DavidB a écrit :
Serait-ce donc que l'acte sexuel est nécessairement impur ? En mariage, par dessus le marché ? Quel est le lien qui fait que immaculée conception + plénitude de grâce = exclusion d'un acte sexuel au sein du mariage ?
Bonjour David.
L'acte sexuel est licite si accompli dans le mariage et conformément aux finalités de celui-ci (procréation et épanouissement des époux ; ces deux fins devant être tenues ensemble). Aussi l'Église a fermement condamné la doctrine encratiste, qui voyait dans les relations sexuelles des époux autant de péchés.
Ceci dit, quand nous parlons de la licéité de l’acte sexuel dans le mariage, c’est relativement à la nature humaine telle qu’on l’hérite d’Adam, « nature déchue (et rachetée) ». Relèvent de la « nature déchue » tous les fils et filles d'Adam. De la « nature déchue et rachetée » celles et ceux des enfants d'Adam qui, nés avec la tache du péché originel, ont reçu le baptême, qui n’arrache pas le poids de la concupiscence hérité d’Adam : « Que la concupiscence ou foyer du péché demeure chez les baptisés, ce saint concile le confesse et le pense ; cette concupiscence étant laissée pour être combattue, elle ne peut nuire à ceux qui n’y consentent pas et y résistent courageusement par la grâce du Christ. Bien plus, “celui qui aura lutté selon les règles sera couronné” (II Tm II 5). Cette concupiscence, que l’Apôtre appelle parfois “péché” (cf. Rm VI 12-15 ; VII 7, 14-20), le saint concile déclare que l’Église catholique n’a jamais compris qu’elle fût appelée péché parce qu’elle serait vraiment et proprement péché chez ceux qui sont nés de nouveau, mais parce qu’elle vient du péché et incline au péché. Si quelqu’un pense le contraire : qu’il soit anathème. » Concile Œcuménique de Trente,
Décret sur le péché originel, 5., Dz 1515.
Quant au Christ et à la Vierge, ils ne relèvent pas de la nature déchue (et rachetée) mais de la nature intègre, encore qu'il faille préciser le propos, l'expression « nature intègre » ou « état d'intégrité » étant susceptible de deux sens différents. Dans un premier sens, qu’il est préférable d’appeler « état d’innocence », on signifie la nature d’Adam au sortir des mains de Dieu et avant le péché originel, désignant par là l’état de cette nature dotée des dons surnaturels, des dons préternaturels, et du don d’intégrité naturelle. C’est ce don d’intégrité naturelle qu’on désigne aujourd’hui seul du nom de « nature intègre » ou d’« état d’intégrité », signifiant par là le fait que la nature humaine d’Adam n’était pas, antécédemment au péché originel, soumise à la concupiscence. La concupiscence s’entend ici dans sa relation à l’ordre moral, comme désordre de l’appétit sensible, dérèglement qui porte l’appétit à se porter à un bien sensible réel ou apparent avant et contre le jugement de la raison [cf. Rm VI 19, VII 18-25 ; Ga V 16-24 ; Eph II 3 ; I P II 2 ; II P II 10, 18 ; I Jn II 16 ... / Gn VI 3]. La concupiscence est donc la révolte de la chair contre l’esprit. C’est ainsi qu’avant le péché originel l’appétit sensible était entièrement soumis à la volonté, et celle-ci à la raison, raison pourquoi le péché originel n’a été rendu possible à que consécutivement à un obscurcissement de la raison ; le Diable, menteur et père du mensonge, ayant poussé nos premiers parents à le croire pour mieux les faire tomber. Or nous savons que cette concupiscence, si elle n'est pas de soi un péché, provient du péché (originel) et conduit au péché (actuel), comme l’enseigne le Concile de Trente.
