soleil, de la lune et des étoiles.
Dans les deux récits, il y a séparation entre les eaux d’en haut et les eaux d’en bas, avec une barrière qui retient les eaux d’en haut.
La séquence de la création est similaire, avec la séparation des eaux, la terre sèche, les luminaires, et l’humanité, tous suivi de repos.
Les spécialistes surent qu’ils étaient sur une piste, et cela conduisit à des questions prévisibles, à la fois dans les cercles académiques et populaires. Peut-être la Genèse n’est-elle pas du tout de l’Histoire, pensèrent-ils, mais juste un autre récit comme Enuma Elish. En fait, peut-être la Genèse est-elle juste une version Hébreu plus récente de ce récit Babylonien plus ancien.
On ne peut pas vraiment blâmer les gens qui posent ces questions, si on considère le choc qu’ils viennent de subir. Jusqu’alors, Genèse 1 était unique. A présent, nous avons un mythe Babylonien précédemment inconnu qui est similaire à l’Ecriture de manière frappante.
A l’époque, de nombreux spécialistes pensèrent que l’auteur de Genèse 1 avait emprunté des éléments à Enuma Elish. Cela conduisit à la controverse « Bible et Babel » (« Babel » est le mot Hébreu pour Babylone). En fait, les spécialistes pensaient communément que la culture Babylonienne était la source de toutes les religions anciennes, y compris du Christianisme (c’est-à-dire le « Pan-Babylonisme »).
Mais avec les découvertes ultérieures faites dans d’autres cultures (Sumériennes, Egyptiennes, Cananéennes) et à d’autres périodes, les spécialistes arrivèrent à une conclusion plus modérée, à savoir que la culture Babylonienne n’avait pas une influence si importante et que Genèse 1 ne dépendait pas directement d’Enuma Elish.
Au contraire, ces textes sont deux exemples des genres de thèmes théologiques qui imprégnèrent de nombreuses cultures à travers les siècles. Les récits ne sont pas directement liés, mais ils reflètent des manières communes de penser sur le commencement. Ils « ont la même odeur ».
Les spécialistes en vinrent aussi à évaluer les différences entre Genèse 1 et Enuma Elish. Une différence essentielle est que le Dieu d’Israël crée lui seul, sans mélodrame divin ou sans une longue intrigue. Le Dieu d’Israël oeuvre seul et dans l’espace de seulement 31 versets (et non en 900 lignes comme dans Enuma Elish). Genèse 1 n’est pas juste une version légèrement retouchée de récits de création plus anciens. C’est une oeuvre unique de théologie israélite.
Mais cela ne signifie pas que les similitudes puissent être minimisées. Certains spécialistes sont allés à l’autre extrême en disant qu’il n’y avait pas de valeur réelle à comparer Genèse 1 et Enuma Elish.
Seulement un très petit nombre de spécialistes pense ainsi, toutefois. Il est bien clair que ces récits ont une même façon – antique – de parler du commencement du cosmos. Ils participent à un « monde conceptuel » similaire où des barrières solides tiennent les eaux séparées, une matière chaotique préexiste à la matière ordonnée, et la lumière préexiste au soleil, à la lune et aux étoiles.
On ne devrait ni exagérer ni minimiser ces similitudes. Mais elles nous parlent : bien que la Genèse soit unique, et bien que la Genèse fasse partie de l’Ecriture, il s’agit d’un texte antique qui reflète des façons de penser antiques.
Genèse 1 demande à être comprise dans son contexte antique, et pas en dehors. Des récits tels qu’Enuma Elish nous donnent un aperçu bref mais important sur la manière dont les peuples du Proche-Orient antique voyaient le commencement de toutes choses. Comme je l’ai évoqué dans une parution précédente, les textes antiques comme Enuma Elish nous aident à calibrer le genre [littéraire] de la Genèse. C’est de cette façon que nous pouvons apprendre à poser les questions que l’auteur de Genèse 1 voulait traiter, plutôt que d’imposer nos propres questions.
Une des questions principales posées par les Israélites était quel rang occupait leur Dieu parmi les douzaines de dieux du monde antique – à savoir, qu’est ce qui le rendait plus digne de dévotion que les dieux des superpuissances comme Babylone et l’Egypte. Lire la Genèse comme de la littérature antique met en valeur cette dimension polémique.
