De l'obéissance (et de la désobéissance) dans l'Eglise.

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Cette obéissance qui semble si pénible et qui nous sauve !

par etienne lorant » lun. 21 janv. 2013, 22:54

Lecture extraite de : "Genèse", commentaire au sens littéral, 8,6,12

"L'arbre de la science du bien et du mal se présente maintenant à notre attention. Sans nul doute, c'était un arbre réel et visible comme tous les autres. Là n'est point la question : le point à éclaircir est de savoir pourquoi il a été nommé ainsi. Moi, qui ai beaucoup réfléchi à cette affaire, je n’ai pas de mots pour exprimer combien me plaît la sentence qui dit que cet arbre n’était pas nocif pour son fruit ; car celui qui a fait toutes les choses extrêmement bonnes, n’a placé au paradis aucune chose mauvaise, mais le mal découla pour l’homme de la transgression du précepte. Car il convenait à l’homme qu’on lui interdise quelque chose, afin que, placé sous le Seigneur Dieu, il puisse de cette façon, par la vertu de l’obéissance, mériter la possession de son Seigneur. Je peux dire avec certitude que l’obéissance est la vertu propre de la créature rationnelle, qui agit sous le pouvoir de Dieu ; et aussi que le premier et le plus grand de tous les vices est l’orgueil, qui conduit l’homme à vouloir utiliser sa liberté pour la ruine, et a le nom de désobéissance. Or l'homme ne pourrait reconnaître ni sentir la souveraineté de Dieu, s'il n'avait un commandement à exécuter. Par conséquent, l'arbre n'avait en lui même rien de malfaisant : il fut appelé l'arbre de la science du bien et du mal, parce que, si l'homme venait à manger de ses fruits après là défense qu'il en avait reçue, il violerait, par la même, l'ordre de Dieu et reconnaîtrait, au châtiment qui suivrait cette transgression, toute la différence du bien et du mal, de la soumission et de la révolte
."


Cher saint Augustin, je vous reconnais bien ici. Quel souffle ! Et quand j'y réfléchis, je suis tout à fait d'accord : pour un homme doué de raison, le péché le plus simple est la désobéissance. Ah, si nous savions obéir, de manière très simple ! C'est l'obéissance qui a fait un saint tel Mutien-Marie. "Le Frère Mutien fut un fidèle observateur de la règle. Son supérieur a rendu ce témoignage : « Je n’ai pas vu une seule fois, le Frère Mutien violer une seule de nos règles; non seulement les grandes Règles: exercices spirituels, charité, obéissance…mais ces petites prescriptions qui exigent une attention continuelle et une entière possession de soi-même ».


http://www.philagodu.be/generalculturel ... utien.html

Re: De l'obéissance (et de la désobéissance) dans l'Eglise.

par Géraldine » mer. 15 févr. 2012, 0:41

Virgile, ces précisions sont très intéressantes et il est bien que vous les rappelliez dans leur juste contexte.Merci.

Re: De l'obéissance (et de la désobéissance) dans l'Eglise.

par Virgile » lun. 13 févr. 2012, 11:01

Bonjour,

la question des limites de l’obéissance ne se posant pas par rapport aux commandements de Dieu, j’esquive entièrement ce point.

Il est plus utile d’examiner ces limites quand il s’agit de l’obéissance que nous devons à des hommes - et plus particulièrement lorsque ces derniers détiendraient une autorité au nom de Dieu.

C’est ce que traite l’article 5 de la question 104 : est-ce que nous devons obéir aux supérieurs en tout ?

Une première constatation, c’est que les limites de l’obéissance viennent précisément de celles de l’autorité. Tout simplement parce que l’obéissance a pour objet propre le commandement de l’autorité légitime : en conséquence, si l’autorité humaine sur des hommes possède des limites, l’obéissance en aura aussi.

Lorsqu’une personne peut ou doit ne pas obéir, c’est dans la mesure où il n’y a pas commandement pour elle. La force d’obligation, si elle n’est pas un commandement légitime, correspond très exactement à l’abus de pouvoir.

Et l’abus de pouvoir possède une détermination très précise : c’est l’usurpation par un supérieur d’une autorité qu’il n’a pas. Saint Thomas distingue donc deux grandes formes d’abus de pouvoir :

1 - Le détenteur de l’autorité légitime exige l’obéissance sur un domaine pour lequel il ne dispose pas de l’autorité légitime.

2 – Le détenteur de l’autorité légitime exige l’obéissance sur un domaine particulier, alors que ce faisant il n’obéit pas lui-même aux commandements d’une autorité légitime plus élevée, à laquelle il est pourtant lui-même tenu d’obéir.

Comme je l’ai indiqué dans le message précédent, non seulement l’exercice de autorité légitime ne dispense par de l’obligation d’obéir soi-même à une autorité supérieure, mais de surcroît, il ne se limite certainement pas à une conception étroite de "maintien de l’ordre" ou à une "meilleur efficacité" dans l’action. Et dans l’obéissance que l’autorité légitime doit à une autorité supérieure, il ne s’agit pas de croire qu’il s’agisse uniquement d’une obéissance relevant du "for interne" et de la "perfection intérieure", mais il s'agit bien plutôt d'une pratique des "oeuvres de perfection" qui rend doit être rendue visible à tous, dans l’Eglise.

Pour préciser les choses, toute autorité légitime, même si elle est subordonnée à une autre, porte la responsabilité personnelle du bien commun. Le détenteur d’une autorité subordonnée ne peut se considérer lui-même comme une sorte d’"exécutant" qui ne ferait qu’"obéir aux ordres" : il prend la responsabilité et accepte la charge d’obéir et de demander l’obéissance en vue du bien commun.

