Cher Vexillum Regis,
J'aprécie énormément cette contribution. Elle me semble juste, et sortir tout à fait des habituelles attaques "affectivo-sensibles" contre la messe "Paul VI" et pour la messe "S. Pie V". Vos arguments sont justes, valables, et au delà d'une certaine idéologie qui embrume la réflexion ... Mettons nous avant tout d'accord sur un point ; ce que j'ai cherché à montrer, en reprenant un certain nombre d'arguments sur l'offertoire, c'est que la réforme n'a pas été faite uniquement sur des présupposés "luthériens" ou béatement "oecuméniques". Les experts (et on peut reprocher à la commission du Concilium d'avoir fait un peu trop un travail d'experts) se sont appuyés sur des constats tangibles, des arguments théologiques, qui ont une valeur en tant que telle. Reste à savoir si c'était justifié et / ou prudent. On peut gloser longtemps, mais malheureusement, en rapport avec une discussion qu'on peut avoir sur un autre fil, il faut bien qu'on se rende à l'évidence : nos discussions ne changeront rien à la réalité : ce n'est pas nous qui décidons de la liturgie...
VexillumRegis a écrit :Cher François-Xavier,
Quelques remarques à votre étude comparative des prières de l'offertoire avant et après la réforme liturgique. Il y aurait sans doute bien d'autres choses à dire...
François-Xavier a écrit :Dans la vieille liturgie, l'offertoire commençait avec une invitation à la prière faite par le prêtre : Oremus. Mais il n'y avait aucune oraison... Cet oremus invitait les fidèles plus à s'asseoir qu'à faire oraison. L'ordo actuel a restauré ici les "prières universelles" qui existaient autrefois dans de nombreux rites et que le rite romain n'avait conservées que dans la liturgie du Vendredi-saint. Le Concile est donc revenu à une tradition fort ancienne. Il y avait un choix à faire : soit supprimer l'oremus, qui n'avait plus de raison d'être, soit rétablir une prière venant logiquement après l'oremus. C'est la deuxième solution qui a été retenue, parce que plus conforme à la tradition liturgique.
Il est bien vrai que cet
Oremus est un appel à l’oraison, et qu’il précédait dans l’ancienne liturgie romaine la prière des fidèles. Il ne faut cependant pas oublier que si cette prière a été supprimée dès le Vème siècle - quoique il en soit resté bien longtemps des traces dans la “prière du prône” -, c’est que sa substance était passée dans les intercessions du Canon romain. Donc, d’une certaine manière, en restaurant la prière universelle, la réforme liturgique a créé une forme de doublet, ce qui est assez ironique lorsque l’on sait que cette même réforme a traqué partout ailleurs les doublets, en conformité d’ailleurs avec les voeux du concile (SC § 50).
Il est tout à fait exact que le modèle de "l'oratio fidelium" c'est en fait les grandes prières universelles du Vendredi Saint, où justement il n'y a pas de Canon, puisse que c'est une "messe des présanctifiés" : il n'y a pas de consécration...... Elle fait objectivement double emploi avec le Canon romain. Il faut aussi noter qu'elle reste ad libitum, y compris le dimanche (à la différence de l'homélie). Il faut aussi dire qu'elle fait double emploi également avec des litanies comme la litanie des Saints. Elle n'a donc jamais sa place lorsqu'à la Vigile pascale, par exemple il y a des baptêmes et donc une litanie. On oublie trop facilement qu'elle est ministérielle et diaconale, à l'ambon. Bref, ce n'est certainement pas l'idée de ce que l'on voit actuellement : le commentaire des infos télévisées, avec un regard moralisateur et inquisiteur, proféré par Mme Michu du pupitre de chant ou de l'assemblée (comme ce qu'on voit de plus en plus).
On peut donc dans "l'esprit de la liturgie" sans aucun état d'âmes, la faire "sauter", à toutes les occasions, sauf, justement, le Vendredi Saint.
VexillumRegis a écrit :
François-Xavier a écrit :Cette prière contient des germes d'erreurs théologiques. En effet, elle conduit à attribuer à un simple morceau de pain - désigné ici sous les termes d' "hostie sans tache"- une vertu incroyable, puisqu'on lui attribue le pouvoir d'agir pour le salut des vivants et des morts.
Vous oubliez de préciser que cette prière - même remarque pour l’
Offerimus et le
Suscipe Sancta Trinitas - fonctionne sur le mode de la
prolepse, c’est-à-dire qu’elle qualifie le pain offert en ayant déjà à l’esprit sa consécration future. Faut-il préciser que ce langage liturgique n’a rien d’une anomalie et se retrouve dans les rits d’Orient ?
Le Canon romain utilise aussi la prolepse dans le
Te igitur, en qualifiant les obats (avant la consécration) de
sancta sacrificia illibata.