Nous devons donc conclure que la Sainte Vierge, qui n’est pas née avec la tache du péché originel, mais a été préservée du péché originel, a du fait même été préservée des conséquences du péché originel. Elle n’était donc pas soumise à la concupiscence. Nous devons donc dire que non seulement existait chez elle une parfaite subordination de ses sens à son esprit, mais que jamais sa chair virginale ne connut les mouvements désordonnés, même non coupables, qui assaillent les âmes les plus pures (leur nature n’étant jamais que déchue et rénovée, et non intègre).
Nous pouvons maintenant répondre à David.
En quoi la plénitude de grâce accordée à Marie, plénitude en conséquence de quoi la Vierge ni jamais ne pécha ni ne naquit marquée du sceau du péché originel, exclut que la Vierge immaculée ait pu consommer son mariage ?
Pour y répondre, remarquons qu’il y a entre Adam et la Sainte Vierge ceci que l’un comme l’autre vécurent en état d’intégrité. On répondra donc à l’interrogation de David comme l’on répondra à la question suivante :
Comment Adam et Ève, à qui le commandement de croître et de multiplier fût donné avant qu’ils ne chutent, auraient-ils procréés s’ils eussent gardé leur état de justice originel et le don d’intégrité qui va avec ? Trois réponses.
1/ Pour les Pères grecs, « Avant toute autre considération, il convient de préciser que
l’usage de la sexualité n’est nullement originel dans la nature humaine, et n’est apparu dans l’humanité que comme conséquence du péché de nos premiers parents. Ce n’est que lorsqu’ils se détournèrent de Dieu qu’Adam et Ève se désirèrent et s’unirent sexuellement, enseignent les Pères en se référant aux indications de l’Écriture (cf. Gn III 16 ; IV 1). C’est ainsi que saint Jean Damascène précise : “La virginité était originelle et innée dans la nature des hommes. Dans le paradis, la virginité était l’état normal. Lorsque par la transgression, la mort entra dans le monde, seulement alors Adam connut sa femme et elle engendra.” (De fide, IV 20. Cf. II 12, 20). Saint Jean Chrysostome enseigne de même : “Ce ne fut qu’après leur désobéissance et leur exil qu’Adam et Ève eurent commerce ensemble. Auparavant ils vivaient comme des anges [...]. Ainsi , dans l’ordre des temps, la virginité possède la palme de la priorité.” (Homélies sur la Génèse, XVIII, 4. Cf Traité de la virginité, 14). On trouvera le même enseignement chez S.Irénée de Lyon, Démonstration de la foi apostolique, 14, 17 ; S.Grégoire de Nysse, La création de l’homme, 17 ; S.Cyrille de Jérusalem, Catéchèses, XII 5 ; S.Athanase d’Alexandrie, Commentaire sur le psaume L 7 ; Diadoque de Photicée, Cent chapitres gnostiques, 56 ; S.Jean Damascène, De la foi orthodoxe, II 12, 20 ; S.Syméon le nouveau théologien, Catéchèses XXV 92-108. Etc.
Les Pères affirment que si les hommes étaient restés en leur état premier, Dieu les aurait multipliés selon un mode non sexuel (voir S.Maxime le Confesseur, Questions et difficultés, I 3 ; Ambigua à Jean 41). S’il les a dotés d’organes sexuels en les créant, c’est en prévision des nécessités qui découleraient de leur chute dont il avait prescience bien qu’elle ne fut pas prédéterminée ; c’est aussi afin que leur virginité ne leur fût pas imposée par leur nature, mais résultât d’un choix personnel, lequel devait lui donner force et valeur. (voir S.Jean Chrysostome, Traité de la virginité, 17 ; Homélies sur la génèse, XVIII 4).
