Vous pouvez lire ci-dessous la transcription d'une de ses conférences qui résume cet ouvrage.
http://www.ssf-fr.org/offres/doc_inline ... 7islam.pdf
J'en fait ci-dessous un extrait, qui permettra peut-être à certain de mieux évaluer ce que représente l'islam, qui, qu'on le veuille ou non est bien plus qu'une idéologie qu'on peut "interdire légalement" (rationnellement parlant) :
Pour résumer les acteurs en présence, et simplifier évidemment, deux forces se disputent la définition de l’orthodoxie musulmane sunnite et s’opposent.
La première, c’est l’islam sunnite traditionnel, l’islam impérial – c’est-à-dire celui qui s’est élaboré dans le cadre des empires arabes et ottoman et qui a servi de cadre religieux, législatif et spirituel à ces empires du passé. Cette longue expérience du pouvoir, et du pouvoir sur des populations très diverses, l’a obligé à élaborer des outils de gestion de la diversité. Pour quiconque travaille sur cet islam classique, la diversité est un élément essentiel, à rebours de ce qu’on imagine souvent sur un islam qui serait obsédé par l’unité et l’uniformité. L’islam impérial ne se contente pas de donner un cadre, évidemment tout à fait dépassé aujourd’hui mais relativement généreux au moyen-âge, pour organiser la diversité confessionnelle dans l’empire, en permettant aux juifs et aux chrétiens de pratiquer leur culte, en trouvant des astuces pour intégrer dans ce cadre d’autres traditions religieuses comme l’hindouisme ; il organise également la diversité en son sein : diversité théologique, diversité juridique (ce n’est pas rien : l’islam classique accepte au moins quatre écoles de droit, qui se reconnaissent entre elles comme légitimes. Quatre manières de comprendre la volonté de Dieu, distinctes mais pouvant cohabiter en bonne intelligence ! Quatre versions de la sharīʿa, dont il est dès lors difficile de faire un absolu), diversité spirituelle aussi.
Cet islam-là a élaboré au fil des siècles une tradition de sagesse pratique. Il est notable par exemple que la fameuse lapidation prévue par les sources musulmanes pour punir les femmes adultères n’ait été, semble-t-il, au cours des quatre siècles qu’a duré l’empire ottoman, mise en pratique qu’une seule fois, à Istanbul ; et les chroniqueurs qui rapportent le fait en sont absolument horrifiés. Les savants musulmans classiques n’avaient en général guère plus d’appétit que nous pour un châtiment aussi barbare qu’ils cherchent à tout prix à éviter et qui, d’ailleurs, ne vient même pas du Coran. La doctrine juridique veut donc que, pour que l’adultère soit établi, on dispose de quatre témoins (c’est ce que demandent les sources) ; et ce témoignage est volontairement compris en son sens le plus fort : les quatre témoins doivent avoir été témoins oculaires de la pénétration elle-même. Cela suppose des conditions particulièrement peu communes. De ce fait, une condamnation à la lapidation pour adultère devient, dans les faits, à peu près impossible. Vous l’aurez compris, je ne mentionne pas là le fait que certains musulmans soient des gens tout à fait généreux et sensibles, mais bien la pratique que l’islam a eu, des siècles durant, de son propre héritage. C’est une manière de vivre l’islam, qui est probablement légitime puisqu’elle a dominé l’essentiel de l’histoire musulmane, et conserve une influence considérable.
Cet islam classique est aussi un islam culturel. Cela ne veut pas dire qu’il n’est pas religieux, mais qu’il s’inscrivait dans un cadre culturel, dans une société, dont il n’était pas facilement dissociable. C’est-à-dire qu’il était possible, dans cet univers, d’être authentiquement musulman sans être constamment mobilisé sur des questions religieuses : le religieux fait partie de la vie, il ne vient pas constamment la bouleverser pour tout le monde. L’islam, à la période classique, ne se prétend pas une doctrine pour une élite de militants surengagés. C’est une maison large, ouverte à la société dans son ensemble.
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Car cet islam impérial a connu quelques soucis. Au XIXe siècle, quand la supériorité technique et scientifique de l’Occident est devenue évidente en se doublant d’une supériorité militaire qui a permis la colonisation d’immenses territoires musulmans, on l’a accusé, chez les musulmans eux-mêmes, d’être la cause de la décadence de la civilisation arabomusulmane, d’avoir trahi, de s’être sclérosé, d’avoir perdu la vigueur de l’islam des origines à force de subtilité juridique et théologique. Des mouvements de réforme sont apparus, qui ont voulu moderniser l’islam ; certains en le laïcisant, en l’occidentalisant, et d’autres en revenant à l’origine.
C’est dans ce dernier mouvement que va apparaître le salafisme. Les « salaf », ce sont les pieux anciens, les premières générations musulmanes, considérées comme un modèle indépassable, encore préservé de la dégradation progressive de la tradition. Cette préoccupation pour l’origine comme source d’un possible renouveau apparaît chez des penseurs qui veulent moderniser l’islam à la fin du XIXe siècle ; et cette volonté modernisatrice va rencontrer sur sa route un mouvement théologique totalement marginal, le wahhabisme, né à la fin du XVIIIe siècle dans une oasis des déserts d’Arabie, qui promeut un islam bédouin à la fois très simple et très rigoriste, loin de la décadence de l’islam des villes. Ces deux mouvements assez différents vont faire, au début du XXe siècle, une forme de jonction inattendue. L’argent du pétrole de la monarchie séoudienne, salafiste par excellence, et la mobilisation du jihād contre les Soviétiques en Afghanistan, qui a rassemblé des musulmans du monde entier, ont permis à cette idéologie de se répandre, au point de devenir,
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d’une hérésie condamnée et prise de très haut par les autorités musulmanes à ses débuts, un candidat sérieux à la nouvelle orthodoxie.
Le salafisme n’est pas un mouvement traditionnel. C’est même exactement le contraire : il refuse l’islam traditionnel, il refuse la tradition, ce qui se passe de générations en générations, au nom d’un rapport direct à l’origine. Ils jouent leurs arrière-arrière-arrièrearrière-grands-parents contre leurs parents et grands-parents. Ils refusent l’islam qu’ils ont reçu, qui est l’islam traditionnel, classique, impérial, au nom d’un autre islam, jugé plus authentique. Ce n’est pas un mouvement conservateur : au contraire, il cherche à dynamiter le passé, l’héritage, au nom d’un passé nettement plus lointain et donc nécessairement fantasmé.
Car l’ennui, ou l’avantage, avec les arrière-arrière-arrière-arrière-grands-parents, c’est qu’on ne les a pas connus. On peut donc leur faire dire à peu près ce qu’on veut. Les parents et les grands-parents, c’est plus complexe, cela résiste. Mais le passé lointain ouvre de vastes champs à l’imagination.
Cet islam-là n’est pas lesté par des siècles d’expérience historique des responsabilités. Il n’a jamais eu à faire cohabiter des peuples, à appliquer des lois, à se confronter à un réel qui existe, qui résiste et qui oblige à faire aussi de la politique – qui est l’art du compromis avec le réel.
Cet islam-là ne s’embarrasse pas de culture : il est religieux, et rêve que toute la vie des individus soit réglée par des préceptes religieux. Il rêve de musulmans chimiquement purs, qui ne seraient que musulmans et pas en même temps égyptiens, pharmaciens, fans de football,