Spécifiée par le bien commun, l’autorité est en conséquence limitée par lui. C’est ici que saint Thomas précise une chose très importante. Dans la Secunda secundae, question 21, article 4 :
Conclusion:
Comme on l'a vu, les actes de l'homme ont mérite ou démérite en ce qu'ils sont ordonnés à un autre homme, soit en raison de lui-même, soit en raison de la communauté dont il fait partie. Or nos actes bons et mauvais acquièrent mérite ou démérite auprès de Dieu de ces deux manières. Ils ont rapport à Dieu lui-même en tant qu'il est la fin ultime de l'homme; car tous nos actes doivent être rapportés à leur fin ultime, comme on l'a vu. Aussi celui qui commet une mauvaise action qui ne peut être rapportée à Dieu ne rend pas à Dieu l'honneur qu'il lui doit comme à la fin ultime. Mais du point de vue de la communauté universelle, nos actes ont aussi rapport à Dieu. Car dans toute communauté, celui qui gouverne est chargé de veiller au bien commun; c'est donc à lui qu'il appartient de récompenser le bien et de punir le mal qui se font dans la communauté. Or, Dieu est le gouverneur et le chef de l'univers, nous l'avons vu dans la première Partie, et en particulier des créatures raisonnables. Par suite, il est évident que les actes humains entraînent mérite ou démérite devant lui, sinon il faudrait conclure que Dieu se désintéresse des actions humaines.
Solutions:
1. Les actes de l'homme ne peuvent rien enlever ni donner à Dieu, absolument parlant. Toutefois, l'homme lui donne et lui enlève quelque chose, autant qu'il est en son pouvoir, en observant ou non l'ordre instauré par Dieu.
2. L'homme est mû par Dieu comme un instrument, mais de manière à pouvoir se mouvoir lui-même à l'aide de son libre arbitre, comme on l'a montré plus haut. C'est pourquoi ses actes ont un mérite ou un démérite devant Dieu.
3. L'homme n'est pas ordonné dans tout son être et dans tous ses biens à la communauté politique; c'est pourquoi tous ses actes n'ont pas forcément mérite ou démérite envers cette communauté. Mais tout ce qu'il est, tout ce qu'il a, et tout ce qu'il peut, l'homme doit l'ordonner à Dieu; c'est pourquoi tout acte humain bon ou mauvais a un mérite ou un démérite devant Dieu, autant qu'il réalise la notion d'acte.
Il est clair également qu’une personne humaine ne peut être ordonnée au bien commun d’une communauté que dans la mesure où elle en fait partie.
Secunda secundae, question 104, article 5, solutions 2 et 3 :
2. L'homme est soumis à Dieu de façon absolue, pour tout: intérieurement et extérieurement. Or les sujets ne sont pas soumis à leurs supérieurs en toutes choses mais seulement dans un domaine déterminé. Et même pour celui-ci, ils sont des intermédiaires entre Dieu et leurs sujets. Quant au reste ils sont immédiatement soumis à Dieu, qui les instruit par la loi naturelle ou la loi écrite.
3. Les religieux font profession d'obéissance quant à la vie régulière selon laquelle ils sont soumis à leurs supérieurs. C'est pourquoi ils ne sont tenus d'obéir que pour ce qui peut concerner la vie régulière. Telle est l'obéissance qui suffit au salut. S'ils veulent obéir en autre chose, cela relève d'un surcroît de perfection, pourvu que rien de cela ne soit contraire à Dieu, car une telle obéissance serait illicite.
C’est pourquoi, pour un catholique, qu’il soit simple fidèle ou religieux, il ne saurait y avoir de voeu d’obéissance que dans le respect d’une règle définie, ou le respect d'un cadre reconnu officiellement pas l'Eglise - et jamais selon l’arbitraire d’un homme.

En fait, si devant un abus de pouvoir il n’existe réellement aucun devoir d’obéissance, il faut tout de même préciser que l’abus de pouvoir n’exige évidemment pas une "résistance forcenée" ou "absolue" si cet abus ne présente d’inconvénients que pour celui qui doit obéir – à la condition que l'ordre donné ne conduise pas au péché ou à quelque infraction légale.

Il n’en reste pas moins qu’il est, en vérité, rigoureusement impossible d’obéir à ce qui n’est pas un commandement légitime. A la limite, on peut être tenu de s’y conformer, seulement de façon purement extérieure ou encore d’une façon plus intérieure qui n’est pas de l’obéissance : par exemple si l’on considère que cette conformité répond à l’exigence d’une vertu plus haute, ou à l’amour du bien commun ou encore à la volonté d’éviter une occasion de scandale pour ceux qui ne comprendraient pas le pourquoi de la résistance et puis ensuite prendrait l’exemple d’une telle attitude pour justifier leur propre désobéissance.

En revanche, l’abus de pouvoir manifeste ou déclaré exige la résistance, dans l’exacte mesure où il conduit de façon certaine à commettre un péché ou encore dans la mesure où il revient à empêcher gravement la réalisation du bien commun particulier de la communauté ou le bien commun de l’Eglise.

On peut par ailleurs, et ce sera ma conclusion provisoire sur l’obéissance en tant que telle, aussi bien ne souscrire en rien à tout ce que nous présente saint Thomas d’Aquin... mais c'est une autre question, et il ne reste donc plus qu’à considérer en quoi consistent les manquements à l’obéissance, dans un prochain message.

Amicalement.
Virgile.

Re: De l'obéissance (et de la désobéissance) dans l'Eglise.

par Griffon » mer. 08 févr. 2012, 8:24

Virgile a écrit :Vous avez, par exemple, ce manuel, édité bien avant le Concile Vatican II, dont l'objectif était d'initier les séminaristes au "système" thomiste. Je ne donne pas le nom de l'auteur ni le titre de l'ouvrage, peu importe. Vous trouvez en fin de volume un plan détaillé de la Somme qui est aussi le plan du manuel. Pour l'auteur, qui se contente de suivre bêtement le texte qu'il a sous les yeux, de le résumer et d'en fournir un "digest" comestible pour les futurs prêtres de votre diocèse ou du mien, l'emplacement de l'obéissance est le suivant: vous prenez l'escalier de l'étude détaillée de la vie morale et vous frappez à la deuxième porte, celle des "vertus morales"; une fois entré dans la pièce, vous ouvrez le placard "autres vertus annexes de la Justice" - et il y a là un meuble à tiroirs dont vous tirez celui qui porte l'étiquette "Observance"; dans une petite boîte portant le numéro 3, sous un amas de paperasses couvertes de "nature et fondements" et de "dulie" en énormes lettres gothiques, il y a un vieux ticket de caisse portant la mention, à demi-effacée, "obéissance" tracée au crayon de bois...
Merci Virgile, :clap:
Vous m’avez bien fait rire ! :mdr:

Griffon.

Re: De l'obéissance (et de la désobéissance) dans l'Eglise.

par Virgile » mer. 08 févr. 2012, 2:55

Griffon a écrit :Mon étonnement est le suivant.
Vous (et moi) classez l'obéissance au-dessus de nombreuses vertus dont la prudence.
Or, on trouve des classements qui l'oublie.
Dès lors,... serait-ce si rėcemment qu'on redécouvre son importance ?[/color]
Bonjour,

c'est sans doute parce jadis (et maintenant encore?) on se contentait le plus souvent de procéder à une "découpe" de la Somme de Théologie en petits morceaux à "étudier", comme si la Somme se réduisait à n'être qu'une vaste "table des matières" de la théologie. A ce compte, on ne risque pas de s'apercevoir que saint Thomas accorde à l'obéissance une place très particulière. A trop "classer" on ne risque jamais de s'apercevoir de grand chose d'ailleurs...

Vous avez, par exemple, ce manuel, édité bien avant le Concile Vatican II, dont l'objectif était d'initier les séminaristes au "système" thomiste. Je ne donne pas le nom de l'auteur ni le titre de l'ouvrage, peu importe. Vous trouvez en fin de volume un plan détaillé de la Somme qui est aussi le plan du manuel. Pour l'auteur, qui se contente de suivre bêtement le texte qu'il a sous les yeux, de le résumer et d'en fournir un "digest" comestible pour les futurs prêtres de votre diocèse ou du mien, l'emplacement de l'obéissance est le suivant: vous prenez l'escalier de l'étude détaillée de la vie morale et vous frappez à la deuxième porte, celle des "vertus morales"; une fois entré dans la pièce, vous ouvrez le placard "autres vertus annexes de la Justice" - et il y a là un meuble à tiroirs dont vous tirez celui qui porte l'étiquette "Observance"; dans une petite boîte portant le numéro 3, sous un amas de paperasses couvertes de "nature et fondements" et de "dulie" en énormes lettres gothiques, il y a un vieux ticket de caisse portant la mention, à demi-effacée, "obéissance" tracée au crayon de bois...