Dans l’état de l’humanité consécutif à la chute originelle, la virginité reste la norme de la perfection. Toutefois, parce qu’il permet la perpétuation de l’humanité dans l’état nouveau où elle se trouve, et est pour cette raison béni par Dieu (cf. Gn IX 7), l’usage de la sexualité dans le cadre du mariage n’est nullement condamnable, et les Pères, suivant l’exemple du Christ bénissant par sa présence les noces de Cana, ainsi que les enseignements de l’Apôtre (He XIII 4 ; I Cor VII 28), en reconnaissent la totale légitimité et en proclament même la valeur, considérant qu’elle est appelée à la même sanctification que toutes les autres fonctions de l’existence humaine. » Jean Claude Larchet,
Thérapeutique des maladies spirituelles, page 167-168 ; note 3 de la page 168 ; page 168.
2/ S.Augustin se différencie nettement des Pères grecs, puisqu’il affirme, dans la
Cité de Dieu, XIV 21-26, qu’en l’état d’innocence la propagation de l’espèce humaine se serait faite par mode sexué. Ceci étant, sa position, plutôt marrante, tient en ceci que, puisque la concupiscence est conséquente au péché originel alors que le commandement de croître et multiplier lui est antécédent, et vu qu’il voit dans la concupiscence le plaisir sensuel, la conclusion qu’en l’état de justice originelle la propagation de l’espèce humaine se serait faite par mode sexué mais sans l’excitation sexuelle, la volonté seule mouvant les organes génitaux : « Aussi, sans le péché, ces hymens dignes de la félicité du paradis, exempts de la honteuse concupiscence, eussent porté d’aimables fruits. Or, comment cela fût-il arrivé ? Tout exemple nous manque pour l’établir. Et cependant doit-il nous sembler étrange que cet organe, dans l’innocence, obéisse à la volonté qui commande impérieusement à tant d’autres organes ? Ne remuons-nous pas, quand nous le voulons, la main ou le pied pour accomplir l’acte qui réclame leur ministère ? [...] Et pourquoi donc ne croirions-nous pas que, sans le péché et le honteux salaire du péché, la volonté n’eût trouvé en tous les organes que des esclaves obéissants ? »
XIV 23 « L’homme eût semé, la femme eût recueilli, quand il eût fallu : les organes eussent obéi au mouvement de la volonté et non à l’aiguillon de la concupiscence. [...] Est-il donc impossible que l’homme lui-même ait jamais trouvé dans ses membres inférieurs une obéissance que sa propre désobéissance a changé en révolte ? Était-il donc enfin si difficile à Dieu de le créer dans de telles conditions que les organes, où la concupiscence règne seule aujourd’hui, n’obéissent qu’au commandement de la volonté ? »
XIV 24. Par où appert que pour Augustin la concupiscence charnelle,
désordre et blessure de l’appétit sensible, est dans le plaisir accompagnant l’inclination (appétit) sensible, désordre par quoi l’inclination sensible s’oppose à la raison, le plaisir sollicitant contre le devoir, incitant à appéter là où il n’y a pas à appéter. Par ailleurs, nonobstant que l’acte soit sexué, Augustin affirme qu’il n’aurait pas attenté à la virginité des femmes : « Dieu nous garde d’imaginer que, dans une telle facilité et félicité d’existence, l’homme eût du engendrer avec cette concupiscence maladive. Non, sa volonté eût suffit, l’aiguillon de la volupté n’eût point troublé son inaltérable tranquilité d’âme et de corps ; et la virginité de sa femme n’eût point souffert de ces embrassements. Car, de ce qu’ici l’expérience ne saurait être invoquée en témoignage, il n’en faut pas conclure à l’incrédulité. Ce n’est pas, en effet, une ardeur turbulente qui entraînerait les organes, mais une détermination volontaire qui, suivant le vœux de la nature, réglerait leur action. L’œuvre de la transmission de la vie n’eût pas plus attenté à la virginité des femmes que maintenant le flux menstruel à l’intégrité des filles. [...] À l’heure de l’enfantement, la seule maturité du fruit et non le gémissement de la douleur eût dilaté les entrailles maternelles ; ainsi, dans la conception, le bon plaisir de la volonté, et non l’appétit de la volupté, eût décidé de l’union des sexes. » Autrement dit, la volonté de l’homme aurait été principe de l’érection virile, la volonté de la femme principe que son hymen virginal aurait été dilaté mais jamais rompu par la pénétration du membre et la sortie sans douleur de l’enfant.
