par Olivier JC » jeu. 11 mai 2023, 9:42
Bonjour,
prodigal a écrit : ↑mer. 10 mai 2023, 18:42
J'ai toujours entendu dire, au contraire, que les liturgies pouvant se prévaloir d'une longue ancienneté n'étaient pas soumises à l'obligation d'adopter le missel de saint Pie V. Bien entendu, il faut des limites au pluralisme, là dessus tout le monde tombera d'accord.
Il est vrai, s'agissant du cas de S. Pie V, que la situation est un peu plus complexe parce qu'il ne s'est pas seulement agi de
"restituer le Missel lui-même à la règle et au rite des Saints Pères" mais, dans le contexte schismatique de l'époque, de faire en sorte que
"tous et en tous lieux adoptent et observent les Traditions de la sainte Église Romaine, Mère et Maîtresse de toutes les Églises" (les citations sont de Quo Primum).
Il faut cependant garder à l'esprit que si nombre d'églises locales avaient leurs propres traditions liturgiques, celles-ci étaient basées sur le rite de l'Eglise de Rome imposé en Occident par Charlemagne (ce qui est bien dommage d'ailleurs car le rite des Gaules est magnifique). Il y avait d'ores et déjà une certaine unité liturgique dans l'Eglise latine, et il suffit de comparer le missel restitué de S. Pie V avec ceux des églises ayant conservé leur rite à l'époque, très peu nombreuses, pour voir la parenté évidente. Même si, naturellement, cela restait un peu le 'bazar' dans la mesure où au IXème siècle, il n'existait pas de livre unique contenant tout ce qui concerne la messe.
Les choses étaient donc sans doute moins claires que lors de réformes ultérieures, parce que l'extension du rite romain (ou grégorien) n'avait initialement pas été décidé par l'autorité ecclésiastique, mais par l'autorité civile. Ce qui était
de facto est donc devenu
de jure avec S. Pie V. Mais, en dernière analyse, il ne s'agissait pas tant d'imposer partout le rite de l'Eglise romaine que d'unifier les rites basés sur celui-ci et qui s'étaient répandus dans l'Eglise en Occident.
prodigal a écrit : ↑mer. 10 mai 2023, 18:42
1) dans les faits, sans avoir besoin de citer à nouveau les exemples choisis par ChristianK, l'on sait bien que d'une paroisse à l'autre il y a des célébrations bien différentes.
Certes, il y a des célébrations différentes, lesquelles se situent cependant dans le cadre de l'expression ordinaire d'un même rite. Je suis cependant réservé sur la valeur de l'argument puisque ces différences ne peuvent pas systématiquement s'autoriser du rite du lui-même.
prodigal a écrit : ↑mer. 10 mai 2023, 18:42
2) une des raisons qui ont poussé à la réforme liturgique était justement le besoin de diversité et d'expression de la créativité supposée des différentes communautés.
Je suis sceptique sur cette raison. Le but recherché par le mouvement liturgique avant le Concile Vatican II, et que celui-ci a fait sien, ne réside pas dans la subjectivité des assemblées qu'il faudrait satisfaire. Il était premièrement, tout comme d'ailleurs celui poursuivi par S. Pie V, de restaurer la Liturgie pour élaguer les diverses scories qui s'étaient accumulées, et deuxièmement, de conduire cette restauration dans le but de favoriser la
participatio actuosa de l'assemblée.
J'ajoute que si le résultat final de cette restauration, qui n'en fut pas vraiment une, offre une certaine diversité (les fameux
vel, vel), je ne vois pas bien où se trouvent dans les rubriques ce qui permet l'expression d'une créativité des différentes communautés ?
prodigal a écrit : ↑mer. 10 mai 2023, 18:42
Par ailleurs, vous ne prenez pas en compte l'avertissement de Kérygme, pour qui il y a un seul rite en deux formes, ce qui implique évidemmment qu'il n'y pas à regretter qu'il y en ait plusieurs, puisqu'il n'y en a qu'un! Je remercie encore Kérygme d'avoir su aborder cette question, qui me paraît fondamentale. Etes-vous en désaccord avec lui?
Je peux difficilement être en désaccord puisque le fait qu'il n'y ait qu'un seul rite ayant deux expressions, l'une ordinaire et l'autre extraordinaire, est précisément la doctrine sur laquelle reposent tant
Summorum Pontificum que
Traditionis custodes. Là où je ne suis pas d'accord, c'est lorsque cette doctrine est interprétée comme signifiant que le rite romain pourrait durablement conserver ces deux expressions, voire théoriquement en accueillir un nombre supérieur. Si telle avait été l'intention de Benoît XVI, il n'aurait pas utilisé le terme
extraordinaire qui a une signification bien précise :
extra ordinem, c'est-à-dire qui sort de l'ordre.