Et puis, quelques années plus tard, ce professeur de l'Institut Catholique de Paris, prêtre de la Compagnie de Jésus, qui pond un ouvrage d'un tout autre style, dans lequel il explique qu'il n'y a pas de "système" thomiste, et que la parole théologique de saint Thomas correspond à un mouvement, que sa théologie est un procés fini et inachevable de parole fondée sur la contemplation réfléchie du mystère de Dieu. Qu'il y a un "chemin de la théologie thomiste". C'est même le nom de cet ouvrage: le Chemin de la Théologie chez saint Thomas d'Aquin. L'auteur s'appelle Michel Corbin. Le bouquin n'est pas facile à lire, mais l'effort que demande la lecture en vaut vraiment la peine.

Ce que l'on a retrouvé ce n'est pas seulement la place véritable de l'obéissance dans la théologie de saint Thomas, mais aussi le mouvement général de la Somme, le mouvement général de la pensée de saint Thomas, et toute l'articulation ordonnée d'une structure vivante qu'il s'agit davantage de comprendre et d'admirer plutôt que de considérer comme un répertoire de fiches techniques dont l'usage se réduirait à "répondre à des objections", ou un manuel "systématique" de formules à apprendre par coeur en même temps que tous les numéros du Denzinger...

Tout ceci pour en venir au fait que saint Thomas est toujours bien vivant, même si certains ont voulu l'enterrer un peut vite et d'autres le momifier tout à fait, et qu'il nous apporte des secours très utiles lorsqu'il s'agit d'affronter les difficultés du temps présent. Parmi les difficultés du temps présent, il y a la "crise de l'autorité" qui entraîne une "crise de l'obéissance" et affecte l'Eglise autant qu'elle affecte la société. Malheureusement, il me semble que les théologiens, du moins les spécialistes en théologie morale, ne se sont peut être pas assez penchés sur la question de l'obéissance, en particulier de l'obéissance dans l'Eglise... où pas forcément toujours d'une bonne manière.

Le bavardage n'étant pas une vertu du tout, je m'arrête ici.

Virgile.

Re: De l'obéissance (et de la désobéissance) dans l'Eglise.

par Griffon » mar. 07 févr. 2012, 17:43

Cher Virgile,

Ce n'est pas un problème si vous ne vous relisez pas.
C'est déjà si intéressant de vous lire. :oui:
Disons que vous laissez qq points de détails à notre réflexion,... juste pour voir si on suit. :p

Maintenant, je dois vous avouer avoir déjà lu cette liste de vertus.
Avec la classification que vous en avez donné.
(chez le père Lagrange, je pense - don c'est classique, sinon traditionnel)

Mon étonnement est le suivant.
Vous (et moi) classez l'obéissance au-dessus de nombreuses vertus dont la prudence.
Or, on trouve des classements qui l'oublie.

Dès lors,... serait-ce si rėcemment qu'on redécouvre son importance ?

Bon !
J'abuse,... je sais.
Mais que voulez-vous ?
C'est vous qui avez commencé ! :siffle:

Cordialement,

Griffon.

Re: De l'obéissance (et de la désobéissance) dans l'Eglise.

par Virgile » mar. 07 févr. 2012, 16:33

Griffon a écrit :Vous aviez d’abord dit ceci : vous dites maintenant ceci (qui me va beaucoup mieux à vrai dire)
Je promets de me relire désormais 77 fois 7 fois au lieu de 0.
pauvreté, chasteté, obéissance et accessoirement l’humilité ou la pureté ne se retrouvent pas dans la liste de vos vertus. Qu’en faites-vous ?
Elles ne se retrouvent pas dans ma liste des vertus parce que ma liste des vertus est loin d'être complète! Si j'étais capable d'analyser la complexité d'une seule vie humaine et de découvrir dans l'âme d'un seul homme autant de prédispositions et d'habitudes qu'il y a dans son existence d'actions diverses, je serais alors en mesure de rédiger une très longue liste de vertus morales... mais je préfère vous en épargner la lecture et m'en épargner la peine aujourd'hui et même demain! :)

Ceci étant, bien entendu, on pourrait aussi - sur un autre fil par exemple - parler de la pauvreté, de la chasteté, de l'humilité, de la pureté, etc.

Amicalement.
Virgile.

Re: De l'obéissance (et de la désobéissance) dans l'Eglise.

par Griffon » mar. 07 févr. 2012, 14:51

Merci Virgile,
Merci beaucoup.

Excusez-moi de préciser, car c’est vraiment important pour moi.

Vous aviez d’abord dit ceci :
Virgile a écrit :il ne faudrait pas considérer que l’obéissance est la plus grande des vertus. Elle est en effet inférieure aux vertus théologales (Foi, Espérance, Charité) et même à la simple vertu de prudence.


Vous dites maintenant ceci (qui me va beaucoup mieux à vrai dire) :
Virgile a écrit :En conséquence de quoi, si l’obéissance, du point de vue de son objet propre, est inférieure aux vertus théologales, elle est cependant supérieure à toutes les vertus morales et partant, supérieure à la vertu de Prudence.


J’aimerais poursuivre avec mes questions.
Celle-ci, du moins : pauvreté, chasteté, obéissance et accessoirement l’humilité ou la pureté ne se retrouvent pas dans la liste de vos vertus.
Qu’en faites-vous ?

Bon… !
Excusez mon ignorance.

Cordialement,

Griffon.

Re: De l'obéissance (et de la désobéissance) dans l'Eglise.

par Virgile » mar. 07 févr. 2012, 14:02

Griffon a écrit :
Qu’elle soit inférieure aux vertus théologales, c’est assez normal vu qu’elles sont des dons de Dieu. Et de fait, elle est l’adhésion de notre volonté à la charité.
Par contre, vous la dites aussi inférieure à la prudence.
J’avoue moins connaître cette vertu, mais aussi,… je ne vois pas Jésus affirmer un tel besoin de prudence.
Pouvez-vous nous donner quelques explications ?
Merci,
Griffon.
Cher Griffon,

à me relire, je m’aperçois que je n’ai pas été très clair. Pour que tout le monde comprenne de quoi il est question, je rappelle quelques points, très brièvement.

Que signifie le mot "vertu" ?
Chez saint Thomas, le mot "vertu" signifie "puissance" ou "force" : une vertu morale est une puissance de l’âme et une force qui la dispose à agir. Il y a plusieurs sortes de vertus.