3/ S.Thomas d’Aquin va s’opposer à l’assimilation augustinienne de la concupiscence au plaisir accompagnant l’appétit sensible. La concupiscence est toujours conçue comme un désordre de l’appétit sensible, dérèglement qui porte l’appétit à se porter, avant et contre le jugement de la raison, à un bien sensible réel ou apparent. Quant au plaisir sensuel, S.Thomas affirme qu’il n’est de soi ni ce désordre qu’on appelle concupiscence, ni l’effet de ce désordre. Selon Thomas, le plaisir sensuel est une réalité d’ordre naturel, donc légitime, conforme à la volonté divine, réalité de soi essentiellement bonne encore qu’elle puisse accidentellement porter au péché à raison de la concupiscence charnelle, qui doit lors s’analyser comme la non-soumission de l’appétit sensible à l’appétit intellectuel (volonté), incitation des passions sensibles faisant violence à la volonté par leur force d’attraction ; la chair n’étant plus soumise à l’esprit, mais l’esprit à la chair. C’est ainsi qu’au
De Malo, Q.4 a.2, réponse, il écrit : « Ainsi donc, il y eut dans le péché du premier père un élément formel, l’aversion par rapport au bien immuable, et un élément matériel, la conversion vers un bien passager. Or, du fait qu’il s’est détourné du bien immuable, il a perdu le don de la justice originelle, et du fait qu’il s’est tourné de façon désordonnée vers un bien passager, les puissances inférieures qui devaient s’élever vers la raison ont été rabaissées vers les réalités inférieures. Ainsi donc, en ceux aussi qui naissent de sa lignée, la partie supérieure de l’âme est privée de l’ordre requis par rapport à Dieu, qui existait par la justice originelle, et les puissances inférieures ne sont plus soumises à la raison, mais se tournent vers les réalités inférieures selon leur impulsion propre, et le corps même tend lui aussi vers la corruption, suivant l’inclination contraire des éléments dont il est composé. » D’où ceci, en
De Malo, Q.4 a.2, solution 1 aux objections en sens contraire, qu’ : « Une réalité peut être naturelle à l’homme de deux façons. D’abord en tant qu’il est un animal, et ainsi il lui est naturel que son appétit concupiscible
[l’appétit concuspiscible est l’appétit sensible, distinct de la concupiscence qui est perversion de cet appétit, perversion résultant de ce qu’il n’est plus soumis à l’appétit rationnel et par delà à la raison] se porte vers ce qui est délectable selon le sens, pour parler selon la façon commune. Ensuite, en tant qu’il est homme, c’est-à-dire animal rationnel, et dans ce cas, il lui est naturel que son appétit concupiscible se porte vers ce qui est délectable au sens mais selon l’ordre de la raison. Donc la concupiscence, par laquelle la puissance concupiscible est inclinée à se porter vers ce qui est délectable au sens mais en dehors de l’ordre de la raison, est contraire à la nature de l’homme en tant qu’homme, et ainsi relève du péché originel. » S.Thomas précisera, en la
solution 4 aux objections en sens contraire, que : « La concupiscence, en tant qu’elle relève du péché originel, n’est pas la concupiscence actuelle mais habituelle. » En conséquence de quoi, l’Aquinate affirmera, dans la
Somme de Théologie, Prima Pars, Q.95 a.2, que l’homme a eu des passions dans l’état d’innocence : « Chez nous, en effet, l’appétit sensible obéit quelque peu à la raison. Dans l’état d’innocence, au contraire, l’appétit inférieur était totalement soumis à la raison ; aussi n’y avait-il en lui que les passions de l’âme
