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par Cinci » lun. 11 juin 2018, 13:18
Les étapes
1. Le Dieu des armées
Pendant plus de dix siècles, les Juifs se représentent leur Dieu comme un Dieu "tribal", plus fort que les autres dieux.
"Qui est comme toi, Yavhé, parmi les dieux, qui est comme toi, illustre en sainteté ?" (Ex 15,11)
Entre les dieux, pas un comme toi, rien qui ressemble à tes oeuvres" (Ps 86, 7-8)
Yavhé a fait alliance avec son peuple : il a choisi Israël sans mérite de sa part (DT 9,4), parce qu'il l'aime et qu'il veut tenir le serment fait à ses pères (Dt 7,6). Israël sera son peuple; celui-ci Le servira par son culte. En retour, Yavhé lui assure aide et protection : il marchera avec lui dans les combats pour le sauver de ses ennemis (Dt 20, 4)
C'est pourquoi Dieu est appelé le "Fort", le "champion des combats". L'arche d'alliance symbolise sa présence dans la bataille et le cri de guerre a valeur quasi liturgique. Une fois installé en Terre promise, Israël veut avoir un roi comme les autres peuples. Dieu le lui donne à contrecoeur, il l'avertit notamment des violences qui en résulteront : les rois seront tentés de faire peser sur leurs sujets une autorité insupportable.
La réalité dépasse la fiction. Avec la royauté, les hommes seront astreints à servir de longs mois dans l'armée. Les prophètes réagiront vivement contre cette installation dans la technique militaire. On s'aligne, disent-ils, sur les moeurs des nations. Isaïe dénonce la confiance que met Israël dans les chars de l'Égypte, son alliée; c'est en Dieu qu'il devrait mettre sa confiance. "Malheur à ceux qui descendent en Égypte pour y chercher du secours. Ils comptent sur les chevaux, ils mettent leur confiance dans les chars, car ils sont nombreux et dans les cavaliers, car ils sont très forts. Ils ne se sont pas tournés vers le Saint d'Israël" (Isaïe 31,1)
Un thème revient souvent dans les Psaumes :
"Illusion que des chevaux pour la victoire : une armée ne donne pas le salut. Dieu veille sur ceux qui le craignent, qui mettent leur espoir en son amour" (Ps 33, 17-18)
2 Le Dieu "briseur de guerre"
La catastrophe nationale de 587 - la prise et le saccage de Jérusalem par les armées de Nabuchodonosor - provoque une secousse profonde dans la pensée du peuple élu :"Qu'avons-nous fait de si grave pour mériter un tel destin ?" Certes, les derniers rois d'Israël n'avaient pas été des saints, mais le bon roi Josias (609) avait quand même accompli une véritable restauration religieuse ! Sous l'influence des prophètes comme Ezéchiel, les déportés vont abandonner la vision théologique des siècles précédents. Ils ne vont plus considérer leurs défaites militaires et leur exil comme la conséquence automatique d'un péché collectif particulièrement grave qu'auraient commis leurs parents. Il ne faut pas chercher à comprendre les raisons de l'exil, affirme Ezéchiel : Dieu est plus grand que nous ne l'imaginons ... et nous plus pécheurs qu'il nous le semble ! N'allons pas demander des comptes à Dieu ! La victoire militaire n'est pas le seul gage de son amour !
Il viendra même un temps où les hommes de Dieu comprendront que l'échec, loin d'être un châtiment divin pour celui qui le subit, peut être une source de bénédictions divines pour le peuple tout entier.
"Nous le considérions comme puni, frappé par Dieu et humilié.
Mais lui, il a été transpercé à cause de nos crimes,
écrasé à cause de nos fautes.
Le châtiment qui nous rend la paix est sur lui
et dans ses blessures nous trouvons la guérison"
(Isaïe 53, 4-5)
Revenu de l'exil, Israël relit son histoire et comprend de mieux en mieux que Dieu n'approuve ni la violence ni la vengeance.
Le livre de Judith - écrit vers le IIIe siècle avant Jésus - ne sacralise plus les guerres que doit livrer Israël. Certes, Judith demande à Dieu "d'armer son bras et de lui donner la force de frapper Holopherne". Mais cette violence lui semble le seul moyen d'empêcher l'extermination de son peuple et, loin de se glorifier de sa victoire, elle se retire chez elle. Bien mieux, chose rare à l'époque pour une femme à qui tout sourit, elle vit seule, sans se remarier après son précoce veuvage (Judith 16,22)
A travers Judith, le peuple juif a enfin compris que le vrai nom de Dieu n'est pas le "Dieu des armées", mais "Briseur de guerres"(9,7; 16,2)
(à suivre)