Bernanos et la crise du Covid

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Bernanos et la crise du Covid

Message non lu par FMD » lun. 11 avr. 2005, 19:21

Bonjour Sola,

J'apprécie également énormément Bernanos mais ses pamphlets du type La Grande Peur des bien-pensants et son engagement au sein l'Action Française ne devraient a priori pas être un élément à charge puisqu'il a su ensuite faire amende honorable de ses errances idéologiques en s'affirmant comme un formidable témoin du Christ devant les atrocités commises par ses anciens alliés, parfois même par certains clercs, dans Les grands cimetières sous la lune, ouvrage écrit à Majorque en pleine guerre civile espagnole. Il a par ailleurs ensuite récidivé durant la Seconde Guerre Mondiale, je pense tout particulièrement à La France contre les robots, ouvrage terriblement visionnaire.

Sinon il est vrai que les béatifications et les canonisations de laïcs ont une saveur assez particulière, ce sont des messages forts à l'adresse d'une société sécularisée qui veut enfermer la religion dans la « sphère privée ». Je pense pour le coup à la récente béatification de Charles Ier de Habsbourg, dernier empereur d'Autriche-Hongrie.

Franck

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Message non lu par aramis » mar. 12 avr. 2005, 23:42

Bernanos grand écrivain.

La France contre les robots, Journal d'un curé de campagne, Sous le soleil de Satan... Des merveilles. Il a fait beaucoup pour le catholicisme, et c'était un homme bon, dont les crie de révolte contre les "imbéciles" sonnait si juste. Etait-il un Saint ? A-t-il fait des miracles ? Je ne sais pas. Je ne pense pas...

Par contre, le Panthéon.... Pourquoi pas ?
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Message non lu par FMD » mer. 13 avr. 2005, 12:29

aramis a écrit :Par contre, le Panthéon.... Pourquoi pas ?
Il y a assurément toute sa place, mais il reste toutefois à se demander si un homme ayant refusé les honneurs de l'Académie française aurait accepté d'être porté au Panthéon?

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Message non lu par aramis » mer. 13 avr. 2005, 14:16

Bien vu Franck. Mais alors, si son humilité l'empêchait d'entrer à l'Académie, ( à moins que çe ne fut sa peur des imbéciles ;) ) crois-tu qu'il aurait accepté une place parmi les Saints ?
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Message non lu par sola » jeu. 14 avr. 2005, 11:26

:) Il était trop humble pour ça, mais c'est le cas de presque tous les saints.

Hum tout de même, il a écrit sur l'Église et les prélats et les fidèles, des choses... J'en relisais hier (dans le recueil posthume et assez disparate appelé "les prédestinés") et je me suis dit "non, vraiment, c'est fichu"... et ce n'était pas au début de sa vie!... il n'affectionnait pas grand-monde dans l'Église à part les saints. ;-) et sa façon de le dire est difficile à més-interpréter!... ses phrases sur la médiocrité des prêtres, de leurs sermons, de leurs ouailles, de leurs chants, de tout... :mal:

Non, il faudrait encore laisser passer beaucoup de temps, que l'Église finisse par ressembler un peu plus à ce qu'il rêvait, et d'ailleurs c'est en train de se faire... :)
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Re: Dites, quel livre lisez-vous en ce moment ?

Message non lu par coeurderoy » mer. 10 juin 2009, 12:36

Eriluc a écrit :
coeurderoy a écrit : ah ! un grand classique ! (prêté et jamais rendu...) existe-t-il une édition récente ?
bien cordialement !
Il y a la dernière édition de 2002 qui n'est pas épuisé (cf Chapitre.com)

Mon exemplaire est de l'édition de 1975.

cordialement

Eric
Merci Eric, je vais essayer de retrouver ce bouquin (j'ai perdu également de Gimpel, les bâtisseurs de cathédrales, Microcosme, mais en ai vu plusieurs rééditions...). Je viens d'achever la très bonne biographie consacrée à Colette par Michel Del Castillo et relis La France contre les robots de Bernanos (Le Livre de Poche, biblio, 1999), livre que j'avais découvert il y a une vingtaine d'années : n'a pas pris une ride (au contraire !) depuis sa parution en 46 ou 47...
Cordialement !
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Re: Dites, quel livre lisez-vous en ce moment ?

Message non lu par coeurderoy » mar. 18 août 2009, 12:38

Lisez La France contre les robots dans la foulée, Luis, pas pris une ride le bouquin !

j'attaque Le sens de la vie monastique, de Louis Bouyer (Brepols ed, 1950) et resterai dans cette ambiance silencieuse et retirée en lisant Aux sources du silence, de Thomas Merton (Desclée de Brouwer, 1952)
Bonnes lectures à tous ! :lecteur:
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Re: Spéculation, crise boursière - et le catéchisme ?

Message non lu par stephlorant » ven. 12 août 2011, 17:27

Serge BS a écrit :Pas si loin finalement, car ce n'est finalement que la démonstration que la plupart des principes catholiques sont violés par les marchés financiers qui, effectivement et comme je l'ai écrit moultes fois, ignorent totalement l'homme, voient finalement l'homme, comme le territoire d'ailleurs, comme un handicap, bien plus l'éliminent de la décision au profit de machines !
!
Je me souviens qu'au cours des années d'après guerre (1946 ?), Bernanos avait entrepris une tournée de conférence. J'ai retrouvé quelque citations tirées de "La France contre les robots"... mais il semblerait qu'on l'ait vite oublié !

- "On ne comprend absolument rien à la civilisation moderne si l'on n'admet pas tout d'abord qu'elle est une conspiration universelle contre toute espèce de vie intérieure."

- "Un monde gagné pour la technique est perdu pour la liberté."

Je suis tombé ensuite sur ce texte plus complet, que je cite surtout à cause de sa verve, que j'aime beaucoup...

Georges Bernanos : Contre les robots !
Texte intégral

Quand la société impose à l'homme des sacrifices supérieurs aux services qu'elle lui rend, on a le droit de dire qu'elle cesse d'être humaine, qu'elle n'est plus faite pour l'homme, mais contre l'homme. Danš ces conditions, s'il arrive qu'elle se maintienne, ce ne peut être qu'aux dépens des citoyens ou de leur liberté !

Imbéciles, ne voyez-vous pas que la civilisation des machines exige en effet de vous une discipline chaque jour plus stricte ? Elle l'exige au nom du Progrès, c'est-à-dire au nom d'une conception nouvelle de la vie, imposée aux esprits par son énorme machinerie de propagande et de publicité.

Imbéciles ! Comprenez donc que la civilisation des machines est elle-même une machine, dont tous les mouvements doivent être de plus en plus parfaitement synchronisés ! Une récolte exceptionnelle de café au Brésil influe aussitôt sur le cours d'une autre marchandise en Chine, ou en Australie; le temps n'est certainement pas loin où la plus légère augmentation de salaires au Japon déchaînera des grèves à Detroit ou à Chicago, et finalement mettra une fois encore le feu au monde.

Imbéciles ! Avez-vous jamais imaginé que dans une société où les dépendances naturelles ont pris le caractère rigoureux, implacable, des rapports mathématiques, vous pourrez aller et venir, acheter ou vendre, travailler ou ne pas travailler, avec la même tranquille bonhomie que vos ancêtres ? Politique d'abord ! disait Maurras. La Civilisation des Machines a aussi sa devise : « Technique d'abord ! Technique partout ! »

Imbéciles ! Vous vous dites que la technique ne contrôlera, au pis aller, que votre activité matérielle, et comme vous attendez pour demain la « Semaine de Cinq Heures » et la Foire aux attractions ou verte jour et nuit, cette hypothèse n'a pas de quoi troubler beaucoup votre quiétude.

Prenez garde, imbécile ! Parmi toutes les Techniques, il y a une technique de la discipline et elle ne saurait se satisfaire de l'ancienne obéissance - obtenue vaille que vaille par des procédés empiriques, et dont on aurait dû dire quelle était moins la discipline qu'une indiscipline modérée.

La Technique prétendra tôt ou tard former des collaborateurs acquis corps et âme à son Principe, c'est-à-dire qui accepteront sans discussion inutile sa conception de l'ordre, la vie, ses Raisons de Vivre, Dans un monde tout entier voué à l'Efficience, `au Rendement, n'importe-t-il pas que chaque citoyen, dès sa naissance, soit consacré aux mêmes dieux ? La Technique ne peut être discutée, les solutions qu'elle impose étant par définition les plus pratiques. Une solution pratique n'est pas esthétique ou morale.

Imbéciles ! La Technique ne se reconnaît-elle pas déjà le droit, par exemple, d'orienter les jeunes enfants vers telle ou, telle profession ? N'attendez pas qu'elle se contente toujours de les orienter, elle les désignera. Ainsi, à l'idée morale, et même surnaturelle, de la vocation s'oppose peu à peu celle d'une simple disposition physique et Mentale, facilement contrôlable par les Techniciens.