1 - Les vertus intellectuelles.
L’intellect (la rectitude des jugements) ;
La science (connaissance par les causes secondes) ;
La sagesse (connaissance de la Cause première) ;
La prudence (jugement pratique en vue de l’efficace dans l’action) ;
L’art (utilisation et combinaison des éléments de la nature en vue du beau, agrément du bien et splendeur du vrai).

2 – Les vertus morales.
Elle réglementent le comportement et la conduite des hommes, et elles se rattachent toutes à l’une ou l’autre des vertus cardinales.
La prudence ;
La prudence, sous l’inspiration de l’intellect, de la science et de la sagesse, est indispensable à l’exercices de toutes les vertus morales.
La justice ;
La force ;
La tempérance.

3 – Les vertus théologales.
La Foi ;
L’Espérance,
La Charité.

Dans mon précédent message, la comparaison portait sur les vertus entre-elles, mais du seul point de vue de leur objet propre. Or, les vertus théologales sont justement dites théologales parce Dieu est leur objet direct. Dieu est directement l’objet de la Foi, de l’Espérance et de la Charité. Tandis que les vertus cardinales de Prudence, Justice, Force et Tempérance et toutes les autres vertus morales ont pour objet direct les moyens par lesquels ont peut parvenir à Dieu.

Spécifiquement, la Prudence, qui est la vertu de la raison régulatrice, a deux objets propres :
a - d’une part la connaissance du vrai (en tant qu’elle est une vertu intellectuelle);
b - d’autre part l’orientation de la volonté vers le bien (en tant qu’elle est vertu de la volonté).

En conséquence, du point de vue de leur objet propre, les vertus théologales sont supérieures aux vertus cardinales.

En ce qui concerne l’obéissance, quel est son objet propre ?
Si toute autorité vient directement de Dieu, toute obéissance remonte directement jusqu’à Dieu. L’intermédiaire, c’est-à-dire celui qui obéit, ne donne rien de lui seul et ne garde rien pour lui seul. En conséquence l’obéissance consiste en une véritable et entière subordination à Dieu de l'humanité entière.
Autrement dit, par l’obéissance, ma volonté se hausse jusqu’au niveau d’une volonté supérieure et, graduellement, jusqu’à la Volonté de Dieu. Si bien que – à l’exception des Vertus théologales dont l’objet direct est Dieu, l’obéissance prend de fait une certaine primauté parmi toutes les vertus : aucune des vertus morales, pas même la Prudence, ne procure à la volonté humaine plus de conformité à la Volonté divine.

En conséquence de quoi, si l’obéissance, du point de vue de son objet propre, est inférieure aux vertus théologales, elle est cependant supérieure à toutes les vertus morales et partant, supérieure à la vertu de Prudence.

Merci de m'avoir signalé cette difficulté.

Amicalement.
Virgile.

Re: De l'obéissance (et de la désobéissance) dans l'Eglise.

par Griffon » mar. 07 févr. 2012, 8:44

Merci Virgile,

En lisant l’Evangile, nous pouvons voir l’importance de l’obéissance pour Jésus.
D’une part, il affirme que sa nourriture est de faire la volonté de son Père, et d’autre part, Il nous demande l’obéissance comme la vraie preuve de notre amour pour Lui (« si vous m’aimez, vous ferez ce que je vous demande »).

Q’elle soit inférieure aux vertus théologales, c’est assez normal vu qu’elles sont des dons de Dieu. Et de fait, elle est l’adhésion de notre volonté à la charité.
Par contre, vous la dites aussi inférieure à la prudence.
J’avoue moins connaître cette vertu, mais aussi,… je ne vois pas Jésus affirmer un tel besoin de prudence.

Pouvez-vous nous donner quelques explications ?

Merci,

Griffon.

Re: De l'obéissance (et de la désobéissance) dans l'Eglise.

par Virgile » mar. 07 févr. 2012, 8:00

Bonjour,

il ne faudrait pas considérer que l’obéissance est la plus grande des vertus. Elle est en effet inférieure aux vertus théologales (Foi, Espérance, Charité) et même à la simple vertu de prudence. Mais elle est tout de même supérieure aux vertus de la volonté, parce qu’elle se rattache principalement à la religion : c’est ce que signifie l’épisode biblique de la désobéissance de Saul dans lequel nous avons vu que l’obéissance vaut plus que le meilleur des sacrifices.

La fin de toute vie vertueuse est l’union surnaturelle à Dieu, or cette union n’est rendue possible que par l’exercice des vertus théologales, et en premier lieu celui de la vertu de charité. En conséquence saint Thomas va s’attacher à mettre en valeur le lien entre les vertus morales et la vertu de charité. Et en particulier le lien entre la vertu d’obéissance et la vertu de charité.

L’obéissance possède en premier lieu une valeur d’ascèse et de libération qui lui confère une sorte de priorité sur les autres vertus : c’est pourquoi saint Thomas rappelle que, par elle-même, l’obéissance est la plus louable des vertus : pour Dieu elle méprise la volonté propre, alors que par les autres vertus morales on méprise certains autres biens en vue de Dieu.

Surtout, l’obéissance comme la charité permet la conformité avec la volonté divine. L’obéissance est en conséquence la disponibilité pour le don à une oeuvre commune sous la direction d’un supérieur. C’est elle qui conduit à l’union à la volonté divine. C’est donc qu’elle a une dimension spécifiquement « mystique », d’autant plus accentuée qu’elle sera choisie comme un moyen privilégié d’ascèse et de perfection.

Elle est donc directement liée à la charité, parce qu’elle est attitude propre à la véritable amitié, qui est la volonté d’accomplir de façon parfaite la volonté de l’ami. Charité et obéissance sont alors indissociablement liées.

Aussi saint Thomas précise-t-il :
Car si quelqu’un endurait le martyre, ou distribuait tous ses biens aux pauvres – à moins qu’il n’ordonne ces oeuvres à l’accomplissement de la volonté divine, ce qui concerne directement l’obéissance – de telles oeuvres ne pourraient être méritoires, tout comme si on les faisait sans la charité, qui ne peut exister sans l’obéissance. Il est écrit en effet (I Jo. ii, 4-5) : "Celui qui prétend connaître Dieu et ne garde pas ses commandements est un menteur ; quant à celui qui observe ses paroles, l’amour de Dieu a vraiment trouvé en lui son accomplissement." Et cela parce que l’amitié procure aux amis identité des vouloir et des refus.
Dans la réalité de notre vie chrétienne, l’obéissance est celle des vertus morales qui nous configure le plus adéquatement au Christ.