Genèse 1 est une déclaration audacieuse selon laquelle c’est le Dieu d’une nation minuscule avec un passé trouble qui est à l’origine de tout ce qu’on voit. Ce ne sont pas les dieux des superpuissances, c’est Yahvé. Dans le monde antique, ce sont là des mots agressifs.
Genèse 1 n’est certainement pas seulement une version Hébreu d’Enuma Elish. Mais nous ne pouvons pas pleinement apprécier la théologie distincte de Genèse 1 sans voir d’abord qu’elle a des points communs avec Enuma Elish et d’autres récits antiques.
Comprendre les liens entre Genèse 1 et les autres textes antiques tels Enuma Elish nous rappelle que nous causons un préjudice à Genèse 1 quand on la considère seulement avec un oeil moderne.
Excellent article dans "Sciences et Foi" de Peter Enns théologien évangélique à ce sujet! En effet, Il parle de concepts identiques et pas de copié/collé comme je le disais.
Genèse 1 et un récit babylonien de création
L’original de cet article paru sur le site de la fondation Biologos est consultable ici
Au milieu du dix-neuvième siècle, des archéologues creusaient dans la bibliothèque du Roi Assourbanipal (668-627 av. JC) dans la ville antique de Ninive. Ils découvrirent des milliers de tablettes d’argile écrites dans une langue désormais appelée l’Akkadien (un cousin éloigné et bien plus ancien que l’Hébreu).
Ces tablettes contenaient notamment des lois, des questions administratives et des récits littéraires. C’était comme si on avait déterré une capsule de temps qui permettait de voir à quoi ressemblait la vie dans le Proche-Orient antique il y a 3000 à 4000 ans.
Mais ce furent les textes religieux qui y furent découverts qui retinrent le plus l’attention. L’un des textes comportait des similitudes frappantes avec Genèse 1.
La manière de regarder la Genèse ne serait jamais plus la même.
C’est au milieu des ruines que fut découvert un récit Babylonien sur la création, aujourd’hui nommé Enuma Elish. Il s’agit de l’histoire d’une famille divine très perturbée engagée dans une lutte majeure pour le pouvoir à l’aube des temps. Le cœur de l’histoire est le point où le Dieu Mardouk tue sa Némésis Tiamat puis fend son corps en deux, créant le ciel d’une moitié et la terre de l’autre. Mardouk revendique donc le trône du Dieu le plus grand dans le panthéon.
Les spécialistes ont nommé Enuma Elish la « Genèse Babylonienne ». La raison en est que les deux récits ont en commun certains concepts qui furent immédiatement apparents.
Dans les deux récits, la matière existe quand la création commence. Comme Enuma Elish, Genèse 1 décrit Dieu mettant en ordre le chaos, et non créant à partir de rien.
Les ténèbres précèdent les actes de création.
Dans Enuma Elish, le symbole du chaos est la déesse Tiamat qui personnifie la mer. La Genèse fait référence à l’abîme. Le mot Hébreu est tehom, qui est apparenté linguistiquement à Tiamat.
Dans les deux récits, la lumière existe avant la création du soleil, de la lune et des étoiles.
Dans les deux récits, il y a séparation entre les eaux d’en haut et les eaux d’en bas, avec une barrière qui retient les eaux d’en haut.
La séquence de la création est similaire, avec la séparation des eaux, la terre sèche, les luminaires, et l’humanité, tous suivi de repos.
Les spécialistes surent qu’ils étaient sur une piste, et cela conduisit à des questions prévisibles, à la fois dans les cercles académiques et populaires. Peut-être la Genèse n’est-elle pas du tout de l’Histoire, pensèrent-ils, mais juste un autre récit comme Enuma Elish. En fait, peut-être la Genèse est-elle juste une version Hébreu plus récente de ce récit Babylonien plus ancien.
On ne peut pas vraiment blâmer les gens qui posent ces questions, si on considère le choc qu’ils viennent de subir. Jusqu’alors, Genèse 1 était unique. A présent, nous avons un mythe Babylonien précédemment inconnu qui est similaire à l’Ecriture de manière frappante.