[l’appétit sensible est une faculté de l’âme, comme le sont aussi les sens ; le corps (informé par l’âme) ne donnant que les organes sensoriels] consécutives à un jugement de la raison. » C’est selon ces perspectives que S.Thomas traitera de la génération dans l’état d’innocence. Il commencera par dire que le commandement divin donné aux premiers parents dans l’état d’innocence, « Soyez féconds, multipliez, emplissez la terre » (Gn I 28), impliquait « qu’en l’état d’innocence il y aurait eu génération pour la multiplication du genre humain »
Prima Pars, Q.98 a.1. En la
Q.98 a.2, il écartera l’opinion des Pères grecs pour affirmer que la procréation eût été sexuée : « Certains, parmi les anciens Pères, considérant la laideur de la convoitise qui accompagne l’union charnelle dans notre état présent, ont soutenu que dans l’état d’innocence la génération ne se serait pas faite par union des sexes. Ainsi S.Grégoire de Nysse dit que dans le Paradis le genre humain se serait multiplié d’une autre façon, comme se sont multiplié les anges, sans commerce charnel, par l’opération de la puissance divine. Et il dit que Dieu avait créé l’homme et la femme
[avec des organes sexuels] en prévision du mode de génération qui allait exister après le péché, péché que Dieu connaissait à l’avance. Mais cette opinion n’est pas raisonnable. En effet, les choses qui sont naturelles à l’homme ne lui sont ni retirées ni accordées par le péché. Or il est clair que si nous considérons dans l’homme la vie animale qu’il avait même avant le péché
[l’âme humaine est à la fois végétative, animale et rationnelle], [...] il lui est naturel d’engendrer par union charnelle, tout comme les autres animaux parfaits. C’est ce que manifestent les membres naturels destinés à cet usage. Et c’est pourquoi il ne faut pas dire qu’avant le péché les membres naturels n’auraient pas eu leur usage comme les autres membres. » L’Aquinate précisera en
Q.98 a.2 sol.3 que la génération sexuée aurait été accompagnée d’une grande jouissance sexuelle, mais sans concupiscence : « Mais, dans l’état d’innocence, il n’auarit rien eu dans ce domaine qui n’eût été réglé par la raison ; non pas, comme le disent certains, que le plaisir sensible eût été moindre. Car le plaisir sensible eût été d’autant plus grand que la nature était plus pure et le corps plus délicat. Mais l’appétit concupiscible ne se serait pas élevé avec un tel désordre au-dessus du plaisir réglé par la raison. Car celle-ci n’est pas chargée de diminuer le plaisir sensible, mais d’empêcher l’appétit concupiscible de s’attacher immodérément au plaisir. » Comprenez que l’attraction sexuelle, plaisante et jouissive, n’aurait pas porté à la fellation ou au cunilingus, ni à la sodomie, ni à l’adultère, ni aux rapports contre-nature, mais à l’union amoureuse et ordonnée des conjoints.
Nous pouvons maintenant répondre à David, en analysant la valeur des trois opinions exposées.
L’opinion d’Augustin paraît incroyable, et ne serait le respect et l’amour dûs à un Père, on s’en moquerait gaiement. Dire qu’en l’état d’innocence nos membres sexuels eussent obéis à volonté alors qu’en l’état de nature déchue est manifeste la volonté n’incide pas, c’est s’obliger à conclure que cette perte de pouvoir du volontaire est une sanction du péché originel. Or celui-ci, loin d’être un péché de chair, est un péché contre la foi. M’est donc avis que seules l’opinion des grecs et l’opinion thomasienne peuvent raisonnablement être tenues.
Thomas d’Aquin a certes raison de faire remarquer, en
Prima Pars, Q.95 a.2, que l’homme a eu des passions dans l’état d’innocence, de sorte que le don préternaturel d’impassibilité doit s’entendre « relativement aux passions qui détruisent l’équilibre naturel » (
sol.2 ; cf.