Croyez-vous, imbéciles, qu'un tel système, et si rigoureux, puisse subsister par le simple consentement ? Pour l'accepter comme il veut qu'on l'accepte, il faut y croire, il faut y conformer entièrement non seulement ses actes, mais sa conscience. Le système n'admet pas de mécontents. Le rendement d'un mécontent — les statistiques le prouvent — est inférieur de 30 % au rendement normal, et de 5o ou 6o % au rendement d'un citoyen qui ne se contente pas de trouver sa situation supportable - en attendant le Paradis — mais qui la tient pour la meilleure possible. Dès lors, le premier venu comprend très bien quelle sorte de collaborateur le technicien est tenu logiquement de former. Il n'y a rien de plus mélancolique que d'entendre les imbéciles donner encore au mot de Démocratie son ancien sens. Imbéciles ! Comment diable pouvez-vous espérer que la Technique tolère un régime où le technicien serait désigné par le moyen du vote, c'est-à-dire non pas selon son expérience technique garantie par des diplômes, mais selon le degré de sympathie qu'il est capable d'inspirer à l'électeur ? La Société moderne est désormais un ensemble de problèmes techniques à résoudre. Quelle place le politicien roublard, comme d'ailleurs l'électeur idéaliste, peuvent-ils avoir là-dedans ?

Imbéciles ! Pensez-vous que la marche de tous ces rouages - économiques, étroitement dépendants les uns des autres et tournant à la vitesse de l'éclair va dépendre demain du bon plaisir des braves gens rassemblés dans les comices pour acclamer tel ou tel programme électoral ? Imaginez-vous que la Technique d'orientation professionnelle, après avoir désigné pour quelque emploi subalterne un citoyen jugé particulièrement mal doué, supportera que le vote de ce malheureux décide, 'en dernier ressort, de l'adoption ou du rejet d'une mesure proposée par la Technique elle-même ? Imbéciles ! Chaque progrès de la Technique vous éloigne un peu plus de la démocratie rêvée jadis par les ouvriers idéalistes du Faubourg Saint-Antoine. Il ne faut vraiment pas comprendre grand chose aux faits politiques de ces dernières années cour refuser encore d'admettre que le Monde moderne a déjà résolu, au seul avantage de la Technique, le problème de la Dem6cratie. Les Etats totalitaires, enfants terribles et trop précoces de la Civilisation des Machines, ont tenté de résoudre ce problème brutalement, d'un seul coup. Les autres nations brûlaient de les imiter, mais leur évolution vers la dictature s'est trouvée un peu ralentie du fait que, contraintes après Munich d'entrer en guerre contre le hitlérisme et le fascisme, elles ont dû, bon gré mal gré, faire de l'idée démocratique le principal, ou plus exactement l'unique élément de leur propagande. Pour qui sait voir, il n'en est pas moins évident que le Réalisme des démocraties ne se définit nullement lui-même par des déclarations retentissantes et vaines comme, par exemple, celle de 1a Charte de l'Atlantique, déjà tombée dans l'oubli.

Depuis la guerre de 1914, c'est-a-dire depuis leurs premières expériences, avec -Lloyd George et Clemenceau, des facilités de la dictature, les Grandes Démocraties ont visiblement pérdu toute confiance dans l'efficacité des anciennes méthodes démocratiques de travail et de gouvernement. On peut être sûr que c'est parmi leurs anciens adversaires, dont elles apprécient l'esprit; de discipline, qu'elles recruteront bientôt leurs principaux collaborateurs ; elles n'ont que faire des idéalistes, car l'Etat Technique n'aura demain qu'un seul ennemi : « l'homme qui ne fait pas comme tout le monde » ou encore : « l'homme qui a du temps à perdre » — ou plus simplement si vous voulez : « l'homme qui croit a autre chose qu'à la Technique ».

Extraits de :

LA FRANCE CONTRE LES ROBOTS, p. 192 à 199

Laffont. 1947
Pour citer ce document
, «Georges Bernanos : Contre les robots !», Les cahiers psychologie politique [En ligne], numéro 10, Janvier 2007. URL : http://lodel.irevues.inist.fr/cahiersps ... php?id=950
In manus tuas, Domine, commendo spiritum meum
http://www.youtube.com/watch?v=WDV94Iti5ic&feature=related (Philippe Herreweghe)

Serge BS
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Re: Spéculation, crise boursière - et le catéchisme ?

Message non lu par Serge BS » ven. 12 août 2011, 18:18

Excellent texte ! Et un livre trop oublié (sauf dans certains bureaux de l'EMA) : La France contre les Robots!

En complément sur l'idée de progrès, une réflexion de ma plume (plus liée à l'environnement, il est vrai) :
http://serge-bs.over-blog.com/article-r ... 82991.html

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Re: Un juge antiterroriste Français parle

Message non lu par p.cristian » mar. 21 avr. 2015, 23:11

Un texte de Bernanos qui semble bien à propos.
[Georges Bernanos] La France contre les robots (1944) - Pléiade, p. 989-993
Capitalistes, fascistes, marxistes, tous ces gens-là se ressemblent. Les uns nient la liberté, les autres font encore semblant d'y croire, mais qu'ils y croient ou n'y croient pas, cela n'a malheureusement plus beaucoup d'importance, puisqu'ils ne savent plus s'en servir. Hélas ! le monde risque de perdre la liberté, de la perdre irréparablement, faute d'avoir gardé l'habitude de s'en servir... Je voudrais avoir un moment le contrôle de tous les postes de radio de la planète pour dire aux hommes : " Attention ! Prenez garde ! La Liberté est là, sur le bord de la route, mais vous passez devant elle sans tourner la tête, personne ne reconnaît l'instrument sacré, les grandes orgues tour à tour furieuses ou tendres.
On vous fait croire qu'elles sont hors d'usage. Ne le croyez pas ! Si vous frôliez seulement du bout des doigts le clavier magique, la voix sublime remplirait de nouveau la terre...
Ah ! n'attendez pas trop longtemps, ne laissez pas trop longtemps la machine merveilleuse exposée au vent, à la pluie, à la risée des passants ! Mais, surtout, ne la confiez pas aux mécaniciens, aux techniciens, aux accordeurs, qui vous assurent qu'elle a besoin d'une mise au point, qu'ils vont la démonter. Ils la démonteront jusqu'à la dernière pièce et ils ne la remonteront jamais ! "

Oui, voilà l'appel que je voudrais lancer à travers l'espace; mais vous-même qui lisez ces lignes, je le crains, vous l'entendriez sans le comprendre. Oui, cher lecteur, je crains que vous ne vous imaginiez pas la Liberté comme de grandes orgues, qu'elle ne soit déjà pour vous qu'un mot grandiose, tel que ceux de Vie, de Mort, de Morale, ce palais désert où vous n'entrez que par hasard, et dont vous sortez bien vite, parce qu'il retentit de vos pas solitaires.
Lorsqu'on prononce devant vous le mot d'ordre, vous savez tout de suite ce que c'est, vous vous représentez un contrôleur, un policier, une file de gens auxquels le règlement impose de se tenir bien sagement les uns derrière les autres, en attendant que le même règlement les entasse pêle-mêle cinq minutes plus tard dans un restaurant à la cuisine assassine, dans un vieil autobus sans vitres ou dans un wagon sale et puant. Si vous êtes sincère, vous avouerez peut-être même que le mot de liberté vous suggère vaguement l'idée du désordre -la cohue, la bagarre, les prix montant d'heure en heure chez l'épicier, le boucher, le cultivateur stockant son maïs, les tonnes de poissons jetées à la mer pour maintenir les prix. Ou peut-être ne vous suggérerait-il rien du tout, qu'un vide à remplir-comme celui, par exemple, de l'espace... Tel est le résultat de la propagande incessante faite depuis tant d'années par tout ce qui dans le monde se trouve intéressé à la formation en série d'une humanité docile, de plus en plus docile, à mesure que l'organisation économique, les concurrences et les guerres exigent une réglementation plus minutieuse.
Ce que vos ancêtres appelaient des libertés, vous l'appelez déjà des désordres, des fantaisies.
"Pas de fantaisies ! disent les gens d'affaires et les fonctionnaires également soucieux d'aller vite, le règlement est le règlement, nous n'avons pas de temps à perdre pour des originaux qui prétendent ne pas faire comme tout le monde... " Cela va vite, en effet, cher lecteur, cela va très vite. J'ai vécu à une époque où la formalité du passeport semblait abolie à jamais. N'importe quel honnête homme, pour se rendre d'Europe en Amérique, n'avait que la peine d'aller payer son passage à la Compagnie transatlantique. Il pouvait faire le tour du monde avec une simple carte de visite dans son portefeuille. Les philosophes du XVIIIe siècle protestaient avec indignation contre l'impôt sur le sel-la gabelle-qui leur paraissait immoral, le sel étant un don de la Nature au genre humain. Il y a vingt ans, le petit bourgeois français refusait de laisser prendre ses empreintes digitales, formalité jusqu'alors réservée aux forçats. Oh ! oui, je sais, vous vous dites que ce sont là des bagatelles. Mais en protestant contre ces bagatelles, le petit bourgeois engageait sans le savoir un héritage immense, toute une civilisation dont l'évanouissement progressif a passé presque inaperçu, parce que l'État moderne, le Moloch technique, en posant solidement les bases de sa future tyrannie, restait fidèle à l'ancien vocabulaire libéral, couvrait ou justifiait du vocabulaire libéral ses innombrables usurpations. Au petit bourgeois français refusant de laisser prendre ses empreintes digitales, l'intellectuel de profession, le parasite intellectuel, toujours complice du pouvoir, même quand il paraît le combattre, rispostait avec dédain que ce préjugé contre la Science risquait de mettre obstacle à une admirable réforme des méthodes d'identification, qu'on ne pouvait sacrifier le Progrès à la crainte ridicule de se salir les doigts.
Erreur profonde ! Ce n'était pas ses doigts que le petit bourgeois français, l'immortel La Brige de Courteline, craignait de salir, c'était sa dignité, c'était son âme. Oh ! peut-être ne s'en doutait-il pas, ou ne s'en doutait-il qu'à demi, peut-être sa révolte était-elle beaucoup moins celle de la prévoyance que celle de l'instinct.
N'importe ! On avait beau lui dire : « Que risquez-vous ? Que vous importe d'être instantanément reconnu, grâce au moyen le plus simple et le plus infaillible ? Le criminel seul trouve avantage à se cacher... ». Il reconnaissait bien que le raisonnement n'était pas sans valeur, mais il ne se sentait pas convaincu. En ce temps-là, le procédé de M. Bertillon n'était en effet redoutable qu'au criminel et il en est de même encore maintenant. C'est le mot de criminel dont le sens s'est prodigieusement élargi, jusqu'à désigner tout citoyen peu favorable au Régime, au Système, au Parti, ou à l'homme qui les incarne. Le petit bourgeois français n'avait certainement pas assez d'imagination pour se représenter un monde comme le nôtre si différent du sien, un monde où à chaque carrefour la Police d'État guetterait les suspects, filtrerait les passants, ferait du moindre portier d'hôtel, responsable de ses fiches, son auxiliaire bénévole et public. Mais tout en se félicitant de voir la Justice tirer parti, contre les récidivistes, de la nouvelle méthode, il pressentait qu'une arme si perfectionnée, aux mains de l'État, ne resterait pas longtemps inoffensive pour les simples citoyens. C'était sa dignité qu'il croyait seulement défendre, et il défendait avec elle nos sécurités et nos vies. Depuis vingt ans, combien de millions d'hommes, en Russie, en Italie, en Allemagne, en Espagne, ont été ainsi, grâce aux empreintes digitales, mis dans l'impossibilité non pas seulement de nuire aux Tyrans, mais de s'en cacher ou de les fuir ? Et ce système ingénieux a encore détruit quelque chose de plus précieux que des millions de vies humaines.
L'idée qu'un citoyen, qui n'a jamais eu affaire à la Justice de son pays, devrait rester parfaitement libre de dissimuler son identité à qui il lui plaît, pour des motifs dont il est seul juge, ou simplement pour son plaisir, que toute indiscrétion d'un policier sur ce chapitre ne saurait être tolérée sans les raisons les plus graves, cette idée ne vient plus à l'esprit de personne.