A terme, le rite romain a vocation à n'avoir plus qu'une seule manière de s'exprimer, qu'une seule forme
ordinaire. Naturellement, il est loisible d'avoir une opinion différente et c'est tout à fait respectable. Mon propos ne se situe pas là, il se situe dans la compréhension de la doctrine proposée par Benoît XVI. Cette doctrine a clairement une intention transitoire et ne peut se comprendre, finalement, qu'au regard du ministère d'unité qui est celui de l'évêque de Rome. La réaction de Benoît XVI lorsqu'il a découvert dans l'
Osservatore Romano de décision de François, telle que rapportée par Mgr Gänswein, est à cet égard tout à fait significative :
Mgr Gänswein a écrit :à titre personnel, il y voyait un changement de cap définitif et le considérait comme une erreur, car il mettait en péril la tentative de pacification qui avait été faite quatorze ans auparavant. Benoît XVI a notamment estimé qu’il était erroné d’interdire la célébration de la messe dans l’ancien rite dans les églises paroissiales, car il est toujours dangereux de mettre un groupe de fidèles dans un coin, afin qu’ils se sentent persécutés et qu’ils aient le sentiment de devoir sauvegarder leur identité à tout prix face à l’ « ennemi ».
Il faut d'ailleurs reconnaître que cette idée d'un rite s'exprimant dans une forme ordinaire et une forme extraordinaire reste un peu bancale. On peut y voir une sorte de parallèle avec la Liturgie elle-même, qui est la prière de l'Eglise et en tant que telle une réalité spirituelle, qui s'exprime au travers de différents rites. Mais un rite, c'est un ensemble de textes, prières, gestes, etc. organisés d'une manière précise. La doctrine bénédictine fait en quelque sorte remonter le "rite" d'un cran pour faire de ce qui est
stricto sensu un rite la forme d'un rite. Tout se passe comme si le 'rite' se trouvait assimilé à la Liturgie elle-même, ce qui est difficilement défendable à mon sens. Ou comme si un 'étage' était inséré entre la Liturgie et le rite au sens strict, où l'on en viendrait à considérer que l'unique Liturgie s'exprime dans des rites qui s'expriment dans différentes formes concrètes. Mais dans ce cas, qu'est-ce donc que le rite ?? Ce n'est ni la réalité spirituelle, ni l'expression de cette réalité spirituelle par un agencement de textes, de prières, de gestes... Alors qu'est-ce donc ? La réponse est, me semble-t-il, loin d'être évidente, et c'est la faiblesse de cette doctrine qui ne peut pas permettre d'y voir autre chose qu'une doctrine de circonstance destinée à faire face à une situation concrète.
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Bonjour,
[quote=prodigal post_id=458005 time=1683736959 user_id=7568]J'ai toujours entendu dire, au contraire, que les liturgies pouvant se prévaloir d'une longue ancienneté n'étaient pas soumises à l'obligation d'adopter le missel de saint Pie V. Bien entendu, il faut des limites au pluralisme, là dessus tout le monde tombera d'accord. [/quote]
Il est vrai, s'agissant du cas de S. Pie V, que la situation est un peu plus complexe parce qu'il ne s'est pas seulement agi de [i]"restituer le Missel lui-même à la règle et au rite des Saints Pères"[/i] mais, dans le contexte schismatique de l'époque, de faire en sorte que [i]"tous et en tous lieux adoptent et observent les Traditions de la sainte Église Romaine, Mère et Maîtresse de toutes les Églises"[/i] (les citations sont de Quo Primum).
Il faut cependant garder à l'esprit que si nombre d'églises locales avaient leurs propres traditions liturgiques, celles-ci étaient basées sur le rite de l'Eglise de Rome imposé en Occident par Charlemagne (ce qui est bien dommage d'ailleurs car le rite des Gaules est magnifique). Il y avait d'ores et déjà une certaine unité liturgique dans l'Eglise latine, et il suffit de comparer le missel restitué de S. Pie V avec ceux des églises ayant conservé leur rite à l'époque, très peu nombreuses, pour voir la parenté évidente. Même si, naturellement, cela restait un peu le 'bazar' dans la mesure où au IXème siècle, il n'existait pas de livre unique contenant tout ce qui concerne la messe.
Les choses étaient donc sans doute moins claires que lors de réformes ultérieures, parce que l'extension du rite romain (ou grégorien) n'avait initialement pas été décidé par l'autorité ecclésiastique, mais par l'autorité civile. Ce qui était [i]de facto[/i] est donc devenu [i]de jure[/i] avec S. Pie V. Mais, en dernière analyse, il ne s'agissait pas tant d'imposer partout le rite de l'Eglise romaine que d'unifier les rites basés sur celui-ci et qui s'étaient répandus dans l'Eglise en Occident.
[quote=prodigal post_id=458005 time=1683736959 user_id=7568]1) dans les faits, sans avoir besoin de citer à nouveau les exemples choisis par ChristianK, l'on sait bien que d'une paroisse à l'autre il y a des célébrations bien différentes.[/quote]
Certes, il y a des célébrations différentes, lesquelles se situent cependant dans le cadre de l'expression ordinaire d'un même rite. Je suis cependant réservé sur la valeur de l'argument puisque ces différences ne peuvent pas systématiquement s'autoriser du rite du lui-même.