Dans la Tertia pars, à la question 47, article 2, solution 3 :
Il est de la plus haute convenance que le Christ ait souffert par obéissance.
1° Parce que cela convenait à la justification des hommes : "De même que par la désobéissance d'un seul, beaucoup ont été constitués pécheurs, de même aussi, par l'obéissance d'un seul, beaucoup sont constitués justes " (Rm 5, 19).
2° Cela convenait à la réconciliation de Dieu avec les hommes." Nous avons été réconciliés avec Dieu par la mort de son Fils " (Rm 5, 10), c'est-à-dire en tant que la mort du Christ fut elle-même un sacrifice très agréable à Dieu : "Il s'est livré lui-même à Dieu pour nous en oblation et en sacrifice d'agréable odeur " (Ep 5, 2). Or l'obéissance est préférée à tous les sacrifices d'après l'Écriture (1 S 15, 22) : "L'obéissance vaut mieux que les sacrifices." Aussi convenait-il que le sacrifice de la passion du Christ eût sa source dans l'obéissance.
3° Cela convenait à la victoire par laquelle il triompha de la mort et de l'auteur de la mort. Car un soldat ne peut vaincre s'il n'obéit à son chef. Et ainsi l'homme Christ a obtenu la victoire en obéissant à Dieu : "L'homme obéissant remportera la victoire " (Pr 21, 28 Vg).
On trouve le même ordre de remarque dans le Contra Gentiles, IV, 55, 13 :
Il n'est pas contraire à la vérité que le Fils de Dieu, incarné, ait subi la mort en obéissant au commandement de son Père, comme l'enseigne l'Apôtre. Les commandements que Dieu adresse aux hommes concernent des oeuvres de vertus: on obéit d'autant plus à Dieu qu'on accomplit plus parfaitement un acte de vertu. De toutes les vertus, la première est la charité, à laquelle toutes les autres se rapportent. Et accomplissant à la perfection un acte de charité, le Christ a donc été souverainement obéissant à l'égard de Dieu. Or il n'y a pas d'acte de charité plus parfait que celui qui consiste pour un homme à subir la mort même, pour l'amour de quelqu'un, selon la parole du Seigneur: Il n'y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis. Il apparaît donc que le Christ, en subissant la mort pour le salut des hommes et à la gloire de Dieu le Père, a été souverainement obéissant à l'égard de Dieu, en accomplissant un acte parfait de charité. Cela n'est pas incompatible avec sa divinité, comme le prétendait la quatorzième objection. L'union s'est en effet accomplie de telle sorte que chaque nature, la divine et l'humaine, a gardé son caractère propre. Aussi bien, alors que le Christ subissait la mort et tout ce qui est propre à la nature humaine, la divinité demeurait impassible, bien que, en raison de l'unité de personne, nous disions que Dieu a souffert et est mort. De cela nous-mêmes offrons un certain exemple, puisque, quand notre corps est frappé par la mort, notre âme demeure immortelle.
C’est la raison pour laquelle, dans l’Eglise, la vie religieuse est constituée comme une école de perfection de la charité, sous la direction de l’Evêque :

Secunda secundae, question 186, article 5, solution 3 :
La sujétion des religieux les soumet principalement aux évêques, qui jouent à leur égard le rôle d’agents de perfection vis-à-vis de sujets à perfectionner, (…) Donc nul religieux, sans excepter les ermites et les supérieurs réguliers, n’est complètement exempté de l’obéissance aux évêques. S’ils se trouvent soustraits, en tout ou en partie, à l’autorité des évêques diocésains, ils demeurent tenus d’obéir au souverain pontife, non seulement dans ce qui est commun à tous, mais encore dans ce qui regarde la discipline religieuse elle-même.
Dans la vie religieuse, l’obéissance est le plus grand des trois conseils évangéliques et c’est pourquoi elle est délibérément choisie comme une voie d’ascèse. Le religieux ne se contente pas de l’obéissance que doit un simple fidèle : il en fait la condition fondamentale de toute sa vie. D’où la nécessité d’une communauté de vie, car il n’y a pas d’obéissance sans supérieur légitime, pour laquelle la perfection de la charité par les conseils évangéliques constitue précisément le bien commun recherché.

Autrement dit, une communauté religieuse ne peut pas atteindre sa fin si l’obéissance y est réduite à assurer seulement la cohésion de la communauté ou encore seulement à donner une efficacité plus grande à son action apostolique par exemple, ou encore à sa mission éducative, ou encore à son souci des malades.

Une communauté, par priorité de nature doit être une école de perfection dans la pratique de de l’obéissance. C’est une résultante de la nature propre de son bien commun : en conséquence le détenteur de l’autorité est parfaitement fondé en droit d’utiliser son autorité pour obliger à la pratique de l’obéissance. Son commandement possède une finalité immédiate d’ascèse. Ce qui ne l’autorise nullement au caprice personnel et à l’arbitraire de décisions dictées par autre chose que la Charité : l’obéissance ne se pratique que dans le cadre d’une règle dont la raison n’est pas de fournir une liste d’interdictions et de permissions, mais de permettre de chercher la perfection de la Charité.

Question examinée dans le prochain message: quelles sont les limites de l’obéissance?

Amicalement.
Virgile.

Re: De l'obéissance (et de la désobéissance) dans l'Eglise.

par Virgile » mar. 24 janv. 2012, 15:38

Obéissance : docilité ?

La docilité n’est pas l’obéissance ; elle appartient à la vertu de prudence et implique une bonne volonté. Elle est une disposition de l’intelligence par rapport à un enseignement reçu, à des conseils, à des paroles... Elle n’a pas pour objet le commandement, lequel tient sa force de la seule autorité légitime et ne cesse jamais d’être obligatoire - sauf dans le cas de l’abus de pouvoir.

La docilité concerne par exemple une certaine capacité, une "compétence" que l’on reconnaît à un maître, un conseiller spirituel, auxquels on accorde sa confiance.

L’autorité légitime, l’autorité morale et la compétence doivent en principe être unies. Le détenteur de l’autorité légitime doit être présumé compétent.

Prima secundae, question 13, article 5, solution 3
"Il ne revient pas au subordonné de juger si une chose est possible ; mais il doit s’en remettre chaque fois au jugement de son supérieur."
La confiance en sa capacité est exigée par la déférence que nous lui devons, vertu de vénération. La confiance est un devoir, nous y sommes obligés. Du moins, tant que la confiance n’a pas été déçue par une incapacité ou des erreurs manifestes, la confiance est due en totalité.

L’essentiel est de ne pas confondre le crédit dont dispose le détenteur d’une autorité avec l’autorité proprement dite dont il est investi de par sa fonction. La docilité s’adresse au crédit dont dispose l’autorité. La docilité n’est pas, en effet une attitude vertueuse intégrale.

La docilité est plutôt au fondement du "croire": mais "croire" n’est pas vraiment une limite pour l’intelligence, c’est plutôt une manière de progresser vers le savoir. Je "crois" ce que le dit le détenteur de l'autorité, parcequ'il détient l'autorité en vue du bien commun auquel je suis amené à apporter ma contribution. Cependant, même la docilité doit s’accompagner d’une saine critique. L’obéissance est par ailleurs d’autant plus séparable de la docilité que l’autorité à laquelle elle s’adresse est plus limitée et plus dégagée de toute fonction d’enseignement ou de magistère, et inversement.

Au risque de l’obéissance...