Le jour n'est pas loin peut-être où il nous semblera aussi naturel de laisser notre clef dans la serrure, afin que la police puisse entrer chez nous nuit et jour, que d'ouvrir notre portefeuille à toute réquisition. Et lorsque l'État jugera plus pratique, afin d'épargner le temps de ses innombrables contrôleurs, de nous imposer une marque extérieure, pourquoi hésiterions-nous à nous laisser marquer au fer, à la joue ou à la fesse, comme le bétail ? L'épuration des Mal-Pensants, si chère aux régimes totalitaires, en serait grandement facilitée.

III

Une civilisation ne s'écroule pas comme un édifice ; et on dirait beaucoup plus exactement qu'elle se vide peu à peu de sa substance, jusqu'à ce qu'il n'en reste plus que l'écorce. On pourrait dire plus exactement encore qu'une civilisation disparaît avec l'espèce d'homme, le type d'humanité, sorti d'elle. L'homme de notre civilisation de la civilisation française - qui fut l'expression la plus vive et la plus nuancée, la plus hellénique, de la civilisation européenne, a disparu pratiquement de la scène de l'Histoire le jour où fut décrétée la conscription. Du moins n'a-t-il plus fait depuis que se survivre.

Cette déclaration surprendra beaucoup d'imbéciles. Mais je n'écris pas pour les imbéciles. L'idée de la conscription obligatoire paraît si bien inspirée de l'esprit napoléonien qu'on l'attribue volontiers à l'Empereur. Elle a pourtant été votée par la Convention, mais l'idée des hommes de la Convention sur le droit absolu de l'État était déjà celle de Napoléon, comme elle était aussi celle de Richelieu, ou de Charles Quint, de Henri VIII ou du pape Jules II. Pour cette raison très simple que Robespierre et Richelieu, Charles Quint ou Henri VIII appartenaient tous ensemble à cette tradition romaine si puissante chez nous, particulièrement depuis la Renaissance

(Éd. Robert Lafont 1947, p. 47 à 58)
N.B. le P. de mon pseudo ne veut pas dire "père".

Tout ce que vous voudriez que les hommes fassent pour vous, vous aussi, faites-le de même pour eux, car c'est ce qu'enseignent la loi et les prophètes.

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Re: John Kerry à Hiroshima..

Message non lu par coeurderoy » mar. 12 avr. 2016, 7:50

Relisez "La France contre les robots" de Bernanos, il exprime mieux que je ne le saurais faire tout ce que je pense de ceux qui larguèrent les bombes atomiques sur des civils...
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Re: "Un homme, un vrai"

Message non lu par Cinci » dim. 07 janv. 2018, 17:16

Le problème avec les gros soucis de koztoujours concernant les méfaits du "catholicisme de droite" et maintenant dit "identitaire" et ce qui va apparaître comme son principal combat : on croirait que cette hantise chez lui à l'idée d'un possible regain de force de ses adversaires idéologiques lui ferait délégitimer complètement le moindre patriotisme réel, le moindre amour substantiel pour sa patrie.

Comme si le choix devait se limiter, ici, entre un catholicisme international et apatride et un faux catholicisme d'opérette, englobant dans la même exécration tous ces catholiques revendiquant leur enracinement, leur attachement à leur village, leurs traditions, leur histoire et tout.

A force de vouloir dénoncer une certaine imposture (il est vrai) qui serait un peu comme celle de "l'athée de tendance catholique", comme disait Victor Hugo - d'autres songeraient à la posture maurrassienne bien entendu - on en arrive à masquer une tout autre pan de la réalité, à savoir que le catholicisme peut aussi se conjuguer avec un vrai patriotisme, un réel souci de sauvegarde envers le patrimoine spirituel de son pays.

Une belle page de Bernanos dans La France contre les robots exprime un peu de quoi il retourne quant à cet "autre pan de la réalité" dont je parle.

Ici :
Mesdames et Messieurs, lorsque vous pensez à la France, si vous ne l'avez jamais vue, ne pensez pas d'abord à ses bibliothèques et à ses musées, mais à ses belles routes pleine d'ombre, à ses fleuves tranquilles, à ses villages fleuris, à ses vieilles églises rurales, six ou sept fois centenaires, à ses villes illustres, toutes ruisselantes d'histoire, mais d'un accueil simple et discret, à nos vieux palais construits si près du sol, en un si parfait accord avec l'horizon qu'un Américain, habitué aux gratte-ciel de son pays, risquerait de passer auprès d'eux sans les voir.

Et lorsque vous pensez à notre littérature, pensez-y aussi comme à une espèce de paysage presque semblable à celui que je viens de décrire, aussi familier, aussi accessible à tous, car nos plus belles oeuvres sont aussi les plus proches de l'expérience et du coeur des hommes, de leurs joies et de leurs peines.

C'est précisément parce que les siècles nous ont si profondément enracinés à notre sol, à notre terre, que nous pouvons opposer à la tyrannie un front invincible. La liberté n'est pas pour nous une abstraction [...] Notre liberté est une réalité vivante et permanente que nos pères ont vue de leurs yeux, touchée de leurs mains [...] nos champs, nos villes, nos palais, nos cathédrales ne sont pas les symboles de notre liberté, mais notre liberté même [...]

Mesdames et Messieurs, j'ai dit tout à l'heure que la culture française était une manière de vivre, je pourrais dire plus exactement encore que c'est une manière d'aimer. Et d'abord d'aimer la vie. Qui s'approche de nous, de notre civilisation, de notre histoire, doit d'abord rendre avec nous hommage à la vie, aimer la vie. C'est sur l'amour de la vie que nous fondons notre christianisme même, alors que la triste et violente Espagne tout imprégnée de sémitisme aime à fonder le sien sur la mort.

A cause de cela, nous sommes le peuple le plus chrétien de la terre, je veux dire le plus spontanément, le plus naturellement chrétien. Même ceux d'entre-nous qui ne croient pas que Dieu s'est fait homme, que la Vérité éternelle peut être aimée dans une âme et un corps, que la Vie et la Vérité ne font qu'un, dans une des personnes divines - via, veritas, vita - pensent et sentent comme s'ils le croyaient. Nous aimons la vie. Nous croyons en elle. Nous savons qu'elle ne nous a pas menti, qu'elle ne faillira pas à ses promesses.

Nous aimons la vie, parce que c'est Dieu qui l'a faite, qui l'a faite pour les hommes, et non les hommes pour elle.

Nous l'honorons et l'aimons non pas en figures et en symboles, mais dans ses manifestations temporelles, la patrie, la province, le village où nous sommes nés, la terre étrangère où le destin nous a portés - que dis-je ? la maison inconnue où nous avons dormi une nuit, et que nous n'oublierons peut-être jamais.