Q.97 a.2). On doit aussi lui accorder que tout mouvement appétitif est appétition d’un bien réel ou apparent, intellectuel ou sensible, et que toute possession du bien génère la jouissance, de sorte qu’est absurde de faire consister la concupiscence dans le plaisir accompagnant le désir sensible. Ceci dit, la raison qu’il donne en
Prima Pars, Q.98 a.2, pour légitimer son opinion selon quoi la propagation de l’espèce humaine en l’état d’innocence se serait faite par mode sexué, n’est pas probante. Car si l’âme humaine est animale [forme d’un corps humain qu’elle dote de vie sensible], elle est encore et même d’abord spirituelle [en tant qu’intelligente et volontaire]. Si donc l’homme tient de l’animal par sa vie sensible, il tient aussi de l’ange par sa vie intellectuelle. Et c’est pourquoi, si de facto, dans l’état de nature déchue, la génération est par mode corporel, on ne peut en conclure qu’en l’état de nature intègre elle n’aurait pas pu être opérée par mode spirituel. Certes le corps doit être partie prenante à l’opération, mais c’est assez que Dieu produise la recombinaison génétique à partir des gènes respectifs du père et de la mère, sans qu’il y ait besoin de génération sexué, comme nous le voyons précisément dans la conception virginale du Sauveur. Et si l’on tient qu’Adam et Ève eussent dûs coopérer à cet acte, afin que s’opéra une véritable synergie théandrique, on pourra toujours penser que l’intervention divine aurait présupposé la volonté amoureuse des conjoints de procréer.
Après donc avoir montré pourquoi l’argument de Thomas n’est pas probant, montrons quels arguments militent en faveur de l’opinion des Pères grecs. Il y a d’abord ceci que la conception du Sauveur fût virginale. Or pourquoi l’était-elle, si une conception sexuée n’eût pas attentée à l’état d’intégrité de la Théotokos ? Il y a encore ceci que la virginité de la Vierge fût perpétuelle. Or à suivre l’opinion thomasienne, la virginité et plus généralement la continence « n’eût pas mérité d’éloges dans l’état d’innocence, et si elle en mérite dans le temps actuel, ce n’est pas parce qu’elle restreint la fécondité, mais parce qu’elle écarte la convoitise désordonnée. »
Q.98 a.2 sol.3 Notre-Dame n’ayant pas héritée de la concupiscence d’Adam mais ayant été créée en état de nature intègre, elle n’avait aucunement à écarter d’elle les assauts de la convoitise désordonnée, de sorte qu’à se consacrer à la virginité perpétuelle, refusant sans raison de croître et multiplier, la Sainte Vierge aurait, me semble-t-il, péché. Et puisque est impossible d’envisager l’hypothèse d’un péché actuel de la Vierge, me semble qu’il faut conclure que la virginité perpétuelle n’a pas d’autre explication qu’une incompatibilité entre sexualité et état d’intégrité. Pour finir, je dirais que nous sommes des natures déchues, que cette déchéance a profondément blessée la nature humaine, de sorte que juger de l’état de justice originelle ou de l’état d’intégrité à l’aune de notre déchéance est un non-sens. Pour le dire autrement, par delà la licéité morale, il y a la vie mystique.
Si donc vous tenez pour l’opinion thomiste, vous concluerez, mon cher David, qu’on ne peut conclure de la plénitude de grâce à l’exclusion d'un acte sexuel au sein du mariage. À l’inverse, si vous tenez pour l’opinion des Pères grecs, vous l’excluerez. Comme il s’agit d’opinions, le choix est libre. Ceci dit, me paraît que l’opinion des Pères grecs a plus de probabilité, raison pourquoi j’y adhère et me suis exprimé sur ce fil de la manière qui suscita votre interrogation.
Cher David, vous ai-je répondu clairement ?