[quote=prodigal post_id=458005 time=1683736959 user_id=7568]2) une des raisons qui ont poussé à la réforme liturgique était justement le besoin de diversité et d'expression de la créativité supposée des différentes communautés.[/quote]
Je suis sceptique sur cette raison. Le but recherché par le mouvement liturgique avant le Concile Vatican II, et que celui-ci a fait sien, ne réside pas dans la subjectivité des assemblées qu'il faudrait satisfaire. Il était premièrement, tout comme d'ailleurs celui poursuivi par S. Pie V, de restaurer la Liturgie pour élaguer les diverses scories qui s'étaient accumulées, et deuxièmement, de conduire cette restauration dans le but de favoriser la [i]participatio actuosa[/i] de l'assemblée.
J'ajoute que si le résultat final de cette restauration, qui n'en fut pas vraiment une, offre une certaine diversité (les fameux [color=red][i]vel, vel[/i][/color]), je ne vois pas bien où se trouvent dans les rubriques ce qui permet l'expression d'une créativité des différentes communautés ?
[quote=prodigal post_id=458005 time=1683736959 user_id=7568]Par ailleurs, vous ne prenez pas en compte l'avertissement de Kérygme, pour qui il y a un seul rite en deux formes, ce qui implique évidemmment qu'il n'y pas à regretter qu'il y en ait plusieurs, puisqu'il n'y en a qu'un! Je remercie encore Kérygme d'avoir su aborder cette question, qui me paraît fondamentale. Etes-vous en désaccord avec lui?[/quote]
Je peux difficilement être en désaccord puisque le fait qu'il n'y ait qu'un seul rite ayant deux expressions, l'une ordinaire et l'autre extraordinaire, est précisément la doctrine sur laquelle reposent tant [i]Summorum Pontificum[/i] que [i]Traditionis custodes[/i]. Là où je ne suis pas d'accord, c'est lorsque cette doctrine est interprétée comme signifiant que le rite romain pourrait durablement conserver ces deux expressions, voire théoriquement en accueillir un nombre supérieur. Si telle avait été l'intention de Benoît XVI, il n'aurait pas utilisé le terme [i]extraordinaire[/i] qui a une signification bien précise : [i]extra ordinem[/i], c'est-à-dire qui sort de l'ordre.
A terme, le rite romain a vocation à n'avoir plus qu'une seule manière de s'exprimer, qu'une seule forme [u]ordinaire[/u]. Naturellement, il est loisible d'avoir une opinion différente et c'est tout à fait respectable. Mon propos ne se situe pas là, il se situe dans la compréhension de la doctrine proposée par Benoît XVI. Cette doctrine a clairement une intention transitoire et ne peut se comprendre, finalement, qu'au regard du ministère d'unité qui est celui de l'évêque de Rome. La réaction de Benoît XVI lorsqu'il a découvert dans l'[i]Osservatore Romano[/i] de décision de François, telle que rapportée par Mgr Gänswein, est à cet égard tout à fait significative :
[quote=Mgr Gänswein]à titre personnel, il y voyait un changement de cap définitif et le considérait comme une erreur, car il mettait en péril la tentative de pacification qui avait été faite quatorze ans auparavant. Benoît XVI a notamment estimé qu’il était erroné d’interdire la célébration de la messe dans l’ancien rite dans les églises paroissiales, car il est toujours dangereux de mettre un groupe de fidèles dans un coin, afin qu’ils se sentent persécutés et qu’ils aient le sentiment de devoir sauvegarder leur identité à tout prix face à l’ « ennemi ».[/quote]
Il faut d'ailleurs reconnaître que cette idée d'un rite s'exprimant dans une forme ordinaire et une forme extraordinaire reste un peu bancale. On peut y voir une sorte de parallèle avec la Liturgie elle-même, qui est la prière de l'Eglise et en tant que telle une réalité spirituelle, qui s'exprime au travers de différents rites. Mais un rite, c'est un ensemble de textes, prières, gestes, etc. organisés d'une manière précise. La doctrine bénédictine fait en quelque sorte remonter le "rite" d'un cran pour faire de ce qui est [i]stricto sensu[/i] un rite la forme d'un rite. Tout se passe comme si le 'rite' se trouvait assimilé à la Liturgie elle-même, ce qui est difficilement défendable à mon sens. Ou comme si un 'étage' était inséré entre la Liturgie et le rite au sens strict, où l'on en viendrait à considérer que l'unique Liturgie s'exprime dans des rites qui s'expriment dans différentes formes concrètes. Mais dans ce cas, qu'est-ce donc que le rite ?? Ce n'est ni la réalité spirituelle, ni l'expression de cette réalité spirituelle par un agencement de textes, de prières, de gestes... Alors qu'est-ce donc ? La réponse est, me semble-t-il, loin d'être évidente, et c'est la faiblesse de cette doctrine qui ne peut pas permettre d'y voir autre chose qu'une doctrine de circonstance destinée à faire face à une situation concrète.
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