[...]

Le célèbre journaliste américain Waldo Frank - mais tous les journalistes américains sont célèbres - me demandait un jour comment je pouvais aimer le Brésil où j'avais si peu voyagé, alors que lui-même, l'ayant parcouru dans tous les sens, n'osait se flatter de le connaître : "Que voulez-vous ? lui dis-je, il me semble que vous vous y êtes précisément trop agité. Pour aimer, il faut prendre le temps d'aimer. Pour devenir un peu Brésilien, je me suis fait d'abord Mineiro, j,ai essayé de prendre racine quelque part. Vous ne pouviez pas prendre racine en chemin de fer."

Tiré de
Georges Bernanos, La France contre les robots, Le castor astral, 2009, p. 148 (1945 pour l'édition originale)

Le Bernanos qui écrit cette page en 1945 - et au lendemain de la Libération - est le même Georges Bernanos qui vient de passer cinq ans d'exil volontaire au Brésil, par besoin de "cracher la la gueule de la Révolution nationale".

Parlons du même Bernanos qui condamne sans appel le Franquisme et la lâcheté ou la compromission du clergé dans Les grands cimetières et qui récidive en introduction de son grand texte de 1945 cité au-dessus "... l'opinion cléricale qui a justifié et glorifié la farce sanglante du Franquisme n'était nullement exaltée. Elle était lâche et servile. Engagés dans une aventure abominable, ces évêques, ces prêtres, ces millions d'imbéciles, n'auraient eu pour en sortir qu'à rendre hommage à la liberté; mais la vérité leur faisait plus peur que le crime." (La France contre les robots, p. 38)

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Riou
Barbarus
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Re: Je vous en supplie, faites-vous vacciner !

Message non lu par Riou » jeu. 12 août 2021, 12:08

Jean-Mic a écrit :
mer. 11 août 2021, 21:46
Paru en juillet dans L'Indépendant :
Les non-vaccinés représentent près de 85 % des entrées hospitalières, que ce soit en hospitalisation conventionnelle ou en soins critiques, a rapporté la direction de la Recherche, des Études, de l'Évaluation et des Statistiques (Drees) dans un communiqué.

Cette étude, réalisée sur la période du 31 mai au 11 juillet 2021, permet d’apporter de nouveaux éclairages sur la répartition des entrées hospitalières selon le statut vaccinal. La Dress, le service statistique des ministères sociaux, a publié cette étude pour la première fois ce vendredi 30 juillet sur la base de données croisées des résultats des tests Covid-19, des vaccinations et des hospitalisations. À partir d'août, elle sera actualisée toutes les semaines et mise en ligne sur le site en open data de la Drees, a indiqué à l'AFP le ministère de la Santé.

Selon les premiers résultats, les personnes non vaccinées représentaient 84% des entrées en hospitalisation dite conventionnelle et 85% des hospitalisations en soins critiques. Les patients complètement vaccinés représentaient, eux, 7% des admissions, soit une proportion cinq fois plus faible que la couverture vaccinale de la population à l'époque. L'étude prouve également que le risque de décès est largement plus important sans la vaccination. Ainsi, 78% des personnes mortes du coronavirus n'étaient pas vaccinées. À l’inverse, seules 11% des personnes décédées bénéficiaient d'un schéma vaccinal complet.
La vaccination permet de désengorger les hôpitaux

Au moment de l'étude, environ 35% de la population avaient un schéma vaccinal complet et 45% n'avaient reçu aucune dose de vaccin. "La remontée récente des entrées hospitalières est portée par les personnes non vaccinées", note la Drees. Entre le 5 et le 11 juillet, en moyenne 50 personnes non-vaccinées contre six personnes complètement vaccinées ont été admises en hospitalisation conventionnelle, selon la Drees. Sur la même période, 15 personnes non-vaccinées ont été admises quotidiennement en soins critiques, contre une seule au schéma vaccinal complet.

Concernant les décès de patients Covid-19, une très large majorité (78%) concernent des personnes non vaccinées, 11% des personnes complètement vaccinées, et 11% des personnes ayant reçu une première dose, selon les chiffres présentés. Concernant le variant Delta, la part des patients présentant la mutation L452R (portée notamment par ce variant) apparaît un peu plus élevée parmi les admissions en soins critiques que parmi les entrées en hospitalisation conventionnelle, suggérant que ce variant "génère une proportion un peu plus élevée de cas graves". Ces enseignements restent toutefois "fragiles, en raison de la faiblesse du nombre de cas identifiés sur cette première période d'étude", précise la Drees.
Bonjour,

Il est dommage que vous ne teniez aucun compte des objections raisonnables sur l'éthique médicale et, par ailleurs, sur le passe sanitaire. Par exemple : le fait que le CCNE dirigé par Delfraissy et composé de plusieurs scientifiques déclare clairement que la vaccination pour les adolescents est délicate à l'heure actuelle, étant donné que la pleine sécurité des vaccins pour cette tranche d'âge n'est pas encore assurée, ne semble même pas vous concerner le moins du monde. Au fond, à vous lire, c'est comme si ça n'existait pas.
Cela changera peut-être, mais reconnaissez que la vaccination des adolescents est commencée avant même son feu vert médical sur cette tranche d'âge, et qu'embarquer des sujets sains qui risquent si peu avec ce virus dans une telle entreprise est loin d'être une action moralement bonne. Il faudra plus qu'une supplication et un appel à la tyrannie de l’émotion pour étouffer les questions morales complexes propres à cette période troublée.
En cela, votre article me donne l'impression de bien correspondre à cette phrase de Bernanos : la caractéristique du monde moderne réside en ceci qu'il refuse absolument d'être discuté. Avec cet article, vous faites comme si la discussion et les objections n'existaient pas. Cette surdité est celle du monde moderne : les problèmes sociaux ne seraient qu'un problème technique offert à la gestion des gens qui croient au salut par la technique, sans réflexion, cela va de soi - et surtout sans discussion.

Bernanos pourrait, à sa manière, répondre à votre article paru dans le journal "L'indépendant" (!). Ces textes sont issus deLa France contre les robots :
[+] Texte masqué
"Oui, cher lecteur, je crains que vous ne vous imaginiez pas la Liberté comme de grandes orgues, qu’elle ne soit déjà pour vous qu’un mot grandiose, tel que ceux de Vie, de Mort, de Morale, ce palais désert où vous n’entrez que par hasard, et dont vous sortez bien vite, parce qu’il retentit de vos pas solitaires. Lorsqu’on prononce devant vous le mot d’ordre, vous savez tout de suite ce que c’est, vous vous représentez un contrôleur, un policier, une file de gens auxquels le règlement impose de se tenir bien sagement les uns derrière les autres, en attendant que le même règlement les entasse pêle-mêle cinq minutes plus tard dans un restaurant à la cuisine assassine, dans un vieil autobus sans vitres ou dans un wagon sale et puant. Si vous êtes sincère, vous avouerez peut-être même que le mot de liberté vous suggère vaguement l’idée du désordre — la cohue, la bagarre, les prix montant d’heure en heure chez l’épicier, le boucher, le cultivateur stockant son maïs, les tonnes de poissons jetées à la mer pour maintenir les prix. Ou peut-être ne vous suggérerait-il rien du tout, qu’un vide à remplir — comme celui, par exemple, de l’espace… Tel est le résultat de la propagande incessante faite depuis tant d’années par tout ce qui dans le monde se trouve intéressé à la formation en série d’une humanité docile, de plus en plus docile, à mesure que l’organisation économique, les concurrences et les guerres exigent une réglementation plus minutieuse. Ce que vos ancêtres appelaient des libertés, vous l’appelez déjà des désordres, des fantaisies : « Pas de fantaisies ! disent les gens d’affaires et les fonctionnaires également soucieux d’aller vite, le règlement est le règlement, nous n’avons pas de temps à perdre pour des originaux qui prétendent ne pas faire comme tout le monde… » Cela va vite, en effet, cher lecteur, cela va très vite. J’ai vécu à une époque où la formalité du passeport semblait abolie à jamais. N’importe quel honnête homme, pour se rendre d’Europe en Amérique, n’avait que la peine d’aller payer son passage à la Compagnie Transatlantique. Il pouvait faire le tour du monde avec une simple carte de visite dans son portefeuille. Les philosophes du XVIIIe siècle protestaient avec indignation contre l’impôt sur le sel — la gabelle — qui leur paraissait immoral, le sel étant un don de la Nature au genre humain. Il y a vingt ans, le petit bourgeois français refusait de laisser prendre ses empreintes digitales, formalité jusqu’alors réservée aux forçats. Oh ! oui, je sais, vous vous dites que ce sont là des bagatelles. Mais en protestant contre ces bagatelles le petit bourgeois engageait sans le savoir un héritage immense, toute une civilisation dont l’évanouissement progressif a passé presque inaperçu, parce que l’État Moderne, le Moloch Technique, en posant solidement les bases de sa future tyrannie, restait fidèle à l’ancien vocabulaire libéral, couvrait ou justifiait du vocabulaire libéral ses innombrables usurpations. Au petit bourgeois français refusant de laisser prendre ses empreintes digitales, l’intellectuel de profession, le parasite intellectuel, toujours complice du pouvoir, même quand il paraît le combattre, ripostait avec dédain que ce préjugé contre la Science risquait de mettre obstacle à une admirable réforme des méthodes d’identification, qu’on ne pouvait sacrifier le Progrès à la crainte ridicule de se salir les doigts. Erreur profonde ! Ce n’était pas ses doigts que le petit bourgeois français, l’immortel La Brige de Courteline, craignait de salir, c’était sa dignité, c’était son âme. Oh ! peut-être ne s’en doutait-il pas, ou ne s’en doutait-il qu’à demi, peut-être sa révolte était-elle beaucoup moins celle de la prévoyance que celle de l’instinct. N’importe ! On avait beau lui dire : « Que risquez-vous ? Que vous importe d’être instantanément reconnu, grâce au moyen le plus simple et le plus infaillible ? Le criminel seul trouve avantage à se cacher… » Il reconnaissait bien que le raisonnement n’était pas sans valeur, mais il ne se sentait pas convaincu. En ce temps-là, le procédé de M. Bertillon n’était en effet redoutable qu’au criminel, et il en est de même encore maintenant. C’est le mot de criminel dont le sens s’est prodigieusement élargi, jusqu’à désigner tout citoyen peu favorable au Régime, au Système, au Parti, ou à l’homme qui les incarne. Le petit bourgeois français n’avait certainement pas assez d’imagination pour se représenter un monde comme le nôtre si différent du sien, un monde où à chaque carrefour la Police d’État guetterait les suspects, filtrerait les passants, ferait du moindre portier d’hôtel, responsable de ses fiches, son auxiliaire bénévole et public. Mais tout en se félicitant de voir la Justice tirer parti, contre les récidivistes, de la nouvelle méthode, il pressentait qu’une arme si perfectionnée, aux mains de l’État, ne resterait pas longtemps inoffensive pour les simples citoyens. C’était sa dignité qu’il croyait seulement défendre, et il défendait avec elle nos sécurités et nos vies. Depuis vingt ans, combien de millions d’hommes, en Russie, en Italie, en Allemagne, en Espagne, ont été ainsi, grâce aux empreintes digitales, mis dans l’impossibilité non pas seulement de nuire aux Tyrans, mais de s’en cacher ou de les fuir ? Et ce système ingénieux a encore détruit quelque chose de plus précieux que des millions de vies humaines. L’idée qu’un citoyen, qui n’a jamais eu affaire à la Justice de son pays, devrait rester parfaitement libre de dissimuler son identité à qui lui plaît, pour des motifs dont il est seul juge, ou simplement pour son plaisir, que toute indiscrétion d’un policier sur ce chapitre ne saurait être tolérée sans les raisons les plus graves, cette idée ne vient plus à l’esprit de personne. Le jour n’est pas loin peut-être où il nous semblera aussi naturel de laisser notre clef dans la serrure, afin que la police puisse entrer chez nous nuit et jour, que d’ouvrir notre portefeuille à toute réquisition. Et lorsque l’État jugera plus pratique, afin d’épargner le temps de ses innombrables contrôleurs, de nous imposer une marque extérieure, pourquoi hésiterions-nous à nous laisser marquer au fer, à la joue ou à la fesse, comme le bétail ? L’épuration des Mal-Pensants, si chère aux régimes totalitaires, en serait grandement facilitée. (p. 48 à 55)
[+] Texte masqué