On ne peut jamais obéir quand le commandement implique un péché évident et engage dans une complicité de désobéissance avec le détenteur de l’autorité. En dehors de ce cas, si on est dans le domaine où son autorité s’exerce, on doit toujours lui obéir avec docilité. Mais on peut avoir le droit, et même le devoir, de continuer à penser que ses raisons sont mauvaises et qu’il se trompe. On a le droit, et même le devoir, de faire loyalement tout ce qui est possible et convenable dans les limites de la déférence, pour lui faire comprendre son erreur.

Le détenteur légitime de l’autorité n’est en effet qu’un intermédiaire : à travers lui, c’est toujours à Dieu que nous obéissons. Pour autant, le commandement du détenteur de l’autorité n’est pas "parole de Dieu" : ou alors ce serait bien entendu faire porter à Dieu la responsabilité de bien des décisions stupides, voire de crimes impardonnables… et en effet, le détenteur de l’autorité doit prendre ses décisions en fonction de ses possibilités propres - limitées, avec son caractère - qui peut être borné, avec son intelligence - qui peut être marquée par un manque de clairvoyance, avec ses préjugés, qui peuvent le rendre obstiné contre l'évidence. Il peut même prendre des décisions qui sont le fait d'une pure malveillance, de pensées mauvaises, d'odieux calculs : son "commandement" est alors bien éloigné de la volonté de Dieu, mais ce "commandement", peut aussi bien ne contient objectivement ni abus de pouvoir ni péché manifeste: il faut obéir.

Parce que finalement l’obéissance est due relativement à l’exercice du pouvoir de juridiction, dans ses fonctions de magistère et de gouvernement – sauf lorsque l’exercice de ce pouvoir contrevient aux définitions dogmatiques de l’Eglise catholique ou à l’enseignement du Magistère ordinaire : toute décision de l’Église, qu’elle soit d’ordre doctrinal ou prudentiel, demande toujours – en surcroît de l’obéissance à ce qui est prescrit - la docilité de l’esprit avec une obéissance extérieure et une attitude respectueuse, la docilité de l’esprit avec un assentiment intérieur, qui ne peut être refusé sous peine de commettre un péché.

Le "commandement" ne peut, par définition, s’adresser qu’à une intelligence qui doit évidemment s’efforcer de le comprendre pour l’accomplir au mieux. L’obéissance doit fermer les yeux sur les défauts et les qualités humaines du détenteur de l’autorité, pour ne considérer, avec les yeux de la foi, que la volonté de Dieu à laquelle l’autorité légitime cherche à l'unir.

En conséquence il peut arriver que le détenteur de l’autorité ne trouve pas de résistance plus entière et intraitable que celle de ceux qui veulent véritablement obéir : par exemple le jour où ce détenteur commanderait de désobéir aux commandements de Dieu, ou encore à ceux de l’Eglise, ou encore de nier ou de "remettre en question" les définitions dogmatiques, ou encore de refuser catégoriquement, insidieusement, ouvertement, tout ce qu'on voudra, de recevoir l’enseignement du Magistère ordinaire de l’Eglise catholique... et ce faisant de lui faire commettre un péché de désobéissance en même temps que d'en faire son complice.

Le commandement s'adresse à l'intelligence. L'obéissance ne se conçoit pas sans intelligence. Moins encore sans la possibilité d'une résistance intelligente.

V.

Re: De l'obéissance (et de la désobéissance) dans l'Eglise.

par Virgile » mar. 24 janv. 2012, 15:20

L’obéissance et le jugement.

Le précepte est reçu par l’intelligence.
L’obéissance exige le jugement.

Obéir, c’est régler humainement et librement sa conduite d’après le "commandement" du détenteur de l’autorité.
Une activité libre est guidée par l’intelligence : celui qui obéit doit faire sienne l’idée du détenteur de l’autorité avec sa volonté, intelligence, ses capacités. La difficulté c’est qu’il est difficile de juger de tout selon sa volonté. D’abord, nul n’en a le droit : il y a une morale de l’intelligence. Aussi le jugement dépend en premier lieu d’une chose sur laquelle le détenteur de l’autorité n’a pas de prise : la lumière objective de la vérité. Et il est clair que le détenteur de l’autorité ne fait pas la vérité...

Pour exprimer les choses autrement, le détenteur de l'autorité ne peut pas faire dire à quelqu’un qu’une chose est blanche, s’il pense qu’elle est noire. Il ne peut pas non plus faire dire à quelqu'un qu'une chose est autorisée si elle est interdite.

:arrow: Il y a des jugements par lesquels je peux me prononçer sur ce qui est, tel que je le constate. Ou encore des jugements par lesquels je ne fais que décrire ce qui est conforme à la nature des choses. Saint Thomas appelle ce genre de jugements des jugements spéculatifs.

Mais je peux aussi faire porter mon jugement sur des objets de connaissance pratique ou sur des règles d’action. Ce sont aussi des jugements spéculatifs : leur vérité propre se prend de la conformité à ce qui est. D’ailleurs, ce n’est pas l’intelligence qui mesure, c’est l’objet.

:arrow: Il y a d’autres jugements, par lesquels je ne peux pas me prononcer sur la vérité des choses. Le rôle de ces jugements est de permettre de réalisation quelque chose, mais seulement pour conformer cette chose à mon jugement et non pas l’inverse. Ces jugements fondent l’action, pour qu’elle devienne vraie par adéquation à son idée directrice.

Sur le jugement, on peut lire, dans la Prima Secundae, la question 57, article 5, solution 3:
Le vrai de l’intellect pratique se prend autrement que celui de l’intellect spéculatif, dit l’Éthique. Le vrai de l’intellect spéculatif dépend de la conformité de l’intelligence avec la réalité. Et comme cette conformité ne peut avoir lieu d’une manière infaillible dans les choses contingentes, mais seulement dans les choses nécessaires, il s’ensuit qu’un habitus spéculatif n’est jamais une vertu intellectuelle en matière contingente, elle ne l’est qu’en matière nécessaire. – Mais le vrai de l’intellect pratique dépend de la conformité avec l’appétit rectifié. Et c’est là une conformité qui n’a pas de place dans les choses nécessaires, puisqu’elles ne sont pas le fait de la volonté humaine. Cette conformité n’a lieu que dans les choses contingentes qui peuvent être faites par nous, soit qu’il s’agisse de la conduite à tenir nous-mêmes, soit qu’il s’agisse d’objets extérieurs à fabriquer. Et voilà comment il n’y a de vertu de l’intellect pratique qu’en matière contingente ; en matière de fabrication, c’est l’art ; en matière de conduite, la prudence. »
Ici, le jugement n’est pas mesuré par l’action, c’est lui qui la mesure. C’est lui qui régit l’exercice de ma liberté : je vais faire ceci plutôt que cela, et je vais le faire de cette façon plutôt qu’autrement. Aussi, il dépend bien de moi de poser un jugement définitif plutôt qu’un autre pour en faire l’idée directrice de mon action. C’est ce que saint Thomas appelle un jugement pratique.

