Bonjour,
J'ai déjà rencontré un texte très élégant, qui décrit à la perfection ce que je pense de cette affaire. Il n'y aurait rien à rajouter.
Voici :
"Il ne fait aucun doute que la Bible, pour une part, se représente la mort comme le mal physique lié à la condition fragile de toute créature. Il n'est en tout cas jamais dit expressément au début de la Genèse que l'être humain aurait été "crée immortel". Marc Oraison est formel là-dessus. "L'idée d'un temps primitif où l'être humain n'aurait pas été mortel choque réellement. Or cette idée n'est pas biblique, ni même sémitique. Elle vient de la philosophie ou de la mythologie grecque". Et notre auteur d'ajouter : Si l'on regarde de près le texte biblique, ce que le péché, cette attitude inaugurale de la liberté humaine dans sa signification de rupture, introduit, ce n'est pas explicitement la mort comme telle, mais
la souffrance. "
Par conséquent, tiré de la poussière du sol (Gn 2, 7) l'être humain est appelé à revenir à cette poussière (Gn 3,19). Ayant une même origine corporelle que celle des animaux et des oiseaux du ciel façonnés eux aussi du sol par Dieu (Gn 2,19), l'on ne peut pas s'attendre à ce que l'être humain connaisse en définitive un sort différent du leur. Qohélet 12, 1-7, fidèle en cela à la Genèse, n'entretient d'ailleurs aucune ambiguïté à propos de la fin inéluctable de l'existence humaine :"Souviens-toi de ton Créateur aux jours de ton adolescence, avant que vienne les mauvais jours ... et que la poussière retourne à la terre comme elle en était venue, et le souffle, à Dieu qui l'avait donné."
Il suffit, quand bon lui semble, que Dieu retire le souffle, fonction du corps vivant, identique chez l'homme et l'animal, pour que l'être qui en bénéficiait retourne à la poussière originelle et expire.
Évidemment, même si la mort paraît être une nécessité inscrite dans la création, cela ne veut pas dire pour autant que la personne ne ressent pas celle-ci comme quelque chose qui n'est pas naturel, surtout s'il s'agit de sa mort à elle et de celle de personnes affectionnées entre toutes. La réaction n'est pas récente et s'explique d'ailleurs aisément. En effet, la Bible ne parle-t-elle pas de la vie comme du plus grand don de Dieu ?
La marque du péché sur la mort
S'il est vrai que, comme tout être vivant, l'être humain doit mourir tout simplement
parce qu'il est crée et fini, il n'en demeure pas moins tout aussi vrai qu'une lecture judéo-chrétienne du mystère de la mort permet de voir un lien entre le péché, puissance de destruction du coeur, et la mort, puissance de destruction de la chair. Ce lien est, par exemple, clairement attesté par Paul qui nous présente la mort en Rm 6,23 comme le salaire du péché. C'est d'ailleurs précisément un verset du genre qui laisse croire à plusieurs que l'être humain ne serait pas mortel si Adam et Ève n'avaient pas péché. Or, vous le verrez à l'instant, cette affirmation de Paul se doit d'être comprise de manière correcte pour éviter toute confusion.
En effet, l'Apôtre n'est pas en train de nous dire à cet endroit que, sans le péché, l'être humain n'aurait jamais à mourir physiquement ou biologiquement. Pour lui, il s'agit de tout autre chose. Dans ce verset, la mort a le sens de
perdition ou, si vous préférez, de
fin absolue, de non-ouverture vers une vie éternelle après l'événement de la mort physique. C'est bien différent ! Vous aurez du coup compris que, non responsable de sa mort biologique, l'être humain le devient relativement à cette mort englobante. Vous aurez peut-être également deviné que, sans le péché, la mort existerait, mais
non comme ce qu'elle est devenue par la faute de l'homme et de la femme.
L'exégète Pierre Grelot ne dit pas autre chose :
Le même processus de dissolution organique se serait présenté dans des conditions toutes différentes, si la vie familiale d'amitié avec Dieu, liée à la justice originelle, en avait institué le cadre et éclairé la finalité ultra-terrestre. Ici l'Intuition poétique de Péguy se montre beaucoup plus réaliste que les constructions compliquées des théologiens médiévaux : "Ce qui depuis ce jour est devenu la mort n'était qu'un naturel et tranquille départ". Par l'entrée du péché dans le monde, ce départ à changé de sens et revêtu des modalités contre-nature. Si les choses avaient tourné autrement, sans doute ce départ nécessaire aurait-il eu le caractère d'une ultime mutation, où l'être corporel et animal de l'homme aurait revêtu un mode nouveau d'existence.
Marc Oraison partage quant à lui, sous forme de question, une manière de voir assez semblable à la précédente :
"Mais pour mieux faire comprendre la signification de la mort dans la vision chrétienne du monde, comme elle nous apparaît comme la loi biologique de la vie du temps, ne pourrait-on pas dire que, sans cet inexplicable conflit de la liberté, nous passerions sans heurt, sans déchirure, sans réticence ni arrachage, de la durée à l'au-delà de la durée ? C'est sans doute le sens profond de ce que l'Église affirme à propos de Marie, la Vierge mère de Jésus, en parlant de son Assomption."
Nécessité de nature, la mort aurait donc été très différente pour tous et chacun sans, à l'origine, le mauvais usage de la liberté de l'homme, mauvais usage perpétué d'ailleurs par tous et toutes. Cela ne donne absolument rien de tomber sur le dos des premiers parents, comme on a eu trop longtemps coutume de le faire dans le passé. Regardons-nous un peu vivre et nous constaterons que nous ne sommes guère mieux que nos ancêtres et devanciers. C'est dire que d'inévitable, simple fin de cette vie-ci, la mort s'est transformée, à cause du péché, en un châtiment, une malédiction, ce qu'elle ne devait pas du tout être initialement."
Source : M.T. Nadeau [Soeur de la Congrégation de Notre-Dame],
Que deviennent les morts ?, p. 50