Quand la société impose à l’homme des sacrifices supérieurs aux services qu’elle lui rend, on a le droit de dire qu’elle cesse d’être humaine, qu’elle n’est plus faite pour l’homme, mais contre l’homme. Dans ces conditions, s’il arrive qu’elle se maintienne, ce ne peut être qu’aux dépens des citoyens ou de leur liberté ! Imbéciles, ne voyez-vous pas que la civilisation des machines exige en effet de vous une discipline chaque jour plus stricte ? Elle l’exige au nom du Progrès, c’est-à-dire au nom d’une conception nouvelle de la vie, imposée aux esprits par son énorme machinerie de propagande et de publicité. Imbéciles ! comprenez donc que la civilisation des machines est elle-même une machine, dont tous les mouvements doivent être de plus en plus parfaitement synchronisés ! Une récolte exceptionnelle de café au Brésil influe aussitôt sur le cours d’une autre marchandise en Chine ou en Australie ; le temps n’est certainement pas loin où la plus légère augmentation de salaires au Japon déchaînera des grèves à Detroit ou à Chicago, et finalement mettra une fois encore le feu au monde. Imbéciles ! avez-vous jamais imaginé que dans une société où les dépendances naturelles ont pris le caractère rigoureux, implacable, des rapports mathématiques, vous pourrez aller et venir, acheter ou vendre, travailler ou ne pas travailler, avec la même tranquille bonhomie que vos ancêtres ? Politique d’abord ! disait Maurras. La Civilisation des Machines a aussi sa devise : « Technique d’abord ! technique partout ! » Imbéciles ! vous vous dites que la technique ne contrôlera, au pis aller, que votre activité matérielle, et comme vous attendez pour demain la « Semaine de Cinq Heures » et la Foire aux attractions ouverte jour et nuit, cette hypothèse n’a pas de quoi troubler beaucoup votre quiétude. Prenez garde, imbéciles ! Parmi toutes les Techniques, il y a une technique de la discipline, et elle ne saurait se satisfaire de l’ancienne obéissance obtenue vaille que vaille par des procédés empiriques, et dont on aurait dû dire qu’elle était moins la discipline qu’une indiscipline modérée. La Technique prétendra tôt ou tard former des collaborateurs acquis corps et âme à son Principe, c’est-à-dire qui accepteront sans discussion inutile sa conception de l’ordre, de la vie, ses Raisons de Vivre. Dans un monde tout entier voué à l’Efficience, au Rendement, n’importe-t-il pas que chaque citoyen, dès sa naissance, soit consacré aux mêmes dieux ? La Technique ne peut être discutée, les solutions qu’elle impose étant par définition les plus pratiques. Une solution pratique n’est pas esthétique ou morale. Imbéciles ! La Technique ne se reconnaît-elle pas déjà le droit, par exemple, d’orienter les jeunes enfants vers telle ou telle profession ? N’attendez pas qu’elle se contente toujours de les orienter, elle les désignera. Ainsi, à l’idée morale, et même surnaturelle, de la vocation s’oppose peu à peu celle d’une simple disposition physique et mentale, facilement contrôlable par les Techniciens. Croyez-vous, imbéciles, qu’un tel système, et si rigoureux, puisse subsister par le simple consentement ? Pour l’accepter comme il veut qu’on l’accepte, il faut y croire, il faut y conformer entièrement non seulement ses actes, mais sa conscience. Le système n’admet pas de mécontents. Le rendement d’un mécontent — les statistiques le prouvent — est inférieur de 30 % au rendement normal, et de 50 ou 60 % au rendement d’un citoyen qui ne se contente pas de trouver sa situation supportable — en attendant le Paradis — mais qui la tient pour la meilleure possible. Dès lors, le premier venu comprend très bien quelle sorte de collaborateur le technicien est tenu logiquement de former. Il n’y a rien de plus mélancolique que d’entendre les imbéciles donner encore au mot de Démocratie son ancien sens. Imbéciles ! Comment diable pouvez-vous espérer que la Technique tolère un régime où le technicien serait désigné par le moyen du vote, c’est-à-dire non pas selon son expérience technique garantie par des diplômes, mais selon le degré de sympathie qu’il est capable d’inspirer à l’électeur ? La Société moderne est désormais un ensemble de problèmes techniques à résoudre. Quelle place le politicien roublard, comme d’ailleurs l’électeur idéaliste, peuvent-ils avoir là-dedans ? Imbéciles ! Pensez-vous que la marche de tous ces rouages économiques, étroitement dépendants les uns des autres et tournant à la vitesse de l’éclair va dépendre demain du bon plaisir des braves gens rassemblés dans les comices pour acclamer tel ou tel programme électoral ? Imaginez-vous que la Technique d’orientation professionnelle, après avoir désigné pour quelque emploi subalterne un citoyen jugé particulièrement mal doué, supportera que le vote de ce malheureux décide, en dernier ressort, de l’adoption ou du rejet d’une mesure proposée par la Technique elle-même ? Imbéciles ! chaque progrès de la Technique vous éloigne un peu plus de la démocratie rêvée jadis par les ouvriers idéalistes du Faubourg Saint-Antoine. Il ne faut vraiment pas comprendre grand’chose aux faits politiques de ces dernières années pour refuser encore d’admettre que le Monde moderne a déjà résolu, au seul avantage de la Technique, le problème de la Démocratie. Les États totalitaires, enfants terribles et trop précoces de la Civilisation des Machines, ont tenté de résoudre ce problème brutalement, d’un seul coup. Les autres nations brûlaient de les imiter, mais leur évolution vers la dictature s’est trouvée un peu ralentie du fait que, contraintes après Munich d’entrer en guerre contre le hitlérisme et le fascisme, elles ont dû, bon gré mal gré, faire de l’idée démocratique le principal, ou plus exactement l’unique élément de leur propagande [...] Depuis la guerre de 1914, c’est-à-dire depuis leurs premières expériences, avec Lloyd George et Clemenceau, des facilités de la dictature, les Grandes Démocraties ont visiblement perdu toute confiance dans l’efficacité des anciennes méthodes démocratiques de travail et de gouvernement. On peut être sûr que c’est parmi leurs anciens adversaires, dont elles apprécient l’esprit de discipline, qu’elles recruteront bientôt leurs principaux collaborateurs ; elles n’ont que faire des idéalistes, car l’État Technique n’aura demain qu’un seul ennemi : « l’homme qui ne fait pas comme tout le monde » — ou encore : « l’homme qui a du temps à perdre » — ou plus simplement si vous voulez : « l’homme qui croit à autre chose qu’à la Technique ». (p. 192 à 199)
[+] Texte masqué
La Civilisation des Machines a besoin, sous peine de mort, d’écouler l’énorme production de sa machinerie et elle utilise dans ce but — pour employer l’expression vengeresse inventée au cours de la dernière guerre mondiale par le génie populaire — des machines à bourrer le crâne. Oh ! je sais, le mot vous fait sourire. Vous n’êtes même plus sensible au caractère réellement démoniaque de cette énorme entreprise d’abêtissement universel, où l’on voit collaborer les intérêts les plus divers, des plus abjects aux plus élevés — car les religions utilisent déjà les slogans. Politiciens, spéculateurs, gangsters, marchands, il ne s’agit que de faire vite, d’obtenir le résultat immédiat, coûte que coûte, soit qu’il s’agisse de lancer une marque de savon, ou de justifier une guerre, ou de négocier un emprunt de mille milliards. Ainsi les bons esprits s’avilissent, les esprits moyens deviennent imbéciles, et les imbéciles, le crâne bourré à éclater, la matière cérébrale giclant par les yeux et par les oreilles, se jettent les uns sur les autres, en hurlant de rage et d’épouvante.

