Par ailleurs, quelle est la conséquence du tutoiement dans le monde catholique ?
Est-ce que ce changement intervient dans la crise des 40 dernières années ?
Comme je le disais précédemment, entre vouvoiement et tutoiement, on met l'accent sur un aspect différent de notre relation avec Dieu, puisque nous sommes incapables d'embrasser le tout ensemble.
Et il me semble, de fait, que tutoyer Dieu participe du mouvement de désacralisation que nous connaissons depuis 40 ans. Ce n'est certes pas la seule chose, mais cela y participe, non pas à raison du tutoiement en soi, mais à raison du contexte dans lequel ce tutoiement a été mis en place et s'est déployé.
Quant à dire que le vouvoiement met de la distance... Voire... Cela dépend de chaque cas, tout comme il dépend de chaque cas de voir dans le tutoiement une marque d'amitié et d'intimité, ou au contraire une marque de mépris et de condescendance.
Et, en tout état de cause, vous pouvez faire l'expérience vous-même : on se permet des choses en tutoyant que l'on ne se permettrait pas en vouvoyant. Ayant constaté cela, allez comparer les prières du Missale Romanum avec celles du Missel Romain, et vous verrez qu'invariablement, certains termes ont disparus, à savoir tous ceux qui insistent sur le fait que nous nous présentons pauvres devant Dieu, suppliant pour qu'il daigne nous accorder sa miséricorde et ses bienfaits. Ainsi, on ne dit plus :
"Daignez nous exaucer", mais
"Exauce-nous". Allez voir... Vous verrez que cet impératif avec lequel le Missel Romain s'adresse à Dieu est tout simplement inexistant dans le Missale Romanum. Si encore c'était :
"Exaucez-nous"...
Donc, pour résumer, ce n'est pas le tutoiement en lui-même que je considère comme dommageable, mais premièrement le fait qu'il ait été introduit dans un contexte dont il me semble possible d'affirmer qu'il était tout sauf favorable, et deuxièmement le fait que cette introduction s'accompagne d'une sorte de "renversement" de la juste perspective avec laquelle il convient que nous nous adressions à Dieu qui, faut-il le rappeler, ne nous doit rien. Bien content qu'Il daigne nous créer et nous soutenir dans l'existence, bien content de plus fort qu'il daigne envoyer son Fils pour sauver le monde... Il ne faudrait pas perdre de vue que Dieu ne nous doit rien, et que nous n'avons rien à exiger de Lui. Le tutoiement a tendance à le faire oublier, non pas en raison du tutoiement lui-même, je le répète, mais en raison du contexte culturel dans lequel nous nous trouvons.
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