Cette distinction entre jugement spéculatif et jugement pratique permet de situer exactement la manière dont on doit obéir au "précepte" ou "commandement". Par définition, le "précepte" me prescrit un acte à faire, une conduite à tenir. En conséquence, le "précepte" ne peut pas porter sur ce qui ne dépend pas de moi. C'est une règle à suivre dans l’usage de ma liberté: il ne m’atteint directement qu’au niveau du jugement pratique.

Le jugement spéculatif ne dépend pas du détenteur de l’autorité. Du moins pas du détenteur humain de l’autorité. Si je pense qu’il est mal de désobéir aux commandements de Dieu, à ceux de l’Eglise, qu'il est moralement mauvais de nier les définitions dogmatiques ou de refuser catégoriquement de recevoir l’enseignement du Magistère ordinaire de l’Eglise catholique, aucun détenteur de l’autorité, fut-il Evêque, ne pourra jamais me donner l’ordre de penser le contraire. Et, si par une extraordinaire impudence un laïc, un prêtre ou même un Evêque en venaient à me donner un tel ordre, cet ordre serait nul et non avenu. Sans aborder ici la question même de savoir si l’obéissance peut porter sur des actes purement intérieurs, l’ordre serait nul et non avenu. Dans ce cas, il n’est d'ailleurs même pas besoin d’écrire que l’obligation à l’obéissance n’a pas lieu d’être...

En ce qui concerne le jugement pratique, c’est-à-dire le jugement qui commande l’exercice de ma liberté, il est soumit au détenteur de l’autorité dans l’ordre et les limites précises de son autorité. Ce qui veut dire très clairement qu’il n’est jamais soumis totalement à un homme.

Dans la Secunda secundae, question 104, article 5, solution 2
« L’homme est soumis à Dieu de façon absolue, pour tout : intérieurement et extérieurement. Or les sujets ne sont pas soumis à leurs supérieurs en toutes choses mais seulement dans un domaine déterminé. »
La limite du commandement valable, c’est en conséquence l’abus de pouvoir : le détenteur de l’autorité n’est jamais le seul à m’indiquer où ce trouve mon devoir. L’usage de ma liberté, et donc la détermination de mes jugements pratiques dépend aussi d’autres obligations que celle de son "commandement".

C'est qu'en vertu de ma conscience, je suis responsable de tout ce que je fais librement. Même de ma libre obéissance.

Secunda secundae, question 50, article 2
« Mais quand des hommes sont esclaves ou sujets, ils sont soumis à la motion des autres par voie de commandement, de telle sorte qu’ils se meuvent cependant eux-mêmes par leur libre arbitre.
C’est pourquoi une certaine rectitude de gouvernement doit se trouver en eux, par laquelle ils puissent se diriger eux-mêmes dans l’obéissance qu’ils accordent à leurs princes »
Il serait ainsi particulièrement absurde de penser que le "commandement" du détenteur de l’autorité me "couvre" et que toute la responsabilité des actions engagées retombera finalement sur lui et pas sur moi : de toute façon, la responsabilité d’avoir obéi me restera puisque j’ai obéi librement.

Doctrine exposée dans le traité De Veritate, à la question 17, article 5, solution 4.
"L’inférieur n’a pas à juger du précepte de son supérieur, mais il a à juger de l’accomplissement du précepte pour la partie qui le concerne. En effet, chacun est tenu d’examiner ses actes à la lumière de la science qu’il tient de Dieu, que cette science soit innée, acquise ou infuse : tout homme doit en effet agir selon sa raison."
Par exemple, si je pense qu’il est mal de désobéir aux commandements de Dieu, à ceux de l’Eglise; qu'il est mal de nier les définitions dogmatiques ou de refuser catégoriquement de recevoir l’enseignement du Magistère ordinaire de l’Eglise catholique : non seulement personne ne peut me commander de penser le contraire (ordre du jugement spéculatif), mais personne ne peut m’ordonner de désobéir aux commandements de Dieu, à ceux de l’Eglise, et puis de nier les définitions dogmatiques ou de refuser catégoriquement de recevoir l’enseignement du Magistère ordinaire de l’Eglise catholique (ordre du jugement pratique).

Ceux qui donneraient un pareil commandement - et puis viendraient de surcroît devant mon refus catégorique, m'affirmer que "je me soustrais à leur obéissance légitime", ou même que "j’oppose alors à l’obéissance une obéissance plus haute que la leur", auraient certes une certaine conception de l’obéissance - mais qui ne serait pas catholique : d’ailleurs, il n’est même plus question non plus d’obéissance à ce niveau-là. Le commandement est nul et non avenu.

Parce qu’effectivement, dans un tel cas, j’obéis à une autorité supérieure à toute autre: à Dieu lui-même en fait, dont la loi non écrite est inscrite dans ma conscience. Dans un tel cas, le commandement humain n’est plus qu’un abus de pouvoir, il est sans valeur, ni valeur d’obligation. Ni valeur d’excuse d’ailleurs.

Prima secundae, question 33, article 7, solution 5.
"On ne doit pas obéir à un supérieur contre un précepte divin (…) Car si un prélat portait un précepte allant contre cet ordre qui a été établi par Dieu, et lui-même qui a commandé, et celui qui obéirait, tous deux pécheraient comme agissant contre le précepte du Seigneur : dans ce cas, il ne faudrait pas obéir à ce prélat."
Bien entendu, les exemples cités sont "énormes" - "rares", "exceptionnels", si tant est qu'on les rencontre "en réalité"... Mais la question n'en reste pas moins de savoir si l'on peut-on se permettre cette sorte d’"objection de conscience" dès qu’on se trouve en désaccord avec les présupposés spéculatifs du commandement du détenteur de l’autorité légitime.

Si oui, cela reviendrait, certainement, à détruire radicalement toute idée d’obéissance. Cela voudrait aussi dire que l’on ne s’incline pas devant la directive du détenteur de l’autorité parce qu’il a autorité, mais seulement parce qu’on voit qu’il a raison ; ce n’est plus de l’obéissance.

Tant que le commandement reste dans le domaine où le détenteur de l’autorité a autorité et n’est pas annulé par le précepte d’une autorité plus élevée, je suis donc tenu d’obéir, c’est-à-dire de faire mienne pratiquement son commandement comme jugement pratique réglant mon action, alors même que spéculativement je continue à penser (ce qui peut être mon droit et sera parfois mon devoir) qu’il y avait beaucoup mieux à faire.

Il y a dans ce cas deux manières d’obéir. L’une est purement « matérielle » : faire ressortir tous les "inconvénients" du "commandement" donné et le rendre plus encore "plein d'inconvénients" qu'il n'est en réalité, mais cela revient à ne pas obéir. L’autre manière, plus intelligente, consiste au contraire à faire tous ses efforts pour remédier aux inconvénients du commandement donné...

A condition, bien entendu, qu'une telle possibilité soit possible...

V.

Re: De l'obéissance (et de la désobéissance) dans l'Eglise.

par Virgile » mar. 24 janv. 2012, 15:01

L’objet de la vertu d’obéissance : Secunda secundae 104, article 2.