Ne pas comprendre ! il faudrait un peu plus de cœur que n’en possèdent la plupart des hommes d’aujourd’hui pour ressentir la détresse de ces êtres malheureux auxquels on retire impitoyablement toute chance d’atteindre le petit nombre d’humbles vérités auxquelles ils ont droit, qu’un genre de vie proportionné à leurs modestes capacités leur aurait permis d’atteindre, et qui doivent subir, de la naissance à la mort, la furie des convoitises rivales, déchaînées dans la presse, la radio. Être informé de tout et condamné ainsi à ne rien comprendre, tel est le sort des imbéciles. Toute la vie d’un de ces infortunés ne suffirait pas probablement à lui permettre d’assimiler la moitié des notions contradictoires qui, pour une raison ou pour une autre, lui sont proposées en une semaine. Oui, je sais que je suis presque seul à dénoncer si violemment ce crime organisé contre l’esprit. Je sais que les imbéciles dont je prends ainsi la défense n’attendent que l’occasion de me pendre, ou peut-être de me manger, car où s’arrêtera leur colère ? N’importe ! je répète que ce ne sont pas les Machines à tuer qui me font peur. Aussi longtemps que tueront, brûleront, écorcheront, disséqueront les Machines à tuer, nous saurons du moins qu’il y a encore des hommes libres, ou du moins suspects de l’être. La plus redoutable des machines est la machine à bourrer les crânes, à liquéfier les cerveaux. Oui, oui, riez tant que vous voudrez de ma colère, misérables prêtres sans cœur ! Tant que vous aurez un bout de tribune pour y menacer de l’enfer l’imbécile qui ne tire pas sa casquette au Curé, ou qui ne donne pas à la quête, vous vous vanterez de tenir en main des consciences. Mais la Machine à bourrer les crânes en aura fini depuis longtemps avec le jugement, et sans jugement, pas de conscience ! Vos menaces ne toucheront plus que les tripes, non les âmes.

Les âmes ! On rougit presque d’écrire aujourd’hui ce mot sacré. Les mêmes prêtres imposteurs diront qu’aucune force au monde ne saurait avoir raison des âmes. Je ne prétends pas que la Machine à bourrer les crânes est capable de débourrer les âmes, ou de vider un homme de son âme, comme une cuisinière vide un lapin. Je crois seulement qu’un homme peut très bien garder une âme et ne pas la sentir, n’en être nullement incommodé ; cela se voit, hélas ! tous les jours. L’homme n’a de contact avec son âme que par la vie intérieure, et dans la Civilisation des Machines la vie intérieure prend peu à peu un caractère anormal. Pour des millions d’imbéciles, elle n’est qu’un synonyme vulgaire de la vie subconsciente, et le subconscient doit rester sous le contrôle du psychiatre. Oh ! sans doute, le psychiatre ne saurait être tenu pour responsable de cette bêtise, mais il ne peut pas non plus faire grand’chose contre elle. La Civilisation des Machines qui exploite le travail désintéressé du savant est moins tentée que jamais de lui déléguer la plus petite part de son magistère sur les consciences. Peut-être eût-elle été tentée de le faire au temps de la science matérialiste dont certaines théories, du moins en apparence, s’accordaient avec sa propre conception de la vie, mais la science actuelle ne se prête nullement aux grossières simplifications de la propagande. (p. 204 à 208)
[+] Texte masqué
Imbéciles ! Voilà longtemps que je le pense, si notre espèce finit par disparaître un jour de cette planète, grâce à l’efficacité croissante des techniques de destruction, ce n’est pas la cruauté qui sera responsable de notre extinction et moins encore, bien entendu, l’indignation qu’elle inspire, les représailles et les vengeances qu’elle suscite ; ni la cruauté, ni la vengeance, mais bien plutôt la docilité, l’irresponsabilité de l’homme moderne, son abjecte complaisance à toute volonté du collectif. Les horreurs que nous venons de voir, et celles pires que nous verrons bientôt, ne sont nullement le signe que le nombre des révoltés, des insoumis, des indomptables, augmente dans le monde, mais bien plutôt que croît sans cesse, avec une rapidité stupéfiante, le nombre des obéissants, des dociles, des hommes, qui, selon l’expression fameuse de l’avant-dernière guerre, « ne cherchaient pas à comprendre ». (p. 216-217)
Bernanos ne devine rien de l'avenir. Il décrit son temps, et il y voit un certain type d'homme émerger, un type d'homme dont tous les réflexes semblent très favorables à une existence docile et protocolaire, intégralement gérée par une structure technique qui impose aux sociétés sa forme de vie appauvrie et injuste, et qui fait des vieilles notions comme le "consentement" ou la "liberté" des tares introduisant un désordre inefficace dans les rouages de la mécanique sociale.
Il n'est donc pas question de faire un rapprochement entre le passe sanitaire et la seconde guerre mondiale, comme on le voit dans les outrances de certaines personnes défilant le samedi, mais il est question de voir que la civilisation technique fait advenir un type d'homme qui perdure encore aujourd'hui, et que le type d'homme décrit par Bernanos n'est pas fondamentalement différent de celui qui sévit aujourd'hui en se parant du vêtement de la "modernité en marche".

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Xavi
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Re: Bernanos et la crise du Covid

Message non lu par Xavi » jeu. 30 sept. 2021, 21:11

Je viens de lire le petit essai de Georges Bernanos, publié en 1947 et intitulé « La France contre les robots ».

Que penserait-il aujourd’hui de la gestion de la crise du Covid, des mesures restrictives des libertés prises pour généraliser une vaccination dans l’intérêt du bien commun, sur des bases scientifiques ?

Son ouvrage me semble, à cet égard, un outil interpellant de réflexion pour méditer sur les enjeux actuellement en cause.

Quelques extraits :

« Ils s’efforcent, ils se hâtent de nous faire rentrer dans le jeu – c’est-à-dire dans le jeu politique traditionnel dont ils connaissent toutes les ressources, et où ils se croient sûrs de l’emporter tôt ou tard, calculant les atouts qui leur restent et ceux que nous avons perdus. Il est très possible que cette manœuvre retarde un assez long temps les événements que j’annonce. Il est possible que nous entrions dans une nouvelle période d’apaisement, de recueillement, de travail […] Les événements que j’annonce peuvent être retardés sans dommage » […] (p. 22-23)

« L’invasion de la Machinerie a pris cette société de surprise, elle s’est comme effondrée brusquement sous son poids, d’une manière surprenante. C’est qu’elle n’avait jamais prévu l’invasion de la Machine ; l’invasion de la machine était pour elle un phénomène entièrement nouveau. Le monde n’avait guère connu jusqu’alors que des instruments, des outils, plus ou moins perfectionnés sans doute, mais qui étaient comme le prolongement des membres. » (p. 133-134)

« Mais, la Machinerie est-elle une étape ou le symptôme d’une crise, d’une rupture d’équilibre, d’une défaillance des hautes facultés désintéressées de l’homme, au bénéfice de ses appétits ? Voilà une question que personne n’aime encore à se poser. Je ne parle pas de l’invention des Machines, je parle de leur multiplication prodigieuse, à quoi rien ne semble devoir mettre fin, car la Machinerie ne crée pas seulement les machines, elle a aussi les moyens de créer artificiellement de nouveaux besoins qui assureront la vente de nouvelles machines. » (p. 139)