A l’époque, de nombreux spécialistes pensèrent que l’auteur de Genèse 1 avait emprunté des éléments à Enuma Elish. Cela conduisit à la controverse « Bible et Babel » (« Babel » est le mot Hébreu pour Babylone). En fait, les spécialistes pensaient communément que la culture Babylonienne était la source de toutes les religions anciennes, y compris du Christianisme (c’est-à-dire le « Pan-Babylonisme »).
Mais avec les découvertes ultérieures faites dans d’autres cultures (Sumériennes, Egyptiennes, Cananéennes) et à d’autres périodes, les spécialistes arrivèrent à une conclusion plus modérée, à savoir que la culture Babylonienne n’avait pas une influence si importante et que Genèse 1 ne dépendait pas directement d’Enuma Elish.
[b]Au contraire, ces textes sont deux exemples des genres de thèmes théologiques qui imprégnèrent de nombreuses cultures à travers les siècles. Les récits ne sont pas directement liés, mais ils reflètent des manières communes de penser sur le commencement. Ils « ont la même odeur ».[/b]
Les spécialistes en vinrent aussi à évaluer les différences entre Genèse 1 et Enuma Elish. Une différence essentielle est que le Dieu d’Israël crée lui seul, sans mélodrame divin ou sans une longue intrigue. Le Dieu d’Israël oeuvre seul et dans l’espace de seulement 31 versets (et non en 900 lignes comme dans Enuma Elish). Genèse 1 n’est pas juste une version légèrement retouchée de récits de création plus anciens. C’est une oeuvre unique de théologie israélite.
[b]Mais cela ne signifie pas que les similitudes puissent être minimisées[/b]. Certains spécialistes sont allés à l’autre extrême en disant qu’il n’y avait pas de valeur réelle à comparer Genèse 1 et Enuma Elish.
Seulement un très petit nombre de spécialistes pense ainsi, toutefois. Il est bien clair que ces récits ont une même façon – antique – de parler du commencement du cosmos. Ils participent à un « monde conceptuel » similaire où des barrières solides tiennent les eaux séparées, une matière chaotique préexiste à la matière ordonnée, et la lumière préexiste au soleil, à la lune et aux étoiles.
On ne devrait ni exagérer ni minimiser ces similitudes. Mais elles nous parlent : bien que la Genèse soit unique, et bien que la Genèse fasse partie de l’Ecriture, il s’agit d’un texte antique qui reflète des façons de penser antiques.
Genèse 1 demande à être comprise dans son contexte antique, et pas en dehors. Des récits tels qu’Enuma Elish nous donnent un aperçu bref mais important sur la manière dont les peuples du Proche-Orient antique voyaient le commencement de toutes choses. Comme je l’ai évoqué dans une parution précédente, les textes antiques comme Enuma Elish nous aident à calibrer le genre [littéraire] de la Genèse. C’est de cette façon que nous pouvons apprendre à poser les questions que l’auteur de Genèse 1 voulait traiter, plutôt que d’imposer nos propres questions.
Une des questions principales posées par les Israélites était quel rang occupait leur Dieu parmi les douzaines de dieux du monde antique – à savoir, qu’est ce qui le rendait plus digne de dévotion que les dieux des superpuissances comme Babylone et l’Egypte. Lire la Genèse comme de la littérature antique met en valeur cette dimension polémique.
Genèse 1 est une déclaration audacieuse selon laquelle c’est le Dieu d’une nation minuscule avec un passé trouble qui est à l’origine de tout ce qu’on voit. Ce ne sont pas les dieux des superpuissances, c’est Yahvé. Dans le monde antique, ce sont là des mots agressifs.
[b]Genèse 1 n’est certainement pas seulement une version Hébreu d’Enuma Elish. Mais nous ne pouvons pas pleinement apprécier la théologie distincte de Genèse 1 sans voir d’abord qu’elle a des points communs avec Enuma Elish et d’autres récits antiques.[/b]
Comprendre les liens entre Genèse 1 et les autres textes antiques tels Enuma Elish nous rappelle que nous causons un préjudice à Genèse 1 quand on la considère seulement avec un oeil moderne.