Je suis bien d'accord : ce n'est pas une "anomalie" liturgique : la preuve, ça a existé : mais c'est une difficulté rituelle, que la réforme litrugique a souhaité amoindrir, pour ne pas introduire d'erreurs. Il faudra citer beaucoup le RP Bouyer dans notre réflexion, qui a je crois, le mérite de parler de ces questions avec un ton proprement réjouissant : tout à fait "Conciliaire", il fut pourtant réellement liturgiste et donc partie prenante de toutes ces questions (notamment ent ant que rédacteur d'un canon...) en sachant en voir les limites et les dénoncer ans aucune langue de buis. Probablement justement parce que, converti du luthéranisme (on y revient...) il n'avait aucune partie prenante dans l'intelleigentsia épiscopale de l'époque. Et voilà ce qu'iol nous dit de la "difficulté de la théologie de l'offertoire :
RP Bouyer a écrit :On a esquissé dans trop de livres ou de commentaires sur la messe une théorie de l'offertoire absolument fantaisiste. A lire ces développements, on croirait que le sacrifice de la messe consiste seulement, ou surtout, en une présentation au Christ de nos "sacrifices", c'est-à-dire de toutes les peines acceptées patiemment, de tous les efforts poursuivis généreusement, etc... On s'abuse ici sur le sens du mot sacrifice et l'on confond un emploi rhétorique de ce mot dans la piété du XVIIIe et du XIXe siècle avec son emploi théologique traditionnel. La vérité est qu'il ne s'agit pas d'offrir au Christ ce que nous appelons nos "sacrifices", mais d'offrir à Dieu le sien, l'oblation du Crucifié qui seule nous sauve et nous réconcilie et qui seule peut communiquer quelque valeur à ce que nous-mêmes nous ferons ensuite. Il y a là une interversion des valeurs qui aboutirait logiquement au pur pélagianisme. En tous cas, son résultat immédiat est de naturaliser brutalement notre notion de la messe.
VexillumRegis a écrit :
François-Xavier a écrit :Vatican II l’a donc supprimé ce qui pouvait être cause d'erreur et a opté pour une formule plus simple, plus proche de la Tradition romaine comme on le verra plus loin : Benedictus es Domine, Deus universi, quia de tua largitate accepimus panem, quem tibi offerimus, fructum terrae et operis manuum hominum, ex quo nobis fiet panis vitae.
Cette prière n’a rien de traditionnelle (dans le sens où vous entendez la Tradition) puisque dans le rit romain ancien (celui fixé par saint Grégoire), la déposition des oblats sur l’autel ne s’accompagnait d’aucune prière !
Je suis 100% d'accord. On ne sait pas d'où ça sort, ce Benedictus es, Deus universi... Mais bon, ce sont les affirmations du P. Oury. Il avait peut être des idées. Moi je ne les connais pas. On pourrait carrément les supprimmer. C'est aussi ce que fait remarquer le P. Bouyer. Il avait probablement raison. Mais je serai plus pour trouver une formule qui ait été davantage utilisée. On a le sentiment que sous prétexte de ramener l'offertoire à quelquchose de moins marqué par certaines présuppositions théologiques, on a tout enlevé... Et réinventé. C'est ce que soulignait à juste raison Wanderer.
VexillumRegis a écrit :
Avant d’aller plus loin, il me semble important de rappeler l’essence de l’offertoire : il s’agit d’offrir à Dieu la matière du sacrifice (c’est là que la prolepse est possible), en tant que cette matière représente non seulement les prémices de toute la création (que nous avons reçu de Dieu et qui Lui font retour), mais aussi et surtout les offrants, appelés à s’offrir avec le Christ, en Lui et par Lui.
Oui, et je renvoie à la citation du P. Bouyer. La question, c'est que la réforme liturgique a voulu, en composant le nouvel offertoire, rebaptisé "preparatio donorum", diminuer la prolepse, qui, si elle reste "possible" et même pourquoi pas légitime, est, il est vrai, moins "lisible".
VexillumRegis a écrit :
Les deux nouvelles prières d’offrande du pain et du vin se rapprochent sans doute davantage de ce véritable esprit de l’offertoire que les anciennes prières, mais pas suffisamment. Leur finale est trop indéterminée : pourquoi, au lieu du pain de vie (panis vitae) et du breuvage spirituel (potus spiritalis), n’avoir pas tout simplement demandé le Corps et le Sang du Christ ? Leur style sent trop sa nouvelle composition.
Bien sûr.
VexillumRegis a écrit :
Il aurait pourtant été simple de composer des prières satisfaisantes à partir d’oraisons déjà existantes. Je pense en particulier aux deux prières d’offrande du pain et du vin du rit ambrosien ou à la Super Oblata du 17ème dimanche per annum (8ème dimanche après la Pentecôte dans le MR62).
Oui, c'est sûr : Súscipe, quǽsumus, Dómine, múnera, quæ tibi de tua largitáte deférimus, ut hæc sacrosáncta mystéria, grátiæ tuæ operánte virtúte, et præséntis vitæ nos conversatióne sanctíficent, et ad gáudia sempitérna perdúcant.