« vos futures machines fabriqueront ceci ou cela, mais elles seront d’abord et avant tout, elles seront naturellement, essentiellement, des mécaniques à faire de l’or. Bien avant d’être au service de l’Humanité, elles serviront les vendeurs et les revendeurs d’or, c’est-à-dire les spéculateurs, elles seront des instruments de spéculation. […] Je prédis que la multiplication des machines développera d’une manière presque inimaginable l’esprit de cupidité. De quoi cet esprit ne sera-t-il pas capable ? [...] Lorsqu’ils trouveront devant eux des concurrents, vous les verrez contempler d’un œil sec les plus effroyables carnages ; l’odeur des charniers ne les empêchera pas de dormir. Bref, le jour où la superproduction menacera d’étouffer la spéculation sous le poids sans cesse accru des marchandises invendables, vos machines à fabriquer deviendront des machines à tuer, voilà ce qu’il est très facile de prévoir. » (p. 147-148)

« les machines ne s’arrêtent pas de tourner, elles tournent de plus en plus vite et l’homme moderne, même au prix de grimaces et de contorsions effroyables, ne réussit plus à garder l’équilibre. » (p. 154)

« La Civilisation des Machines a besoin, sous peine de mort, d’écouler l’énorme production de sa machinerie » (p. 204)

« le système n’est pas du tout l’œuvre des savants, mais celle d’hommes avides qui l’ont créé pour ainsi dire sans intention – au fur et à mesure de leur négoce. […] « Qu’importe ! redisaient alors les imbéciles […] le monde n’a pas besoin de vertu, il réclame du confort, et le cupidité sans frein des marchands finira, grâce au jeu de la concurrence, par lui fournir ce confort à bas prix, à un prix toujours plus bas. » C’est là une de ces évidences imbéciles qui assurent l’imbécile sécurité des imbéciles. Ces malheureux auraient été bien incapables de prévoir que rien n’arrêterait les cupidités déchainées, qu’elles finiraient par se disputer la clientèle à coups de canon : « Achète ou meure ! » Ils ne prévoyaient pas davantage que le jour ne tarderait pas à venir où la baisse des prix, fût-ce ceux des objets indispensables à la vie, serait considérée comme un mal majeur » (p. 190)

« Nous n’assistons pas à la fin naturelle d’une grande civilisation humaine, mais à la naissance d’une civilisation inhumaine qui ne saurait s’établir que grâce à une vaste, à une immense, à une universelle stérilisation des hautes valeurs de la vie. […] la civilisation actuelle est parfaitement capable de reconstruire à mesure tout ce qu’elle jette par terre, et avec une rapidité croissante. Elle est donc sûre de poursuivre presque indéfiniment ses expériences et ses expériences se feront de plus en plus monstrueuses… » (p. 174-175)

« Ceux qui voient dans la civilisation des Machines une étape normale de l’Humanité en marche vers son inéluctable destin devraient tout de même réfléchir au caractère suspect d’une civilisation qui semble bien n’avoir été sérieusement prévue, ni désirée, qui s’est développée avec une rapidité si effrayante qu’elle fait moins penser à la croissance d’un être vivant qu’à l’évolution d’un cancer. » (p. 150)

« Un monde gagné pour la Technique est perdu pour la liberté.
En parlant ainsi, je me moque de scandaliser les esprits faibles qui opposent aux réalités des mots déjà dangereusement vidés de leur substance, comme par exemple celui de démocratie
» (p. 26)

« On ne comprend absolument rien à la civilisation moderne si l’on n’admet pas d’abord qu’elle est une conspiration universelle contre toute espèce de vie intérieure. Hélas, la liberté n’est pourtant qu’en vous, imbéciles ! » (p. 138)

« Dans sa lutte plus ou moins sournoise contre la vie intérieure, la Civilisation des Machines ne s’inspire, directement du moins, d’aucun plan idéologique, elle défend son principe essentiel, qui est celui, de la primauté de l’action. La liberté d’action ne lui inspire aucune crainte, c’est la liberté de penser qu’elle redoute. Elle encourage volontiers tout ce qui agit, tout ce qui bouge, mais elle juge, non sans raison, que ce que nous donnons à la vie intérieure est perdu pour la communauté. […] si le salut de l’homme est ici-bas, dans la domination chaque jour plus efficiente de toutes les ressources de la planète, la vie contemplative est une fuite ou un refus. […] La seule espèce de vie intérieure que le Technicien pourrait permettre serait tout juste celle nécessaire à une modeste introspection, contrôlée par le Médecin, afin de développer l’optimisme » (p. 208-209)

« Il n’y a pas de conscience collective. Une collectivité n’a pas de conscience. Lorsqu’elle paraît en avoir une, c’est qu’il y subsiste le nombre indispensable de consciences réfractaires, c’est-à-dire d’hommes assez indisciplinés pour ne pas reconnaître à l’Etat-Dieu le droit de définir le Bien et le Mal. » (p. 162)

« Ceux qui m’ont déjà fait l’honneur de me lire savent que je n’ai pas l’habitude de désigner sous le nom d’imbéciles les ignorants ou les simples. Bien au contraire. L’expérience m’a depuis longtemps démontré que l’imbécile n’est jamais simple, et très rarement ignorant. L’intellectuel devrait donc nous être par définition, suspect ? Certainement. Je dis l’intellectuel, l’homme qui se donne lui-même ce titre, en raison des connaissances ou des diplômes qu’il possède. Je ne parle évidemment pas du savant, de l’artiste ou de l’écrivain dont la vocation est de créer – pour lesquels l’intelligence n’est pas une profession, mais une vocation. […] L’intellectuel est si souvent un imbécile que nous devrions toujours le tenir pour tel, jusqu’à ce qu’il nous ait prouvé le contraire.
Ayant ainsi défini l’imbécile, j’ajoute que je n’ai nullement la prétention de le détourner de la Civilisation des Machines, parce que cette civilisation le favorise d’une manière incroyable aux yeux de cette espèce d’hommes qu’il appelle haineusement les « originaux », les « inconformistes ». La Civilisation des Machines est la civilisation des techniciens, et dans l’ordre de la Technique un imbécile peut parvenir aux plus hauts grades, à cela près qu’il est plus ou moins décoré
» (p. 180 à 182)

« Le cerveau de l’imbécile n’est pas un cerveau vide, c’est un cerveau encombré où les idées fermentent au lieu de s’assimiler […] Lorsqu’on pense aux moyens chaque fois plus puissants dont dispose le système, un esprit ne peut évidemment rester libre qu’au prix d’un effort continuel. Qui de nous peut se vanter de poursuivre cet effort jusqu’au bout ? Qui de nous est sûr non seulement de résister à tous les slogans, mais aussi à la tentation d’opposer un slogan à un autre ? Et d’ailleurs le système fait rarement sa propre apologie, les catastrophes se succèdent trop vite. IL préfère imposer à ses victimes l’idée de sa nécessité. » (p. 186-187)

« Si nous pensions que ce système est capable de se réformer, qu’il peut rompre de lui-même le cours de sa fatale évolution vers la dictature […] Mais le système ne changera pas le cours de son évolution, pour la bonne raison qu’il n’évolue déjà plus ; il s’organise seulement en vue de durer encore un moment, de survivre. Loin de prétendre résoudre ses propres contradictions, d’ailleurs probablement insolubles, il paraît de plus en plus disposé à les imposer par la force, grâce à une réglementation chaque jour plus minutieuse et plus stricte des activités particulières, faites au nom d’une espèce de socialisme d’État, forme démocratique de la dictature. » (p. 24)

« Qu’il s’intitule capitaliste ou socialiste, ce monde est fondé sur une certaine conception de l’homme, commune aux économistes anglais du XVIII° siècle, comme à Marx ou Lénine. On a dit parfois de l’homme qu’il était un animal religieux. Le système l’a défini une fois pour toutes comme un animal économique, non seulement l’esclave, mais l’objet, la matière presque inerte, irresponsable, du déterminisme économique, et sans espoir de s’en affranchir, puisqu’il ne connait d’autre mobile certain que l’intérêt, le profit. » (p. 27)

« La liberté ne sera pas sauvée par les institutions, elle ne sera pas sauvée par la guerre. […] Il ne s’agit pas de savoir si cette liberté rend les hommes heureux, ou si même elle les rend moraux. Il ne s’agit pas de savoir si elle favorise le bien, car Dieu est maître du Mal comme du Bien. Il me suffit qu’elle rende l’homme plus homme, plus digne de sa redoutable vocation d’homme, de sa vocation selon sa nature, mais aussi de sa vocation surnaturelle. » (p. 44-45)

« La mesure que vous me proposez d’approuver ouvrira une brèche énorme au flanc de la Cité Chrétienne. Toutes les libertés, une à une, s’en iront par là car elles tiennent toutes les unes aux autres, elles sont liées les unes aux autres comme les grains du chapelet. » (p. 65)

« Car, voilà précisément ce que nous n’avions pas compris : les guerres d’autrefois, les guerres politiques, les guerres de soldats, formaient des héros ou des bandits, la plupart héros et bandits tout ensemble. Mais la guerre moderne, la guerre totale, travaille pour l’Etat totalitaire, elle lui fournit son matériel humain. Elle forme une nouvelle espèce d’homme, assouplis et brisés par l’épreuve, résignés à ne pas comprendre, à ne pas « chercher à comprendre », selon leur mot fameux, raisonneurs et sceptiques en apparence, mais terriblement mal à l’aise dans les libertés de la vie civile qu’ils ont désapprises une fois pour toutes, qu’ils ne réapprendront plus jamais, ou du moins qui ne leur seront plus jamais familières » (p. 114)

