Un simple prétexte (vous vous en doutez bien) pour partager un texte que je trouve intéressant. C'est écrit par feu Jean Daniélou. En souvenir aussi de Mike.Adoo.
Ça va comme suit :
LOT
Lorsque Abraham après avoir pérégriné de Chaldée en Aram, d'Aram en Égypte vint enfin se fixer dans le pays de Canaan, il dut se séparer de son neveu Lot, "car leurs biens étaient trop considérables pour qu'ils puissent demeurer ensemble" (Gen, XIII, 6).
Abraham demeura dans les collines de Judée, Lot descendit dans la vallée du Jourdain : "C'était avant que Yahweh eût détruit Sodome et Gomorrhe, comme le paradis de Yahweh" (XIII, 10) . C'est dans cette région aujourd'hui désertique, dans les collines de Moab qui dominent à l'Orient la Mer Morte, que Lot a été chez les chrétiens l'objet d'un culte. On a retrouvé à Madaba une église qui lui est consacrée, avec des inscriptions adressées à "Saint Lot".
Ce culte est justifié par l'Écriture et la Tradition. Déjà le Livre de la Sagesse parle du "juste" Lot (X, 6). Jésus le présente comme un modèle de la foi (Luc XVII, 32-33) et la Seconde Épitre de Pierre le célèbre (II,7). Irénée va même jusqu'à voir en lui une figure du Christ. Et si Origène trouve cela excessif, il n'en rend pas moins hommage au vieux patriarche. L'Église inscrit saint Lot au martyrologue et sa fête est célébrée le 10 octobre.
Or Lot est étranger à la descendance d'Abraham. Il est l'ancêtre des Moabites. C'est bien pourquoi les Juifs l'ont rabaissé (Jubilés, XVI, 8), tandis que les chrétiens l'ont exalté. Il manifestait en effet l'universalité de l'appel à la foi. Il fait partie des précurseurs du Christ dans le monde païen. Justin le nomme à ce titre, à côté d'Adam, d'Abel, d'Hénoch, de Noé, de Melchisédech, parmi ceux "qui n'ont pas observé le sabbat et cependant ont plut à Dieu" (Dial., XIX, 4-5). Il témoigne ainsi de ce que, dans l'ordre naturel, certains hommes ont pu connaître le vrai Dieu et le servir. Il est ainsi un des saints de la religion cosmique, de la première alliance.
[...]
Lot accueille les deux anges qu'il prend pour des voyageurs. Il leur lave les pieds. Il leur offre des pains azymes. Or l'hospitalité est une des vertus fondamentales de l'ordre naturel. Elle veut dire en effet que tout homme, en tant qu'homme, doit être respecté. Elle signifie que le monde biologique des races et des nations est dépassé. Cette hospitalité Lot la pratique jusqu'à l'héroïsme. Il est persécuté à cause d'elle. Il est le saint de l'hospitalité. C'est pourquoi c'est cette vertu que les Pères ont voulu célébrer en lui.
Lot est aussi un modèle de pureté. Et ici son exemple a valeur exemplaire. Car Sodome et Gomorrhe sont devenus synonymes de la perversion sexuelle. Lot atteste que déjà, selon l'ordre nature, les réalités de l'amour sont soumises à la loi de Dieu. Saint Paul d'ailleurs a enseigné dans L'Épitre aux Romains que la perversion de l'amour était la conséquence de l'abandon de Dieu. La pureté de Lot au milieu d'un monde impur est ainsi un témoignage de sa fidélité à Dieu. Et dans un monde comme le nôtre où une sensualité insidieuse ronge une certaine intégrité spirituelle, son exemple rappelle que même avant toute loi positive, la vraie religion s'est toujours manifestée par la pureté.
Mais ce qui fait la grandeur de Lot, ce n'est pas seulement qu'il soit un juste, mais qu'il vive au milieu d'un monde pécheur. C'est là ce qu'a remarquablement souligné la Seconde Épitre de Pierre :
Ce qui apparaît ici en Lot c'est d'abord sa souffrance devant le péché. Attaché à Dieu et à sa Loi, la vue d'un péché l'afflige. Cette souffrance est la souffrance des saints. Trop souvent nous prenons notre partie du péché du monde, tout en essayant de nous en garder. Mais Lot ne s'y résigne pas."Si Dieu a condamné à une totale destruction les villes de Sodome et Gomorrhe et s'il a délivré le juste Lot, affligé de la conduite de ces scélérats - car, à cause de ce qu'il voyait et de ce qu'il entendait, ce juste, continuant à habiter au milieu d'eux, avait chaque jour son âme vertueuse tourmentée de leurs oeuvres iniques, - c'est que le Seigneur sait délivrer de l'épreuve les hommes pieux et réserver pour être punis au jour du jugement ceux qui s'abandonnent aux impures convoitises et méprisent sa souveraineté" (II Petr. II, 7-8).
Cette déplaisance du péché est la marque d'un coeur qui aime Dieu, car Dieu déteste le péché. Et pourtant Lot veut habiter au milieu des pécheurs. Et il atteste en ce sens de l'impuissance de la sainteté naturelle devant le péché du monde. Mais du moins il peut souffrir. Et telle sera souvent l'attitude du juste, acceptant sa solitude, dans un monde submergé par le matérialisme et l'impureté.
(à suivre)