Dans la réalité, je ne pose pas tel acte d’obéissance parce qu’il est commandé, mais parce qu’il est bon, d’une bonté spécifique de tempérance, de force ou de religion. Mais je peux aussi l’accomplir parce qu’il est commandé et dans l’intention de me conformer à l’ordre reçu.

Dans la réalité toujours, je fais toujours partie d’un d’un groupe humain, et mon devoir c'est de tout mettre en oeuvre pour la réalisation du bien commun spécifique à ce groupe, sous la direction de celui qui en a la responsabilité ou la charge.

L’obéissance est dont la disposition personnelle par laquelle je réponds – vertueusement – au commandement de l’autorité. Autrement dit, l’obéissance ne concerne pas directement le bien commun, mais elle concerne directement le détenteur de l’autorité – non pas en tant qu’il est une personne privée, ou parce qu’il est investi d’une dignité ou d’un office, mais parce qu’il exerce sa responsabilité de direction vers le bien commun par le moyen du "précepte".

L’obéissance concerne donc le "précepte". Le mot "précepte" est ici à prendre au sens moral : c'est-à-dire au sens de toute expression de la direction intimée par le détenteur de l’autorité légitime comme tel.

Dans la question 104, article 2, solution 2, saint Thomas écrit:
L’obéissance n’est pas une vertu théologale. En effet son objet essentiel n’est pas Dieu, mais le précepte du supérieur, exprès ou discernable : une simple parole du supérieur signifiant sa volonté, à laquelle l’“obéissant-volontiers” se conforme spontanément. »
:arrow: Mais alors, le précepte se définit-il par "la volonté du détenteur de l’autorité"?

Et bien non, pas du tout. Pour cette simple raison que le détenteur de l’autorité ne peut pas ordonner tout ce qu’il veut ; il commande en tant qu’ordonnateur du groupe au bien commun, et pour procurer le bien commun dont il a la charge. La "volonté" du détenteur de l'autorité, cela veut dire son "ordonnancement au bien commun", autrement dit le "commandement d’une directive raisonnable et raisonnée en vue du bien commun".

Nous aurons à revenir sur ce point également, et sur la perspective ouverte par cette donnée extrêmement importante lorsqu’il s’agit de parler de l’autorité exercée en vue du "bien commun" spécifique à l’Eglise: qui en a la charge et de quelle façon.

Aucun détenteur de l’autorité légitime, fut-il Evêque, n’a le droit d’imposer un commandement sans qu’il ne puisse en même temps rendre raison de ses prescriptions par la vue du bien dont il a la charge. Rendre raison : non pas à ceux qui obéissent, du moins pas forcément (mais tout de même), mais d’abord à soi-même et à Dieu. Car il devra rendre sur ce point précis des comptes.

Pour autant, ce n’est pas parce que je comprends que le détenteur de l’autorité a raison que je vais lui obéir: c’est bien parce qu’il a autorité. Ce qui veut aussi dire que le détenteur de l’autorité a l’obligation morale, en prudence, de se ranger à l’avis de ceux qui lui doivent obéissance s’il constate que ce sont eux qui ont raison. Parce que l’obéissance suppose quelque chose de radicalement différent de la compréhension du caractère raisonnable du "précepte" ou "commandement". L’obéissance suppose que celui qui donne un "commandement" exerce une autorité légitime, qu’il tient uniquement de Dieu : c’est précisément pour cela que je lui dois l’obéissance. Je lui dois l'obéissance parce que je discerne en lui la participation de l’autorité divine. En conséquence, je dois obéir, même quand je pense que le détenteur de l’autorité a tort sur telle ou telle point de son "commandement".

Ce dernier point poser un certain nombre de difficultés. Il faut les examiner.

V.

Re: De l'obéissance (et de la désobéissance) dans l'Eglise.

par Virgile » mar. 24 janv. 2012, 14:49

Bonjour à nouveau,

Obéissance : liberté – intelligence – volonté.

Dans sa démarche, saint Thomas commence par se demander si un homme doit obéissance à un autre. La question est intéressante dans la mesure où la réponse n’est pas aussi simple qu’il paraît: comme Dieu a tout fait de façon ordonnée, l’ordre divin doit se retrouver aussi bien dans les choses humaines que dans l'ordre naturel. Ainsi l’ordre social suppose une hiérarchie dont le rôle est d’assurer la possibilité pour tous ses membres d’aller vers leur fin, chacun sous l’influence de ceux qui détiennent l'autorité.

L’obéissance est ainsi le privilège spécifique de la dignité humaine. Chaque homme entre dans l’harmonie des créatures de Dieu en tant qu’homme – mais ce qui pour les autres êtres relève de l’influence physique qui les pousse à poser des actes en vue de leur fin, relève pour chaque homme du "précepte" ou "commandement". Et ce "précepte" lui est adressé en tant qu’être libre, et s’adresse à son intelligence et à sa volonté.

Sur ce point, il est impossible de transiger: le commandement de l'autorité s'adresse autant à l'intelligence qu'à la volonté.

La donnée spécifique de tout l’ordre humain, c’est donc le "précepte" : un commandement impératif qui s’adresse à une intelligence et à une volonté. En conséquence, le "précepte" n’est pas une chose extérieure à l’ordre humain, qui se réaliserait par la contrainte ou par l’influence physique, mais une chose qui s’adresse à la conscience de chaque homme. Et à la conscience d’un être libre. Le "précepte" peut être donné à tout homme, mais il doit être donné de façon à ce tout homme en comprenne la teneur et l’accomplisse librement autant que volontairement.

Ce que cela veut dire, c’est tout simplement que l’idéal de l’obéissance ne sera jamais d’en rester à un type de soumission aveugle, bornée, mais au contraire d’être et de rester pleinement humaine. L’obéissance ne se dispensera donc jamais de la prudence personnelle, non seulement pour les actes qui ne sont pas commandés, mais très précisément pour l’accomplissement même de l’obéissance.

L’obéissance étant une vertu d’homme libre – et ne trouvant sa perfection que dans l’exercice de cette liberté, le "précepte" suppose donc chez celui qui le donne, une autorité légitime. Et l’obéissance exige qu’il y ait reconnaissance de cette autorité : par l’intelligence et la volonté. Et c’est la raison pour laquelle j’ai essayé d’exposer en premier lieu ce qu’étaient les vertus de vénération. L’obéissance exige en effet d’être rattachées à elles.

Reconnaître une autorité, c’est d’abord une attitude de révérence, que l’on doit en toute justice : et une attitude de déférence, de piété filiale, de religion de la part de celui qui sait, en conscience, qu’il ne peut entièrement payer ce qu’il doit.

Celui qui obéit n’est jamais quitte de sa dette.
Celui qui donne le "précepte" a le devoir de ne pas rendre difficile ou impossible l’exercice de l’obéissance. Pour commencer, il doit lui même se faire, à l'exemple du Christ, très obéissant: c'est la moindre des choses.

Virgile.

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