« Je ne dis pas que la Société moderne n’eût pas réussi à former dans la paix, grâce à ses admirables méthodes de déformation des consciences, un homme totalitaire […] La Guerre Totale est la Société Moderne elle-même, à son plus haut degré d’efficience. » (p 116-117)

« Tel est le résultat de la propagande incessante faite depuis tant d’années par tout ce qui dans le monde se trouve intéressé à la formation en série d’une humanité docile, de plus en plus docile, à mesure que l’organisation économique, les concurrences et les guerres exigent une réglementation plus minutieuse. » (p. 50)

« C’est le mot de criminel dont le sens s’est prodigieusement élargi, jusqu’à désigner tout citoyen peu favorable au Régime, au Système, au Parti, ou à l’homme qui les incarne. Le petit bourgeois français n’avait certainement pas assez d’imagination pour se représenter un monde comme le nôtre si différent du sien, un monde où à chaque carrefour la Police d’État guetterait les suspects, filtrerait les passants, ferait du moindre portier d’hôtel, responsable de ses fiches, son auxiliaire bénévole et public. […]Et lorsque l’État jugera plus pratique, afin d’épargner le temps de ses innombrables contrôleurs, de nous imposer une marque extérieure, pourquoi hésiterions-nous à nous laisser marquer au fer, à la joue ou à la fesse, comme le bétail ? L’épuration des Mal-Pensants, si chère aux régimes totalitaires, en serait grandement facilitée. » (p. 53 à 55)

« Imbéciles, ne voyez-vous pas que la civilisation des machines exige en effet de vous une discipline chaque jour plus stricte ? Elle l’exige au nom du Progrès, c’est-à-dire au nom d’une conception nouvelle de la vie, imposée aux esprits par son énorme machinerie de propagande et de publicité. Imbéciles ! comprenez donc que la civilisation des machines est elle-même une machine, dont tous les mouvements doivent être de plus en plus parfaitement synchronisés ! » (p. 193)

« Imbéciles ! avez-vous jamais imaginé que dans une société où les dépendances naturelles ont pris le caractère rigoureux, implacable, des rapports mathématiques, vous pourrez aller et venir, acheter ou vendre, travailler ou ne pas travailler, avec la même tranquille bonhomie que vos ancêtres ? Politique d’abord ! disait Maurras. La Civilisation des Machines a aussi sa devise : « Technique d’abord ! technique partout ! » Imbéciles ! vous vous dites que la technique ne contrôlera, au pis aller, que votre activité matérielle […]Prenez garde, imbéciles ! Parmi toutes les Techniques, il y a une technique de la discipline, et elle ne saurait se satisfaire de l’ancienne obéissance obtenue vaille que vaille par des procédés empiriques, et dont on aurait dû dire qu’elle était moins la discipline qu’une indiscipline modérée. La Technique prétendra tôt ou tard former des collaborateurs acquis corps et âme à son Principe, c’est-à-dire qui accepteront sans discussion inutile sa conception de l’ordre, de la vie, ses Raisons de Vivre. Dans un monde tout entier voué à l’Efficience, au Rendement, n’importe-t-il pas que chaque citoyen, dès sa naissance, soit consacré aux mêmes dieux ? La Technique ne peut être discutée, les solutions qu’elle impose étant par définition les plus pratiques. » (p. 193 à 195)

« Croyez-vous, imbéciles, qu’un tel système, et si rigoureux, puisse subsister par le simple consentement ? Pour l’accepter comme il veut qu’on l’accepte, il faut y croire, il faut y conformer entièrement non seulement ses actes, mais sa conscience. Le système n’admet pas de mécontents. Le rendement d’un mécontent — les statistiques le prouvent — est inférieur de 30 % au rendement normal, et de 50 ou 60 % au rendement d’un citoyen qui ne se contente pas de trouver sa situation supportable — en attendant le Paradis — mais qui la tient pour la meilleure possible. Dès lors, le premier venu comprend très bien quelle sorte de collaborateur le technicien est tenu logiquement de former. Il n’y a rien de plus mélancolique que d’entendre les imbéciles donner encore au mot de Démocratie son ancien sens. Imbéciles ! Comment diable pouvez-vous espérer que la Technique tolère un régime où le technicien serait désigné par le moyen du vote, c’est-à-dire non pas selon son expérience technique garantie par des diplômes, mais selon le degré de sympathie qu’il est capable d’inspirer à l’électeur ? La Société moderne est désormais un ensemble de problèmes techniques à résoudre. Quelle place le politicien roublard, comme d’ailleurs l’électeur idéaliste, peuvent-ils avoir là-dedans ? Imbéciles ! Pensez-vous que la marche de tous ces rouages économiques, étroitement dépendants les uns des autres et tournant à la vitesse de l’éclair va dépendre demain du bon plaisir des braves gens rassemblés dans les comices pour acclamer tel ou tel programme électoral ? Imaginez-vous que la Technique d’orientation professionnelle, après avoir désigné pour quelque emploi subalterne un citoyen jugé particulièrement mal doué, supportera que le vote de ce malheureux décide, en dernier ressort, de l’adoption ou du rejet d’une mesure proposée par la Technique elle-même ? Imbéciles ! chaque progrès de la Technique vous éloigne un peu plus de la démocratie rêvée jadis par les ouvriers idéalistes du Faubourg Saint-Antoine. Il ne faut vraiment pas comprendre grand’chose aux faits politiques de ces dernières années pour refuser encore d’admettre que le Monde moderne a déjà résolu, au seul avantage de la Technique, le problème de la Démocratie. Les États totalitaires, enfants terribles et trop précoces de la Civilisation des Machines, ont tenté de résoudre ce problème brutalement, d’un seul coup. Les autres nations brûlaient de les imiter, mais leur évolution vers la dictature s’est trouvée un peu ralentie du fait que, contraintes après Munich d’entrer en guerre contre le hitlérisme et le fascisme, elles ont dû, bon gré mal gré, faire de l’idée démocratique le principal, ou plus exactement l’unique élément de leur propagande [...] Depuis la guerre de 1914, c’est-à-dire depuis leurs premières expériences, avec Lloyd George et Clemenceau, des facilités de la dictature, les Grandes Démocraties ont visiblement perdu toute confiance dans l’efficacité des anciennes méthodes démocratiques de travail et de gouvernement. On peut être sûr que c’est parmi leurs anciens adversaires, dont elles apprécient l’esprit de discipline, qu’elles recruteront bientôt leurs principaux collaborateurs ; elles n’ont que faire des idéalistes, car l’État Technique n’aura demain qu’un seul ennemi : « l’homme qui ne fait pas comme tout le monde » — ou encore : « l’homme qui a du temps à perdre » — ou plus simplement si vous voulez : « l’homme qui croit à autre chose qu’à la Technique ». (p. 195 à 199)

« Être informé de tout et condamné ainsi à ne rien comprendre, tel est le sort des imbéciles. Toute la vie d’un de ces infortunés ne suffirait pas probablement à lui permettre d’assimiler la moitié des notions contradictoires qui, pour une raison ou pour une autre, lui sont proposées en une semaine. Oui, je sais que je suis presque seul à dénoncer si violemment ce crime organisé contre l’esprit. » (p. 205-206)

« un homme peut très bien garder une âme et ne pas la sentir, n’en être nullement incommodé ; cela se voit, hélas ! tous les jours. L’homme n’a de contact avec son âme que par la vie intérieure, et dans la Civilisation des Machines la vie intérieure prend peu à peu un caractère anormal. Pour des millions d’imbéciles, elle n’est qu’un synonyme vulgaire de la vie subconsciente, et le subconscient doit rester sous le contrôle du psychiatre. » (p. 207-208)

« Imbéciles ! Voilà longtemps que je le pense, si notre espèce finit par disparaître un jour de cette planète, grâce à l’efficacité croissante des techniques de destruction, ce n’est pas la cruauté qui sera responsable de notre extinction et moins encore, bien entendu, l’indignation qu’elle inspire, les représailles et les vengeances qu’elle suscite ; ni la cruauté, ni la vengeance, mais bien plutôt la docilité, l’irresponsabilité de l’homme moderne, son abjecte complaisance à toute volonté du collectif. Les horreurs que nous venons de voir, et celles pires que nous verrons bientôt, ne sont nullement le signe que le nombre des révoltés, des insoumis, des indomptables, augmente dans le monde, mais bien plutôt que croît sans cesse, avec une rapidité stupéfiante, le nombre des obéissants, des dociles, des hommes, qui, selon l’expression fameuse de l’avant-dernière guerre, « ne cherchaient pas à comprendre ». (p. 216-217)

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Re: Bernanos et la crise du Covid

Message non lu par Pathos » jeu. 30 sept. 2021, 23:28

Merci pour ces extraits Xavi. Je retiens en particulier la dernière phrase que vous citez...

Bernanos était un visionnaire.

...croît sans cesse, avec une rapidité stupéfiante, le nombre des obéissants, des dociles, des hommes, qui, selon l’expression fameuse de l’avant-dernière guerre, « ne cherchaient pas à comprendre ».


Du même auteur je recommande "la grande peur des bien pensants".
Une nation n'est pas ce qu'elle pense d'elle même dans le temps mais ce que Dieu pense sur elle dans l'éternité. Soloviev

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