Très bien vu. C'aurait été de bon goût.... !!!
VexillumRegis a écrit :
François-Xavier a écrit :La prière adressée au Saint - Esprit ne ressemble-t-elle pas à l'épiclèse que l'on trouve dans la Prière eucharistique, c'est-à-dire à la formule invoquant l'intervention de l'Esprit - Saint pour réaliser la consécration du pain et du vin ?
Il faut d’abord noter que le
Veni Sanctificator n’est pas une épiclèse en bonne et due forme, du simple fait que le Saint-Esprit n’est pas explicitement mentionné. Il est vrai cependant que cette prière a très souvent été interprété comme une épiclèse, ce qu’elle est probablement implicitement. La présence d’une invocation au Saint-Esprit dans l’offertoire n’a de toute façon rien d’extraordinaire : on en trouve dans le rit byzantin et le rit arménien. Elle était d’autant plus précieuse dans le rit romain qui n’a pas d’épiclèse dans son Canon...
Le problème vient aussi de la multiplication par 4 des prières eucharistiques. Cela enlève une cohérence globale au rite de la Messe.
VexillumRegis a écrit :
François-Xavier a écrit :L'histoire de la liturgie nous enseigne que, primitivement, le célébrant ne disait que le verset "Lavabo" en se lavant les doigts, coutume que l'on retrouve dans la liturgie dominicaine, laquelle n'a conservé que les trois premiers versets du Psaume 25.
Pourquoi n’avoir pas conservé le premier verset du psaume 25 au lieu de le remplacer arbitrairement par le verset “Lava me” du psaume 50 ? C’est là un de ces nombreux changements qui n’a aucun fondement dans la vraie Tradition.
Le verset “Lavabo” exprime parfaitement la signification du rite du lavement des mains. Mais il a aussi l’avantage de faire référence à l’action précédente : l’encensement de l’autel (vous oubliez au passage de signaler la suppression arbitraire des belles prières que le prêtre récitait en encensant), car
circumdabo signifie bien “faire le tour” et non “être placé devant”. Ce qui est assez ironique lorsque l’on sait que l’un des changements architecturaux majeurs voulus par la réforme a été de désolidariser l’autel du mur de l’abside pour pouvoir en faire le tour... A cela il faut ajouter le caractère
eucharistique (
vocem laudis) qui achève le premier verset du psaume 25, et qui est une belle introduction à la prière
eucharistique.
A la belle poésie du “Lavabo”, on a substitué un verset du psaume 50, qui résume certes bien l’essence de l’action liturgique, mais qui est bref et sec.
200% d'accord : on a l'impression, à cet endroit, qu'on a voulu changer pour changer. Je crois que la réforme aurait probablement du s'en tenir au(x) premier(s) versets du ps 25. Aucun doute. Sur le Circumdabo, je connais des prêtres qui le récitent. Disons, que ça fait désormais partie des "usages reçus". Je en vois pas où est le problème, du moment où c'est d'ailleurs dit en silence. Il y a un numéro des Notitiae qui va contre l'idée de l'encensement à l'ancienne manière, dans les années 70 ou 80. Il faudra que je retrouve le texte. Je ne suis pas sûr que la Congrégation pour le Culte Divin aurait aujourd'hui la même "jurisprudence", surtout après le 7/7/7.
Voilà. Il est certain que l'on peut faire état de souhaits, dans le cadre d'une "mise à jour" (pour ne pas dire plus) d'une édition typique du missel romain qui ne manquera pas de revenir sur des points traités beaucoup trop légèrement. Mais une fois de plus, ce n'est pas nous qui faisons la liturgie... Je pense même que c'est notre rôle en tant que baptisés, qui avons pour privilège de participer à la liturgie, d'en comprendre, d'en expliquer et d'en appliquer la sève, pour que justement, le jour où cette nécessaire "mise à jour" sera faite, elle n'apparaisse justement pas comme quelque chose de plaqué, d'imposé, de - disons le - clérical, comme ça s'est passé la dernière fois... C'est ce que disait le Cardinal Ratzinger : le "nouveau mouvement liturgique" ne sera pas imposé d'en haut. Il viendra de la base...
Et pour cela, et c'est ce que j'indiquais à Wanderer, il est à mon sens beaucoup plus crédible de bien pratiquer la forme ordinaire, en étant capable de regarder froidement eet sans dramatisation les faiblesses de certaines de ses parties. Ou alors, on n'est pas crédible du tout pour la faire évoluer dans le bon sens. Encore faut -il - et nous sommes bien d'accord - que ce soit possible : il y a beaucoup de paroisses conventionnelles qui ont perdu absolument tout sens liturgique et qui ont l'impression que dès que l'on prend les choses au sérieux, on fait du "tradi". Et je crois que Summorum Pontificum est aussi fait pour essayer de résoudre ce "noeud" là.